Intervention de Philippe Marini

Réunion du 29 octobre 2012 à 14h30
Programmation et gouvernance des finances publiques — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, président de la commission des finances :

… ces guidelines se sont heurtées à la complexité de la notion de « cycle économique », puisqu’on ne sait qu’a posteriori quand un cycle a commencé et quand il s’est achevé et que le consensus sur les bornes du cycle économique est, par définition, difficile à atteindre. Ainsi, après bien des controverses – rappelons-nous que le chancelier de l’Échiquier, Gordon Brown, avait décalé de deux ans le début du cycle pour se donner des marges de manœuvre ! –, la règle a été abandonnée en 2009.

C’est là que nos partenaires d’outre-Rhin ont pris le relais, en se fondant sur une expérience plus ancienne qu’ils avaient eue dès les années soixante, en appliquant une « règle d’or » inscrite dans leur loi fondamentale prévoyant que le déficit public n’excède pas le montant de l’investissement public brut. Il était toutefois prévu dès cette époque que la règle ne s’appliquait pas en cas de perturbation de l’équilibre macroéconomique.

Cependant, faute de définition suffisamment précise et restrictive, la règle ne s’est pas appliquée en bas de cycle et, en haut de cycle, elle s’est révélée peu rigoureuse, puisqu’elle a permis une réelle aggravation du déficit structurel de l’Allemagne, « masquée » par la forte croissance. Ainsi, nous le savons, l’endettement de l’Allemagne fédérale est passé de 17, 5 points de produit intérieur brut en 1970 à 68 points en 2006.

Ensuite, est arrivé le « Frein à la dette » dont nous nous inspirons avec l’actuelle méthodologie européenne.

Revenons-en au solde public structurel. Il se définit comme ce que serait le solde public si le produit intérieur brut était égal à son niveau potentiel, en supposant que l’élasticité des recettes publiques au produit intérieur brut soit égale à un. Ce solde public structurel se calcule donc mécaniquement à partir de l’estimation de l’écart de production, c’est-à-dire de l’écart du PIB constaté par rapport au PIB potentiel.

Dès lors que l’on centre le débat macroéconomique, puis législatif, sur la notion de « solde structurel », les enjeux de crédibilité se portent essentiellement sur la définition du produit intérieur brut potentiel.

M. le rapporteur général de la commission des finances a raison de souligner les deux difficultés auxquelles il faut apporter une réponse : en premier lieu, les écarts d’évaluation du solde structurel selon les résultats publiés par les différentes institutions – FMI, OCDE, Cour des comptes, Commission européenne, pour ne pas parler de notre propre Gouvernement ; en second lieu, le fait qu’une même institution puisse faire varier dans le temps son estimation au titre d’une année donnée, en fonction de l’analyse qu’elle fait du PIB potentiel.

Les choses sont donc bien complexes et c’est à ce point du raisonnement qu’apparaît la nécessité d’une harmonisation des méthodologies utilisées pour le calcul du PIB potentiel et des soldes structurels. Il n’est pas envisageable un seul instant de définir notre propre solde structurel de façon autonome, car la procédure que nous mettons en place n’aura de sens que si elle est mise au service de la crédibilité et de la pérennité de la zone euro.

Nous restons, à cet égard - – je vois l’œil de Jean-Pierre Chevènement s’assombrir §sous la surveillance de la Cour de justice de l’Union européenne qui, en application de l’article 8 du TSCG, sera compétente pour juger l’effectivité de la mise en œuvre des obligations qui nous incombent en application de l’article 3 du Traité.

Mes chers collègues, il faut bien reconnaître que le consensus sur les hypothèses, le recours à un « thermomètre » commun et incontestable, sont une nécessité, d’abord pour préserver le débat politique, pour qu’il porte bien sur l’essentiel, pour qu’il ne se perde pas en querelles stériles sur de supposées « manipulations » comptables du gouvernement en place, quels que soient au demeurant ce gouvernement et la majorité qui le soutient.

Le débat politique doit pouvoir se concentrer sur l’essentiel : le montant et la pertinence des mesures proposées et la capacité de l’exécutif à mettre en œuvre les mesures qu’il a annoncées et sur lesquelles il s’est engagé.

C’est bien sur ce fondement que repose la création du Haut Conseil des finances publiques, qui n’est ni une « fantaisie », ni une arme destinée à diminuer encore davantage les pouvoirs du Parlement.

Il est important, tout d’abord, de souligner ce que n’est pas, ce que ne doit pas être le Haut Conseil des finances publiques : un organe technique se substituant au Gouvernement ou au Parlement dans la prise de décisions éminemment politiques. Il ne l’est pas et il ne doit pas l’être.

En revanche, qu’attendons-nous de lui ?

En amont, nous attendons qu’il nous permette d’en finir avec les programmations délibérément trop optimistes, et ce grâce à la mise en place d’une procédure contradictoire rigoureuse contraignant le Gouvernement à motiver ses choix et le Haut Conseil à expliquer sa méthodologie.

En aval, nous en attendons qu’il vérifie le respect de la trajectoire annoncée par le Gouvernement.

Le débat est nécessaire, mes chers collègues, et nous l’aurons à l’occasion de la discussion en particulier de l’article 16 sur le mécanisme de correction des écarts, car il reste à expliciter ce que sera la base de comparaison utilisée par le Haut Conseil pour délivrer son appréciation sur le respect ou non des engagements de l’exécutif.

Le véritable engagement, l’acte fort de l’année budgétaire, se situe ainsi dorénavant au premier semestre, avec le programme de stabilité transmis à Bruxelles. L’emblème de cette prééminence est l’inscription, en loi de finances, de l’article liminaire, qui permettra de voter sur les perspectives de solde de l’ensemble des administrations publiques.

J’indique ici au passage que je partage le souci exprimé par nos collègues de la commission des affaires sociales d’assurer une vision complète et consolidée de l’ensemble du secteur public. Mais peut-être la bonne solution pour demain, ou après-demain, serait-elle, pour simplifier les choses, de fusionner purement et simplement les premières parties des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

Monsieur le ministre, il nous importe que le Haut Conseil des finances publiques soit réellement indépendant et que les choix qu’il opère soient transparents. C’est pourquoi j’aurai l’honneur de défendre, avec le soutien de mon groupe, une série d’amendements qui mettent l’accent sur quatre points.

En premier lieu, il convient de pourchasser les « points de fuite », c'est-à-dire tous les éléments qui ne seraient pas traités de manière assez précise et risqueraient de vider le processus dont il est question de son sens. Dans cette optique, la saisine du Haut Conseil doit être rendue obligatoire – et ne pas demeurer facultative - pour les projets de loi de finances et de financement rectificative ainsi qu’en cas de modification de prévisions macroéconomiques en cours d’examen d’un projet de loi de programmation, de finances ou de financement de la sécurité sociale.

En deuxième lieu, il faut préciser de manière plus explicite les moyens dont disposera le Haut Conseil. Cette institution verrait, me semble-t-il, son indépendance mieux reconnue si ses crédits de fonctionnement apparaissaient en dotations de la mission « Pouvoirs publics » et non sous la forme d’une section dans le budget de la Cour des comptes.

En troisième lieu, cette indépendance serait encore mieux soulignée s’il était explicitement précisé que le Haut Conseil peut s’appuyer sur des compétences extérieures pour vérifier les éléments qui sont de sa compétence, par exemple pour se forger son opinion sur les estimations de recettes fiscales prévisionnelles.

En quatrième et dernier lieu, l’indépendance du Haut Conseil a une contrepartie, la transparence. De ce point de vue, il est, à mes yeux, très positif que l’Assemblée nationale ait prévu l’audition préalable à leur entrée en fonction des membres désignés par le Parlement ; la même règle devrait pouvoir s’appliquer à tous les membres du Haut Conseil, c'est-à-dire également à ceux qui sont pressentis par le premier président de la Cour des comptes.

Mes chers collègues, permettez-moi de le répéter en conclusion, il s’agit bien et bel ici d’un outil commun et d’intérêt général. Nous devons donc pouvoir le façonner ensemble.

Aussi, je ne vous le cache pas, monsieur le ministre, l’opposition sénatoriale déterminera son vote sur l’ensemble de ce projet de loi organique en fonction de la possibilité qui lui sera donnée de consacrer l’indépendance du Haut Conseil dans le respect et les limites de son rôle. Mais je ne saurais terminer sans, une nouvelle fois, souligner la bonne tenue de nos débats en commission et l’excellent travail d’approfondissement réalisé par les deux rapporteurs généraux.

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