Intervention de Manuel Valls

Réunion du 8 novembre 2012 à 15h00
Vérification du droit au séjour et délit d'aide au séjour irrégulier — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Manuel Valls :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, parler d’immigration, c’est parler aussi de la France, de son histoire – vous venez de le faire concernant une page douloureuse – et de ce qu’elle est.

Depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, notre pays a accueilli des étrangers venant de tous les horizons : parfois proches, parfois plus lointains.

Une vue un peu courte peut laisser penser que les migrations, les déplacements sont la marque de notre monde globalisé ; un monde dans lequel les distances semblent plus courtes et les déplacements plus faciles. Non, c’est plus compliqué que cela !

Les hommes ont toujours eu cet appel de l’ailleurs pour aller chercher une vie meilleure, pour fuir une existence difficile – la guerre, les persécutions, la faim, les catastrophes naturelles et climatiques, la pauvreté –, pour répondre aussi à la demande de main-d’œuvre des pays industrialisés ou pour étudier dans nos universités et nos grandes écoles.

Au fil des époques, la France a vu les nouveaux arrivants se succéder, d’abord de Belgique, d’Italie, d’Allemagne, d’Espagne, puis, un peu plus tard, de Pologne. Les arrivants vinrent ensuite du Portugal, d’Algérie, du Maroc, de Tunisie et aussi – je ne l’oublie pas – d’Amérique latine fuyant les dictatures, puis de Chine, du Sénégal ou encore du Mali. J’arrête la liste ! Ils viennent, aujourd’hui encore, de tous les continents.

La France a voulu parler, un jour, au nom de ses valeurs universelles, pour le monde entier. Depuis lors, du monde entier, on est venu en France. C’est ce qui a fait une part incontestable de notre richesse.

La France est une terre d’immigration, une terre d’accueil, une terre d’espoir. C’est cela sa singularité. C’est aussi cela son génie. C’est ce que nous sommes, profondément.

La France a une histoire faite d’apports et de brassages successifs. Sur cette vieille terre chrétienne s’est enracinée la tradition juive, qui remonte à deux mille ans. C’est sur cette terre catholique que les déchirements des guerres de religion ont été, peu à peu, surmontés et que le culte protestant a été reconnu en 1791. C’est sur cette terre républicaine et laïque qu’aujourd’hui l’islam, devenu la deuxième religion de France, trouve progressivement sa place.

Notre pays est riche de ses contrastes, de ses cultures, de ces apports différents, qui se retrouvent dans un idéal commun, celui de faire nation autour des valeurs essentielles de notre République, notamment la laïcité. De faire nation, c’est-à-dire, pour reprendre la belle formule de Jaurès, d’être cette « communauté des affections » qui nous empêche de retomber dans « l’étroitesse des égoïsmes ».

Par un drôle de renversement historique, la France s’est posée ces dernières années d’étranges questions. Le thème de l’immigration a été instrumentalisé, comme à d’autres époques, ici, en France, ou dans d’autres pays. Il a alimenté les débats et grossi les colonnes. On a joué sur les tensions. On a ravivé les peurs. Les étrangers, les immigrés, les musulmans ont été montrés du doigt. On a stigmatisé. Et on a préféré l’arbitraire.

Certains ont voulu engager la France sur un versant périlleux, celui d’où l’on regarde le monde avec méfiance. Ce versant-là n’est pas une trajectoire pour notre pays. L’immigration est un apport, une chance aussi pour notre nation, pour son économie, pour sa démographie, pour sa culture. Un apport qui doit bien sûr être préparé, régulé, organisé, maîtrisé. La phrase de Michel Rocard reste entièrement d’actualité, dans les deux sens d’ailleurs : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde », « mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ».

La France, comme l’Europe, traverse une période de crise sans précédent. Et quand vient la crise, il n’est pas long le chemin qui mène jusqu’au doute. Nous devons donc être attentifs aux interrogations et aux angoisses de nos concitoyens, de nos compatriotes. Mais la France ne peut pas douter de ce qu’elle est, car ce qu’elle est, c’est sa force. La France doit aborder la question de l’immigration dans un esprit d’apaisement et de réalisme, avec générosité, mais sans naïveté, avec fermeté, mais sans stigmatiser, avec le sens de l’intérêt général. C’est la volonté du Président de la République, garant de l’unité de la nation. Aussi, au cours des cinq derniers mois, des premières mesures concrètes et justes ont-elles été prises par le Gouvernement.

Des réponses ont donc été apportées aux questions les plus urgentes.

La circulaire du 31 mai 2011 relative à l’accès au marché du travail des étudiants étrangers a été abrogée. Combien de polémiques inutiles, d’injustices, cette circulaire a-t-elle pu générer ! Combien de tort fait à l’image de la France dans le monde ! En Afrique, en Chine, en Inde... Cette circulaire était un non-sens pour notre pays, puisqu’elle conduisait à refuser le séjour à des personnes étrangères hautement qualifiées, ayant étudié dans nos universités, dans nos grandes écoles. Des personnes qui souhaitaient, à l’issue de leurs études, exercer leurs talents dans notre pays. La circulaire du 31 mai 2012 que j’ai signée avec mes collègues Michel Sapin et Geneviève Fioraso est venue rectifier cette situation en favorisant le changement de statut pour les étudiants les plus méritants.

Conformément à l’engagement du Président de la République, la circulaire du 6 juillet 2012 a fait de l’assignation à résidence une alternative véritable à la rétention des familles avec enfants faisant l’objet d’une procédure d’éloignement. Si peu de familles, peu d’enfants étaient concernés, c’est cependant une avancée majeure pour notre pays, car la présence d’enfants en rétention ne peut être la règle, comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a rappelé à la France en janvier dernier.

Enfin, à la suite des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation a mis un terme à la garde à vue des étrangers au seul motif du séjour irrégulier sur notre territoire. C’est sans doute un progrès en matière de libertés publiques et un progrès dont le moteur est, là encore, l’existence de valeurs et surtout de normes communes en Europe. Il appelle toutefois des évolutions nécessaires pour assurer l’efficacité de notre politique d’éloignement. C’est la première raison du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter.

Il y a beaucoup à faire en matière d’immigration, beaucoup à faire pour nous réinscrire pleinement dans notre histoire, dans notre tradition républicaine, qui est celle de l’accueil, de l’intégration, de l’assimilation – un mot que l’on n’utilise pas assez – et donc – j’y insiste aussi – de la naturalisation. Nous devons être fiers d’accueillir parmi nous de nouveaux Français. C’est le sens de la circulaire du 16 octobre 2012.

Notre tradition républicaine, c’est également celle de la solidarité, de l’aide désintéressée qui peut être apportée à des personnes dans le besoin, sans que leur situation sur le territoire, régulière ou non, soit prise en considération. Cette aide ne saurait être pénalisée. Voilà la seconde raison de ce projet de loi, qui est un élément au service d’une démarche d’ensemble.

Oui, je le répète, la volonté du Gouvernement est d’apaiser la question de l’immigration. Les décisions qui seront prises dans ce domaine doivent être pragmatiques, cohérentes et faire l’objet de la plus large concertation possible. C’est cette méthode que le Premier ministre a clairement définie dans son discours de politique générale.

Ainsi un débat sera-t-il organisé au Parlement, afin que la représentation nationale, sénateurs et députés, jouent leur rôle et se saisissent pleinement des enjeux liés à l’immigration économique et étudiante. Un premier débat sera organisé au début de l’année 2013. Il doit s’étendre à l’ensemble des parties prenantes, en particulier aux partenaires sociaux et au milieu associatif.

Cette méthode du dialogue a prévalu dans le cadre de l’élaboration, en liaison avec le ministre du travail, de la circulaire relative à l’admission exceptionnelle au séjour, qui sera publiée dans les prochains jours.

Je veux dire les choses de la manière la plus explicite : il n’y aura pas de régularisation massive comme en 1981 ou en 1997.

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