Intervention de Manuel Valls

Réunion du 16 octobre 2012 à 14h30
Lutte contre le terrorisme — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Manuel Valls, ministre :

Monsieur Anziani, je vous remercie de votre soutien. Je fais mienne votre volonté de ne pas entretenir de confusion entre terrorisme et immigration. Comme cela a été souligné, nous devons demeurer vigilants, sans pour autant être naïfs.

Nous voyons bien que les évolutions actuelles sont complexes. Le groupe terroriste que nous venons de démanteler était composé de Français, de Français qui n’étaient pas des enfants de l’immigration : il s’agissait de Français convertis à l’islam. Nous avons besoin d’outils nous permettant de nous attaquer aux étrangers qui viendraient sur notre sol pour s’en prendre à nos valeurs essentielles en tenant un discours de haine, mais nous devons aussi nous adapter aux évolutions en cours.

Je vous remercie également d’avoir rappelé une évidence, à laquelle Michel Delebarre a lui aussi fait allusion : il n’y a pas de lutte contre le terrorisme sans un renseignement de qualité ; pour ma part, j’ajouterais : sans un renseignement maîtrisé et évalué, ce qui suppose une coordination tant au sein du ministère de l’intérieur qu’avec les magistrats spécialisés dans l’anti-terrorisme. C’est la force de ce projet de loi que de prévoir une continuité pénale afin de répondre à la menace terroriste actuelle. C’est aussi, plus généralement, la force de la lutte anti-terroriste à la française, que beaucoup nous envient, même si nous devons confronter nos expériences avec celles qui existent au niveau européen ou mondial.

Madame Assassi, nous partageons le même objectif ; c’est l’essentiel. Nous voulons protéger les principes et les valeurs proclamés à l’issue de nombreux combats. J’ai une certitude : protéger ces valeurs exige de protéger nos démocraties, sans excès, certes, mais aussi sans naïveté. Il ne sert à rien de proclamer notre attachement à des valeurs si celles-ci sont attaquées par des actions violentes de terrorisme qui visent à briser l’essentiel de notre pacte républicain.

Oui, je souhaite voir reconduites des mesures attentatoires aux libertés individuelles car elles sont nécessaires à l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. C’est d'ailleurs là que réside l’équilibre complexe de la lutte contre ce mal dont – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur – les objectifs ne sont pas nouveaux, même si les formes ont pu changer. Je le répète, chacune des « atteintes » – je mets ce mot entre guillemets – aux libertés que prévoit ce projet de loi est encadrée par la loi ou le juge.

Par ailleurs – je tiens à le répéter également –, aucune disposition ne vise une population, un pays ou une religion en particulier. Ce projet de loi est le fruit d’un consensus entre deux ministres, dont les logiques différentes ne sont pas contradictoires, mais représentent au contraire une force car elles nous invitent à faire preuve de plus d’efficacité.

La force de la France – je le disais tout à l'heure à François Rebsamen –, c’est que, même dans les moments les plus difficiles, elle n’a pas dévié, elle n’a pas fait le même choix que les États-Unis, où, après les attentats du 11 septembre 2001, des atteintes ont été portées à certaines libertés qui pouvaient être considérées comme fondamentales. Au-delà de tous les débats, cette force réside dans l’équilibre entre la droite et la gauche, qui se matérialise par l’alternance. Il s’agit de préserver un chemin sur lequel, je l’espère, nous pourrons nous retrouver.

Monsieur Mercier, je vous remercie de l’élégance de votre geste : vous avez en effet annoncé que vous voterez ce projet de loi. Je répète d'ailleurs que notre travail s’est appuyé en partie sur le texte que vous aviez commencé à bâtir, même si, de notre côté, nous avions également préparé certains éléments. Ces derniers mois, nous avons continué à travailler sur votre texte, afin de l’améliorer. Nous avons ainsi écarté certaines dispositions présentant un risque d’inconstitutionnalité. Nous avons choisi de légiférer avec méthode, puisque nous avions un peu plus de temps. Nous avons soupesé la nécessité de chaque atteinte à ce que l’on pourrait appeler des libertés individuelles. Tout à l'heure, nous débattrons sans doute de vos propositions, et nous le ferons avec le même esprit de méthode.

Monsieur Mercier, lorsque vous avez conçu votre projet de loi, le calendrier politique était chargé et vous avez dû travailler dans l’urgence, sous la pression de l’émotion légitime suscitée par les meurtres de Toulouse et de Montauban. Ces événements ont agi comme des révélateurs. Le même phénomène s’est produit récemment avec le démantèlement du réseau lié à l’attentat de Sarcelles. À ce sujet, j’ai lu il y a quelques jours le portrait qu’a fait de moi Edwy Plenel dans Marianne. Il accusait en outre le Président de la République d’avoir cédé à l’émotion suscitée par un pseudo-groupe terroriste. Non, il ne s’agissait pas d’un pseudo-groupe terroriste, c’était un véritable groupe terroriste, qui a essayé de tuer à Sarcelles et qui – la garde des sceaux le sait mieux que quiconque – s’apprêtait sans doute à commettre des actes irréparables.

Après les meurtres de Toulouse et de Montauban, l’émotion était palpable, mais vous vous êtes efforcé de répondre à une vraie question. Je suis donc heureux que vous soyez ici aujourd'hui pour débattre avec nous. Je souhaite que nous réussissions ensemble à trouver une voie, car un gouvernement est toujours plus fort, a fortiori sur un sujet aussi essentiel que la lutte contre le terrorisme, lorsqu’un consensus se dégage. J’invite chacun à participer à notre réflexion. En effet, il nous faut mobiliser toute la société si nous voulons être efficaces.

Monsieur Mazars, vous avez raison de souligner l’intérêt et l’efficacité de la méthode que nous avons adoptée. Sachez que je suis attaché à cette méthode, en matière de terrorisme mais également sur les autres sujets, comme la délinquance ou l’insécurité, qui relèvent de la loi pénale. Il y va de la sécurité de notre pays, qui n’est pas l’affaire exclusive du ministère de l’intérieur, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est peut-être sur ce point qu’il y a eu des changements : le ministère de l’intérieur est bien conscient que, sans la justice, sans la loi pénale, rien n’est possible. C’est une question de méthode : vous ne me verrez pas critiquer la justice ni commenter des actions menées par la police sous l’autorité du procureur avant que celui-ci ne se soit exprimé. C’est très important pour redonner confiance dans nos institutions et affermir l’État de droit.

Vous avez raison également de rappeler que l’efficacité de notre action dépendra de notre capacité à regarder en face nos échecs et dysfonctionnements, aussi bien dans les services de renseignement que dans l’administration pénitentiaire, et à en tirer les conséquences.

Je dirai maintenant un mot de ce qui s’est passé au mois de mars. Jamais, depuis que je suis ministre – mais je pense m’être exprimé de la même manière au printemps dernier –, je n’ai mis en cause le travail des services qui travaillent à l’intérieur ou à l’extérieur de nos frontières pour défendre nos intérêts. Jamais je ne les mettrai en cause, car leur rôle est essentiel. Cependant, si je me garderai bien de porter des accusations sur les hommes, en revanche, chaque fois qu’il y a un échec – et quand un attentat est commis, c’est un échec collectif –, nous devons en tirer les leçons afin d’améliorer le fonctionnement de nos services de renseignement.

Je n’oublie pas qu’une action en justice a été engagée par les familles de certaines victimes de ces terribles assassinats ; elles exigent de connaître la vérité. Une enquête est en cours, qui concerne notamment le frère de Mohamed Merah ; mais j’en dis déjà trop à cette tribune.

Le rapport que j’ai demandé à deux inspecteurs me sera remis dans quelques jours. Il nous permettra moins de tirer des enseignements du passé que de réorganiser le travail de nos services afin d’étudier les conséquences de la fusion des renseignements généraux et de la DST, dont a résulté la création de la direction centrale du renseignement intérieur. L’idée qui me préoccupe est de garder un lien très important avec la réalité du terrain dont n’est pas coupé le terrorisme. C’est peut-être sur ce point que des dysfonctionnements ont pu apparaître voilà quelques mois.

Bien entendu, la direction centrale du renseignement intérieur a besoin de moyens pour analyser les évolutions du terrorisme.

Monsieur Courtois, je n’ai pas changé de position depuis que j’ai été nommé à mes actuelles fonctions. Permettez-moi d’émettre une appréciation un peu personnelle : ces responsabilités m’ont peut-être été confiées par le Président de la République et par le Premier ministre en raison de mes prises de position anciennes, constantes et connues. Mes positions sont empreintes de pragmatisme, comme je l’indiquais tout à l’heure. Elles sont celles d’une majorité qui se garde bien d’opposer laxisme et répression, justice et intérieur et, sur ces sujets aussi essentiels, gauche et droite. En tout cas, je serai attentif aux propositions que vous formulerez, les uns et les autres, au cours de l’examen des articles.

Nous pourrions nous renvoyer les déclarations émises par les uns et les autres depuis vingt ou trente ans. Ce serait un vrai florilège, certes de grande qualité…

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