Intervention de Christiane Taubira

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « justice » - Audition de Mme Christiane Taubira ministre de la justice garde des sceaux

Christiane Taubira, garde des sceaux :

C'est un honneur de m'exprimer devant votre commission dont j'apprécie l'ambiance studieuse et sereine. J'étais venue une première fois au mois de juin pour parler avec vous du harcèlement sexuel : vous aviez alors contribué, par votre initiative et par les auditions menées, à combler un vide juridique et à éclairer le Gouvernement.

Le budget de la justice, que j'ai tenu à présenter aux rapporteurs le jour même de son adoption en conseil des ministres, est un budget prioritaire, conformément aux engagements du Président de la République : il augmentera de 4,3 %, s'établissant à 7,7 milliards d'euros ; 1500 emplois seront créés en trois ans, dont 500 dès l'an prochain.

Parmi nos priorités, la jeunesse est incontestablement la première. En 2013, 205 éducateurs ou psychologues seront recrutés, afin de réduire à 5 jours, le délai de prise en charge des jeunes ayant fait l'objet d'une décision judiciaire. Nous entendons y parvenir durant l'exercice 2013 et non au 1er janvier 2014, comme la loi de mars 2012 le prescrit. Les magistrats, plus nombreux, apporteront aux actes de délinquance une réponse rapide, indispensable message de non-impunité adressé aux jeunes. Nous le devons également aux victimes. La réponse éducative, elle, prend du temps. Dans le cadre d'un partenariat avec l'Education nationale, nous affecterons de nouveaux éducateurs dans les classes relais, dont les résultats sont très satisfaisants : 82 % des jeunes rejoignent ensuite le système éducatif classique.

Il est important que les tribunaux pour enfants disposent d'une grande diversité de réponses, notamment des solutions en milieu ouvert. Le nombre des familles d'accueil passera à 450 en 2013, contre 350 aujourd'hui ; l'indemnité journalière sera portée de 31 à 36 euros. Certains parlementaires demandent un changement de leur statut et un alignement sur celui des familles avec lesquelles les conseils généraux travaillent dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance. J'en étudie les implications. Cela aurait pour conséquence l'abandon du régime de l'indemnité et serait sans doute onéreux. Les familles d'accueil, bénévoles, constituent une réponse adaptée pour ces jeunes, en leur apportant la présence et l'accompagnement, voire l'affection, dont ils ont besoin. Le taux de non-récidive en milieu ouvert est de 80 %. Mais les centres éducatifs fermés et les centres éducatifs renforcés ne seront pas oubliés. Enfin nous soutenons le secteur associatif habilité, dont les créances s'élèvent à 35 millions d'euros... Nous allégerons ce poids de 10 millions d'euros, pour leur permettre de continuer à assurer leur mission d'intérêt public auprès des mineurs.

La deuxième priorité concerne la justice civile et l'amélioration du fonctionnement des juridictions. La justice civile représente 70 % de l'activité judiciaire. Pour elle, 150 postes de magistrats seront créés. Les crédits informatiques seront doublés pour moderniser et sécuriser les procédures tout en dégageant des emplois. Les frais de justice -frais d'expertise, de recherche d'ADN, de téléphonie, d'analyses psychologiques, etc.- constituent un casse-tête budgétaire car ils sont difficiles à évaluer en début d'exercice. Nous avons prévu une dotation de 477 millions en 2013, en hausse de 15 %. La Justice a une réputation de mauvais payeur - c'est ainsi que nous avons reçu une facture de la Poste de 60 millions d'euros ! Depuis juillet les juridictions ont épuisé leur budget et en sont réduites à vider les fonds de tiroir, lorsqu'il en reste... Elles nous appellent au secours, elles ne pourront finir l'année.

Parallèlement nous cherchons à optimiser les dépenses, à les mutualiser, pour réaliser des économies d'échelle. Les frais de fonctionnement sont en baisse de 7 %, conformément à la lettre de cadrage du Premier ministre. Le ministère de la justice prend ainsi sa part à l'amélioration des finances publiques. Les juridictions ont pu manifester quelques inquiétudes, mais relativisons : en 2011, 21 millions d'euros de crédits de fonctionnement ont été ponctionnés pour les frais de justice, or ceux-ci font l'objet d'une dotation en hausse de 62 millions, ce qui met à l'abri les dotations pour frais de justice. La modernisation informatique renforcera la sécurité des procédures et dégagera des emplois qui pourront être redéployés.

En outre, il est nécessaire de réfléchir à l'office du juge et au périmètre de son intervention, comme on me l'a signalé dans les juridictions. L'accumulation des textes a considérablement étendu les missions du juge. J'ai commandé une étude sur ce sujet à l'Institut des hautes études sur la justice qui rendra ses conclusions en mars 2013, tandis que la direction des services judiciaires a créé un groupe de travail réunissant tous les métiers. Ces travaux alimenteront également la réflexion sur les tribunaux d'instance et leur articulation avec les tribunaux de grande instance. Des expérimentations seront menées. Je remercie le président Sueur pour sa proposition de loi différant de deux ans la disparition des juges de proximité, initialement prévue début 2013, car les tribunaux d'instance ne sont pas pour l'instant capables d'absorber ce surcroît d'activité. Ce sursis sera utile pour redéfinir les missions. La formation des juges de proximité devra tout de même être améliorée, afin d'apaiser les multiples contestations dont ils sont l'objet...

J'ai installé le 18 septembre le comité d'organisation de la conférence de consensus de prévention de la récidive, afin de mener une réflexion sur le sens de la peine et l'utilité du temps de l'incarcération. Les travaux de ce comité indépendant devraient durer 5 mois jusqu'à la conférence de consensus qui se tiendra en février 2013. Le comité met en place un jury indépendant en vue de cette conférence. Il a aussi pour mission de proposer les termes d'un consensus, en se penchant sur toutes les études françaises et internationales sur la prévention de la récidive ; et de proposer des réponses originales ou ayant fait leurs preuves ailleurs. Le taux de récidive est important, surtout après les courtes peines d'incarcération. Je crois le consensus possible car il y a déjà, au Parlement, une convergence sur le diagnostic.

Pour développer les alternatives à l'incarcération, 120 postes sont créés : 70 juges d'application des peines, 10 parquetiers, 40 greffiers, ainsi que 63 emplois de conseillers dans les services d'information et de probation. Les crédits des aménagements de peines augmentent de 12 % afin de renforcer l'offre de placements extérieurs. Le nombre des bracelets électroniques, 8 000 aujourd'hui, doublera durant le quinquennat. Ce dispositif ne saurait cependant se limiter à une surveillance. De même qu'il est nécessaire d'éviter les sorties sèches - encore 80 % des cas - ou d'adapter la surveillance sur les reliquats de peine, il faut mettre en place un accompagnement des personnes concernées.

Les travaux d'intérêt général (TIG) sont en baisse relative. Ils sont répartis inégalement sur le territoire, selon les communes, en fonction des organismes qui les accueillent. La chancellerie a publié un guide afin de donner une nouvelle impulsion à ce dispositif qui constitue une peine à part entière, et une peine active. En outre nous créons 250 places de semi-liberté. Avec les peines aménagées et les quartiers nouveaux concept, ce sont au total 800 places nouvelles en alternative à l'incarcération.

L'aide aux victimes est importante. Nous cherchons à sensibiliser les auteurs d'actes de délinquance à l'exigence de respect envers les victimes ; d'ici un an des bureaux d'aide aux victimes seront installés dans chaque tribunal d'instance et les associations disposeront en moyenne d'un poste de juriste à mi-temps tandis que la dotation qui leur est destinée augmentera de 8 % ; enfin l'action du Fonds interministériel de prévention de la délinquance, jusque là consacrée aux trois-quarts à la vidéosurveillance, sera redéployée, à hauteur de 70 %, vers l'aide aux victimes, la prévention de la délinquance, la présence sur le territoire ou la coordination avec la politique de la Ville. Enfin les crédits consacrés à l'aide juridictionnelle, accessible aux citoyens dont le revenu est inférieur à 929 euros, passeront à 271 millions, en hausse de 16 %.

Autre point, les projets immobiliers. Pour l'immobilier judiciaire, 20 villes sont concernées. Trois constructions de tribunaux en partenariat public-privé (PPP) étaient prévues : celui de Caen, urgent, sera maintenu. A Perpignan, un projet sous maîtrise d'ouvrage publique aboutira avec un délai de 18 mois. A Lille, la maire m'ayant indiqué qu'un terrain du ministère de la Défense se libérait, j'ai lancé la procédure. Les crédits de l'immobilier pénitentiaire augmentent de 8,8 %, affectés à des rénovations lourdes - la Santé, les Baumettes, Fleury-Mérogis - ou à des travaux d'entretien ou de réhabilitation, en hausse de 20 %, car c'est souvent la négligence qui provoque les dégradations. Le programme de rénovation des établissements vétustes est maintenu. Les établissements pénitentiaires seront équipés de parloirs familiaux et d'unités de vie familiale d'ici à la fin du quinquennat. Le nombre de places passera de 53 000 à 63 500. Dans le même temps une réflexion est lancée sur l'architecture carcérale, le personnel soulignant les difficultés d'animation et de vie dans les nouveaux établissements de très grande taille.

En ce qui concerne les dépenses de personnel du ministère, un décret a prévu que le régime indemnitaire des magistrats serait augmenté en trois tranches successives, étalées jusqu'en janvier 2013. Cet engagement consommera l'intégralité de l'enveloppe dédiée à ce poste dans le budget. Nous ne sommes donc pas en mesure de réaliser l'effort d'équité dû à certaines catégories ; la rémunération des agents de catégorie C, qui n'a pas évolué depuis dix ans, sera revalorisée en 2014, celle des greffiers en 2015. Enfin 7 millions seront consacrés au personnel pénitentiaire afin de compenser les contraintes de travail dans un milieu marqué par la surpopulation carcérale tandis que 5 % des postes restent vacants. Ce budget traduit ainsi des engagements politiques en choix budgétaires.

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