Les députés ont considérablement élargi l'objet de la proposition de loi sur la tarification progressive de l'énergie présentée à l'Assemblée nationale par François Brottes, qui se limitait au départ à la mise en place d'un mécanisme de bonus-malus sur les consommations domestiques de gaz et d'électricité, et à une extension des tarifs sociaux de l'énergie. Aussi le texte est-il passé de huit à vingt-neuf articles, tandis que son intitulé changeait.
Le coeur de ce texte est de la compétence de la commission des affaires économiques. Toutefois, notre commission a décidé de se saisir pour avis des quatre articles nouveaux relatifs à l'énergie éolienne, ainsi que des deux articles nouveaux relatifs à la tarification de l'eau, que la commission des affaires économiques nous a délégués au fond.
Les quatre articles relatifs à l'éolien visent à relancer le développement de cette forme d'énergie renouvelable, en desserrant les contraintes qui pèsent sur elle. Elle souffre d'une contradiction entre l'accumulation de procédures et l'ambition des objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement : 19 000 MW supplémentaires d'éolien terrestre d'ici à 2020 et 6 000 MW d'éolien en mer.
La procédure administrative encadrant leur implantation ne comporte pas moins de cinq strates superposées ou, plutôt, entremêlées. Les deux premières sont des outils de planification spatiale. Depuis la loi « Grenelle II » de 2010, chaque région est tenue de mettre en place un schéma régional éolien (SRE), volet annexe de son schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie, qui définit les zones du territoire régional favorables au développement de l'énergie éolienne. Le bénéfice de l'obligation d'achat à un tarif majoré est conditionné à l'implantation dans une zone de développement de l'éolien (ZDE), document de planification créé par la loi de 2005 sur les orientations de la politique énergétique, dont les communes ont l'initiative.
Les trois autres sont des procédures d'autorisation : le Grenelle II a soumis les installations d'éoliennes à la procédure des installations classées pour la protection de l'environnement, dite ICPE, laquelle s'ajoute aux autorisations d'urbanisme de droit commun (permis de construire) ainsi qu'aux autorisations d'exploiter comme pour toutes les installations de production d'électricité.
Ainsi le délai de développement d'un projet éolien atteint 7 à 8 ans en France, contre 3 à 4 ans en moyenne ailleurs en Europe. Le nombre de projets autorisés et la puissance installée annuellement ont d'ailleurs diminué depuis le Grenelle II.
Dans ce contexte, le Gouvernement a proposé aux députés trois amendements pour desserrer les contraintes freinant le développement de l'éolien, le dernier article résulte d'un amendement de François Brottes.
L'article 12 bis supprime les ZDE, redondantes avec les schémas régionaux éoliens, et juridiquement très fragiles. Plusieurs d'entre elles ont déjà été annulées par le juge administratif, soit pour des raisons de forme, comme l'absence de participation du public, soit pour des raisons de fond, comme l'insuffisance de potentiel éolien. Or, l'annulation d'une ZDE entraîne la perte du bénéfice de l'obligation d'achat. Je vous suggère d'approuver cette simplification, d'autant que les communes restent consultées, en amont par les régions lors de l'élaboration des SRE, et en aval par l'administration au moment de l'instruction des demandes d'autorisation ICPE et de permis de construire. Je vous propose toutefois un amendement de pure forme, insérant dans l'article 12 bis les dispositions de l'article 15, qui supprime l'obligation pour les parcs de comporter au minimum cinq éoliennes - en 2010, le Sénat s'était prononcé pour un seuil de trois mâts. Nous devons poursuivre nos échanges avec la commission des affaires économiques, avant de trancher sur ce point.
L'article 12 ter autorise le passage en souterrain dans les sites et espaces remarquables du littoral des câbles nécessaires au raccordement aux réseaux d'électricité des installations marines utilisant les énergies renouvelables, telles que les éoliennes off shore, ou les hydroliennes. Les règles protectrices des sites et espaces remarquables du littoral, qui contraignent les exploitants d'éoliennes en mer à contourner, parfois sur des dizaines de kilomètres, ces sites et espaces, entraînent non seulement un surcoût économique, mais aussi, paradoxalement, un plus fort impact environnemental que celui qui résulterait d'un tracé plus direct.
Il ne s'agit pas, bien entendu, d'implanter des éoliennes dans les sites et espaces remarquables du littoral, mais uniquement des canalisations électriques, à l'exclusion des transformateurs ou ouvrages d'interconnexion plus volumineux. L'autorisation fait l'objet d'une enquête publique préalable. La réalisation des travaux doit recourir à des techniques exclusivement souterraines, du type tunnelier. Cette dérogation limitée à la loi Littoral me paraît acceptable, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article.
L'article 12 quater autorise, dans les communes littorales des départements d'outre-mer, l'implantation d'éoliennes en dérogation au principe d'urbanisation en continuité. Alors que la loi Littoral prévoit que, sur tout le territoire des communes littorales, l'urbanisation doit se faire en continuité avec les agglomérations et villages existants, le Grenelle II a imposé une distance d'éloignement d'au moins cinq cents mètres entre les éoliennes et les habitations. Les installations éoliennes étant considérées comme des éléments d'urbanisation, cela revient à interdire toute implantation d'éolienne dans les communes littorales, ce qui est particulièrement gênant quand la quasi-totalité du territoire est soumis à la loi Littoral. C'est pourquoi je vous invite à donner un avis favorable à cet article : délivrée par un arrêté préfectoral, la dérogation ne concerne pas les espaces proches du rivage ; la commission départementale en matière de nature, de paysages et de sites est consultée pour avis ; les ministres chargés de l'urbanisme, de l'environnement et de l'énergie également. Pour le reste, le droit commun relatif aux installations éoliennes s'applique outre-mer, les installations éoliennes y étant soumises à la procédure ICPE et à permis de construire.
Les articles 13 et 14 portent sur la tarification sociale de l'eau, mise en oeuvre concrète du premier article de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 qui consacre le droit d'accès à l'eau pour tous. A l'heure actuelle, aucune disposition législative ne prévoit explicitement la possibilité pour les collectivités de mettre en place un tel système. Malgré des dispositifs comme la prise en charge des impayés d'eau des ménages les plus démunis par le Fonds Solidarité Logement (FSL), le volet préventif de la tarification sociale est quasiment inexistant.
Quelques collectivités ont tenté l'expérience. Ainsi le syndicat mixte pour l'alimentation en eau de la région de Dunkerque a instauré une tarification de l'eau selon des critères sociaux. La grille tarifaire est progressive (le prix du mètre cube croît avec la consommation d'eau de l'abonné), et sociale (le tarif appliqué sur les 75 premiers mètres cube consommés est très bas pour les bénéficiaires de la CMU complémentaire). Dunkerque reste cependant un cas isolé.
Dans ce contexte, les articles relatifs à l'eau donnent une assise juridique claire à une tarification sociale du service de l'eau. L'article 13 inscrit dans le code général des collectivités territoriales que les collectivités organisatrices du service public pourront moduler les tarifs pour les ménages en fonction des revenus ou de la composition du foyer.
L'article 14 prévoit une expérimentation sur cinq ans, dont il définit les modalités de suivi et d'évaluation. Cette expérimentation permettra de déterminer si une extension du dispositif de tarification sociale à l'échelle nationale est souhaitable. C'est une solution de sagesse.
Je vous propose l'adoption de trois amendements relatifs à cet article. Le premier vient combler un oubli, en précisant que l'expérimentation prévue ne concerne que la tarification sociale de l'eau. Les deux autres partent d'un constat : la date limite de dépôt des projets au 31 décembre 2013 ne prend pas en compte la tenue d'élections municipales en mars 2014. Il serait opportun de repousser ce délai limite au 31 décembre 2014 pour que les nouvelles équipes élues puissent s'engager, si elles le souhaitent, dans le dispositif. Dès lors, il convient de repousser également d'un an les échéances prévues à l'alinéa 7 pour la remise des rapports de suivi et d'évaluation de l'expérimentation.
Ces deux articles sur l'eau marquent une avancée importante. On mettait auparavant surtout l'accent sur une réparation a posteriori des inégalités d'accès à l'eau, avec les aides aux impayés versées par les départements ; peu de dispositifs intervenaient dès la facturation du service à l'usager ; cette lacune est désormais comblée.
Le système proposé ne remet pas en cause le principe d'égalité des usagers devant le service public, puisqu'il prend en compte des situations de revenus diverses justifiant une tarification adaptée. L'objectif final est bien l'intérêt général avec la mise en oeuvre du droit à l'eau pour tous, tout en incitant à une utilisation responsable de la ressource.