Intervention de Hervé Marseille

Réunion du 8 novembre 2012 à 15h00
Vérification du droit au séjour et délit d'aide au séjour irrégulier — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Hervé MarseilleHervé Marseille :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour combler un vide juridique qui n’est pas sans conséquence pour l’action quotidienne de nos forces de police et de gendarmerie.

Cela a été rappelé, c’est l’évolution du droit communautaire qui nous oblige, une fois n’est pas coutume, à modifier notre législation en matière d’immigration.

Dans deux arrêts de 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que la directive Retour du 16 décembre 2008 ne permettait pas aux États membres de punir d’une peine d’emprisonnement le seul fait, pour un étranger, de séjourner irrégulièrement sur son territoire.

La Cour de cassation a tiré les conséquences de cette jurisprudence par trois arrêts du 5 juillet 2012. Elle a fermé le recours à la garde à vue sur le seul chef de l’infraction de séjour irrégulier. La Cour de cassation a jugé qu’un étranger en situation irrégulière ne pouvait encourir pour ce seul motif une sanction d’emprisonnement lorsqu’il n’a pas fait préalablement l’objet d’une mesure d’éloignement et des mesures propres à garantir son exécution.

Or la garde à vue était jusqu’à présent la principale procédure permettant aux services de police ou de gendarmerie de retenir un étranger pour faire le point sur sa situation et, le cas échéant, décider de le placer en rétention administrative en vue de son éloignement.

Si la garde à vue n’a jamais constitué un préalable pour la mise en œuvre d’une procédure d’éloignement d’une personne étrangère en situation irrégulière, elle a offert, de facto, un cadre juridique fréquemment utilisé pour établir l’infraction de séjour irrégulier.

Il faut noter que la jurisprudence judiciaire a, antérieurement aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne précitées, dénoncé de nombreux cas d’absence de nécessité du recours à cette procédure dans la mesure où elle se fondait sur le seul chef de l’infraction de séjour irrégulier, donc sans délit connexe.

Aujourd’hui, le Gouvernement nous propose, afin de combler ce vide juridique, de créer une nouvelle mesure de retenue administrative, plus brève que la garde à vue, mais plus longue que la simple vérification d’identité.

Ce texte, chacun en convient, répond à une nécessité tant juridique qu’opérationnelle. En effet, la procédure de vérification d’identité prévue à l’article 78-3 du code de procédure pénale n’assure pas le cadre approprié pour garantir les droits de la personne retenue et l’examen sérieux de sa situation. Elle ne répond, ni dans son objet ni dans sa durée, limitée à quatre heures, aux objectifs et aux nécessités de la vérification du droit de séjour d’une personne étrangère.

La vérification d’identité ne pouvait donc pas servir de solution de repli. Elle est inadaptée à la question qui nous préoccupe.

L’article 2 du projet de loi tend donc à instaurer une nouvelle procédure de vérification du droit de circulation et de séjour sur le territoire français. Elle permettra à un officier de police judiciaire de retenir une personne étrangère le temps strictement nécessaire à l’établissement de sa situation.

Il est donc important d’insister sur ce point : la durée de seize heures fixée par le présent texte constitue un plafond, un maximum ; le principe fondamental, c’est que cette retenue ne devra pas excéder le temps strictement nécessaire.

En tout état de cause, le procureur de la République, informé de la procédure dès son commencement, pourra y mettre fin à tout moment.

En outre, cette mesure induisant une privation de liberté est assortie de garanties rappelées il y a quelques instants par M. le ministre, et sur lesquelles je ne reviendrai pas.

En commission des lois, un important débat a eu lieu au sujet de la proposition formulée par notre rapporteur, M. Gorce, qui suggère que cette rétention soit en principe de dix heures, avec une éventuelle prolongation de six heures par l’officier de police judiciaire.

À nos yeux, il vaudrait mieux s’en tenir au texte initial que vous avez proposé, monsieur le ministre. Le délai de seize heures reste très inférieur à celui de la garde à vue, fixé à vingt-quatre heures ; le procureur de la République exercera tout son contrôle dès le début de la rétention et pourra y mettre fin à chaque instant. Très complexe, le système prévu par le texte de la commission serait source de contentieux. Ce fait avait été justement souligné en commission par M. Mézard. Cette procédure impliquerait notamment que le procureur soit sollicité trois fois : tout d’abord au début de la rétention, ensuite en cas de prise d’empreintes, enfin après dix heures. Un tel seuil n’existe d’ailleurs pas pour la garde à vue.

Notre groupe apportera donc son soutien aux amendements déposés par les groupes UMP et RDSE, ainsi que par le Gouvernement ayant pour objet de rétablir le texte dans sa version initiale.

J’ajouterai un mot sur le second aspect de ce texte, qui tend à étendre l’immunité pénale pour l’aide aux étrangers, autrement dit à restreindre le champ de ce que l’on nomme couramment le « délit de solidarité ».

Afin de dissuader les personnes qui font du trafic de migrants une activité lucrative, notre droit punit de peines élevées le fait de faciliter ou de tenter de favoriser l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France. Cette législation sévère est ancienne puisque cette incrimination a pour origine un décret-loi du 2 mai 1938.

Les réseaux qui exploitent la détresse des migrants, en contrepartie de sommes parfois très importantes, et souvent sous la menace, doivent être lourdement sanctionnés. Néanmoins, force est de constater que notre législation ne distingue pas suffisamment les agissements des passeurs qui organisent le passage des migrants, et les actes de solidarité des organismes sociaux ou des associations à vocation humanitaire. Un tel amalgame a pour effet de mettre en cause des personnes qui apportent une assistance sans aucune contrepartie.

Plusieurs membres d’associations humanitaires engagées dans l’assistance aux étrangers sans papiers ont pu, sur le fondement du droit actuellement en vigueur, être interpellés, placés en garde à vue, poursuivis, voire, dans quelques cas, condamnés par un tribunal correctionnel.

C’est donc à juste titre que l’article 8 du présent projet de loi prévoit d’élargir significativement le champ des immunités pénales applicables à ce délit, d’une part, aux membres de la famille du conjoint de l’étranger et, de l’autre, aux associations humanitaires apportant une aide désintéressée aux étrangers sans papiers.

C’est également à juste titre que la commission a inclus expressément les soins médicaux dans la liste des actes qui, lorsqu’ils bénéficient aux étrangers en situation irrégulière, ne peuvent donner lieu à poursuites sur le fondement du délit d’aide au séjour irrégulier. §

Si, comme je l’ai rappelé, nous ne souscrivons pas aux modifications introduites à l’article 2, je tiens à saluer le travail important qu’ont accompli la commission et notre rapporteur, confortant opportunément les garanties qui accompagnent cette nouvelle procédure de rétention, notamment au travers du renforcement du rôle du médecin, tout en précisant le champ du nouveau délit de maintien sur le territoire. §

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