Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 16 octobre 2012 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Article 2

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’aurais souhaité pouvoir m’exprimer devant vous plus tôt dans l’après-midi, avant que vous-même, monsieur le rapporteur, n’interveniez, mais, ayant quitté tardivement l’Assemblée nationale, je n’ai pu vous rejoindre qu’au moment où vous montiez à la tribune !

Je me contenterai donc de dire quelques mots en cet instant, alors que nous en arrivons à l’examen du seul article de ce texte de loi contenant des dispositions pénales.

Après le ministre de l’intérieur, je veux souligner à mon tour le travail consciencieux et sérieux que nous avons effectué pour préparer ce projet de loi. Je saluerai surtout l’apport, dans ce cadre, de nos équipes et des experts dont nous nous sommes attaché les services.

Nous avons tous, bien entendu, en mémoire l’affaire Merah, évoquée à plusieurs reprises encore aujourd’hui, cette tragédie marquée par le meurtre d’enfants, d’adultes, civils comme militaires. Nous avons tous vécu cette émotion, cette colère aussi, tout comme ces peurs, qui ne sont pas toutes infondées. Les événements de ces derniers jours nous ont donné d’autres raisons de nous inquiéter.

C’est donc non seulement avec la conscience de la menace actuelle, de la nécessité d’en prendre toute la mesure, d’en connaître toutes les formes d’expression pour mieux l’anticiper, mais aussi avec le souci de l’efficacité que nous avons travaillé sur ces nouvelles dispositions particulières du code pénal.

Nous avons souhaité répondre à la question de l’amélioration des dispositifs déjà existants, qu’il s’agisse du repérage par le renseignement, de la prévention par les enquêtes préliminaires et les informations judiciaires, ou de la répression.

Cette question n’est pas anodine. Dans le cadre de nos réflexions, nourries de l’apport de certains experts, il est apparu que l’ajout de précisions sur des incriminations pouvait aboutir à fragiliser les possibilités d’initiative des magistrats.

Nous avons voulu construire un nouvel outil législatif propre à améliorer la procédure tant administrative que judiciaire. Nous avons veillé à bien identifier ce qui pouvait relever du domaine législatif et du domaine réglementaire, et ressortir d’une meilleure coordination entre les services, au sein même de l’administration, au travers de telle ou telle mesure prenant éventuellement la forme d’une instruction de politique pénale.

C’est donc sur la base de ces interrogations très précises que nous avons confronté les différentes situations. Je le disais, nous nous sommes attaché les services d’experts, de praticiens, de magistrats du siège, tels que les juges d’instruction du pôle antiterroriste, de magistrats du parquet, œuvrant en particulier dans le cadre de la section centrale de la lutte antiterroriste, de policiers spécialisés et de juristes, notamment de la Cour de cassation.

Nous nous sommes également fondés sur la jurisprudence, qui, parce qu’elle donne une interprétation large de l’incrimination d’association de malfaiteurs à visée terroriste, permet aux magistrats de travailler correctement. Nous avons été alertés sur la nécessité de ne pas prendre le risque, par l’ajout d’incriminations complémentaires plus précises, de fragiliser le dispositif. Il faut garder à l’esprit qu’une telle incrimination d’association de malfaiteurs, lorsqu’elle est mobilisée, peut faire l’objet d’une exigence de précision par les magistrats.

Les dispositions figurant à l’article 2, qui introduit, au sein du livre Ier du code pénal, un article 113-13, entraînent des modifications importantes en ce sens qu’elles élargissent la compétence territoriale de nos juridictions françaises.

La rédaction retenue est sensiblement différente et plus large que celle qui figurait dans un texte précédent, porté par l’ancien garde des sceaux Michel Mercier. Au-delà de l’incrimination d’association de malfaiteurs, elle permet également de cibler des personnes liées au terrorisme sous une nature et une forme différentes. Je pense à des personnes ne pouvant justifier la détention de revenus ou d’autres moyens, ou simplement convaincues de financer des actes terroristes.

Par cet élargissement du champ d’application de la mesure concernée, la justice sera en mesure de poursuivre des Français qui agiraient dans des pays étrangers, quand bien même il n’existerait pas localement d’incrimination visant les actes ainsi perpétrés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, outre ce travail effectué sur le code pénal, je rappellerai d’autres dispositions essentielles de ce projet de loi qui concernent la sécurité intérieure ainsi que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Je veux souligner plus largement, comme certains d’entre vous l’ont fait dans leurs interventions cet après-midi, l’action publique engagée par le Gouvernement.

J’ai entendu vos interrogations portant sur la radicalisation qui pourrait s’opérer dans nos établissements pénitentiaires. Sachez que j’ai conscience de cette réalité, dont il faut prendre la mesure sans pour autant la surestimer, au risque de sous-estimer, en retour, ce qui peut se passer dans certaines parties du territoire et qui serait l’œuvre de personnes n’ayant pas eu un parcours judiciaire et pénitentiaire.

En tout cas, à peu près 20 % des personnes incriminées dans le cadre de l’attentat de Sarcelles et dans le réseau détecté et combattu par nos policiers et nos magistrats ont eu un parcours judiciaire et pénitentiaire. Cela veut dire, et nous ne devons pas le perdre de vue, qu’il existe d’autres lieux de radicalisation.

S’agissant de ce qui se passe dans nos établissements pénitentiaires, nous nous heurtons actuellement à deux difficultés auxquelles nous essayons d’apporter des réponses.

L’une des difficultés avait déjà été repérée par le garde des sceaux qui m’a précédée. Nous avons conforté les mesures qui avaient été prises. Cette difficulté, c’est la présence, dans nos établissements pénitentiaires, d’imams ou, en tout cas, de prêcheurs autoproclamés qui prônent un islam radical parfois haineux. Ces prêcheurs autoproclamés sont identifiés, repérés et font l’objet d’un transfèrement lorsque le prosélytisme est établi. Les surveillants pénitentiaires, quant à eux, suivent, notamment à l’École nationale de la magistrature, une formation destinée à leur fournir les éléments propres à détecter ces pratiques et à prendre la mesure du risque réel.

Toutes les sénatrices et les sénateurs le savent sans doute, il existe un bureau de renseignement pénitentiaire qui travaille avec les services de renseignements de la police. Il nous permet de contenir ce phénomène de radicalisation dans nos établissements pénitentiaires.

Cela étant, nous avons étudié le profil des personnes qui se trouvent impliquées dans ces processus de radicalisation à l’intérieur de nos établissements et nous avons constaté que la plupart d’entre elles sont dans un état de vulnérabilité économique, ce qui est, non un élément d’atténuation, mais un élément factuel. Elles sont souvent prises en charge sur le plan matériel à l’intérieur des établissements et, parfois, assez souvent même, à l’extérieur.

Il serait donc nécessaire de prendre en compte la réalité de l’indigence qui existe dans certains de nos établissements et de faire en sorte de réduire cette vulnérabilité économique.

Une autre difficulté réside dans notre incapacité à répondre, le cas échéant, à la demande de culte dans nos établissements pénitentiaires. Nous constatons, pour l’instant, un grand déséquilibre dans la répartition des vacations pour la pratique des cultes. Et ce grand déséquilibre est très défavorable à la confession musulmane.

Nous avons donc décidé de créer, pour l’année 2013, un certain nombre de vacations supplémentaires qui nous permettront de couvrir une trentaine d’établissements supplémentaires. En 2014, nous couvrirons à nouveau une trentaine d’établissements supplémentaires. Nous rééquilibrerons progressivement la situation pour ménager les conditions propices à la pratique du culte en question. Cette pratique est légale dans notre société laïque. Notre République laïque ne conteste pas l’exercice du culte. Elle respecte le principe de coexistence de l’athéisme, de l'agnosticisme, de la libre conscience, de la libre-pensée et de toutes les confessions. Nous cherchons à créer les conditions nécessaires pour que toute confession puisse être pratiquée, dans le respect des lois et des principes républicains.

Voilà donc ce qui accompagne, en termes de politique publique, les dispositions pénales contenues dans l’article 2 de ce projet de loi. §

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