Les juridictions administratives connaissent une forte tension depuis 25 ans, et encore plus depuis une dizaine d'années. La demande de justice augmente de 6 % par an depuis 40 ans. Les résultats obtenus dans la dernière décennie sont satisfaisants, le délai prévisible de jugement, qui représente la capacité de la juridiction à résorber son stock, est passé de vingt mois à moins de onze mois en première instance, de trois ans et deux mois à moins d'un an en appel, pour 2011. Et ce, malgré une forte hausse du nombre des dossiers. Ces résultats sont le fruit non seulement d'un renforcement des moyens mais aussi des efforts accomplis par les magistrats qui traitent en première instance 25 % d'affaires en plus qu'au début des années 2000. Cependant, l'objectif d'atteindre un délai prévisible moyen de jugement inférieur à un an n'est pas encore atteint. Dans onze tribunaux administratifs et deux cours administratives d'appel, les délais de jugement restent supérieurs à un an. De même, le délai moyen constaté pour les affaires ordinaires - hors dossiers traités par voie d'ordonnance ou procédures d'urgence - s'établit à deux ans dans les tribunaux administratifs. Notre objectif est de rapprocher le délai moyen constaté du délai prévisible et atteindre un délai de jugement maximal de dix-huit mois en première instance et en appel.
Le ratio des affaires traitées par rapport au nombre d'affaires enregistrées reste inférieur à 100 % dans quatorze tribunaux administratifs sur 42 et dans 5 cours administratives d'appel sur 8, ce qui signifie qu'ils ne traitent pas autant de dossiers qu'ils en reçoivent.
Les affaires en stock depuis plus de deux ans représentent 14 % du total, contre plus de 40 % il y a 10 ans dans les tribunaux administratifs. Les progrès sont spectaculaires mais fragiles.
Le contentieux connaît une explosion particulièrement nette pour les dossiers Dalo - 8 500 en 2011, 12 000 prévus en 2015, après une hausse de 56 % en 2010, de 13% en 2011. Le RSA représente 2 750 affaires en 2011, 9 100 probables en 2015, leur nombre étant en hausse de 50 % sur les cinq premiers mois de 2012, après avoir doublé depuis 2009. Le volume de dossiers concernant des permis de conduire est parfaitement corrélé au rythme de déploiement des radars. Il représente environ 11 000 affaires. Les naturalisations ont suscité 4 600 affaires en 2011, en hausse de 120% par rapport à 2009. En outre, le Conseil d'État a traité plusieurs centaines de questions prioritaires de constitutionnalité, les cours d'appel 416, les tribunaux administratifs 1 065, mais celles-ci ne sont pas prises en compte dans les statistiques car elles concernent des affaires déjà en cours.
Nos inquiétudes concernent l'impact de la loi du 16 juin 2011, relative à l'immigration, l'intégration et la nationalité, qui a modifié la ligne de partage entre juge administratif et juge judiciaire. Désormais le juge administratif traite plus de dossiers et, pour chacun, au lieu de connaître de deux décisions, il a désormais à connaître de cinq décisions administratives. Les audiences sont plus longues, les décisions davantage motivées. Le contentieux des étrangers a progressé de 50 % entre le premier semestre 2011 et le premier semestre 2010, avant l'entrée en vigueur de la loi. La loi de 2011 a provoqué une nouvelle progression en 2012. Au 30 septembre 2012, la hausse s'établit à 18 %, alors même que l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 5 juillet 2012, excluant la garde à vue des étrangers pour le seul séjour irrégulier, était de nature à faire diminuer mécaniquement le nombre de décisions attaquables. La hausse réelle va donc atteindre plutôt 30 %, ce qui est considérable car ce contentieux représente déjà 26 à 27 % du total.
Tout laisse donc à penser que nous allons continuer avec un rythme d'augmentation du contentieux d'au moins 6 % par an dans les années qui viennent. La création de 40 emplois chaque année, inscrite dans le budget triennal 2013-2015, n'absorbera que 3 % de hausse. On peut donc craindre, dans les années à venir, une dégradation des délais de jugement. La situation est tendue : nous sommes sur une ligne de crête, difficile à tenir. Néanmoins depuis deux décennies et la création des cours administratives d'appel en 1989, les progrès ont été sensibles.
En ce qui concerne la CNDA, dont les dossiers et procédures sont plus homogènes, les délais de jugement sont passés de 15 mois et 12 jours en 2009 à 9 mois et 5 jours en 2012, l'objectif étant de parvenir à six mois en 2015. Ils auraient été de 7 mois cette année sans le mouvement des avocats qui a perturbé le déroulement des audiences pendant un mois. Nous terminerons l'année avec un délai de 8 mois.
Aujourd'hui, vous avez raison, Monsieur le Président, la CNDA reconnaît le statut de réfugié dans un plus grand nombre de dossiers que l'OFPRA. Le taux de rejet de l'OFPRA est de 90 % ; le taux de réformation de la CNDA est relativement élevé : 20 % sur un taux de recours de 85 %. Il serait effectivement utile d'en discuter avec l'Office. Celui-ci doit tenir compte de la jurisprudence de la CNDA. Mais n'oublions pas qu'il y a plus de 50 000 demandes d'asile en première instance, et une grande diversité de situations, de régions d'origine. On ne peut donc pas tirer durablement de leçons de cet écart ...
En outre - vous avez du reste mentionné le mouvement des avocats devant la CNDA - la Cour se prononce sur des requêtes écrites, soutenues oralement, sans contradiction. L'OFPRA n'est pas en mesure d'assurer sa défense écrite ni même orale. Cela contribue à expliquer l'écart entre les taux d'admission avec la CNDA, mais cela modifie également la perception du jugement par le justiciable, qui, seul face au juge, sans contradicteur, peut le considérer comme un adversaire. Même si l'OFPRA n'est pas concerné par le programme 165, cette question est d'importance.
La procédure prioritaire est-elle menacée ? Dans l'arrêt « I.M. contre France » du 2 février 2012, à propos de la situation particulière d'un étranger en situation irrégulière n'ayant pu, en raison de la complexité de sa situation, préparer sa défense, la CEDH a jugé que les exigences du procès équitable n'avaient pas été respectées. La procédure n'est suspensive qu'au stade de l'OFPRA, non devant la CNDA. Les autorités françaises estiment que cet arrêt, tel qu'il est rédigé, ne condamne pas la procédure prioritaire dans son principe mais impose des aménagements. Un décret devrait être pris prochainement pour permettre de redéfinir le périmètre de la procédure prioritaire, de telle sorte que dans des circonstances particulières, comme celles de cette affaire, elle ne soit pas mise en oeuvre.
Sur la grève des avocats à la CNDA, j'ai désigné un médiateur, M. Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il a la confiance des parties et remettra ses conclusions début novembre. Ses investigations approfondies et l'esprit qui a prévalu lors des différentes réunions ont contribué à apaiser les tensions. A l'époque où j'étais rapporteur à la commission de recours des réfugiés, il y a une trentaine d'années, plus de la moitié des affaires se déroulaient sans avocats. Aujourd'hui les avocats sont présents dans plus de 80 % des cas. Les droits de la défense ont progressé : l'aide juridictionnelle est accessible, depuis le 1er décembre 2008, aux étrangers entrés irrégulièrement sur le territoire pour demander l'asile ; les conditions d'accès au dossier ont évolué tandis que l'audiencement des affaires s'efforce de tenir compte de la disponibilité des avocats, même si ceux-ci peuvent difficilement représenter les parties dans plusieurs audiences simultanées.