Notre collègue a, en conséquence, proposé de modifier le dispositif. Sa démarche a semblé très significative au groupe UDI-UC : elle témoigne, mieux que toute autre, de l’incohérence de la proposition de loi votée par l’Assemblée nationale. Elle nous a semblé aussi, malgré tout l’intérêt de cette première démonstration, ne pas parvenir à substituer une solution viable à un dispositif qu’il fallait de toute façon … débrancher !
Nous saluons tous la qualité du travail de notre collègue Roland Courteau, qui a tenté de suggérer un mécanisme de bonus-malus plus simple et plus lisible.
Toutefois, ce n’est pas en quelques jours, avec les seuls moyens du Parlement, que l’on peut imaginer un système opérationnel sur cette question particulièrement complexe, qui demande des évaluations, des chiffrages et une expérimentation.
Bref, madame la ministre, vous venez devant nous plaider pour un texte mal en point, un texte dont tout le monde vous dit, plus ou moins ouvertement mais de manière non ambiguë, qu’il est mal ficelé.
Le débat au Sénat a davantage porté sur la question de savoir si ce texte était rattrapable ou s’il fallait tout reprendre à zéro. Cette deuxième position est celle du groupe centriste : il faut reprendre à zéro un travail jusqu’ici bâclé sur un vrai sujet, qui mérite une autre méthode.
Sur la forme, nous proposons l’expérimentation et une vraie concertation, et nous croyons à l’incitation plus qu’à la contrainte. Sur le fond, la consommation excessive d’énergie est un vrai problème contre lequel il faut lutter. Malheureusement, ce texte étant une mauvaise façon d’y répondre, il enterre quasiment le sujet.
Nous partageons également la volonté de prendre des mesures pour lutter contre la précarité énergétique. Nous pensons que cette partie du texte, tout comme celle qui est consacrée à la trêve hivernale, peut être isolée dans un dispositif spécifique. Je pointerai quand même le risque de faire porter le poids de l’augmentation à venir des tarifs de l’énergie sur les classes moyennes. Où l’on voit que la solution réside sans doute dans une vraie progressivité des tarifs !
Ces considérations générales étant posées, je voudrais, dans le bref temps qui m’est imparti, résumer notre position en trois points.
Premièrement, cette proposition de loi est une occasion gâchée. Deuxièmement, son adoption conduirait à des effets inattendus, voire même potentiellement contraires à ceux qui étaient visés initialement. Troisièmement, une autre logique est et reste possible, afin d’avoir une vraie politique de tarification progressive de l’énergie et de lutte contre la précarité énergétique, une politique qui laisse sa place au Sénat, et à la discussion sereine et constructive.
Une occasion gâchée, d’abord. Beaucoup a été dit et dénoncé. On aimerait comprendre la logique et la cohérence du Gouvernement sur ce texte.
Comment, en effet, soutenir cette proposition de loi tout en annonçant le lancement d’un débat national sur la transition énergétique dès la fin de la discussion, ou presque ?
Comment examiner ce texte sérieusement quand on nous annonce pour le premier semestre 2013 un grand projet de loi de programmation sur la transition énergétique, avec un vaste plan de rénovation thermique des logements ?
C’est, selon vos propos, madame la ministre, le premier pilier de votre politique en matière de transition énergétique. Alors, oui, construisons autour de ce pilier !
Pour nous, la réhabilitation thermique des bâtiments et des logements est une priorité. Pour de très nombreux ménages, c’est le seul moyen de réduire leur consommation d’énergie et de faire baisser leur facture.
Il faut traiter la tarification progressive de l’énergie au cours du débat national et dans le cadre du projet de loi de programmation à venir. Plutôt que d’aborder le sujet de façon partielle, il serait plus pertinent de mettre le présent texte entre parenthèses pour appréhender la transition énergétique de façon globale, en proposant au Parlement un dispositif expérimenté, juste et efficace.
Nous ne comprenons pas non plus cette précipitation à présenter ce texte selon la procédure accélérée, alors que le dispositif de bonus-malus ne s’appliquera pas avant 2014 !
Ce projet, mal préparé, n’a pas la maturité nécessaire. Je déplore l’absence d’un avis du Conseil d’État sur un tel dispositif, l’absence d’une étude d’impact préalable, l’absence d’estimation des montants précis des bonus et des malus qui s’ajouteront sur les factures des consommateurs et du nombre de ménages concernés par ce système.
Les insuffisances globales dont souffre le texte ne permettent pas d’aboutir à un compromis satisfaisant pour répondre aux objectifs, que nous partageons, d’une meilleure maîtrise de la consommation énergétique.
Inapplicable à la fois pour l’administration fiscale, mais aussi pour les fournisseurs, en termes de croisement des fichiers, le texte est également intrusif, en ce qu’il prévoit de collecter les informations personnelles des ménages via la déclaration d’impôts.
La logique de contrainte, que sous-tend ce texte, pose question. Modifier les habitudes de consommation par la contrainte obligera l’administration à entrer dans l’intimité et dans les choix de vie des consommateurs, en fixant de manière abstraite une consommation qui serait « normale ».
J’arrête ici la chronique des incohérences de cette proposition de loi.
Mais, et c’est mon deuxième point, si elle était adoptée, cette proposition de loi aurait des effets inattendus, voire pour certains contraires à ceux que l’on escomptait initialement.
Ce dispositif conduirait en effet à des injustices. Je ne reviendrai pas ici sur la définition du volume de base et des critères pour le calculer, tant le nombre d’exemples concrets que nous pourrions évoquer démontre l’iniquité du système.
Jean-Claude Lenoir en a cité certains. J’en ajouterai deux : selon que l’on habite ou non au dernier étage d’un bâtiment collectif, et selon que ses voisins sont absents ou non, on doit se chauffer plus ou moins.
Plus globalement, nombre de foyers, souvent parmi les plus modestes, seraient piégés et pénalisés par des logements énergivores. Ils risqueraient de subir un malus, alors qu’ils ne peuvent quasiment pas agir sur leur consommation : en effet, ils habitent une « passoire thermique » et n’ont pas les moyens d’entreprendre des travaux d’isolation de leur logement.
Il y a aussi un vrai risque pour les classes moyennes. Je voudrais en dire un mot.
François Brottes a reconnu – cela figure dans les documents de l’Assemblée nationale – que l’extension des tarifs sociaux aux ménages les plus modestes et le bonus-malus constituaient une manière de faire accepter la hausse des factures d’électricité pour l’ensemble des consommateurs. En effet, face à l’augmentation des tarifs de l’électricité, les ménages modestes seront protégés par le tarif social – une chose parfaitement normale – et les plus aisés auront, eux, les moyens d’isoler leur logement. En revanche, les classes moyennes verront leurs factures s’alourdir et n’auront pas les moyens d’isoler leurs logements.
Elles seront victimes de la hausse du coût de l’énergie et de la tarification mise en place, faute d’une vraie progressivité dans la tarification. Chacun sait que l’heure approche où les tarifs de l’énergie devront se rapprocher du vrai coût de production. Vous nous y préparez, sans le dire ouvertement. C’est dommage, et dommageable, car cette question mériterait d’être au centre d’un vrai débat.
Il est un autre effet induit potentiel, attendu celui-ci : cette proposition de loi pourrait avoir pour conséquence d’inciter les catégories les plus aisées à se considérer exonérées de tout effort pour lutter contre leur surconsommation, dès lors qu’elles auraient les moyens de payer le malus.
Le temps m’étant compté, j’en viens à mon troisième point : une autre politique est possible, et il faut la mettre en œuvre.
La transition énergétique est une nécessité. Pour nous, la performance énergétique des logements est la question prioritaire, avant celle du bonus-malus. Il faut inciter plus fortement les ménages à mieux isoler leurs habitations.
Ce grand chantier de la performance énergétique, nous devons le conduire avec l’aide des principaux acteurs dans ce domaine : l’ANAH, qui a l’expérience avec le programme « Habiter mieux », l’ADEME bien entendu, mais également les collectivités territoriales. À la pénalisation des consommateurs, nous préférons l’incitation, la pédagogie et l’accompagnement.
Surtout, il faut prendre la mesure de l’échéance à venir, pas si lointaine, quand le vrai prix de l’électricité deviendra, contrainte européenne oblige, le prix tout court, c’est-à-dire le prix de production. Ne pas voir cette échéance, c’est pratiquer la politique de l’autruche.
Mais j’invite ici à tout reprendre et je constate que tel n’est pas l’esprit de la proposition de loi qui nous est présentée. J’en viens donc à ma conclusion, en m’adressant à vous, madame la ministre.
Madame la ministre, on peine aujourd’hui à savoir quelle est votre position sur ce texte. À l’Assemblée nationale, vous avez soutenu le « dispositif Brottes ». Vous l’avez quasiment soutenu à l’instant, avec quelques réserves.
Le rapporteur du Sénat sur ce texte jusqu’à vendredi, notre collègue Roland Courteau, a totalement réécrit le dispositif du bonus-malus en allant presque jusqu’à condamner, avec une bonne part des sénateurs, la version issue des travaux de l’Assemblée nationale. Et notre collègue affirme, dans un communiqué, qu’il a recueilli, si ce n’est votre soutien, madame la ministre, du moins votre intérêt attentif et celui de vos services.
Dès lors, une question se pose : quelle est réellement la position du Gouvernement sur cette proposition de loi ? Soutenez-vous, madame la ministre, le « dispositif Brottes » ou approuvez-vous le « dispositif Courteau » ?
Enfin, s’agissant de la procédure, la commission des affaires économiques du Sénat a rejeté ce texte en adoptant une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Nous ne privons pas, ainsi, le Sénat de son rôle dans l’amélioration de la loi. Par ce vote, nous préfigurons l’échec de la CMP. Nous permettons une lecture supplémentaire de cette proposition de loi par chacune des deux chambres et la possibilité d’élaborer un nouveau dispositif plus satisfaisant, que le Sénat prendrait le temps d’étudier, alors qu’il n’était prévu qu’une lecture par assemblée du fait de l’engagement de la procédure accélérée. À défaut, un calendrier plus raisonnable pourrait être fixé, pour engager enfin un vrai débat dans le cadre d’une transition énergétique voulue et partagée.
Pour toutes ces raisons, le groupe de l’UDI-Union centriste s’opposera à l’adoption de cette proposition de loi.