Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Marie-Hélène Des Esgaulx a exprimé très clairement la position de notre groupe : si nous sommes favorables à la mise en place d’une trajectoire d’équilibre de nos finances publiques, comme nous y engage désormais le TSCG, dont nous avons autorisé la ratification, nous nourrissons des doutes sérieux sur la pertinence des moyens que le Gouvernement entend utiliser pour atteindre cet objectif. Nous aurons l’occasion de discuter de ce sujet de manière approfondie lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2013.
À ce stade, dans le cadre de l’examen du présent projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, je souhaiterais mettre l’accent sur les limites que nous sommes en passe d’atteindre, si elles ne l’ont pas déjà été, en matière d’endettement public.
En première approche, nous pourrions nous réjouir que la charge de la dette publique diminue, particulièrement en cette année 2012, puisqu’elle a baissé par rapport aux projections de la loi de programmation et aux prévisions de la loi de finances initiale.
Ainsi, selon les chiffres du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2013, la charge de la dette – c’est-à-dire les intérêts – représentera 46, 3 milliards d’euros en 2011.
Malheureusement, il ne s’agit là que d’un effet de perspective. En effet, actuellement, nous bénéficions de taux d’intérêt, notamment à court terme, historiquement bas. Ce fait s’explique par une situation économique meilleure que celle de nos voisins de la zone euro, l’Espagne et l’Italie par exemple. Permettez-moi d’insister sur ce point, ce n’est donc qu’au regard de la situation de ces pays que les titres émis par la France sont devenus des valeurs refuges et sont assortis de faibles taux de rémunération : notre économie n’est pas pour autant repartie sur un trend favorable. La nuance est d’importance et dissimule les plus grands risques pour l’avenir.
D’ailleurs, en volume, la charge de la dette demeure le deuxième poste de dépenses du budget de l’État, juste après l’éducation nationale, et notre endettement, c’est-à-dire le stock d’encours, continue d’augmenter : cette année, la dette publique s’élèvera à 89, 9 % du PIB ; l’année prochaine, elle devrait atteindre 91, 3 % du PIB.
La structure de notre dette, marquée par une croissance de la part des titres indexés sur l’inflation et un accroissement de l’endettement à moyen et à long termes, n’est d’ailleurs pas sans susciter des inquiétudes quant à l’évolution future des charges de remboursement.
Nous sommes ainsi en train de franchir le seuil des 90 % du PIB, dont les historiens de l’économie Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont démontré la dangerosité. Certes, ce taux n’est pas un absolu et ne détermine pas un niveau de soutenabilité de la dette publique ; mais, au regard des travaux menés par les deux économistes précités, il apparaît comme la limite prudentielle au-delà de laquelle la dette menace les perspectives de croissance.
Les pièges de l’endettement public sont nombreux, connus et d’une totale actualité.
Il y a d’abord le risque de la captation de l’épargne privée au détriment de l’investissement des entreprises. Au-delà de l’augmentation des prélèvements fiscaux, c’est d’ailleurs le plus grand risque que le projet de loi de finances pour 2013 fait peser sur l’avenir de notre économie. Avec la croissance de l’endettement public, n’y a-t-il pas une menace d’attrition des ressources de l’épargne active destinée au financement des entreprises ? La santé de celles-ci dépend non seulement du niveau de leurs coûts, mais aussi des possibilités de financement de leur essor ou de leur maintien en activité.
Malheureusement, cet endettement public finance pour l’essentiel des dépenses courantes, et non de l’investissement. Cela signifie que la diminution des fonds prêtables correspond non pas à une simple substitution du public au privé dans l’investissement, mais à une véritable destruction d’épargne.
Si l’on ajoute à cela l’effet restrictif que ne manquent pas de provoquer les nouvelles règles de Bâle III, on peut craindre un décrochage de l’offre d’épargne destinée aux investissements actifs. Nous risquons alors de devoir constater une sorte de maladie de langueur de notre économie.
Réduire les déficits et l’endettement est donc devenu aujourd’hui un impératif, du fait de la crise européenne de la dette souveraine et de la sensibilité des réactions des marchés. C’est le seul moyen de retrouver des marges de manœuvre et d’assurer l’indépendance nationale. Dans cette perspective, des efforts sont nécessaires ; ils ne peuvent que s’inscrire dans la durée. C’est pourquoi nous sommes favorables à la détermination d’une règle d’or organisant une baisse tendancielle du niveau de déficit et d’endettement.
Réduire la dette est un chemin difficile, je le concède, parce que nous nous trouvons dans une situation tout à fait nouvelle. En effet, historiquement, des dettes d’une telle ampleur, apparues le plus souvent après des guerres, n’ont été résorbées que par la croissance, par l’inflation ou par la dévaluation, ces deux dernières pouvant être combinées.
Or il est clair que le recours à l’inflation ou à la dévaluation, au sein de la zone euro, est aujourd’hui une voie impossible. Cela supposerait de modifier les objectifs d’intervention macroéconomique de la BCE et, surtout, de convaincre l’Allemagne, où le précédent d’une période d’hyperinflation entre les deux guerres mondiales, avec ses conséquences politiques, est de triste mémoire.
Hormis l’inflation, il nous reste quelques outils, dont il faut panacher habilement l’usage. Quels sont-ils ?
Je citerai, tout d’abord, le maintien de taux d’intérêt bas le plus longtemps possible. C’est tout le sens des interventions de la BCE, mais cela ne dépend pas de nous et de tels taux ne seront de toute façon pas éternels, eu égard au contexte international, notamment sur le plan pétrolier.
Je mentionnerai ensuite la réduction du déficit primaire, l’augmentation des impôts, le soutien à la croissance potentielle. Or c’est bien au regard de ces trois derniers moyens que l’action du Gouvernement paraît pécher par manque d’ambition et de cohérence.
Monsieur le ministre, vous misez tout sur l’augmentation des impôts, au risque de créer un choc tel que, finalement, les rentrées fiscales ne seront pas au rendez-vous et n’atteindront pas le niveau espéré, surtout avec un taux directeur de l’équilibre de nos finances fixé à 0, 8 % l’an prochain !
Vous parlez beaucoup de soutien à la croissance potentielle, mais le passage à l’acte est lent à se manifester. La croissance potentielle est celle que recèle la combinaison de nos ressources en facteurs de production, en travail, en capital et en innovation. Le cœur du potentiel de croissance correspond, à un moment donné, à la population active, à l’investissement et à la productivité que permet le progrès technique.
Sur ces différents plans, nous sommes en panne. Certes, la population active évolue quelque peu, mais elle est affectée par le chômage et, dans maints secteurs, ses qualifications sont inadaptées. Le capital lié à l’investissement est affecté par le manque de perspectives des chefs d’entreprise et la raréfaction des sources de financement. Quant à la productivité des facteurs, elle s’est effondrée depuis des années.
En conséquence, le potentiel de croissance, qui était estimé voilà encore une dizaine d’années à un peu plus de 2 %, n’est plus que de 1, 2 % ! Voilà la réalité qu’il faut empoigner ! Et cela ne se fera pas en sept jours ! C’est sur les perspectives offertes aux chefs d’entreprise qu’il faut jouer dès maintenant, car c’est de cette catégorie, vilipendée par le Gouvernement, que dépend la décision d’investir. Que vous le vouliez ou non, l’enclenchement d’un processus de croissance est lié au degré d’optimisme de ceux qui investissent. Ce n’est pas en faisant la morale aux chefs d’entreprise que l’on améliorera les perspectives de croissance ! En ce domaine, la morale n’ajoute rien au raisonnement économique !