Intervention de Christophe-André Frassa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 novembre 2012 : 1ère réunion
Procédure de demande d'asile — Examen du rapport d'information

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa, co-rapporteur :

Avec 56 250 demandes de protection déposées en 2011, la France est le premier pays sollicité d'Europe, le deuxième au monde. Notre procédure d'examen des demandes d'asile présente trois singularités. Si le taux d'acceptation de 25% se situe dans la moyenne européenne, cela est dû aux décisions de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), plus que de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). La procédure dite prioritaire, qu'il faudrait plutôt qualifier d'accélérée, a été dévoyée de son objet : elle est utilisée pour instruire 26% des demandes. Or l'absence de recours suspensif devant la CNDA pourrait poser difficulté, surtout depuis l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 2 février dernier dans l'affaire « I.M. contre France ». Enfin, l'intervention de trois acteurs dans la procédure -préfectures, OFPRA, CNDA- ne garantit pas un traitement équitable des demandes dans un délai raisonnable.

Premier temps, l'accueil en préfecture : les délais entre la demande d'asile et le rendez-vous pour déposer les documents ne sont pas toujours acceptables. Nous nous sommes déplacés à Bobigny pour le vérifier. Le délai réglementaire est de quinze jours. Toutefois, faute d'effectifs, il atteint trois mois à Lille, cinq à Paris... Les associations critiquent un retard qui prive les demandeurs d'asile des droits attachés à cette qualité et les expose à une mesure d'éloignement.

L'examen de la demande par l'OFPRA est souvent déroutant pour le demandeur. Les dossiers doivent être rédigés en français et le récit personnalisé, qui constitue le coeur de la procédure, est loin d'être une simple biographie - peu de nos concitoyens parviendraient à l'écrire dans un pays dont ils ne connaissent ni la langue, ni la culture, ni les usages administratifs. Le demandeur est reçu par l'un des 162 officiers de protection. 90 % des primo-demandeurs reçoivent une convocation et 80 % s'y rendent. L'entretien est confidentiel ; un interprète y participe. En revanche, nous nous sommes étonnés de constater que l'officier tape son rapport, au fur et à mesure, et n'entame donc pas de véritable dialogue avec le demandeur. Des difficultés de ventilation rendent par ailleurs l'atmosphère étouffante, ce qui ne concourt pas à la sérénité de l'entretien, pourtant décisif. L'officier rédige un avis, suivi dans 90% des cas. En dépit d'efforts significatifs, les délais de traitement demeurent élevés : 145 jours en 2010 et 174 en 2011, soit un peu moins de six mois.

L'OFPRA est moins généreux que ses équivalents européens quant à l'octroi de statuts de réfugié ou de protections subsidiaires. Au terme de nos auditions, nous sommes toutefois convaincus qu'en dépit de la tutelle du ministère de l'Intérieur, l'OFPRA n'est soumis à aucun quota d'admissions au statut de réfugié, comme certains le craignent parfois à tort. Néanmoins, les officiers de protection sont soumis aux exigences de productivité les plus élevées en Europe, soit deux décisions par jour. De l'avis des personnes entendues, une telle pression peut constituer une incitation à prendre des décisions de rejet.

En cas de décision de refus par l'OFPRA, le demandeur dispose d'un délai d'un mois pour saisir la CNDA, juridiction administrative spécialisée statuant en plein contentieux et seul tribunal français où siège, avec voix délibérative, un représentant d'une organisation internationale, le Haut commissariat aux réfugiés (HCR). Les décisions de cette juridiction sont rendues par une centaine de formations de jugement. Le taux de recours est en effet élevé et constant - autour de 85%. Le délai de jugement prévisible a été ramené à 8 mois cette année contre 9 mois et 15 jours en 2011. Le taux d'annulation des décisions de l'OFPRA, de 5% dans les années 1990, est monté à 22% en 2010 et il était de 17% en 2011. Il s'explique par la nature de plein contentieux des décisions, par l'intervention d'un avocat, par la diversité des membres des formations de jugement et leur connaissance plus ou moins fine des pays d'origine, ainsi que par des divergences d'appréciation avec l'OFPRA sur la situation de ces pays.

Juge de cassation, le Conseil d'Etat est peu sollicité : moins de 2% des décisions de la CNDA lui sont soumises. En outre, l'essentiel des pourvois sont irrecevables, parce qu'ils n'ont pas été introduits par un avocat au Conseil. Résultat, 6 arrêts en 2009, 15 en 2010 et 22 en 2011, l'OFPRA étant à l'origine du pourvoi dans les trois quarts des cas. Le Conseil d'Etat intervient toutefois en matière de conditions d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile et il limite les abus dans l'utilisation de la procédure prioritaire par certaines préfectures.

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