Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 29 octobre 2012 à 14h30
Programmation et gouvernance des finances publiques — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

En effet, selon moi, ce n’est pas la dette qui « plombe » la zone euro. D’autres pays – la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Japon – sont beaucoup plus endettés que la moyenne des pays de la zone euro. En réalité, ce qui mine la monnaie unique, c’est la compétitivité divergente, et ce de façon croissante, entre les dix-sept pays qui ont cette monnaie en partage.

Ainsi, la France qui avait une balance commerciale équilibrée en 2001, a connu, en 2011, un déficit de plus de 70 milliards d’euros, tandis que, dans le même temps, l’Allemagne affichait un excédent de 158 milliards d’euros.

Ces divergences de compétitivité proviennent, pour l’essentiel, d’écarts dans le développement industriel, des écarts qui s’enracinent dans l’histoire longue.

Ainsi, l’Allemagne a creusé l’écart avec la France et la Grande-Bretagne dès la fin du XIXe siècle. Les causes en sont connues : cohésion sociale exceptionnelle favorisée par la cogestion syndicats-patronat ; valorisation systématique, par consensus national, du « site de production Allemagne » ; formation par alternance dans le cadre d’un système dual où la moitié des enfants sont orientés dès l’âge de onze ans ; mise en application de la science et de la technologie dans toutes les industries, y compris les industries courantes ; puissance du Mittelstand et des entreprises moyennes ; réinvestissement des profits, presque toujours substantiels, dans l’entreprise et dans l’innovation ; sous-traitance à bas prix dans les pays voisins de la Mitteleuropa et maîtrise de l’assemblage et de la chaîne de valeur ajoutée en Allemagne même.

Ces écarts sont cumulatifs dans une « zone monétaire non optimale », comme l’a bien montré Robert Mundell. Il se produit tout simplement en Europe ce qui s’était produit en Italie après l’unification italienne et la généralisation de la lire à la péninsule : polarisation des richesses au nord, « mezzogiornisation » au sud.

Les écarts de compétitivité au sein de la zone euro ont également été creusés par le « choc de compétitivité » mis en œuvre par le chancelier Schröder au début des années 2000 : réduction de l’État providence, déflation salariale, recours à la sous-traitance dans les pays proches disposant d’une main-d’œuvre bon marché, une politique poursuivie par Mme Merkel, avec une hausse de trois points de la TVA en 2007.

Au total, depuis 2000, la France a perdu quinze points de compétitivité par rapport à l’Allemagne.

Le TSCG et son document d’application, le projet de loi organique, sont-ils des réponses à cette situation ? Évidemment non ! Ce ne sont pas les outils appropriés pour combler ces écarts de compétitivité, lesquels sont à la racine de la crise. Au contraire, ils les creuseront davantage, en déprimant l’activité dans les pays déjà en difficulté.

Vous insistez, monsieur le ministre, sur le fait que le projet de loi organique ne se conçoit pas indépendamment du TSCG bien sûr, ni du « paquet européen » dans lequel il y a aussi le « six-pack », le « pacte pour l’euro plus », et bientôt le « two-pack ».

Vous nous présentez le projet de loi organique comme un pilotage à moyen terme des finances publiques à partir d’un « solde structurel » de 0, 5 % du PIB. L’essentiel du pilotage se fera dans le respect d’une trajectoire auquel veillera un chien de garde dénommé « Haut Conseil des finances publiques », dont les avis s’imposeront au Gouvernement et au Parlement. M. le ministre délégué chargé du budget ne nous l’a pas caché en commission et vous nous l’avez confirmé tout à l'heure, monsieur le ministre, dans votre intervention liminaire. Le Gouvernement et le Parlement seront liés, sous peine d’encourir – vous l’avez vous-même indiqué – les foudres des marchés financiers.

Vous nous assurez que les prérogatives du Parlement seront sauvegardées, que celui-ci pourra corriger les écarts, en décidant soit des économies soit des hausses d’impôt. Mais vous savez combien cela déjà est difficile ; cela le deviendra donc plus encore.

En fait, la souveraineté budgétaire du Parlement se réduira à l’épaisseur du trait de la trajectoire censée nous conduire vers l’objectif à moyen terme de 0, 5 % de « déficit structurel », un objectif qui se dérobera au fur et à mesure que la récession réduira les recettes fiscales. Le Parlement se trouvera donc enfermé dans un carcan de procédures qui conduiront à l’ingérence permanente de la Commission européenne dans l’élaboration du budget ; on l’a déjà vu avec la visite récente de Mme Reding.

L’organisation de simples débats sur les orientations proposées non seulement par le Gouvernement, mais aussi par les institutions européennes, ne saurait occulter la marginalisation de fait du Parlement.

En effet, a-t-on déjà vu un simple débat parlementaire sans vote corriger une trajectoire dont les règles de calcul ressemblent à une mécanique quasi céleste ?

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