Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 29 octobre 2012 à 14h30
Programmation et gouvernance des finances publiques — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur l’Europe, l’avenir de notre pays et la compétitivité est au cœur des échanges. Le patronat s’invite largement dans ce débat en n’ayant de cesse de revendiquer une réduction du coût du travail.

Le Président de la République, au-delà de sa déclaration relative à l’objectif d’assurer une convergence européenne en matière d’impôt sur les sociétés et de revoir l’assiette de celui-ci, estime qu’il faut engager une réforme structurelle de la protection sociale. Cette volonté de faire progressivement basculer plusieurs dizaines de milliards d’euros des cotisations sociales vers l’impôt est le principal élément que l’on a retenu de son discours de jeudi dernier. Voilà donc la ligne directrice des « réformes » devant affecter notre système de prélèvements obligatoires dans les cinq années à venir.

Le projet de loi organique dont nous débattons aujourd’hui est organiquement lié au traité budgétaire européen et à son appendice, le pacte pour l’emploi et la croissance. La question qui nous est posée est bel et bien la suivante : quel système fiscal, quel mode de financement de notre protection sociale devons-nous adopter pour les années à venir ? Qu’il s’agisse des finances de l’État, de celles de la sécurité sociale, des finances locales ou du budget de toute entité publique, quels dispositifs répondront de la manière la plus pertinente aux exigences de justice dans le prélèvement, d’efficacité dans la dépense, de qualité dans la réponse apportée aux besoins ?

Le Gouvernement, sur la foi du rapport Gallois, et le Président de la République semblent donc avoir choisi de consacrer une attention particulière à l’allégement de ce que l’on appelle le « coût du travail », visant directement en cela les revenus mutualisés entre l’ensemble des actifs et des inactifs que constituent les cotisations sociales et les prestations qui y sont adossées.

Nous le savons tous, l’objectif général de la loi organique, outre de garantir le respect de nos engagements européens, est de parvenir à l’équilibre dit « structurel » des comptes publics, les collectivités locales et la sécurité sociale étant appelées, à moyen terme, à compenser ce qui pourrait rester du déficit de l’État.

Examinons d’entrée la question qui fâche, celle du fameux « coût du travail », qui n’est jamais, si l’on en croit Adam Smith, que le salaire versé par l’entrepreneur à celui dont le travail permet la production de biens et de services.

Les comptes de la nation pour 2012 font apparaître que les prélèvements sociaux opérés sur les entreprises – ce que la comptabilité nationale appelle les « sociétés et quasi-sociétés non financières » –, à partir de la valeur ajoutée créée par le travail, se sont élevés à 145 milliards d’euros. En revanche, les mêmes entités économiques ont versé 309 milliards d’euros en intérêts, dividendes et autres coûts financiers. Nous aurions pu nous attendre à ce que ces 309 milliards d’euros fassent l’objet de toutes les attentions. Eh bien non, ce sont les cotisations sociales qui sont mises en avant !

Ce que l’on appelle « coût du travail » figure sans doute comme une charge, en termes comptables, au compte de résultat de n’importe quelle entreprise soumise à la comptabilité des sociétés commerciales, mais cette charge est constituée de deux éléments principaux.

Le premier de ces éléments est la rémunération nette perçue par le salarié pour la force de travail qu’il a utilisée en vue de produire des biens ou d’assurer des prestations de services dans l’entreprise qui l’emploie : une rémunération nette, inférieure à la valeur du bien produit ou du service rendu et génératrice, « naturellement », d’une plus-value. C’est ainsi qu’Adam Smith, dont l’héritage est revendiqué par maints défenseurs de la libre entreprise, indique que « le travail d’un ouvrier de manufacture ajoute en général, à la valeur de la matière sur laquelle il travaille, la valeur de sa subsistance et du profit du maître ».

Aussi ce débat sur le coût du travail, mené au nom de la fameuse compétitivité, n’est-il rien d’autre que la répétition infinie du débat sur l’utilisation de la « plus-value ».

Réduire le coût du travail, en France comme en Europe, n’est-ce pas remettre en cause quelques-uns des acquis fondamentaux issus de la Libération, de la victoire sur le nazisme et le fascisme ? N’est-ce pas mettre en question la sécurité sociale, qui a porté, sur la durée, une bonne partie de la croissance de notre pays en élevant de manière remarquable le niveau de santé publique ?

Ce débat sur le coût du travail est aussi ancien que le développement de l’économie marchande. Permettez-moi de citer encore une fois Adam Smith : « Les commerçants anglais se plaignent fréquemment du niveau élevé des salaires dans leur pays. Ils expliquent que ce niveau élevé est la cause de la difficulté de vendre leurs marchandises à des prix aussi compétitifs que les autres nations. […] Dans beaucoup de cas, les bénéfices élevés du capital peuvent contribuer beaucoup plus à la hausse du prix des marchandises que les salaires exorbitants. » Il me semble que cet aspect de sa pensée est oublié quand certains analysent la question du « coût du travail » !

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