Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Parlement a autorisé la ratification du traité budgétaire sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire le 11 octobre 2012. Pour transcrire le traité en droit interne, le Gouvernement a choisi un projet de loi organique plutôt qu’une révision de la Constitution, comme le permet la décision du Conseil constitutionnel du 9 août 2012.
La commission des affaires sociales s’est saisie pour avis du projet de loi organique, et ce pour deux raisons. La première est qu’elle souhaite voir confortée la crédibilité des engagements pluriannuels en matière de finances sociales, quelle que soit la trajectoire politique et budgétaire proposée par le Gouvernement. La seconde est qu’elle s’interroge sur la portée de ce texte pour l’examen annuel du ou des projets de loi de financement de la sécurité sociale.
J’examinerai, premièrement, la question de la crédibilité.
Aux termes du traité, la crédibilité de notre stratégie financière repose sur un triptyque : le respect de notre souveraineté ; un objectif intelligent ; un éclairage des choix budgétaires.
Le projet de loi organique mérite un éloge : il n’y a, à proprement parler, dans l’ensemble de ses articles, aucune disposition juridiquement contraignante. La souveraineté budgétaire demeure au Parlement.
Nous formulons désormais nos objectifs de finances publiques à moyen terme de manière plus intelligente. Ces objectifs sont exprimés en termes de solde structurel, c’est-à-dire corrigés des effets de la conjoncture. Il y a de quoi neutraliser l’impact des stabilisateurs automatiques en cas de crise et les effets d’aubaine en période de croissance.
Le projet de loi organique apporte-t-il de nouvelles garanties pour assurer le respect de nos engagements financiers vis-à-vis de nos concitoyens d’abord, de nos partenaires européens ensuite ? Oui, assurément. Ces garanties résident dans la définition du contenu des lois de programmation des finances publiques, dans la création d’un Haut conseil des finances publiques formulant des avis et dans l’introduction d’un mécanisme de correction pour les cas éventuels où nous nous éloignerions de notre trajectoire financière.
Au-delà du respect de nos engagements européens, avions-nous besoin de ces garanties ? J’ai examiné rétrospectivement l’ensemble des projections financières des régimes de sécurité sociale que le Parlement a votées chaque année, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il s’agit de l’annexe B du projet de loi de financement, qui est soumise chaque année à notre approbation.
Le constat est édifiant.
Ces projections se sont révélées très éloignées de la réalité. L’objectif de retour à l’équilibre des comptes sociaux a glissé d’année en année. Le constat n’est pas moins édifiant pour les lois de programmation des finances publiques pour les périodes 2009-2012 et 2011-2014. L’exercice de programmation s’est révélé peu satisfaisant pour les finances sociales.
Étions-nous suffisamment éclairés lors du vote de ces projections financières ? Non, et c’est bien la raison d’être du traité européen et du projet de loi organique que de nous permettre de faire des choix budgétaires de moyen terme en étant éclairés par des annexes aux lois de programmation pluriannuelles qui devraient être enrichies et par les avis du Haut Conseil des finances publiques.
La commission des affaires sociales vous proposera des amendements visant à enrichir encore les lois de programmation des finances publiques et leurs annexes. Elle souhaite ainsi que le Parlement puisse examiner, dans ce cadre, un objectif pluriannuel des dépenses « famille » et un objectif pluriannuel des dépenses « vieillesse ».
À l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2012-2017 par notre commission – ce texte sera bientôt débattu en séance publique –, j’ai identifié une « boîte noire », celle des administrations de sécurité sociale hors du champ du PLFSS. Il faut que nous obtenions des informations sur les hypothèses du Gouvernement dans ce domaine – cela fera l’objet aussi d’un amendement.
Et, comme nous dépendrons demain des avis du Haut Conseil, je suis très soucieux que ses membres soient les plus compétents possible en matière de finances sociales, au regard des particularités des dépenses sociales, de la spécificité de leur pilotage et de leur régulation. Rien n’indique, en l’état actuel du projet de loi organique, que tel sera le cas.
Le pouvoir de nomination du Conseil économique, social et environnemental n’a pas été oublié, mais les organes compétents dans le domaine des budgets sociaux ont, eux, été complètement omis.
Les commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat ne disposeraient donc d’aucun pouvoir de nomination, alors que les administrations de sécurité sociale représentent 46, 5 % des dépenses publiques et 54, 4 % des prélèvements obligatoires. Cette situation n’est pas acceptable ! Les commissions des affaires sociales doivent être associées au processus de désignation des membres du Haut Conseil, hormis bien sûr celui des magistrats de la Cour des comptes.
J’aborderai, deuxièmement, le nouveau processus budgétaire annuel.
Le présent projet de loi organique se situerait aux côtés de la loi organique relative aux lois de finances et de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Dans l’étude d’impact, on lit que le texte « ne modifie qu’à la marge le contenu des projets de loi de finances, en introduisant un article liminaire » et qu’il a « une incidence marginale sur le PLFSS ».
En droit, l’architecture budgétaire ne devrait donc pas être bouleversée. La loi de programmation des finances publiques n’a toujours pas d’autorité sur les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale. Le voudrait-on d’ailleurs qu’il faudrait changer la Constitution. Le projet de loi de finances est toujours, conformément à la Constitution, le texte annuel des ressources et des charges de l’État. En vertu de l’article 34, le projet de loi de financement s’applique, lui, à la sécurité sociale. Aucun de ces deux textes – projet de loi de finances ou projet de loi de financement – n’a, selon la Constitution, de portée juridique supérieure sur l’autre. Il n’y a pas de changement. Il faut prévoir une place pour chaque texte et une place pour chaque commission amenée à se saisir de ces textes dans le cadre du projet de loi organique.
Or, dans certaines dispositions proposées, je vois un glissement qui induit deux risques également sérieux, un risque juridique d’atrophie des projets de loi de financement de la sécurité sociale, et un risque politique d’éviction des commissions des affaires sociales du champ des finances publiques. Or les finances publiques, contrairement au droit boursier, au statut des enseignants-chercheurs ou à la politique du médicament, ne sauraient concerner un seul comité spécialisé. Elles intéressent le Parlement tout entier, les commissions des affaires sociales comme les commissions des finances.
D’où viennent les risques que j’évoque et que des amendements viseront à conjurer ?
Le glissement naît de l’article 6. Son objet est de bon sens : il faut vérifier chaque année que les engagements pris par le Gouvernement pour l’ensemble des finances publiques sont respectés.
Cette vérification doit avoir lieu au Parlement, en s’appuyant sur un texte. Ce texte sera le projet de loi de finances, qui contiendra un article liminaire avec un tableau de synthèse pour l’ensemble des administrations publiques, État, collectivités locales, sécurité sociale, présentant le solde effectif et le solde structurel, et les écarts éventuels par rapport à la programmation pluriannuelle.
C’est ici que l’économie du texte glisse et occulte l’importance des projets de loi de financement de la sécurité sociale.
Implicitement, le projet de loi de finances devient un projet de loi annuel des finances publiques, ce qui n’est pas prévu par la Constitution. On crée une articulation exclusive entre les programmations pluriannuelles et un seul texte, le projet de loi de finances. Par de petits signes, nous voyons que l’on tend à faire du projet de loi de finances un texte annuel « consolidé », sans se rappeler qu’il existe un autre texte financier, le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Premier petit signe, c’est dans un rapport annexé au projet de loi de finances que les députés ont prévu la présentation des dépenses, des recettes, des soldes et de l’endettement des régimes obligatoires de base et des autres organismes relevant de la catégorie des administrations publiques de sécurité sociale. Il faudrait au moins rappeler que ce rapport constitue, en fait, un support pour l’examen de l’ensemble des textes financiers de l’automne.
Petit signe encore, le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne contient pas d’article liminaire comparable à celui du projet de loi de finances. Je propose, à tout le moins, d’introduire un article liminaire retraçant le solde effectif et le solde structurel de l’ensemble des administrations de sécurité sociale au regard des objectifs de la programmation pluriannuelle des finances publiques, afin que notre commission puisse se saisir des questions de finances sociales qui l’intéressent directement.
Petit signe toujours, on constate la même absence d’article liminaire pour ce qui est des projets de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Or qu’est-ce que l’article liminaire au sens de l’article 6, si ce n’est un article visant à informer le Parlement et à éclairer ses discussions budgétaires ? À mon sens, le Parlement devrait être informé, par un même article liminaire, présentant un tableau de synthèse pour l’ensemble des administrations publiques, de l’état des prévisions de solde structurel et de solde effectif, au moment où il examine un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Un tel texte n’a-t-il pas de facto un impact sur les soldes publics ?
Petit signe, enfin, mais bien plus contestable encore, ce chaînage en circuit fermé que l’on tend à instaurer entre les lois de finances et les lois de règlement, pour l’ensemble des finances publiques, en ignorant qu’un projet de loi de règlement ne saurait avoir une vocation aussi large.
Au printemps, le projet de loi de règlement de l’État deviendrait le cadre dans lequel le Haut Conseil vérifierait d’éventuels écarts importants, au sens du traité, entre les projections pluriannuelles des finances publiques et l’exécution passée, pour l’ensemble des administrations publiques : État, collectivités locales, sécurité sociale.
Doit-on rappeler que le projet de loi de règlement n’arrête jamais que les comptes de l’État, et que la commission des comptes de la sécurité sociale est susceptible d’examiner les comptes de l’exercice clos de la sécurité sociale jusqu’au 15 juin ?
Doit-on rappeler qu’il existe un projet de loi de règlement pour la sécurité sociale, à l’automne ?
Il faut que nous ayons un débat sur la bonne exécution de la trajectoire des finances publiques au regard de l’avis du Haut Conseil, non lors de l’examen du projet de loi de règlement, dont ce n’est pas l’objet, car il concerne le seul État, mais lors du débat d’orientation des finances publiques, qui est le seul moment où il peut y avoir un échange global, consolidé, entre pairs, entre la commission des affaires sociales, la commission des finances et le Gouvernement.
Dès lors que la Constitution ne prévoit pas un texte unique de finances publiques annuel, ce qui nécessiterait au demeurant un examen conjoint de la commission des affaires sociales et de la commission des finances, il nous faut vivre dans le cadre budgétaire actuel. Celui-ci n’est pas absurde, car il évite de fondre les finances publiques dans un « grand tout ».
Au contraire, on peut trouver une logique profonde à des textes financiers distincts, si ceux-ci sortaient de l’étroite comptabilité budgétaire pour épouser chaque sous-secteur des administrations publiques, exprimé en comptabilité nationale. C’est, d’une certaine façon, le sens de l’histoire ; c’est propre à faire coïncider le discours budgétaire européen avec le discours budgétaire franco-français.
Il y aurait un texte financier pour les administrations publiques centrales – il existe peu ou prou –, un projet de loi de financement de la protection sociale élargi, avec un Parlement mieux informé sur des organismes comme les régimes complémentaires dont l’indépendance ne serait pas évidemment remise en cause et, pourquoi pas, un jour, un projet de loi d’orientation du secteur public local.
En attendant ce jour, respectons la logique profonde de la Constitution et laissons au projet de loi de financement de la sécurité sociale et aux commissions qui s’y intéressent, la possibilité de s’intégrer dans l’économie générale du projet de loi organique.
Mes chers collègues, la commission des affaires sociales a formulé un avis favorable sur ce texte, sous réserve de l’adoption de dix amendements.