Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 29 octobre 2012 à 14h30
Programmation et gouvernance des finances publiques — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Pierre Moscovici :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à dire devant la Haute Assemblée la confusion qui est la mienne en cet instant. Sans doute l’excuse est-elle insuffisante, mais, il y a quelques minutes à peine, mal informé quant à l’heure de début de cette séance, j’étais encore aux côtés du Président de la République, qui rencontrait à l’OCDE un certain nombre de grands responsables d’organisations internationales.

Face à l’incongruité de la situation, je vous dis tous mes regrets d’avoir fait attendre le Sénat et espère que vous saurez pardonner ce retard, qui n’est ni dans mes habitudes, ni dans ma culture, d’autant que le texte dont nous commençons l’examen revêt une importance toute particulière.

Ce projet de loi organique participe en effet de la refondation du paysage des finances publiques que nous avons entamée cet automne, à la fois sur la forme et sur le contenu. Le projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques et le présent texte visent à améliorer nos règles de gestion, pour donner des gages de crédibilité à nos engagements, sans nuire de quelque manière que ce soit à la souveraineté de la représentation nationale. Ils renforcent ainsi la gouvernance budgétaire autour d’un Parlement mieux informé et mieux associé.

Ces textes profondément structurants constituent une avancée non seulement pour nos comptes, mais aussi pour le Sénat et l’Assemblée nationale. Indépendamment de la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, dont ils sont aussi, il faut bien l’avouer, la conséquence, ils viennent utilement moderniser nos outils de pilotage des finances publiques. Je crois que nous pouvons collectivement nous en féliciter.

Je voudrais dire un mot du contexte national et européen dans lequel s’inscrit le projet de loi organique, avant d’en venir plus précisément à sa substance.

L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté à une large majorité le projet de loi autorisant la ratification du TSCG. Il faut à présent prolonger et parachever ce travail avec ce projet de loi organique, qui vise à mettre en œuvre l’article 3 du TSCG, ainsi que les règles communautaires dites du « six-pack » et du « two -pack », qui devraient être prochainement adoptées.

Au niveau communautaire, ainsi que les responsables de l’OCDE, du FMI, de la Banque mondiale et de l’OIT l’expliquaient tout à l’heure, et comme chacun le reconnaît, la dynamique progressiste qui s’est dessinée lors du Conseil européen de juin se confirme. Le premier conseil des gouverneurs du Mécanisme européen de stabilité, auquel j’ai participé, a eu lieu au début du mois d’octobre. Avec ce fonds de secours destiné aux pays fragiles de la zone euro, l’Union a franchi une étape dans la solidarité.

Le Conseil européen des 18 et 19 octobre a précisé le calendrier d’une union bancaire qui s’accompagnera, comme le souhaitait la France, d’un champ de supervision étendu.

Enfin, la mise en œuvre du plan de relance européen, du pacte de croissance, progresse.

Bref, le cadre se met progressivement en place.

C’est à l’aune de ces évolutions en matière de gouvernance des finances publiques et de rééquilibrages politiques au sein de l’Union que je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à examiner ce projet de loi organique.

J’en viens maintenant au contenu de ce texte, qui vous est à présent largement familier ; aussi, je me contenterai d’en souligner les principaux aspects, tout en rappelant la disponibilité du Gouvernement pour en enrichir le contenu, avec votre concours.

S’agissant de moyens nouveaux que le Gouvernement et le Parlement auront en partage pour le pilotage des finances publiques, nous nous sommes attachés à maintenir sans faille un dialogue étroit. Vous pouvez en témoigner, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs généraux.

Les travaux de l’Assemblée nationale et de la commission des finances du Sénat ont déjà permis d’apporter des précisions utiles ; c’est dans le même esprit d’ouverture que les suggestions qui seront formulées au cours de cet examen en séance publique seront considérées.

Avec ce projet de loi organique, nous nous dotons d’une « boîte à outils » commune et utile pour le pilotage des finances publiques partagée à la fois par l’État, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale.

Je veux préciser de nouveau, car je sais que c’est fondamental pour nombre d’entre vous, que les innovations contenues dans ce projet de loi organique sont exclusivement – j’y insiste – d’ordre procédural. D’ailleurs, il ne pourrait en aller autrement aux termes de la Constitution : une loi organique fixe des règles, définit une procédure.

En aucun cas ce projet de loi organique ne fait de l’équilibre budgétaire un absolu. Certes, il est la conséquence du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, mais il pourrait exister par lui-même et de façon autonome. Il fixe des règles de bonne gestion en toute hypothèse.

Ce texte prend en compte les circonstances économiques qui contraignent les États et n’impose aucune correction automatique de la trajectoire de nos comptes. Il permet un pilotage des comptes publics qui évite les écueils d’un éventuel « surajustement » en période de croissance faible et laisse donc les pouvoirs exécutif et législatif libres de définir la voie à emprunter pour tendre vers l’équilibre.

Ce texte s’organise autour de trois grands chapitres : une révision de la structure des lois financières, la création d’un Haut conseil des finances publiques et l’introduction d’un mécanisme de correction.

Tout d’abord, il met en place des règles pour l’élaboration de nos lois financières – lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale. Il institue un pilotage structurel des finances publiques, c’est-à-dire que nos objectifs seront désormais exprimés en termes de solde structurel – c’est le souhait qu’a exprimé Mme Lagarde, ce matin, devant le Président de la République – ou, autrement dit, sur la base d’un solde corrigé des aléas de la conjoncture.

Je tiens à apporter une clarification : si nous pouvons progresser dans la précision du calcul de ce solde, celui-ci n’est pas pour autant un outil complaisant, car ni son taux effectif ni son évolution ne pourront masquer l’absence éventuelle de réformes de fond ou la dégradation de nos finances publiques, indépendamment des effets de la conjoncture. Néanmoins, il permet d’éviter ce que la conjoncture peut avoir d’excessif et autorise des corrections de nature procyclique ou contracyclique, pour reprendre le vocabulaire des économistes.

Les lois financières suivront désormais une structure différente, qui intégrera la question du respect d’un « objectif de moyen terme » pour les finances publiques, défini dans les lois de programmation des finances publiques.

Cet objectif prendra la forme d’une cible de solde structurel pour les comptes de l’ensemble des administrations publiques. Jérôme Cahuzac, qui nous rejoindra en fin d’après-midi, a eu l’occasion d’expliquer devant la commission des finances du Sénat pourquoi cette approche globale de nos comptes était fondamentale et a rappelé l’esprit de la décision du Conseil constitutionnel à ce sujet. Il connaît la sensibilité naturelle de votre assemblée sur toutes les questions touchant les collectivités locales. Néanmoins, c’est bien un raisonnement toutes administrations publiques confondues qu’il convient de tenir.

Cette approche est absolument nécessaire au pilotage effectif de la trajectoire de finances publiques que nous appelons de nos vœux.

Les lois de programmation décriront par ailleurs la trajectoire de retour à l’objectif de moyen terme des finances publiques et seront établies sur trois ans au moins. Le Gouvernement a proposé que chaque loi de finances intègre un tableau de bord qui permette au Parlement de vérifier le respect de cette trajectoire pour l’année à venir, l’idée étant, bien sûr, de soumettre à son examen une information à la fois plus lisible et fortement enrichie.

Les travaux de l’Assemblée nationale ont permis de préciser ou de renforcer la cohérence des dispositions que nous avions initialement proposées dans ce chapitre.

La trajectoire d’effort structurel s’intègre à présent, en sus de la trajectoire de solde structurel, dans le corps même des lois de programmation des finances publiques, plutôt qu’en annexe. C’était le souhait, notamment, du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Si le traité requiert d’exprimer la trajectoire en termes de « solde structurel », le concept d’« effort structurel », calculé comme la somme des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires et de l’« effort en dépense », reflète plus fidèlement encore que le « solde structurel » la partie des finances publiques qui peut être directement pilotée par le législateur ou ce qu’on appelle, dans le jargon financier, la « composante discrétionnaire » des finances publiques.

Cette modification rédactionnelle offre une marge de manœuvre supplémentaire au Parlement et renforce utilement la transparence et la lisibilité de la trajectoire.

Dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, il était proposé d’expliciter que les lois de programmation des finances publiques devaient se conformer à un principe de sincérité. Cela va de soi, me direz-vous ! La commission des finances du Sénat a, pour sa part, supprimé cet article, sans doute en portant au crédit au Gouvernement d’avoir d’ores et déjà fait sien ce principe dans l’élaboration des lois financières et en relevant qu’en tout cas cette exigence apparaissait déjà dans la jurisprudence constitutionnelle.

Il reviendra aux deux assemblées d’avancer sur ce point dans leurs discussions. Cette modification ayant été introduite par amendement à l’Assemblée nationale, la version initiale du texte nous convient bien évidemment.

La principale modification voulue par l’Assemblée nationale est l’intégration, dans les lois de règlement, d’un tableau de synthèse toutes administrations publiques confondues, analogue à celui qui est prévu pour les lois de finances et les lois de finances rectificatives. Le Gouvernement y était favorable pour accroître l’intérêt de nos débats sur les lois de règlement, qui restent parfois un exercice un peu formel.

Il est entendu que les données disponibles dans le calendrier de dépôt de ces projets de loi ne pourront être techniquement parfaites, mais il est certainement utile qu’il y ait ce point d’étape dans vos travaux avant l’été sur l’exécution des prévisions « toutes administrations publiques » de l’année écoulée.

Cet ajout, je le signale, n’est pas sans conséquence sur l’organisation des travaux parlementaires, puisque le Gouvernement devra alors, dans cette configuration, expliquer les écarts entre la prévision et l’exécution dès la loi de règlement et non dans le document d’orientation des finances publiques. Cela interviendra donc un peu plus tôt encore.

J’en viens au deuxième volet de ce projet de loi organique, à savoir la création d’un Haut conseil des finances publiques.

Ce Haut conseil aura deux responsabilités : vérifier la fiabilité des prévisions macroéconomiques, ce qui contribuera à éclairer pleinement le Parlement, et donner un avis sur le respect de la trajectoire des finances publiques à moyen terme.

Il ne prescrira pas de recettes économiques, ce n’est pas son rôle, mais il se prononcera sur la cohérence des projets de loi financière présentés au Parlement.

Le mécanisme que nous proposons n’intègre donc pas de jugement ex post, mais il met en place, avec le Haut Conseil, une structure qui examinera ex ante la politique budgétaire et financière proposée par le Gouvernement afin de vérifier si celle-ci est en adéquation avec la trajectoire de retour à l’équilibre telle qu’adoptée par le Parlement.

Ce rôle d’évaluation, d’appréciation et, in fine, de correction est extrêmement important.

Les avis du Haut Conseil ne s’imposeront ni au Gouvernement ni au Parlement ; cela étant, le juriste que je suis envisage difficilement qu’ils ne soient pas suivis. Il serait très délicat pour un gouvernement de s’affranchir de ces avis : si la politique menée s’écartait de la trajectoire de retour à l’équilibre, la sanction des marchés serait immédiate – sans parler de la sanction politique !

Nous avons cependant récusé toute injonction au gouvernement et au Parlement dans le projet de loi organique. Le Haut Conseil aura donc une force considérable, mais sans empiéter sur les prérogatives tant du pouvoir exécutif que du pouvoir législatif. ; c’est ainsi que nous l’avons voulu.

Ce point a été longuement débattu au sein de votre commission des finances, mais Jérôme Cahuzac a apporté sur ce sujet toutes les assurances nécessaires. Évitons de nous corseter davantage.

Vos travaux ont par ailleurs permis de préciser encore l’objet même de ces avis, en particulier lorsque le Haut Conseil s’essaiera à estimer la croissance potentielle.

Votre commission des finances propose ainsi que le Haut Conseil recense les prévisions faites par l’ensemble des organismes économiques ou instituts statistiques, lorsqu’il exprime un avis sur les prévisions macroéconomiques de la loi de programmation des finances publiques.

Le Gouvernement partage le souci que vous avez exprimé de disposer d’un texte aussi complet et utile que possible, et cette proposition peut y contribuer. Je sais en particulier l’attachement du président et du rapporteur général de la commission des finances à la précision des définitions retenues. C’est aussi dans cette optique, me semble-t-il, que les membres du Sénat ont souhaité apporter des précisions, à l’article 15, sur le fonctionnement même du Haut Conseil.

Le Gouvernement proposait à l’origine que ce Haut conseil soit composé de quatre magistrats de la Cour des comptes et de quatre membres désignés par les présidents des assemblées et les présidents des commissions des finances. Ce Haut conseil serait par ailleurs présidé par le premier président de la Cour des comptes.

Vous avez pris connaissance des longs débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale à propos de la composition du Haut Conseil. Au cours des travaux de vos collègues députés, le projet de loi organique a connu, sur ce point, une évolution significative.

L’Assemblée nationale a d’abord souhaité faire siéger de droit au Haut Conseil le directeur général de l’INSEE. Un débat s’est alors ouvert sur le point de savoir si la présence de cette personnalité ne risquait pas d’entraver l’indépendance du Haut Conseil, qui est le principe absolu de son fonctionnement, dès lors qu’il est aussi le directeur d’une administration nommé en conseil des ministres. Je tiens à vous rassurer sur ce point : même s’il dépend du ministre, le directeur général de l’INSEE appartient à une administration exempte de toute complaisance. Cet organisme est reconnu en France, et aussi très largement au-delà de nos frontières, pour la qualité de ses analyses et précisément pour son indépendance.

La présence en son sein du directeur général de l’INSEE permettra donc au Haut Conseil d’obtenir davantage d’informations. Voilà pourquoi le Gouvernement ne pouvait qu’accueillir favorablement cette proposition.

Les députés ont également opté pour la nomination d’un membre supplémentaire, choisi par le président du Conseil économique, social et environnemental. Si vous suiviez l’Assemblée nationale, mesdames, messieurs les sénateurs, l’équilibre du Haut Conseil serait donc modifié, puisque les membres de la Cour des comptes se trouveraient en minorité dans cette instance ainsi élargie à onze membres.

Le Gouvernement ne s’y est pas opposé, tout comme il ne s’est pas opposé à la proposition de l’Assemblée nationale tendant à exclure explicitement les nominations d’élus par les présidents des chambres : elle est conforme à la conception que nous avons du Haut Conseil et de son rôle, qui est d’être non pas une instance représentative ou politique, mais un expert à même d’éclairer les choix du Gouvernement et du Parlement. En cette qualité d’expert, le Haut Conseil doit être totalement et absolument indépendant pour garantir la crédibilité de notre gouvernance renforcée des finances publiques.

Nous estimons, par ailleurs, que le Haut Conseil devrait comprendre des membres compétents dans l’ensemble du champ des administrations publiques, sans qu’il soit besoin d’entrer dans des logiques de spécialisation.

Dans le cadre ainsi défini, la position du Gouvernement, qui laisse place aux suggestions du Parlement, est une position de sagesse. Après avoir entendu les députés, nous serons à l’écoute des avis des membres de la Haute Assemblée.

Il me semblait important non seulement de vous indiquer les décisions prises mais aussi de vous restituer les débats qui les ont précédées.

Enfin, troisième volet, le projet de loi organique prévoit un mécanisme dit « de correction ».

Le Haut Conseil pourra alerter publiquement le Gouvernement et le Parlement si les écarts entre la trajectoire des finances publiques visée et leur trajectoire effective se creusent, afin que le débat s’engage sur la manière de remédier à ces écarts en tenant compte, le cas échéant, de circonstances exceptionnelles. Ce calendrier a évidemment pour objet de permettre au Parlement de bénéficier de l’éclairage du Haut Conseil avant que n’intervienne le débat d’orientation des finances publiques.

Le Gouvernement devra tenir compte de cet avis dans les lois financières suivantes et s’expliquer devant le Parlement, mais les règles européennes ne disent pas, j’y insiste, que la correction doit automatiquement et mécaniquement s’ensuivre – il n’y a ni corset, ni carcan, ni loi d’airain. Pour être plus précis, le caractère automatique du mécanisme de correction prévu par le traité, et repris dans le projet de loi organique, réside uniquement dans son déclenchement.

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