Jean-Pierre Michel est nommé rapporteur du projet de loi n° 344 (2012-2013), ouvrant le mariage aux personnes du même sexe.
Je vous informe de la réception et de la publication en ligne de l'étude de droit comparé que nous avions commandée sur le mariage des personnes de même sexe et les modalités d'accueil des enfants au sein de ces familles dans neuf Etats : l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède, ainsi que le Québec.
La commission examine ensuite le rapport de Mme Virginie Klès et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 72 (2012-2013), présentée par M. Jean-Pierre Sueur, relative aux juridictions de proximité.
EXAMEN DU RAPPORT
Certaines lois ont la vie brève : les juridictions de proximité, créées en septembre 2002 puis modifiées en 2003 et en 2005, doivent être supprimées le 1er janvier 2013. Ce texte vise à prolonger leur existence de deux ans, ce en quoi le Sénat confirmera l'avis de notre commission sous une précédente majorité.
Les juges de proximité ont compétence sur les litiges jusqu'à 4 000 euros en matière civile et sur les contraventions des quatre premières classes en matière pénale. Ils ont pour particularité de pouvoir exercer une profession en plus de leurs missions judiciaires. Ce point, qui ne fait toujours pas consensus au sein de la profession, pourra être révisé si nous votons le report de leur abrogation.
Les auditions ont montré que les arguments contre les juges de proximité demeurent identiques depuis leur création. La complexité du système pour les justiciables, d'abord. Comment s'y retrouver entre juges d'instance et juges de proximité ? La précarité de ceux-ci, ensuite : ils sont recrutés pour sept ans et leurs missions sont sans cesse remodelées. En fin de compte, le recours à des personnes qui n'étaient pas des magistrats professionnels pour statuer en dernier ressort sur un contentieux de masse qui concerne le quotidien des Français.
Les juges de proximité ont cependant pris une place importante dans le traitement du contentieux de masse : ils tranchent 15 à 20% des affaires civiles. Les supprimer au 1er janvier 2013 signifierait augmenter d'autant la charge de travail des juges d'instance dont les responsabilités se sont déjà considérablement accrues avec la réforme des tutelles et la judiciarisation de notre société. Ou alors, il faudrait compenser leur disparition par la création de plus d'une soixantaine d'ETP, ce qui n'est pas envisagé. De plus, les juges de proximité, seraient reservés au sein des audiences collégiales des tribunaux de grande instance, qui traitent de questions techniques pour lesquelles ils n'ont pas de qualification particulière et devraient recevoir une formation supplémentaire. J'ajoute que leur nombre, en raison de leur situation très précaire, diminue : 420 à 430 aujourd'hui, contre 600 l'an dernier.
D'où la proposition de M. Jean-Sueur : se donner un délai, non pas forcément en vue d'obtenir de nouveaux postes, mais afin de réfléchir à la répartition des compétences entre les juridictions et à l'organisation de la justice. Cette réflexion, qui est engagée à la Chancellerie, l'est aussi au sein de notre commission : Mme Borvo Cohen-Seat et M. Détraigne ont rendu un excellent rapport sur la réforme de la carte judiciaire, que prolongera la mission d'information sur la justice de première instance, qui m'a été confiée avec M. Détraigne. On a beaucoup bousculé la justice ces dernières années ; donnons-nous le temps et les moyens de construire une justice de proximité plus efficace et mieux répartie entre les juridictions.
Je remercie Virginie Klès pour son rapport et vous-même, Monsieur le Président, pour ce texte intéressant en dépit de son objet restreint. Si seulement la Chancellerie, durant ces deux ans, pouvait s'inspirer du rapport de M. Détraigne... La réforme de la carte judiciaire a été bâclée par une précédente garde des Sceaux.
Il aurait fallu intégrer à cette réforme la refonte des juridictions de première instance en créant, pourquoi pas, des sections : droit de la famille, droit des contrats... Régler la compétence juridictionnelle sur le montant des litiges n'a aucun sens : c'est compliquer la vie des justiciables au bénéfice des avocats. La remarque vaut pour le droit de la famille : le tribunal de grande instance connaît les affaires de divorce et d'autorité parentale, le tribunal d'instance celles de tutelle des mineurs. Quelle est la logique ? Bref, ce délai sera utile pour repenser l'organisation des juridictions puis réviser la carte judiciaire, même si cela n'est qu'à la marge, dans un sens favorable aux territoires et aux justiciables.
Un peu d'histoire... Les juges de proximité, dont notre ancien collègue Fauchon fut un ardent défenseur, ont reçu un accueil proprement scandaleux dans les tribunaux. Les magistrats ont découragé les candidats, dont les universitaires, en leur rendant la vie impossible : les nouveaux juges de proximité devaient travailler à 90 kilomètres de leur domicile sans être remboursés de leurs frais de déplacement, ils avaient accès au dossier uniquement sur place. Cette réforme sabotée reposait pourtant sur une idée solide : le juge de proximité devait apporter un peu de chaleur humaine, ce dont le juge d'instance qui traite 40 à 50 affaires en quelques heures, n'a pas le temps.
Je félicite M. Sueur d'avoir présenté un texte grâce auquel nous pourrons dessiner un avenir des tribunaux d'instance qui, en tout état de cause, devront être réformés pour être rapprochés du citoyen.
Tout a été dit : repousser la suppression des juges de proximité est la sagesse. Il serait malvenu de modifier une fois de plus l'organisation judiciaire alors que s'engage un travail sur la justice de première instance...
et la réforme des cours d'appel. Nous sommes au milieu du gué, nous devrons pleinement utiliser ce délai pour repenser l'organisation de la justice et, en particulier, la carte judiciaire. Les juges de proximité ont un bilan très positif pour la raison donnée par M. Gélard : ils apportent de l'humanité dans un appareil plus craint que respecté. S'ils sont incorporés dans les tribunaux d'instance, il faudra ne pas l'oublier.
Profitons de ce texte pour interroger la Chancellerie sur le manque de greffiers : il se fera sentir quel que soit le nouveau partage des compétences envisagé, et le projet de loi de finances pour 2013 n'apporte pas de réponse satisfaisante à cet égard.
Je ne suis pas hostile à un délai, reste à savoir qu'en faire. L'institution des juges de proximité souffre d'une ambiguïté originelle : sont-ils de nouveaux juges de paix ou des adjoints au juge d'instance ? Nous n'avons jamais tranché... L'idée de juridictions du premier et du second degrés pour les affaires civiles, portée par Mme Borvo Cohen-Seat et M. Détraigne et par la plupart des magistrats, a l'avantage de la clarté pour nos concitoyens sans imposer nécessairement des regroupements géographiques. Oui, les juges de proximité ont leur place dans notre justice.
Quant aux greffiers juridictionnels, la plupart d'entre eux sont titulaires d'un master alors que, de mon temps, ils avaient un DEUG de droit.
Confions-leur, comme l'ont fait de nombreux pays, des tâches plus adaptées à leur qualification, de la même manière qu'il faut revoir la répartition des compétences entre médecins et infirmiers. Très honnêtement, nous avons des magistrats en nombre suffisant à condition de leur laisser faire le travail qui est le leur : trancher. Le service public y gagnera.
L'initiative de M. Sueur est heureuse : j'y suis favorable à condition de restructurer la justice de première instance.
Des magistrats en nombre suffisant ? Non, c'est même précisément pour cela qu'on a créé les juges de proximité, parfois transformés en juges supplétifs. Au reste, savez-vous qu'il y a des juridictions de proximité sans juges de proximité ? Dans celles-ci, le président du tribunal d'instance préside aux audiences de proximité avant de siéger au tribunal d'instance. Quelle aberration ! Nous avons oublié que la juridiction d'instance est d'abord de conciliation. Les conciliateurs de justice sont très peu implantés. Le système de conciliation, incompréhensible et désuet, doit être repris à la base.
Une réforme sabotée par les magistrats ? Cela est exact, mais seulement en partie. Certains juges de proximité n'avaient jamais ouvert un code civil de leur vie, ce qui donnait lieu à des audiences hilarantes.
Quant aux greffiers, je rappellerai à M. Mercier, qui le sait très bien, cette fameuse affiche que l'on voit dans tous les tribunaux d'instance de France : « Il est interdit aux greffiers de donner des renseignements ».
Le compte à rebours est lancé : plus nous discutons, plus j'ai la conviction que la date du 1er janvier 2015 sera difficile à tenir. Si nous trouvons une forme d'inclusion des juges de proximité dans un système de première instance unifié, il faudra un véhicule législatif adapté. Le sujet intéresse de nombreux groupes d'intérêt. Qui plus est, ce texte, pour être applicable, devra être accompagné d'un paquet réglementaire. Sans parler des recours éventuels... Pour que nous soyons prêts à l'été 2014, il faudra présenter un texte fin octobre ou début novembre 2013. Cela suppose de fixer dès maintenant avec la Chancellerie, de manière concrète et effective, un calendrier législatif. Nous pouvons faire du bon travail, mais il n'y a pas de temps à perdre.
J'approuve ce délai de réflexion. Le constat est double : les juridictions de proximité fonctionnent mal, elles sont néanmoins nécessaires. Pourquoi ? Les magistrats ont rejeté cette réforme parce qu'elle n'a pas été élaborée avec eux. Les juges d'instance, je l'avais constaté lors de la mission sur l'évolution des métiers de justice que nous avions menée pour la commission en 2002-2003, étaient très favorables à un système qui leur aurait donné autorité sur les juridictions et les juges de proximité. Les juges de grande instance, également. Souvenons-nous-en pour définir un schéma institutionnel qui fonctionne et réponde aux attentes de proximité, d'humanité et d'humanisme des justiciables.
A l'époque, notre commission avait préconisé l'institution des juges de proximité, mais jamais celle de juridictions de proximité, ce qui était tout à fait différent. Et puis, parce que le président de la République l'avait dit, nous avons fini par voter les deux.
On parle beaucoup des exemples étrangers. Eh bien, en Angleterre, des citoyens très engagés jugent toutes les affaires de petite délinquance. Ce système a des résultats remarquables. En fait, nous aurions dû placer les juges de proximité sous l'autorité du président du tribunal d'instance, comme nous l'avons fait plus tard pour les délégués du procureur, qui relèvent des parquets. Cela aurait évité les scènes ridicules dont M. Mézard a parlé. J'ai rencontré récemment un commissaire-enquêteur complètement... hors sujet quoique désigné par le préfet.
Le commissaire enquêteur est nommé par le président du tribunal administratif, le préfet ne fait que proposer !
Certes ! En tout cas, ce texte soulève d'autres questions, comme celle des greffiers dont nous discutons depuis longtemps. Rendez-vous compte : auparavant, c'était le juge qui devait contrôler les comptes de tutelle ; heureusement, cela a changé. La ministre de la justice veut augmenter le nombre de magistrats, cela ne durera peut-être pas. Nous avons besoin du concours de ces juges de proximité dont certains avaient fait une belle carrière dans des métiers de justice. Je soutiens donc le texte tout en affirmant, avec M. Richard, qu'il sera compliqué de mener à bien une réforme complète de la justice de première instance.
Disons la vérité avec modestie. Certains d'entre nous s'étaient opposés à l'institution des juges de proximité pour la raison très évidente qu'il aurait été plus simple, M. Badinter l'avait démontré avec son éloquence coutumière, de créer des juges d'instance. Le gouvernement précédent a décidé subitement leur suppression, ce qui poserait difficulté dans de nombreuses juridictions. Les présidents des tribunaux d'instance nous l'ont dit clairement : ils ont pris l'habitude de travailler avec les juges de proximité. Ceux-ci traitent 40 à 50 dossiers par mois, rien n'est prévu pour les remplacer. En second lieu, cette réforme doit s'inscrire dans la réflexion plus globale sur l'organisation des juridictions de première instance, initiée par le rapport d'information de Mme Borvo Cohen-Seat et de M. Détraigne.
En troisième lieu, la garde des Sceaux a jugé le 1er octobre 2012 au Sénat que l'utilité des juges de proximité était indiscutable : « Je réfléchis d'ailleurs à la façon de les maintenir. Il faut savoir apprécier le travail qu'ils ont effectué et leur utilité dans nos juridictions ». Elle est décidée, monsieur Richard, à engager immédiatement le travail sur la justice de première instance. La mission confiée à Mme Klès et à M. Détraigne par notre commission, qui pourrait aboutir rapidement, nous aidera à y voir clair dans un an et à bâtir un système pérenne.
La qualité du travail rendu par les juges de proximité comme l'accueil que leur ont réservé les juges d'instance varient considérablement d'un endroit à l'autre. Ces petites frictions s'expliquent par des raisons très concrètes : l'humanité, les juges d'instance n'en ont pas le temps. La conciliation est évidemment importante, les juges de proximité pouvant s'y consacrer davantage. M. Détraigne et moi avions anticipé sur la conclusion du président, puisque nous nous réunissons dès aujourd'hui pour discuter du calendrier de notre mission. A entendre cet échange très riche, nous devrons procéder à de nombreuses auditions !
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article unique
Article additionnel
Le but de mon amendement n° COM-2, ainsi que du n°COM-3, est d'attirer l'attention de la Chancellerie sur les difficultés de fonctionnement considérables des pôles de l'instruction sur le terrain. Mieux vaut les supprimer.
Je souscris aux arguments de M. Mézard, mais le moment est-il bien choisi ? Ce sujet mérite une large concertation, des auditions... Or il y a urgence à adopter la proposition de loi de M. Sueur. Il serait plus sage de retirer cet amendement et de le présenter en séance pour obtenir de la garde des Sceaux des indications sur la politique du Gouvernement.
Juste ! D'autant que la Chancellerie aura fort à faire en cinq ans : la justice de première instance ; la procédure pénale après la création des pôles de l'instruction, la suppression de la collégialité de l'instruction ou encore l'inévitable réforme du statut du parquet ; la justice des mineurs. Les dégâts de la période antérieure sont considérables, dans le domaine de la justice comme dans d'autres, le président de la République l'a dit hier. Un amendement en séance sera l'occasion d'interroger la ministre sur sa ligne de conduite. Elle aurait tout intérêt à s'appesantir sur le rapport que M. Lecerf et moi-même avions rendu sur une procédure pénale équilibrée.
Cet amendement judicieux soulève un vrai problème : l'application de la réforme de 2007 est difficile. Au reste, certains départements sont dépourvus de pôle de l'instruction. Lorsqu'y surviennent des affaires criminelles, leur suivi laisse à désirer : le parquet met du temps à arriver, la direction de l'enquête s'en trouve compliquée. Voilà une nouvelle catégorie de parquets : dépourvus de pôles de l'instruction ils sont de moins en moins attractifs.
Ce n'est pas faux, mais le lien entre l'amendement et le texte est quelque peu distendu. Je vous propose une autre voie : supprimer les départements sans pôle de l'instruction...
Je déposerai donc mon amendement en séance. Nous ne pouvons pas rester durablement dans cette situation pour les pôles de l'instruction comme pour la justice des mineurs - la constitution de tribunaux pour mineurs pose un véritable problème technique. Nous devons obtenir des indications claires de la part du Gouvernement.
L'amendement n° COM-2 est retiré, ainsi que l'amendement n° COM-3.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements est retracé dans le tableau suivant :
Puis la commission examine le rapport d'information de MM. Christophe-André Frassa et Jean-Yves Leconte sur la procédure de demande d'asile.
Avec 56 250 demandes de protection déposées en 2011, la France est le premier pays sollicité d'Europe, le deuxième au monde. Notre procédure d'examen des demandes d'asile présente trois singularités. Si le taux d'acceptation de 25% se situe dans la moyenne européenne, cela est dû aux décisions de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), plus que de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). La procédure dite prioritaire, qu'il faudrait plutôt qualifier d'accélérée, a été dévoyée de son objet : elle est utilisée pour instruire 26% des demandes. Or l'absence de recours suspensif devant la CNDA pourrait poser difficulté, surtout depuis l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 2 février dernier dans l'affaire « I.M. contre France ». Enfin, l'intervention de trois acteurs dans la procédure -préfectures, OFPRA, CNDA- ne garantit pas un traitement équitable des demandes dans un délai raisonnable.
Premier temps, l'accueil en préfecture : les délais entre la demande d'asile et le rendez-vous pour déposer les documents ne sont pas toujours acceptables. Nous nous sommes déplacés à Bobigny pour le vérifier. Le délai réglementaire est de quinze jours. Toutefois, faute d'effectifs, il atteint trois mois à Lille, cinq à Paris... Les associations critiquent un retard qui prive les demandeurs d'asile des droits attachés à cette qualité et les expose à une mesure d'éloignement.
L'examen de la demande par l'OFPRA est souvent déroutant pour le demandeur. Les dossiers doivent être rédigés en français et le récit personnalisé, qui constitue le coeur de la procédure, est loin d'être une simple biographie - peu de nos concitoyens parviendraient à l'écrire dans un pays dont ils ne connaissent ni la langue, ni la culture, ni les usages administratifs. Le demandeur est reçu par l'un des 162 officiers de protection. 90 % des primo-demandeurs reçoivent une convocation et 80 % s'y rendent. L'entretien est confidentiel ; un interprète y participe. En revanche, nous nous sommes étonnés de constater que l'officier tape son rapport, au fur et à mesure, et n'entame donc pas de véritable dialogue avec le demandeur. Des difficultés de ventilation rendent par ailleurs l'atmosphère étouffante, ce qui ne concourt pas à la sérénité de l'entretien, pourtant décisif. L'officier rédige un avis, suivi dans 90% des cas. En dépit d'efforts significatifs, les délais de traitement demeurent élevés : 145 jours en 2010 et 174 en 2011, soit un peu moins de six mois.
L'OFPRA est moins généreux que ses équivalents européens quant à l'octroi de statuts de réfugié ou de protections subsidiaires. Au terme de nos auditions, nous sommes toutefois convaincus qu'en dépit de la tutelle du ministère de l'Intérieur, l'OFPRA n'est soumis à aucun quota d'admissions au statut de réfugié, comme certains le craignent parfois à tort. Néanmoins, les officiers de protection sont soumis aux exigences de productivité les plus élevées en Europe, soit deux décisions par jour. De l'avis des personnes entendues, une telle pression peut constituer une incitation à prendre des décisions de rejet.
En cas de décision de refus par l'OFPRA, le demandeur dispose d'un délai d'un mois pour saisir la CNDA, juridiction administrative spécialisée statuant en plein contentieux et seul tribunal français où siège, avec voix délibérative, un représentant d'une organisation internationale, le Haut commissariat aux réfugiés (HCR). Les décisions de cette juridiction sont rendues par une centaine de formations de jugement. Le taux de recours est en effet élevé et constant - autour de 85%. Le délai de jugement prévisible a été ramené à 8 mois cette année contre 9 mois et 15 jours en 2011. Le taux d'annulation des décisions de l'OFPRA, de 5% dans les années 1990, est monté à 22% en 2010 et il était de 17% en 2011. Il s'explique par la nature de plein contentieux des décisions, par l'intervention d'un avocat, par la diversité des membres des formations de jugement et leur connaissance plus ou moins fine des pays d'origine, ainsi que par des divergences d'appréciation avec l'OFPRA sur la situation de ces pays.
Juge de cassation, le Conseil d'Etat est peu sollicité : moins de 2% des décisions de la CNDA lui sont soumises. En outre, l'essentiel des pourvois sont irrecevables, parce qu'ils n'ont pas été introduits par un avocat au Conseil. Résultat, 6 arrêts en 2009, 15 en 2010 et 22 en 2011, l'OFPRA étant à l'origine du pourvoi dans les trois quarts des cas. Le Conseil d'Etat intervient toutefois en matière de conditions d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile et il limite les abus dans l'utilisation de la procédure prioritaire par certaines préfectures.
Le droit d'asile est un droit fondamental. Il reconnait le droit de chaque être humain, citoyen du monde, à la protection de ce qu'il est, comme de ses opinions. Renforcer ce droit, c'est réaffirmer nos valeurs et les défendre.
Dans la pratique, la frontière n'est en revanche pas toujours évidente entre les demandeurs d'asile et des migrants potentiels. C'est la raison pour laquelle une procédure prioritaire vise à identifier en amont les personnes n'entrant pas dans la catégorie des demandeurs d'asile. Encore faut-il qu'elle soit adaptée à ses objectifs. Ceux qui y sont soumis se voient refuser certains droits et ne sont pas autorisés à séjourner sur le territoire, d'où la nécessité pour l'OFPRA de statuer très vite. Mieux vaudrait l'appeler procédure expéditive, car certains demandeurs, y voyant un moyen d'obtenir le droit d'asile plus rapidement, se liment les empreintes digitales pour en bénéficier.
En 2011, cette procédure représentait 15% des premières demandes d'asile hors rétention. La part des premières demandes est désormais de 63%, contre 34% en 2006. L'OFPRA a accordé une protection à 8,9% des demandeurs, proportion quasiment équivalente à celle du droit commun. La CNDA a annulé un peu plus de 14% des décisions de l'OFPRA, soit là aussi un taux proche de la moyenne. Si ce chiffre démontre que la procédure prioritaire n'empêche pas l'examen au fond de la demande, il signifie également que le partage entre les demandeurs n'est peut-être pas bien effectué ou alors que la procédure est trop sévère.
La liste des pays d'origine sûrs - qui est l'un des principaux critères de recours à cette procédure - devrait faire l'objet d'une harmonisation européenne. Comment définir une politique commune du droit d'asile, si la liste est établie par les autorités nationales ?
Enfin, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme au motif que les demandeurs soumis à la procédure prioritaire étaient susceptibles d'être expulsés avant la fin de la procédure.
La première série de nos 21 propositions vise à donner plus de cohérence à des dispositifs trop fragmentés. Il s'agit tout d'abord de libérer l'OFPRA de suspicions injustifiées en le plaçant sous la tutelle du ministère de la Justice, ou mieux, du Premier ministre.
La composition du conseil d'administration de l'OFPRA, chargé notamment d'arrêter la liste des pays d'origine sûrs, pourrait en outre être modifiée en augmentant le nombre de personnalités qualifiées, en privilégiant les magistrats issus du Conseil d'État et de la Cour de cassation ou d'anciens présidents de section de la CNDA. Le nombre de parlementaires pourrait être doublé.
Afin d'encourager une plus grande implication de l'ensemble des administrations, en particulier du ministère des Affaires étrangères, un correspondant asile, le cas échéant le magistrat de liaison, pourrait être nommé dans les chancelleries politiques des postes diplomatiques français installés dans les principaux pays d'origine. Il serait tenu de répondre dans un délai précis qui pourrait être d'un mois.
Nous proposons aussi la création d'un centre de documentation et de formation autonome commun à l'OFPRA et à la CNDA. Il s'agirait, par cette mutualisation, de dépasser l'actuelle suspicion et d'améliorer la transparence des sources utilisées. Ce centre, qui pourrait avoir recours à l'expertise du HCR, organiserait des formations à l'intention des nouveaux officiers de protection de l'OFPRA, des rapporteurs et des formations de jugement de la CNDA. Un site internet donnerait en outre des informations dans les principales langues des demandeurs sur la procédure et sur la jurisprudence.
Il convient également de repenser l'aide juridique. Seulement 40% des demandeurs bénéficient d'un hébergement en CADA (centre d'accueil des demandeurs d'asile), les autres ont accès à des plateformes d'accueil. L'articulation avec l'aide juridictionnelle doit être revue de concert avec les barreaux.
Davantage qu'une proposition, une interrogation : faut-il confier l'ensemble des missions d'accueil et d'hébergement à une agence de l'asile compétente pour accorder les statuts de réfugié et les protections subsidiaires ?
Nous souhaitons en revanche dégager les moyens nécessaires à l'examen des demandes d'asile dans des délais raisonnables afin de limiter l'inévitable précarité des demandeurs, de mieux instruire les demandes et aussi de bien gérer les deniers publics. A cette fin, le gouvernement doit imposer aux préfectures de respecter le délai réglementaire de 15 jours entre la demande d'admission au séjour au titre de l'asile et son enregistrement effectif, quand bien même les demandeurs sont très inégalement répartis sur le territoire. Corrélativement, les délais effectifs d'enregistrement des demandes devraient être rendus publics.
Faut-il imposer aux demandeurs d'asile un délai maximal pour formuler leur demande à leur arrivée sur le territoire ? L'United Kingdom Border Agency (UKBA) britannique impose par exemple un délai de 72 heures, qui ne s'applique en fait qu'à 10% des dossiers, 50 % des demandes étant déposées directement, sans condition de délai, auprès de l'UKBA et 40% des demandes étant formulées à l'occasion d'une mesure d'éloignement. Si nous n'avons pas souhaité formuler une telle exigence, il serait en revanche possible d'exclure de la procédure prioritaire les demandes formulées dans les 8 jours suivant l'entrée sur le territoire. Il ne s'agit là que d'une piste de réflexion.
Autre proposition : imposer à l'OFPRA et à la CNDA un délai maximal de six mois chacun pour se prononcer sur toute demande d'asile examinée selon la procédure normale. Elle apporterait à tout demandeur la garantie que son dossier serait traité dans les mêmes délais que les autres et contraindrait ces deux instances à justifier les absences de réponses dans le délai imparti.
Parmi les principaux enjeux figurent la rapidité et la qualité des procédures. Tout d'abord, il suffit de comparer le coût d'un mois de procédure (15 millions d'euros de prestations) à celui d'un officier de protection, soit 70 000 euros par an. Voilà pourquoi nous nous sommes interrogés sur la création d'une grande agence de l'asile qui, au-delà de la gestion des procédures, aurait une vision complète des coûts. De plus, si le taux de protection est identique en France et chez ses voisins, cela tient pour une grande part aux décisions de la CNDA, d'où des délais plus longs, alors que pendant toute la période d'instruction, les demandeurs n'ont pas le droit de travailler. Le délai maximal de six mois serait plus difficile à imposer à la CNDA, instance juridictionnelle, qu'à l'OFPRA. Lorsque le dépassement du délai n'est pas le fait du demandeur, pourquoi ne pas lui accorder, comme c'est le cas en Pologne, le droit de travailler ? Le rapport ne le précise pas, faute d'accord entre nous sur ce point.
Pour renverser les taux, nous proposons de renforcer les conditions dans lesquelles se déroule l'entretien. A cette fin, nous proposons qu'un tiers habilité puisse assister à l'entretien. De même, la présence d'un dactylographe aux côtés de l'officier de protection permettrait à celui-ci de se concentrer sur l'entretien. L'interprète serait systématique lorsque le demandeur n'est pas francophone. Réfléchissons aussi à des entretiens plus ouverts, et moins concentrés sur le point de savoir si le demandeur est un menteur. La douzième proposition est que, si nécessaire, l'entretien puisse être mené par une personne du même sexe que le demandeur.
Nous souhaiterions aussi que les membres des formations de jugement de la CNDA aient une meilleure connaissance de l'OFPRA.
La revalorisation de l'aide juridictionnelle, indispensable pour permettre l'amélioration des délais, doit se poursuivre - le projet de loi de finances pour 2013 comporte une mesure bienvenue de ce point de vue. La spécialisation des avocats devant la CNDA provoque des difficultés pratiques : douze d'entre eux se partageant 40% des recours, ils sont dans l'impossibilité physique de traiter tous les dossiers que la Cour souhaiterait inscrire à son rôle.
Il est malheureux que l'OFPRA ne tienne pas assez compte de la jurisprudence de la CNDA. Afin d'y remédier, nous proposons que l'Office soit systématiquement représenté aux audiences. Simultanément, la proposition n° 16 porte sur l'amélioration de la formation des juges de la CNDA.
Si nous souhaitons que la CNDA conserve sa compétence de plein contentieux, les ordonnances - 13% des décisions de la CNDA ne donnent pas lieu à une audience collégiale - ne sauraient devenir une autre forme de procédure prioritaire.
Si nous ne suggérons pas la suppression de la liste de pays d'origine sûrs, la proposition n° 18 est que celle-ci soit commune aux différents pays européens. En attendant une telle liste, nous proposons des pistes pour redonner un sens à cette notion.
Il conviendrait de redéfinir la notion de demande dilatoire, frauduleuse ou abusive à partir de critères objectifs et non équivoques (proposition n° 19), ainsi que d'autoriser le demandeur d'asile en procédure prioritaire à se maintenir sur le territoire jusqu'à ce que la CNDA se soit prononcée sur son recours (proposition n° 20), c'est-à-dire de conférer un caractère suspensif à tous les recours introduits devant la CNDA. Dans ce cas, il appartiendrait à la Cour de se prononcer rapidement (proposition n° 21).
Ancien membre du Haut conseil de l'intégration, et préoccupé par les logements d'accueil dans ma ville, je n'ai pas eu une seconde l'occasion de me désintéresser du sujet. Même si l'expérience des autres est un peigne pour chauve, j'ai besoin d'être convaincu sur la suppression de la tutelle sur l'OFPRA par le ministère de l'Intérieur. Ce dernier ne doit-il pas assurer une unicité de pilotage de l'entrée et du séjour des étrangers ?
Parmi les questions identifiées par les rapporteurs sur les garanties procédurales et la réalité du suivi des demandes, il en est une en particulier qui ne doit pas être écartée : quand la demande d'asile doit-elle être formulée ? Devons-nous, à l'instar de nos voisins anglais, l'enserrer dans un délai ? Nous sommes l'un des États européens où elle peut être formulée à tout moment. Des critères d'identification des demandes dilatoires ou abusives donnent des garanties aux personnes. Or la France n'a, sans doute par générosité, pas suffisamment encadré cette procédure.
Ce rapport le met en évidence, tous les demandeurs d'asile ne sont pas des fraudeurs potentiels. Il y a par ailleurs des demandeurs de bonne foi qui ne peuvent bénéficier du droit d'asile. La définition actuelle repose en effet sur la convention de Genève vieille de 60 ans, qui énonce limitativement les motifs de persécution - n'est-ce pas la raison pour laquelle il a fallu inventer la protection subsidiaire ?
J'ai fait partie des avocats spécialisés dans ce domaine il y a plusieurs années, la multiplication des dossiers étant, compte tenu de leur faible rémunération (à l'époque, six unités de valeur), une condition de l'équilibre économique de notre activité. J'avais été profondément choquée d'apprendre dans un rapport de France Terre d'Asile, que, selon que vous étiez ou non hébergé en CADA, vos chances de voir votre demande aboutir variaient de 50 % à moins de 25%. Ces structures offrent une prise en charge particulièrement utile pour des personnes traumatisées. Pendant les six à sept mois de l'instruction du dossier, la personne peut se reconstruire. J'ai le souvenir de cette femme qui n'avait réussi à témoigner de son viol qu'au moment du recours, alors que le dossier écrit indiquait « les messieurs venaient et faisaient pipi à côté de moi ». Je suis favorable à ce que les demandeurs d'asile soient entendus par des officiers de protection du même sexe, notamment en cas de viol dans les pays où cela est indicible.
Beaucoup de demandeurs, trompés par le terme « officier de protection », arrivent persuadés de la crédibilité de leur récit ; ils pensent que l'officier de protection est là pour les aider à mieux formuler leur demande. Je partage votre proposition d'assistance des demandeurs lors des entretiens à l'office.
Autre problème, lorsque la CNDA se prononçait sur des ressortissants de pays instables politiquement, elle mettait un certain temps à enrôler le dossier, comme si elle attendait l'issue du conflit. Des demandes ont été refusées car, dans l'intervalle, les persécuteurs du demandeur avaient perdu le pouvoir. Or, dans une guerre civile, il faut du temps avant de savoir qui a gagné.
S'il faut conserver à la CNDA sa compétence de plein contentieux, elle rend toutefois très difficiles les demandes de réexamen de dossiers. C'est le cas par exemple lorsqu'un demandeur d'asile indique qu'il a été condamné par la justice de son pays et qu'il lui faut du temps pour en apporter la preuve officielle.
Enfin, accorder la protection subsidiaire aux deux parents - et non plus à un seul - de petites filles menacées d'excision désengorgerait tribunaux et préfectures.
Si notre système doit être amélioré, la France est, contrairement à ce que l'on entend parfois, le premier pays d'Europe et le deuxième du monde en matière de droit d'asile effectif.
La réforme doit d'abord porter sur l'accélération du traitement des réponses, positives ou négatives. Des réponses positives tardives créent de légitimes ressentiments liés à une trop longue attente, sans droit de travailler. A l'inverse, une décision négative finit par être vidée de tout sens lorsqu'elle intervient après deux ans de vie en France et que les enfants sont scolarisés. Certes, le demandeur n'est peut-être plus en situation de danger, mais humainement, comment ne pas reconnaître que sa vie sociale a été modifiée ? Je souscris à tout ce qui va dans le sens d'une accélération des procédures, y compris la fixation d'un délai maximum de dépôt des demandes d'asile. Ce n'est pas six mois ou un an après être arrivé en France que l'on doit déclarer être en danger dans son pays ! 72 heures, c'est certainement trop court, mais 8 jours me semble être un bon délai, surtout avec un site internet les informant de la procédure.
L'objectif n'est pas d'accueillir plus de demandeurs d'asile mais de le faire de façon plus équitable. Je me méfie des statistiques car la réalité d'une partie de l'asile est celle des filières.
Je comprends l'intention de la proposition n° 12, mais je la trouve hypocrite et inadmissible. Hypocrite, parce que le problème n'est pas la nationalité : avouer un viol est-il plus facile pour un Français ou une personne résidant déjà dans notre pays ? Inadmissible parce qu'elle revient à appliquer un droit différent à ces demandeurs et à des nationaux, voire à des étrangers en situation régulière et ayant la même réalité culturelle. En outre, il faut combiner cette proposition avec les propositions n°s 9 et 10 : faudrait-il mettre en place des pools sexués ? Voilà l'exemple même de la fausse bonne idée.
Les délais de procédure posent aussi un problème de place. Sur mon territoire, les dispositifs d'hébergement d'urgence sont en train d'être embolisés, d'où un accueil de moins en moins digne, une multiplication des squats, des oppositions entre SDF et demandeurs d'asile, des bagarres dans les lieux d'hébergement, et, dans certains cas, des réactions de rejet de la part des habitants.
Compte tenu de la localisation des bornes Eurodac et des points d'entrée administratifs, les départements sièges du chef-lieu de région concentrent un nombre de demandeurs d'asile sans rapport avec leur population. En matière d'accueil des demandeurs d'asile, les disparités sont extrêmes, ainsi entre Rennes et le reste de la Bretagne. Il importe de mieux répartir les places d'accueil. Angers accueille 40 % des demandeurs d'asile de la région, alors que nous ne représentons que 20 % de la population. La tradition d'accueil des habitants fait désormais place à des signes d'exaspération.
Ce rapport honore le Sénat. Je partage la prudence de nos rapporteurs quant à une agence de l'asile. Un regroupement des missions de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), de l'OFPRA et des préfectures n'améliorera pas, par lui-même, le fonctionnement du système. Au cours des dernières années, le nombre de places d'hébergement a augmenté de manière substantielle, le taux d'occupation a été amélioré ainsi que le taux de sortie pour éviter l'embolie évoquée par notre collègue. Il faut continuer dans ce sens. L'accompagnement social, enfin, est plutôt de bonne qualité.
La rapidité est un objectif essentiel pour tout le monde, et la proposition n° 7 est sensée, à condition de mobiliser les moyens nécessaires à son application. A cet égard, la tutelle du ministère de l'Intérieur a porté ses fruits : il a intérêt à ce que les décisions soient prises rapidement pour pouvoir mettre en oeuvre sa mission. Je soutiens les propositions qui, comme la n°13, la n°16, ou la n°17, ont pour objet d'éviter la création d'un fossé entre les approches de l'OFPRA et celles de la CNDA. En particulier, l'amélioration de la formation des magistrats sur la réalité de la demande d'asile serait précieuse. La proposition n° 12, en revanche, m'inspire les plus vives réticences. Ce serait un précédent dangereux qui pourrait justifier d'autres demandes et favoriser le développement de revendications communautaristes.
Les enjeux de qualité et de rapidité retenus par les rapporteurs sont les bons. Il est utile en effet d'intervenir le plus en amont possible : correspondant dédié dans les postes diplomatiques, information par internet dans les langues idoines. Et il est absolument nécessaire de limiter le délai dans lequel la demande peut être formulée : vous avez dit qu'au Royaume-Uni, 40% des demandes interviennent lors de mesures d'éloignement, c'est troublant ! Une personne qui demande l'asile sait pourquoi elle le fait, partant, elle peut déposer sa demande dès qu'elle passe la frontière.
La question des moyens doit être posée. La France n'a pas à rougir de son action, même si on peut toujours faire mieux : mais a-t-on les moyens d'améliorer nos résultats ? La proposition n° 9, par exemple, me hérisse, de même que la proposition n° 12.
C'est sur sa publication que nous allons nous prononcer. L'usage de la commission est de publier les rapports en y incluant le compte rendu de la réunion au cours de laquelle ils ont été présentés.
Je perçois dans ce rapport une dimension accusatoire : s'il y a plus de vingt propositions à faire, est-ce à dire que rien ne fonctionne ? Pourtant, au sein de l'Union européenne, qui est un espace d'accueil pour les réfugiés et les persécutés, c'est vers la France que la plupart des demandeurs d'asile se tournent : ils savent que les garanties et la qualité d'accueil y sont les meilleures. Après examen, plus des deux tiers de ces demandes sont reconnues dépourvues de fondement - ce sont des migrants économiques, prêts à utiliser toutes les procédures dilatoires à leur disposition. Il est donc logique que des précautions soient prises, et il conviendrait que le rapport reconnaisse la qualité du travail qui est fait à ce titre par des agents qui font leur métier avec conviction. Ce ne sont pas des garde-chiourmes mais des défenseurs professionnels des droits de l'homme. Et ils sont parfaitement capables de discuter de manière humaine tout en prenant des notes. Enfin, le président de la République a annoncé la nécessité de baisser de quelque cinquante milliards d'euros les dépenses publiques : des propositions coûteuses n'ont guère de chance d'aboutir avant plusieurs décennies...
Notre système de demande d'asile est l'un des plus performants d'Europe, ce qui n'empêche pas d'essayer de l'améliorer. Pourquoi ne pas revenir à une tutelle par le ministère des Affaires étrangères ? Le conseil d'administration de l'OFPRA, où j'ai siégé, devrait comporter davantage de personnalités qualifiées, et tous ses membres devraient pouvoir participer aux votes, faute de quoi la liste des pays d'origine sûrs est fixée, en réalité, par le gouvernement, dont les représentants ont une confortable majorité : si le vote d'au moins une personnalité qualifiée lui était nécessaire, la liste en serait modifiée et n'aurait pas à être remise en cause régulièrement par le Conseil d'État. Imposer un délai maximal n'aura guère d'effet s'il n'y a pas de sanction - c'est comme l'inscription obligatoire sur les listes électorales.
Je m'inquiète de la divergence entre les jurisprudences, si l'on peut dire, de l'OFPRA et de la CNDA. Le Conseil d'État pourrait-il, de par son rôle de juge de cassation, travailler à les harmoniser ? La CNDA ne connaît que des décisions de refus d'asile, alors que la loi lui permettrait d'intervenir également lorsque l'asile a été octroyé.
Est-il de bonne politique que les demandeurs d'asile ne puissent travailler ? Les y autoriser, après un certain délai mais avant la décision, semblerait plus logique. Les déboutés, en revanche, ne devraient plus occuper les CADA.
Je veux souligner l'importance de ce qu'a dit Alain Richard. Il a souhaité qu'il soit dit dans le rapport que la France est le premier pays d'accueil en Europe - je le dis moi-même -, et qu'on y souligne la qualité du travail accompli par les fonctionnaires et les services publics chargés de ces sujets. Ils accomplissent en effet un travail extraordinaire.
- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président. -
Un humoriste américain définissait le migrant comme un individu mal informé qui croit qu'un pays est meilleur qu'un autre. Je salue le travail des deux rapporteurs, dont je soutiens les propositions, y compris les n°s 9 et 12, qui peuvent sembler relever du luxe, mais qu'il faut maintenir, afin de bien marquer ce qui paraîtrait le mieux. Une femme victime d'un viol s'exprimera plus difficilement devant un homme que devant une femme, il s'agit de simple bon sens, et en aucun cas d'un soutien au communautarisme.
Mon département concentre plus de la moitié des reconduites à la frontière de France. Parce que ses frontières sont très poreuses, beaucoup d'étrangers passent par des filières d'immigration clandestine et demandent l'asile. Je tire la sonnette d'alarme : les associations déplorent les violations des droits de l'homme tandis que les demandes d'asile explosent. Les migrants proviennent de toute l'Afrique, parfois d'Asie. Mayotte ne peut plus supporter cette pression migratoire, et je crains des affrontements entre Mahorais et étrangers. La population clandestine est évaluée à 90 000 personnes, soit la moitié de la population.
Plusieurs paramètres entrent en compte dans le choix de la tutelle. Le principal est l'impact psychologique sur les intervenants. Or il y a une suspicion, illégitime mais bien réelle, envers le ministère de l'Intérieur, accusé de vouloir imposer des quotas à l'OFPRA. Il sera difficile de la déraciner.
Nous proposons de le rattacher, comme bien d'autres offices, aux services du Premier ministre. Il n'y a pas de lien entre l'immigration et l'asile, l'asile est un droit constitutionnel qui n'a pas à relever uniquement de l'Intérieur.
Il n'y a aucune accusation dans notre rapport. Notre brève présentation a mis en lumière les améliorations que nous estimons souhaitables, mais notre volonté est simplement de mieux coordonner les acteurs. L'Allemagne reçoit presque autant de demandes d'asile que la France. Le professionnalisme et la qualité des acteurs font l'objet de notre introduction, et sont rappelés dans chacune des parties du rapport.
Si on impose des délais d'instruction, on ne pourra plus geler une affaire. Faut-il imposer un délai de six mois à l'OFPRA et à la CNDA ? Cette dernière a fortement réduit ses délais, et continue à le faire. L'OFPRA s'y emploie aussi. C'est important du point de vue des demandeurs d'asile, mais aussi en termes de charges publiques, puisque les demandeurs d'asile bénéficient d'une aide au logement : voilà 450 millions d'euros qui seraient mieux employés à une augmentation des effectifs.
J'étais partisan d'imposer un délai pour déposer la demande d'asile, mais l'expérience britannique m'a fait changer d'avis : seulement 10% des demandeurs d'asile y déposent leur demande dans les 72 heures, 50% le font auprès de l'UKBA tout au long de leur installation, et 40% au moment où ils font l'objet d'une procédure d'éloignement. La plupart des demandeurs d'asile entrent légalement sur le territoire britannique. Une personne peut entrer sur le territoire à un moment où sa vie n'est pas en danger, et souhaiter l'asile ultérieurement, en raison de changements intervenus dans son pays.
J'ai évolué de la même manière. La loi votée la semaine dernière maintient le délit d'entrée irrégulière sur le territoire, il ne faudrait pas se mettre en incohérence avec elle. Il est exact que les conditions de vie d'un demandeur sont déterminantes pour la qualité de sa demande d'asile. La procédure prioritaire produit une ségrégation : la sélection initiale est-elle bonne ?
Un délai court est important pour l'intégration des demandeurs d'asile. La proposition n° 12 ne crée pas une obligation légale, elle suggère d'imiter pour les demandes d'asile ce qui se fait déjà de manière informelle dans les commissariats lors des dépôts de plainte pour viol, et qui n'est pas absurde.
Les propositions que vous qualifiez de luxe doivent être mises en regard des pratiques de nos partenaires européens. Il y a plus d'officiers de protection en Grande Bretagne qu'en France pour deux fois et demie moins de demandes d'asile. C'est pourquoi nous soulignons leur charge de travail. Nous avons acquis la conviction que la tutelle par le ministère de l'Intérieur ne se traduit par aucune forme de pression sur ces agents. En revanche, la précarité de leurs conditions de travail, notamment pour les contractuels, peut nuire à leur capacité à se concentrer sur la problématique, parfois très grave, de ceux qu'ils reçoivent.
L'idée d'une grande agence de l'asile est moins une proposition qu'une piste de réflexion. Souhaitons-nous que l'OFPRA se concentre sur la qualité de sa procédure, ou faut-il que l'agence de l'asile soit coresponsable de l'ensemble des demandeurs d'asile, avec un budget beaucoup plus important et la capacité à faire des arbitrages pour traiter les dossiers au mieux ?
Nous avons observé les conditions de travail devant la CNDA : les formations de jugement traitent treize ou quatorze affaires par jour, quand les juges britanniques consacrent une demi-journée à chaque affaire. Les agents qui participent en France à ce type de décision sont surchargés par rapport à ceux d'autres pays. Ce qui peut sembler un luxe par rapport à ce qui existe chez nous ne l'est pas par rapport à d'autres pays d'Europe. Nous accordons à peu près le même nombre de protections que l'Angleterre, qui reçoit 2,5 fois moins de demandes mais a un taux d'acceptation bien plus important que nous. Si l'on rapporte le nombre de protections à la population nous ne sommes pas en haut du classement : notre procédure est lourde, et environ 9% des demandes nous viennent d'outre-mer, ce qui réclame, pour un traitement centralisé, l'organisation de visioconférences, d'audiences foraines de la CNDA...
Pour l'harmonisation de la jurisprudence, la présence effective d'un représentant de l'OFPRA lors des audiences de la CNDA est nécessaire, sinon le rapporteur doit à la fois rapporter l'affaire et donner la position de l'OFPRA. La CNDA a beaucoup fait pour diffuser sa jurisprudence, mais son indépendance est encore récente : son autorité et celle de sa jurisprudence devraient s'accroître dans les années à venir.
Le droit au travail est accordé après un an sous certaines conditions. La proposition de refonte de la directive réduirait ce délai à neuf mois, mais c'est un point de désaccord entre le Parlement européen et les États membres.
Nous proposons la revalorisation de l'aide juridictionnelle. Nous avions prévu de doubler les quelque 180 euros qui correspondent à 8 UV. Le projet de loi de finances reprend cette suggestion dans les crédits de la justice en doublant ce montant. C'est une mesure très importante.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La commission examine ensuite le rapport pour avis de Mme Hélène Lipietz sur le projet de loi de finances pour 2013 (mission « Immigration, asile et intégration », « Immigration »).
Le budget de l'immigration est celui de la fin d'une politique coûteuse, complexe, et qui a offert les étrangers en sacrifice pour masquer les problèmes plus graves de la perte du savoir vivre ensemble dans notre pays. Visant à interdire toute immigration, toute régularisation, pour décourager les immigrés de venir en France, la législation française est devenue une véritable usine à gaz, qui viole parfois le droit européen. La spécialisation d'avocats et la professionnalisation des associations d'aide aux étrangers ont augmenté le nombre de recours. Au lieu d'attendre un an ou deux pour présenter un nouveau dossier de régularisation, les étrangers préfèrent désormais attaquer directement les refus de titre de séjour, ce qui encombre tellement les tribunaux administratifs que le vice-président du Conseil d'État s'en est ému : un tiers, parfois même la moitié des affaires traitées par ces tribunaux concernent des étrangers.
Cette politique a donc été très coûteuse, en raison de l'insécurité juridique pesant sur les décisions de l'administration à tous les niveaux. Elle n'a pas été pour autant efficace : les centres de rétention administratifs (CRA) des étrangers susceptibles d'être reconduits à la frontière ne sont remplis qu'à 52%. Les économies dégagées par la création des locaux de justice à proximité des CRA n'ont pas été évaluées mais la construction de ces locaux a coûté cher, et ils nécessitent du personnel de justice. Seuls deux sont mis en service aujourd'hui.
La baisse des naturalisations, alors même que le Parlement n'a pas changé les règles d'attribution de la nationalité, provoque une augmentation du nombre de recours devant le tribunal administratif de Nantes, qui est surchargé. La complexité de la législation en cas de décision de refus de titre de séjour et d'obligation de quitter le territoire est telle que la préfecture a plus de sept manières d'éloigner un étranger, sur le fondement de dispositions différentes du Ceseda. Si le préfet se trompe de modalité, la procédure est annulée. Et comme les mémoires atteignent régulièrement dix pages, les jugements en font plus de sept, c'est dire le temps passé par les magistrats sur ces affaires. Le vice-président du Conseil d'État nous a d'ailleurs indiqué qu'il fallait réfléchir à une évolution des réponses juridictionnelles aux demandes d'annulation des décisions des préfectures, afin que le juge administratif statue en plein contentieux et attribue un titre de séjour compte tenu de la situation de l'étranger à la date où il statue.
Les annulations de refus tacite interviennent parfois deux ans et demi après la décision. Du coup, le préfet doit reprendre tout le dossier, car la situation, familiale notamment, du mis en cause a parfois changé. De tels aller-retour entre préfectures et tribunaux administratifs sont une source de coûts importants.
Les crédits directement liés à l'immigration sont en baisse, ceux consacrés à la reconduite à la frontière comme ceux prévus pour l'accueil des immigrés en situation régulière. Le ministre a expliqué qu'il allait, sans procéder à une régularisation générale, traiter les cas les plus flagrants parmi les demandes de régularisation : le nombre de reconduites à la frontière va mécaniquement diminuer. Je partage en revanche la préoccupation exprimée par M. Karoutchi dans son rapport pour la commission des finances sur la baisse des crédits de l'OFII, qui aide les étrangers à mieux s'intégrer, et donc à terme à être naturalisés. Le budget de l'OFII ne dépend pas directement des taxes payées par les étrangers ou leurs employeurs, mais du plafond fixé sur ces taxes par le Gouvernement, le surplus étant reversé au budget général. Je présenterai donc sans doute un amendement pour que l'OFII reçoive l'intégralité du produit des taxes qui portent son nom.
Je propose de voter ces crédits, qui correspondent à la fin d'une politique. L'an prochain, leur structure sera bien différente.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à l'immigration par le projet de loi de finances pour 2013.
- Présidence de M. Patrice Gélard, vice-président. -