Intervention de Jean-Pierre Sueur

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 novembre 2012 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « immigration asile et intégration » « asile » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

Nous avons eu ce matin une intéressante discussion sur le rapport d'information de nos collègues Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa et les propositions qu'ils formulent pour améliorer notre procédure d'examen des demandes d'asile. Je partage très largement leurs observations et préconisations ; je ne reviendrai donc pas sur ce qui a été dit à ce sujet.

Avec 56 250 demandes formulées sur son territoire en 2011, notre pays est la première terre d'accueil des demandeurs d'asile en Europe, la seconde dans le monde après les États-Unis. Son expertise est reconnue. Enfin, grâce aux efforts budgétaires importants du précédent gouvernement - je n'ai aucune raison de ne pas les souligner -, les délais d'examen des demandes ont été réduits. Le présent projet de budget, qui propose une nouvelle augmentation de crédits au bénéfice de l'asile, permettra d'améliorer encore cette situation. Cet effort particulier est remarquable dans le contexte budgétaire actuel et je vous indique d'ores et déjà que je vous proposerai d'approuver ces crédits.

En effet, les crédits consacrés à la garantie de l'exercice du droit d'asile par le programme n°303 : « immigration et asile » augmenteront en 2013 de 22,5 % par rapport à ceux ouverts en 2012, passant de 408,91 millions d'euros à 501,13 millions d'euros. Si l'on tient compte également des crédits alloués à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) par le programme n°165 : « Conseil d'État et autres juridictions administratives », l'effort total consenti en faveur de la politique de l'asile s'élèvera en 2013 à 522,72 millions d'euros, soit une augmentation de 20,4 % par rapport à 2012. A cela s'ajoute une revalorisation de l'aide juridictionnelle devant la CNDA, portée par le programme n°101 : « accès au droit et à la justice », qui constitue une décision extrêmement attendue et importante afin de permettre à cette juridiction de fonctionner plus sereinement. J'y reviendrai dans un instant.

Je vous dirai avant cela quelques mots de l'évolution de la demande d'asile au cours des années récentes. Le nombre de demandeurs d'asile a beaucoup augmenté depuis 2008 : +19,9 % en 2008 par rapport à 2007, +11,9 % en 2009 par rapport à 2008, +10,6 % en 2010 par rapport à 2009. En 2011, une nouvelle hausse de 8,7 % a été enregistrée. Même si les crédits augmentent, la situation est donc loin d'être simple pour les services de l'État, les juridictions et les associations qui accompagnent les demandeurs d'asile.

En 2011, les dix principaux pays de provenance des demandeurs d'asile ont été le Bangladesh, la République démocratique du Congo - c'est sa dénomination-, l'Arménie, le Sri Lanka, la Fédération de Russie, la Chine, Haïti, le Kosovo, la Guinée et la Turquie. Un des faits majeurs de l'année 2011 a été l'augmentation de la demande arménienne (+107 %) qui a fait suite à l'annulation par le Conseil d'État, le 23 juillet 2010, de l'inscription de l'Arménie sur la liste des pays d'origine sûrs. Cela doit nous inciter à réfléchir à cette notion.

Ce projet de budget dénote un effort de sincérité budgétaire. J'insiste là-dessus, car il y a là une situation nouvelle. Pendant longtemps, les montants votés en loi de finances initiale n'avaient pas de rapport avec la réalité du nombre de demandeurs d'asile présents sur notre territoire. Par exemple, en 2010, 284,5 millions d'euros avaient été alloués à l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile ; la dépense réellement constatée s'est élevée à 419,8 millions d'euros. Même chose en 2011, où 293,3 millions d'euros avaient été prévus, et où la dépense s'est élevée en réalité à 491,4 millions d'euros. La loi de finances initiale pour 2012 avait déjà accompli un progrès dans le sens de la sincérité budgétaire, même si cela n'a pas été suffisant : 374,6 millions d'euros votés en loi de finances initiale, alors que la dépense sera, selon toute vraisemblance, de l'ordre de 495,1 millions d'euros. Ainsi, pendant toutes ces années, des rectifications sous plusieurs formes (décrets d'avances, loi de finances rectificative, etc.) ont dû intervenir pour combler le différentiel observé.

Le projet de loi de finances pour 2013 paraît pour sa part reposer sur des objectifs réalistes, ce qui constitue donc une rupture avec les tendances observées au cours des années passées. En effet, l'hébergement d'urgence se verrait attribuer 125 millions d'euros en 2013, soit 34 millions d'euros de plus que ce qu'avait prévu la loi de finances initiale pour 2012 ; l'allocation temporaire d'attente (ATA) se voit quant à elle attribuer 140 millions d'euros en 2013, soit 50 millions d'euros de plus par rapport au montant inscrit en loi de finances initiale pour 2012.

La réalisation de ces objectifs est toutefois subordonnée à la réalisation de trois conditions : d'une part, la stagnation du nombre de demandes constatée au cours du premier semestre 2012 doit se confirmer ; d'autre part, les mesures de « rationalisation » - j'utilise ce terme avec précaution - engagées par les pouvoirs publics s'agissant notamment de la gestion de l'hébergement d'urgence doivent parvenir à des résultats ; enfin et surtout, la diminution des délais d'examen des demandes et d'instruction des recours doit se confirmer. Or, en ce domaine, des progrès très significatifs ont été réalisés, en particulier par la CNDA. Devant l'OFPRA, les délais moyens sont passés de 145 jours en 2010 à 174 jours en 2011, et seront probablement de 150 jours en 2012. L'objectif est de parvenir à 125 jours en 2013 et à 100 jours en 2015. A la CNDA, nous sommes passés de 15 mois en 2010 à 8 mois en 2012, ce qui est remarquable.

Le projet de loi de finances pour 2013 sanctuarise la dotation allouée à l'OFPRA, dans un contexte général de déflation de la dépense publique. Il faut le souligner. Cela ne veut pas dire que l'OFPRA ne sera pas confronté à des difficultés l'année prochaine. En effet, le régime indemnitaire des agents de cet établissement a été revalorisé : c'est très bien pour les agents, mais cela pèsera naturellement sur le budget de l'Office ; en outre, les dépenses liées au frais d'interprétariat, en raison de l'entrée en vigueur d'un nouveau marché, vont fortement augmenter. Les tarifs ont en effet progressé de 40 à 60 % par rapport au précédent marché ! Pour faire face à ces deux postes de dépenses, l'Office devra donc faire appel à son fonds de roulement, à hauteur de 1,7 million d'euros. Cette situation devra être rapidement assainie, au risque de placer l'Office dans une situation délicate : l'an prochain, il ne sera pas possible de reconduire simplement les crédits de l'OFPRA.

Je dirai deux mots de la revalorisation du montant de l'aide juridictionnelle devant la CNDA. Celui-ci devrait être doublé. C'est très positif. Nous avons rappelé ce matin les problèmes liés au nombre insuffisant d'avocats plaidant devant la CNDA ; certains avocats ont même plusieurs centaines de dossiers ! La décision du gouvernement incitera davantage d'avocats à intervenir devant la Cour.

Enfin, je salue la décision prise par le gouvernement de créer 1 000 nouvelles places d'hébergement en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA).

Il y a donc de nombreux points positifs dans ce projet de budget. Je ne souhaite pas pour autant occulter les difficultés qui demeurent.

Avec 21 410 places, le dispositif des CADA est saturé et ne parvient à accueillir que 40 % des demandeurs d'asile éligibles. Par ailleurs, seulement 78,2 % des personnes hébergées en CADA sont des demandeurs d'asile en cours de procédure. 2,5 % sont des personnes qui ont déjà été reconnues réfugiées, et 8,5 % sont des personnes qui ont été déboutées de leur demande d'asile. Des dispositions réglementaires obligent ces deux catégories de personnes à quitter les CADA lorsque la procédure est terminée. Cela dépend toutefois de l'existence de solutions alternatives de logement. J'ai entendu plusieurs associations gestionnaires de CADA : elles soulignent toutes à quel point cette règle paraît inacceptable si la seule perspective qui s'offre aux personnes concernées est de devoir dormir dans la rue.

En outre, le dispositif des CADA est soumis à des objectifs de rationalisation et de maîtrise des coûts. Un objectif de réduction budgétaire de 8 % sur trois ans (2011-2013) a été posé. Le coût moyen d'une place, qui était de 26,20 euros par jour en 2010, sera ainsi porté à 24 euros par jour en 2013, sans que, pour autant, le cahier des charges de ces établissements n'ait été allégé. Il en résulte des difficultés pour les associations gestionnaires.

Je veux dire également quelques mots de l'ATA. Le montant de cette allocation est modeste : 11,17 euros par jour en 2013. Toutefois, l'enveloppe budgétaire qui lui est allouée ne tient pas compte de la plus récente jurisprudence relative à l'éligibilité des demandeurs d'asile à l'ATA. Je vous rappelle que, par deux arrêts datés du 16 juin 2008 et du 7 avril 2011, le Conseil d'État a jugé que les demandeurs d'asile en procédure prioritaire devaient pouvoir avoir accès à l'ATA ainsi qu'à un hébergement d'urgence jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA. Je ne reviens pas sur les difficultés que pose cette procédure dite « prioritaire », notamment au regard du droit au recours suspensif. Les conséquences budgétaires de ces décisions sont désormais intégrées dans l'enveloppe allouée à l'ATA par le projet de budget annuel. En revanche, ce dernier ne tient pas compte de la toute récente décision de la Cour de justice de l'Union européenne, qui, le 27 septembre 2012, a jugé que les demandeurs d'asile en attente de transfert dans un autre État membre au titre du mécanisme « Dublin II » devaient pouvoir bénéficier des mêmes conditions d'accueil que les autres demandeurs d'asile, jusqu'à leur transfert effectif dans l'État responsable de l'examen de leur demande. En séance, je demanderai donc au Gouvernement de clarifier sa position, car cette dépense doit être intégrée dans l'enveloppe budgétaire consacrée à l'ATA.

Je mentionnerai enfin rapidement les difficultés liées à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile : les places manquent.

Je terminerai en revenant rapidement sur notre discussion de ce matin sur les procédures prioritaires. Le placement en procédure prioritaire ne conduit pas toujours à un rejet. En 2011, l'OFPRA a accordé à 8,9 % des demandeurs d'asile placés en procédure prioritaire le bénéfice du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Ce taux passe même à 13,4 % si l'on retient les seules premières demandes d'asile n'ayant pas été formulées dans un centre de rétention administrative. En ce qui concerne la CNDA, en 2011, 10,2 % des recours concernaient des requérants en procédure prioritaire. Le taux d'annulation s'est élevé à 14,2 %. Au total, si je fais un calcul rapide, environ un demandeur sur cinq en procédure prioritaire se voit donc reconnaître le statut de réfugié. Cela invite à nous interroger sur ces procédures prioritaires, notamment sur la notion de pays d'origine sûr et sur l'absence de caractère suspensif du recours devant la CNDA. Je partage pleinement ce qu'ont dit nos collègues Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa ce matin et m'associe aux propositions de leur rapport d'information.

En conclusion, sans méconnaître les difficultés que je viens d'évoquer, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

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