Intervention de Jean-Marc Sauvé

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 30 octobre 2012 : 3ème réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission conseil et contrôle de l'etat programme conseil d'etat et autres juridictions administratives - Audition de M. Jean-Marc Sauvé vice-président du conseil d'etat

Jean-Marc Sauvé :

Des gains de productivité ont été accomplis dans le fonctionnement des tribunaux. En 2011 la Cour des comptes a mené un contrôle qui a donné lieu à une mention dans son rapport public en 2012 : les conclusions sont dépourvues de critiques et jugent très positif le travail accompli durant la dernière décennie. L'activité juridictionnelle est quantifiable, les délais, les taux de recours sont des indicateurs aisés à établir. Le public peut mesurer les forces et les faiblesses de ce service public.

La dématérialisation est bien avancée : au tribunal administratif de Strasbourg comme à la cour administrative d'appel de Paris, tous les magistrats, quelle que soit leur génération, utilisent la plateforme dans leur travail et leurs délibérations. L'an prochain l'application « télérecours » permettra à toutes les parties qui l'accepteront de saisir la justice administrative par le même certificat électronique que celui dont elles disposent par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) : elle sera expérimentée à partir du 31 mars à Nantes, Nancy et à la section du contentieux du Conseil d'État, avant d'être étendue aux autres juridictions le 1er septembre. Elle entraînera des gains de temps sur les tâches répétitives comme les expéditions, et se traduira par des économies sur l'affranchissement postal. Je suis confiant.

La dispense de conclusions du rapporteur public dans certaines affaires n'est pas due à des considérations de productivité mais motivée par le souci de donner plus de liberté aux rapporteurs publics pour étudier de manière approfondie des affaires complexes. Les nombreuses évolutions de procédure ces quinze dernières années visaient à proportionner le traitement des affaires aux difficultés : le traitement par ordonnance n'est-il pas plus approprié qu'une audience publique pour une affaire irrecevable ? La collégialité est-elle toujours nécessaire ? L'appel est-il utile dès lors qu'existe une procédure de cassation directe devant le Conseil d'État ? J'ai nommé une commission pour dresser un bilan du décret important de juin 2003. Un nouvel état des lieux est en cours de finalisation, avec une série d'ajustements pour en tirer les enseignements. Nous pourrons revenir à la collégialité pour certains contentieux, ou faire progresser le recours au juge unique quand c'est nécessaire.

Nous avons épuisé les mesures de simplification envisageables. Se pose à présent la question de la réduction des contentieux. Le recours au juge est-il toujours pertinent ? Le recours administratif préalable obligatoire, dont le principe a été voté en 2000, a peu progressé, à l'exception des décisions concernant les carrières des militaires et du décret du 10 mai 2011 qui élargit, par expérimentation, à la fonction publique civile ce recours. Son extension constitue une piste pour les prochaines années. La garantie de l'accès à un juge ne signifie pas que celui-ci doive intervenir au tout début de la procédure et de manière inconditionnelle. On voit qu'en matière fiscale, le recours préalable n'est pas un obstacle à l'accès au juge.

Le droit de timbre n'a pas eu d'incidence sur le nombre de contentieux. Il n'a pas eu non plus d'incidence sur les contentieux de la précarité (RSA, Dalo, ...), puisqu'il n'est pas dû quand le justiciable est éligible à l'aide juridictionnelle.

Le Dalo est-il un contentieux formel ? En Île-de-France, sans doute, parce que l'offre de logements n'est pas suffisante. Ailleurs, cette procédure juridictionnelle débouche plus fréquemment sur l'attribution d'un logement. La procédure y paraît donc utile. Mais je reste prudent sur cette question, car nous n'avons pas fait d'enquête globale.

Les délais des contentieux de l'urbanisme sont effectivement longs. En retranchant des statistiques le contentieux de l'urgence et les ordonnances, celles-ci font apparaître des délais de l'ordre de deux ans en première instance, que nous voulons ramener à dix-huit mois. Certains désordres résultent d'une « quérulence excessive » : certains recours systématiques, qui ne sont pas toujours destinés à protéger des intérêts légitimes, mais conçus pour monnayer des désistements ultérieurs. Je n'ai pas de réponse à la proposition que vous avancez. Il faudrait examiner les modalités et les conséquences à tous les niveaux : dans la gestion du flux de contentieux, on pourrait imaginer des priorités d'enrôlement, mais cela ferait redescendre d'un cran tous les autres dossiers de la pile...

L'accès au juge en matière d'urbanisme est en France très ouvert et généreux par rapport à ce qui se pratique chez nos voisins européens. Si nous le resserrions, il faudrait alors compter avec un grand nombre... de recours, et pas seulement devant la Cour européenne des droits de l'homme, car en France, l'accès au juge constitue une garantie fondamentale. Mais c'est une question que les autorités publiques doivent examiner.

Est-on parvenu à un juste équilibre dans le code de l'urbanisme ? Les décisions de première instance peuvent faire l'objet d'un appel. Les délais sont passés de trois ans à moins d'un an. En appel, il n'y a plus de grand écart entre le délai prévisible et le délai constaté.

Des diverses juridictions françaises, la juridiction administrative est la plus « britannique » : la jurisprudence y est très stable et respectée. Une jurisprudence vieille de trente ans peut mériter révision, une cour d'appel pourra attirer l'attention sur ce point, mais il existe une réelle sécurité juridique. Lorsque surgit une question de droit délicate, le juge de première instance, ou celui d'appel, a la faculté de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis - celui-ci a trois mois pour répondre. En matière de droit des étrangers, par exemple, nous clarifions la portée de telle ou telle disposition législative.

Monsieur Buffet, nous ne pouvons pas rejeter d'entrée de jeu les recours ! Si elle n'est pas irrecevable, la requête doit être jugée au fond et selon une procédure contradictoire. Il en résulte des délais incompressibles de quelques mois.

L'amende pour recours abusif fait partie de la panoplie des outils, mais elle est peu utilisée, surtout si l'on compare avec ce qui se fait au Royaume-Uni notamment. Je ne dis pas que tout est parfait !

Madame Tasca, les progrès tiennent, d'abord, à l'augmentation, modeste mais constante, des moyens des juridictions administratives. Ensuite, à la réforme de nos procédures - dans le passé, toutes les affaires étaient examinées par une formation de neuf juges. Mais aussi, au recrutement de collaborateurs, pour la plupart titulaires d'un master de droit public, qui trouvent dans ces fonctions une forme de transition entre les études et l'entrée dans la vie professionnelle. Ce recrutement n'a jamais été massif - entre 100 et 200 équivalents temps plein au total - et les juges sont toujours plus nombreux que leurs collaborateurs. Ces dispositions ne sont guère ambitieuses statutairement ni budgétairement, mais les assistants de justice jouent un rôle précieux auprès des magistrats, en les déchargeant des dossiers les plus simples. Enfin, les magistrats administratifs font face à des exigences croissantes de productivité. Le nombre de dossiers inscrits à l'audience de chaque quinzaine n'a pas diminué par rapport aux années soixante-dix ou quatre-vingt. Mais les dossiers ont changé de nature : marchés publics, affaire de Scot un peu consistante, fiscalité d'entreprise.... La représentation nationale doit avoir conscience que les magistrats administratifs travaillent beaucoup, sensiblement plus qu'il y a dix ans. Compte tenu des exigences et des attentes que nous avons envers eux, nous devons leur offrir des conditions de travail décentes. Leur charge de travail est lourde ; nous sommes arrivés à un pallier, il nous faudra recourir à de nouvelles méthodes, développer la collaboration auprès des juges par exemple.

L'application de la loi du 12 mars 2012 sur l'emploi précaire, que le Parlement a considérablement enrichie, est en bonne voie. Toutes les dispositions concernant les juridictions administratives sont maintenant en vigueur. Deux maîtres des requêtes en service extraordinaire ont été nommés par décret nominatif des 12 et 13 mai. Nous avons engagé la procédure pour la nomination d'un conseiller d'Etat issu des tribunaux administratifs et les rapporteurs détachés au Conseil d'Etat sont devenus maîtres des requêtes en service extraordinaire. Enfin, la procédure qui permettra de nommer maître des requêtes au Conseil d'Etat dès 2012 un ancien maître des requêtes en service extraordinaire est lancée.

La résorption de l'emploi précaire dans les juridictions administratives est également bien engagée : après concertation avec les représentants du personnel, la liste des agents éligibles a été établie, les formations sont programmées et l'on pourra bientôt procéder aux titularisations au Conseil d'Etat et à la CNDA, mais aussi, en lien avec le ministère de l'intérieur, aux titularisations des personnels des greffes de la juridiction administrative.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion