Intervention de Manuel Valls

Réunion du 8 novembre 2012 à 15h00
Vérification du droit au séjour et délit d'aide au séjour irrégulier — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Manuel Valls, ministre :

La situation économique et sociale de notre pays nous l’interdit. La pauvreté augmente en France. Le Secours catholique nous le rappelle encore aujourd’hui dans un rapport alarmant. Les étrangers en sont les premières victimes. Le devoir de la France, l’esprit de la France, c’est d’accueillir dignement, d’offrir les meilleures conditions de logement, d’éducation, d’emploi et d’insertion.

Aujourd’hui, même nos dispositifs d’hébergement d’urgence sont saturés. J’invite chacun à voir la réalité en face, à agir avec responsabilité, sans céder aux raccourcis, pire, aux contrevérités, qui nuisent profondément au débat public et, finalement, à l’unité de notre nation.

J’ai eu l’occasion de le dire, mais je le répète : il n’y aura pas globalement, à l’échelle du quinquennat, un nombre de régularisations supérieur à ce qui a été pratiqué par la majorité précédente. La différence – elle est de taille –, c’est que l’appréciation de l’administration ne sera plus discrétionnaire, elle sera fondée sur des critères définis et appliqués avec rigueur.

Cela entraînera peut-être, dans un premier temps, une augmentation ponctuelle des régularisations, qui correspondra à la reprise de situations difficiles n’ayant pas été résolues depuis des mois. Pour autant – nous devons la vérité aux Français –, la régularisation, c’est-à-dire la faculté pour l’administration d’admettre au séjour quelqu’un qui se maintient irrégulièrement sur le territoire, doit demeurer l’exception.

Les critères de régularisation porteront sur ce qui fait la réalité d’une vie construite sur le territoire : une durée suffisante de présence, des attaches familiales effectives, des enfants scolarisés de longue date, une capacité d’insertion dans la société française au regard des efforts d’intégration et de la situation par rapport au marché du travail.

Ces critères seront objectifs, transparents, compréhensibles et uniformément appliqués sur l’ensemble du territoire. La République ne peut, en effet, supporter l’arbitraire. Il est intolérable que des situations équivalentes entraînent des réponses différentes en fonction des préfectures ou des circonstances, comme cela a été le cas ces dernières années.

La République, ce sont les mêmes lois, les mêmes règles qui s’appliquent à tous, aux citoyens français comme à celles et ceux qui aspirent à s’installer en France.

Les conditions d’accueil des étrangers dans les préfectures doivent d’ailleurs faire l’objet d’améliorations profondes. Une démarche a été initiée en ce sens. J’y accorde une attention toute particulière. Les files d’attente qui s’allongent, le déficit d’information, la complexité des démarches, tout cela n’est pas conforme à l’exigence que nous devons avoir pour notre administration.

Il m’apparaît par ailleurs nécessaire de mener une réflexion quant au droit au séjour des étrangers malades, les plus vulnérables. Une mission d’inspection, menée conjointement avec le ministère de la santé, est en cours. Elle devra, à l’issue d’un bilan, préconiser d’éventuelles évolutions législatives et réglementaires.

Un projet de loi sera également soumis au Parlement au premier semestre 2013. Il visera notamment à créer un titre de séjour pluriannuel, très certainement d’une durée de trois ans. Ce titre, destiné aux étrangers ayant vocation à s’installer durablement sur notre territoire, constituera un titre intermédiaire entre la carte de séjour temporaire d’un an et la carte de résident de dix ans.

Il s’agira par ce biais, si le Parlement en est d’accord, de simplifier les démarches administratives, coûteuses en temps et en énergie pour l’administration comme pour les étrangers, et surtout, mesdames, messieurs les sénateurs, de réduire la part d’incertitude que peut entraîner le renouvellement annuel d’un titre de séjour. L’incertitude peut en effet être facteur d’instabilité et de fragilisation économique, voire psychologique, et finalement représenter une difficulté en termes d’intégration.

La France est une terre d’accueil ; elle est aussi une terre de refuge pour tous ceux qui, dans le monde, fuient les persécutions. Je veille à ne pas confondre asile et immigration. Nous aurons à tirer les conséquences législatives des négociations européennes actuellement en cours sur le « paquet asile », qui permettront de garantir des droits nouveaux aux demandeurs. Nous augmentons, dès cette année, les moyens consacrés à l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, avec la création de dix emplois supplémentaires d’officiers de protection. Conformément à l’engagement du Président de la République, nous devons abaisser les délais de traitement de manière significative, dans l’intérêt même des demandeurs. L’objectif d’un délai global de neuf à dix mois, incluant le passage devant l’OFPRA et la CNDA, la Cour nationale du droit d’asile, devra être atteint.

Vous le voyez, le Gouvernement entend mener une politique d’ensemble cohérente, sans l’inflation législative qui a été celle du passé. Je ne laisserai pas caricaturer, ni par les uns ni par les autres, la démarche que nous adoptons. Nous gouvernons ; il faut de la lucidité. Nous voulons agir dans un esprit de justice, dans le respect des personnes, avec réalisme, mais aussi avec la fermeté qui convient.

En tant que ministre de l’intérieur, je suis le garant de l’ordre républicain et de l’application des lois. Je suis également, je le rappelle chaque fois, le ministre des libertés publiques. Et c’est ce double impératif de respect des droits de chacun et d’application ferme de la règle qui doit caractériser notre politique en matière d’immigration. C’est cela ma conception de l’autorité républicaine.

Faire appliquer la législation, c’est le premier objectif, essentiel, de ce projet de loi. Le Gouvernement, d’une certaine manière, a été mis face à ses responsabilités. C’est donc avec cet esprit de responsabilité qu’il entend répondre à une situation de vide juridique qui a affaibli nos moyens de lutte contre l’immigration irrégulière.

Le projet de loi tire en effet toutes les conséquences des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne de juin et décembre 2011, confirmées par la Cour de cassation en juillet dernier. Rappelons que la directive du 16 décembre 2008, dite directive Retour, fait obligation aux États membres de privilégier systématiquement le retour, c’est-à-dire l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, sur toute autre mesure ou sanction. Cet éloignement doit être réalisé dans le respect des droits de la personne et en adoptant des mesures privatives de liberté uniquement lorsque celles-ci sont indispensables. Dans ce nouveau contexte juridique, prévoir un délit puni d’une peine d’un an d’emprisonnement pour le seul motif de séjour irrégulier était évidemment impossible et c’est ce qu’ont rappelé les cours suprêmes, je veux parler de la Cour de justice de l’Union européenne au niveau européen et de la Cour de cassation au niveau national.

Le séjour irrégulier n’étant plus un délit passible d’emprisonnement, le placement en garde à vue des personnes étrangères présumées en situation irrégulière sur le territoire n’a donc plus de fondement juridique. Cette évolution, dont le gouvernement précédent, en toute connaissance de cause, n’a pas voulu anticiper les conséquences, a placé les services de police et de gendarmerie, ainsi que les préfectures face à un cadre d’intervention très fragilisé. Ils ne disposent plus que du délai, très contraint, de quatre heures prévu dans le cadre de la procédure de vérification d’identité, pour établir la situation de la personne interpellée au regard du droit de séjour : quatre heures donc pour procéder aux recherches nécessaires et prendre les décisions motivées qui s’imposent. Concrètement, nos modes de lutte contre l’immigration irrégulière courent le risque d’être moins opérants. Par ailleurs, les contraintes de temps ne permettent pas la mise en place d’un dialogue contradictoire effectif avec la personne interpellée.

C’est ce constat qui a amené le Gouvernement à proposer la création, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, d’un nouveau cadre juridique pour vérification du droit au séjour. Il est prévu une retenue d’une durée maximale de seize heures, sous le contrôle continu de l’autorité judiciaire, afin de mener les vérifications nécessaires au regard du droit au séjour et d’entamer les procédures éventuelles. Cette retenue est bien évidemment assortie de garanties pour la personne interpellée : droit à un interprète, à un avocat, à un médecin et à l’aide juridictionnelle, mais aussi imputation des délais de la vérification d’identité sur ceux de la retenue et des délais de la retenue sur celui, le cas échéant, de la garde à vue. Les seize heures sont donc toujours un maximum : elles ne s’ajoutent jamais à la durée d’autres mesures éventuelles privatives de liberté.

Afin de prendre toute la mesure des contraintes de temps qui pèsent sur les démarches de vérification, il est utile d’en préciser les grandes étapes. Le temps de retenue débute dès le moment où les pièces et documents sont demandés à la personne par les services de police. S’ensuivent le temps de conduite au local de police, le temps destiné à l’information de la personne retenue de ses droits et le temps pour l’exercice de ces mêmes droits.

À l’issue de ces étapes commence la phase de dialogue à proprement parler avec la personne étrangère retenue, qui doit être « mise en mesure de fournir par tout moyen les pièces et documents requis », ce qui peut notamment impliquer un déplacement au domicile de la personne ou tout autre lieu utile. À ce temps de dialogue, il faut associer le temps d’investigation de l’officier de police judiciaire : il s’agit notamment de consulter les différents fichiers. S’ajoute enfin le temps de la coordination entre l’officier de police judiciaire et la préfecture compétente, qui doit, elle aussi, disposer d’un temps d’examen raisonnable, afin d’arrêter une décision : fin de la retenue, voire régularisation, si l’étranger a été en mesure de justifier de son droit au séjour, ou bien obligation de quitter le territoire français, pour l’exécution de laquelle il faut également établir les mesures assorties. Celles-ci sont devenues, depuis la loi du 16 juin 2011, particulièrement nombreuses et complexes à motiver et à mettre en œuvre.

Ainsi, dans un délai restreint, l’administration doit être en mesure de prendre cinq décisions obéissant chacune à un régime juridique complexe et faisant l’objet, sous le contrôle du juge, d’une motivation spécifique : l’étranger a-t-il un droit au séjour en France ? Peut-il faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ? Dans ce cas, a-t-il droit à un délai de départ volontaire ? S’il en est privé, faut-il le placer en rétention, ou une assignation à résidence peut-elle suffire ? Enfin, au regard du trouble à l’ordre public qu’il a pu causer et de ses attaches en France, une mesure d’interdiction de retour sur le territoire français peut-elle et doit-elle être prise à son encontre ? Voilà toutes les questions auxquelles l’autorité administrative doit répondre. Elle ne peut le faire qu’après un examen particulièrement approfondi de la situation de l’étranger. Il s’agit, en effet, d’examiner avec lui non seulement son droit au séjour, mais aussi sa situation familiale et professionnelle ou encore ses attaches en France et dans son pays d’origine. Un traitement équitable, humain et respectueux des droits implique de prendre le temps de répondre à chacune de ces questions en examinant l’ensemble des éléments fournis par la personne retenue. Ce traitement n’était pas possible dans le délai actuel de quatre heures, qui pouvait conduire à un automatisme de la prise de décision, préjudiciable aux droits de l’étranger.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le temps de la retenue est donc un temps contraint où chaque étape a son importance, en particulier pour l’exercice effectif des droits de la personne étrangère retenue. C’est aussi, vous le savez en tant que législateurs avertis, un temps de privation de liberté. Il convient donc impérativement de veiller à ce qu’il soit proportionné aux objectifs recherchés. Le Gouvernement a entendu les préoccupations qui ont été exprimées lors de l’examen du texte par la commission des lois, que je tiens d’ailleurs à remercier. Celle-ci a veillé à renforcer les droits reconnus à l’étranger pendant la période de retenue, en prévoyant que, outre l’accès à un médecin, un avocat et un interprète, celui-ci puisse faire valoir également son droit à prévenir les autorités consulaires de son pays. Elle a également souhaité que soit clarifiée la question du lieu d’enfermement dès lors qu’aucun délit n’est reproché.

En revanche, je dois vous faire connaître mon désaccord sur le dispositif que vous avez adopté, prévoyant une durée de retenue de dix heures pouvant être prolongée de six heures après information du procureur de la République.

Au regard des contraintes et des obligations inhérentes à l’examen de la situation de la personne retenue, l’introduction de ces deux phases ajoute incontestablement une complexité supplémentaire. Je rappelle qu’il s’agit de coordonner, dans le délai le plus court possible, l’action des services de police et des services administratifs, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, le procureur pouvant mettre fin à la retenue à tout moment. Aussi, afin d’assurer l’efficacité et la sécurité juridiques du dispositif, le Gouvernement proposera, par voie d’amendement – je sais que vous en avez déjà débattu –, le retour à une durée de retenue de seize heures.

Cette durée constitue un progrès évident au regard de ce qui existait auparavant dans un cadre juridique étrange, aux termes duquel une mesure excessivement contraignante – une garde à vue de vingt-quatre heures – tendait à devenir la norme. Cette durée est la durée maximale compatible avec nos engagements constitutionnels et conventionnels durant laquelle l’étranger bénéficiera de tous les moyens de faire valoir ses droits. Elle permet ainsi de concilier l’efficacité administrative, qui nécessite une coordination complexe entre plusieurs services, y compris la nuit ou pendant les fins de semaine, et la garantie des droits des individus.

Avec ce dispositif, le Gouvernement entend se donner tous les moyens d’une lutte efficace et déterminée contre l’immigration irrégulière. Il s’agit également de mener un combat implacable contre les filières d’immigration clandestine, qui se nourrissent des faux espoirs qu’ils font naître chez ceux qui, parfois au péril de leur vie, tentent de rejoindre notre territoire.

Faire entrer volontairement une personne, de manière irrégulière, sur notre territoire dans le but d’en tirer un profit est un acte grave, un délit. Le Gouvernement agira dans ce domaine avec la plus grande fermeté.

À l’occasion de l’examen de ce texte, d’autres questions apparaissent qui intéressent le droit des étrangers et qui dépassent le champ de ce projet de loi.

Il en est ainsi de la question des recours juridictionnels ouverts aux étrangers pour contester une mesure d’éloignement. Notre droit est complexe en la matière puisqu’il marie l’intervention de deux juges, le juge administratif et le juge judiciaire, l’un chargé de statuer sur la légalité des actes administratifs permettant l’éloignement, l’autre statuant sur la prolongation de la rétention administrative.

La loi du 16 juin 2011 a modifié l’ordre d’intervention de ces juges, en repoussant l’intervention du juge judiciaire au cinquième jour après la décision de placement en rétention.

J’accorde la plus grande attention et la plus grande vigilance aux conséquences de cette réforme. Je demeure persuadé que, sur ce sujet complexe, il faut, avant toute décision, prendre le temps de l’étude et de la concertation. La seule question qui doit nous guider est la suivante : comment, dans notre cadre constitutionnel, garantir des voies de recours efficientes et effectives pour les étrangers ?

Sur ce thème, je souhaite disposer d’une étude approfondie qui, en transparence et avec l’ensemble des acteurs intéressés, pose l’ensemble des questions et, sans masquer les difficultés juridiques et techniques, s’efforce de définir des pistes et de proposer des solutions.

Je souhaite nommer très prochainement, en accord avec le Premier ministre, un parlementaire en mission en matière de droit des étrangers qui engloberait également les questions dites « pratiques », notamment celles qui sont liées à l’accueil en préfecture et aux délais que j’ai évoqués.

La proposition formulée dans l’un des amendements déposés sur ce texte fera l’objet d’un examen sérieux dans le cadre de cette mission.

Enfin, je veux dire quelques mots sur la fin du délit de solidarité pour les associations venant en aide aux étrangers

Quand une personne est dans l’épreuve, dans la difficulté, il est normal, humain, de lui venir en aide. C’est pourquoi apporter assistance et soutien, de manière désintéressée, à une personne en situation irrégulière sur notre territoire ne saurait être puni. Ce n’est pas cela la France, ce n’est pas cela la République !

Ce projet de loi, en son article 8, abroge donc le délit de solidarité, un délit peu poursuivi, voire pas du tout, …

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