Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur pour avis de la commission du développement durable, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre répond à trois urgences.
D’abord, l’urgence sociale. L’enquête rendue publique aujourd’hui par le médiateur national de l’énergie et la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, confirme la préoccupation croissante de nos concitoyens pour leur facture énergétique. Ainsi, huit Français sur dix sont inquiets devant la hausse des tarifs de l’énergie. Près d’un foyer sur deux dit s’être privé de chauffage durant l’hiver dernier. Comme moi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez bien ces cas de figure, en particulier en milieu rural.
Selon le médiateur, et comme en témoigne l’évolution de ses saisines, le nombre de consommateurs faisant face à des difficultés de paiement ne cesse d’augmenter, de même que celui des ménages en situation de précarité énergétique. C’est pourquoi les Français attendent de nous une réponse immédiate.
La deuxième urgence est énergétique.
Je reviendrai ultérieurement sur ce point, la France est en retard par rapport aux objectifs qu’elle s’est assignés en matière d’économie d’énergie. Et, surtout, chaque année, la pointe électrique – c’est-à-dire les pics de consommation qui coûtent le plus cher et polluent le plus – augmente environ de 3 % ; elle a enregistré une hausse de 28 % en dix ans. J’insiste sur le fait que la pointe progresse plus vite que la consommation électrique : elle augmente de 3 %, alors que, dans le même temps, la consommation électrique connaît une hausse de 0, 6 %. Il est donc nécessaire d’agir vite en la matière.
Enfin, notre politique vise aussi à répondre à une urgence planétaire.
Le réchauffement climatique dû aux activités humaines est désormais un fait tangible, comme le montrent le record de fonte de la banquise arctique ou encore la succession de plus en plus rapprochée d’événements climatiques exceptionnels.
Le Président de la République a donc fixé le cap : c’est celui de la transition énergétique, objectif qui doit mobiliser la Nation, fédérer et impliquer les territoires comme les citoyens.
Cette ambition répond non seulement à un impératif planétaire, mais aussi à des enjeux fondamentaux : l’indépendance énergétique de la France, la sécurité de son approvisionnement, la compétitivité de son économie, ou encore l’emploi et le pouvoir d’achat de nos concitoyens, qui sont des enjeux sociaux considérables.
À la suite de la conférence environnementale, la transition énergétique fera l’objet d’un grand débat national, auquel le Parlement sera pleinement associé et qui aboutira à la présentation d’un projet de loi de programmation au cours du second semestre de l’année prochaine.
Ce débat national devra permettre de répondre aux quatre questions suivantes.
Quelle évolution de la consommation, quelle sobriété et quelle efficacité énergétiques pour ce qui concerne les modes de vie, de transport, de production ?
Quelle trajectoire et quels scénarios d’évolution du mix énergétique d’ici à 2025 ?
Quelle stratégie de développement des énergies renouvelables et des filières industrielles correspondantes ?
Quid du coût et du financement de cette transition ?
Non seulement ce débat national engagera la politique du présent quinquennat, mais il devra tracer bien au-delà des orientations stratégiques pour la Nation.
La proposition de loi qui vous est présentée aujourd’hui s’inscrit dans ce contexte, dans cette perspective.
Elle est une première étape nécessaire et urgente, parce qu’il s’agit d’un texte de justice sociale et d’efficacité énergétique.
Les mesures qu’elle comporte sont attendues, notamment l’extension des tarifs sociaux de l’énergie.
Elles sont attendues afin que soit donné un coup d’arrêt à l’augmentation de la pointe électrique.
Elles sont attendues parce que la mise en œuvre effective d’un mécanisme encourageant les comportements vertueux nécessite du temps.
Elles sont attendues parce que les acteurs du secteur des énergies renouvelables souhaitent des mesures de relance immédiate.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais revenir devant vous sur chacun de ces aspects.
Pour ce qui concerne, tout d’abord, l’urgence sociale, j’évoquais en préambule le rapport du médiateur national de l’énergie. Aujourd’hui, plus de 8 millions de Français sont en situation de précarité énergétique, c’est-à-dire qu’ils consacrent plus de 10 % de leurs revenus à leur facture d’énergie.
Nombre de nos concitoyens sont amenés soit à renoncer à se chauffer, soit à subir des coupures d’énergie. L’actuel périmètre des tarifs sociaux de l’électricité et du gaz ne répond pas à leurs besoins.
La présente proposition de loi permettra l’élargissement rapide du nombre des bénéficiaires des tarifs sociaux : de 1, 2 million de foyers actuellement concernés pour l’électricité et 450 000 pour le gaz, nous passerons, dès l’application de la future loi, à 4 millions de foyers. Autrement dit, 8 millions de Français bénéficieront de tarifs réduits pour l’électricité et le gaz.
Très concrètement, en votant ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez décider de l’extension des tarifs sociaux, soit un gain de pouvoir d’achat annuel de 200 euros pour une famille se chauffant au gaz et de 90 euros pour une famille se chauffant à l’électricité.
De surcroît, la proposition de loi comporte une disposition attendue depuis longtemps, que les sénateurs avaient eux-mêmes proposée, à savoir l’instauration d’une trêve hivernale.
J’en viens maintenant à l’efficacité énergétique.
Du point de vue du Gouvernement, on ne peut pas séparer l’extension des tarifs sociaux d’une ambition nouvelle en matière d’économie d’énergie fondée sur l’incitation et la responsabilisation.
Le Gouvernement souhaite ainsi que l’économie énergétique franchisse une nouvelle étape déterminante de son histoire.
Depuis le choc pétrolier survenu en 1973, nous savons que les politiques d’économie d’énergie sont un levier décisif. La France importait alors plus de 70 % de l’énergie nécessaire à son économie, majoritairement du pétrole.
À l’époque, notre pays avait réagi en mettant en œuvre plusieurs mesures destinées à réduire les consommations de pétrole et la demande en énergie, en particulier auprès des industriels.
En 1974 avait été créée l’Agence pour les économies d’énergie, au moment même, d’ailleurs, où le programme électronucléaire était relancé. La première réglementation thermique pour les bâtiments neufs date de 1975.
Après le deuxième choc pétrolier, l’Agence pour les économies d’énergie lançait une vaste campagne de « chasse au gaspi », dont beaucoup ici se souviennent.
À la suite à l’élection présidentielle de 1981, un nouveau programme de réduction de la consommation d’énergie était mis en place. L’Agence française pour la maîtrise de l’énergie était créée. En 1991, elle deviendra l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME.
La prise de conscience internationale de l’importance de l’effet de serre conduisit à la conférence de Rio sur le changement climatique en 1992, préalablement à la signature du protocole de Kyoto en 1997.
Ce protocole fut un tournant majeur : à l’époque, un large consensus s’était dégagé sur le fait que la maîtrise de l’énergie et le développement des énergies renouvelables constituaient la réponse aux risques climatiques.
C’est pourquoi, dès 1999, les pouvoirs publics français ont relancé la politique de maîtrise de l’énergie.
De ce fait, un programme national de lutte contre le changement climatique comportant un volet « maîtrise de l’énergie » a été publié au début de l’année 2000 ; il a été suivi d’un programme national d’efficacité énergétique. Toujours en 2000, la réglementation thermique a été une nouvelle fois renforcée et étendue aux bâtiments tertiaires.
La suite de l’historique énergétique nous est plus familière. C’est la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, de 2005, puis les lois Grenelle de 2009 et 2010, suivies, dès 2011, d’une table ronde nationale pour l’efficacité énergétique.
Les lois Grenelle ont repris l’objectif européen de réduction de 20 % de nos consommations d’énergie d’ici à 2020 établi par le paquet énergie-climat européen de 2008.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est donc l’histoire dans laquelle le texte qui vous est présenté aujourd’hui s’inscrit. Malgré la trajectoire que je rappelais, c’est un fait, si la France n’a pas une ambition nouvelle en matière d’économie d’énergie, elle n’atteindra pas l’objectif qu’elle s’est assigné d’une réduction de 20 % de sa consommation énergétique. Si celle-ci se poursuit au même rythme que celui des cinq dernières années, notre pays n’atteindra même pas la moitié de l’objectif : il ne sera même pas à la moitié du chemin tracé pour 2020.