Intervention de Valérie Létard

Commission des affaires économiques — Réunion du 14 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « recherche et enseignement supérieur » - examen du rapport pour avis

Photo de Valérie LétardValérie Létard, rapporteur pour avis :

Monsieur le Président, mes chers collègues, je vais vous présenter, pour la première fois, les crédits de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (MIRES). Je succède en cela à nos collègues Michel Houel et Marc Daunis et, en remontant un peu plus loin encore, à vous-même Monsieur le Président !

J'ai, pour préparer cet avis, procédé à une vingtaine d'auditions portant sur l'organisation générale de notre système de recherche. J'en ai retiré des éléments très intéressants, mais parfois inquiétants. Je vous les livrerai après vous avoir tout d'abord brièvement retracé l'évolution des crédits de la recherche dans projet de loi de finances pour 2013.

Le budget de la MIRES s'élève cette année à presque 25,6 milliards d'euros. C'est une enveloppe très importante, représentant la cinquième plus grosse dotation du budget de l'Etat. Dans le contexte très dégradé que l'on connaît, il faut reconnaître qu'elle est relativement préservée : elle augmente ainsi à la fois en autorisations d'engagement (+ 0,81 %) et en crédits de paiement (+ 2,16 %).

A bien y regarder toutefois, cette évolution n'est pas aussi favorable qu'elle n'y paraît. Tout d'abord, si l'on intègre l'inflation, aux alentours de 2 % cette année, l'enveloppe stagne en crédits de paiement, et régresse de plus de 1 % en autorisations d'engagement.

Ensuite, le programme « Recherche », qui nous intéresse particulièrement, bénéficie d'une moindre revalorisation (+ 1,2 %) que celle des programmes « Enseignement supérieur » (+ 2 %) et plus encore « Vie étudiante » (+ 7 %).

De plus, le sort des grands organismes de recherche est très variable. Certains, il est vrai, s'en sortent bien, tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) ou l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), dont les crédits augmentent de plus de 3 %. Mais pour d'autres, en revanche, les dotations publiques sont en baisse, ce qui les met en difficulté. C'est le cas du Centre national d'études spatiales (CNES), qui va perdre 64 millions d'euros sur trois ans, l'obligeant à réduire, reporter ou annuler des programmes pourtant stratégiques. C'est aussi le cas du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR). Quant à l'Institut français du pétrole - énergies nouvelles (IFP-EN), sa dotation est stabilisée mais comme ses ressources propres régressent, ses recettes totales baissent de 3 %.

Au-delà de ces évolutions annuelles, certaines tendances de fond sont inquiétantes.

Les financements issus de l'Europe, et plus précisément du 7ème programme-cadre de recherche et développement (PCRD), continuent de baisser : la France ne « récupère » plus que 11,2 % des crédits distribués, contre 18 % en 2000-2006, alors que nous finançons le programme à hauteur de 17 %. Nos équipes n'ont plus le temps ni les moyens de répondre à des appels à projets, européens et nationaux, qui se multiplient.

Par ailleurs, nous consacrons aujourd'hui 2,24 % de notre produit intérieur brut (PIB) à la recherche. Soit bien moins que l'objectif de 3 % fixé au sommet de Lisbonne en 2000. Et bien moins également que nos partenaires du Nord de l'Europe, dont la recherche privée atteint un tel niveau à elle toute seule.

J'en viens à présent à une analyse plus globale de l'organisation de notre recherche. Elle présente des faiblesses structurelles à corriger.

En premier lieu, elle fait intervenir une multitude d'acteurs, publics et privés, qui se sont accumulés au fil du temps : 82 universités, 9 établissements publics scientifiques et techniques (EPST), une quinzaine d'établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), 67 établissements publics administratifs, de nombreuses fondations... Plus personne aujourd'hui ne s'y retrouve ; tout le monde a été d'accord sur ce point. Manquent une vision d'ensemble et un chef de file. Le ministère de la recherche semble en avoir conscience, mais ses projets de rationalisation sont encore flous.

Par ailleurs, avec la bureaucratisation de la recherche et la multiplication des appels à projets, nos chercheurs passent presque plus de temps à remplir des dossiers administratifs qu'à exercer leur vrai métier. Un récent rapport de l'Académie des sciences parle d'eux comme de « simples éléments au sein d'une technostructure complexe au service d'elle-même ! ».

Une autre limite d'ordre général réside dans la faiblesse de la recherche privée par rapport à la recherche publique. Sur les 2,24 % de PIB alloués à la recherche, 1,4 % provient des entreprises, ce qui s'explique par la faiblesse de notre secteur industriel. C'est bien moins que la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Notre recherche est beaucoup trop « sous perfusion publique ». Le rapport Gallois, qui fait ce constat, propose d'orienter une partie de la commande publique vers des innovations ou des prototypes élaborés par des petites et moyennes entreprises (PME).

Par ailleurs, notre système hésite entre financements « récurrents », attribués directement à des équipes de recherche, et financements « sur projets ». Octroyés par l'Agence nationale de la recherche (ANR), ces derniers ont introduit une émulation entre chercheurs et permis d'orienter la recherche sur des thématiques stratégiques. C'est la logique des investissements d'avenir. Il semble toutefois que l'on soit arrivé au bout de l'exercice : « il n'existe pratiquement plus de moyens pour le financement des équipements collectifs, des infrastructures et des plateformes que l'ANR ne prend pas en charge », juge en effet l'Académie des sciences. Le projet de budget 2013 opère un rééquilibrage entre les deux types de financement, sans que l'on sache ce qu'il en sera à l'avenir ; or, il est nécessaire de maintenir des appels à projets structurants.

Enfin, dernière grande faiblesse, un transfert de technologie vers l'aval insuffisant. Nous cherchons beaucoup, mais nous innovons trop peu. Nos produits manquent donc de compétitivité par rapport à ceux d'autres pays, plus technologiques. Ils se vendent donc moins bien et moins cher, ce qu'a d'ailleurs très clairement souligné le rapport Gallois. Il nous faut donc réorienter une partie de notre effort de recherche et développement (R&D) vers le développement technologique, comme les Allemands. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso, a présenté une communication sur le sujet en conseil des ministres mercredi dernier ; elle a mis en place un groupe de travail dont les propositions, début 2013, devraient être reprises dans un projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche attendu vers le mois de mars.

Malgré toutes ces faiblesses, nous avons de remarquables instruments, qu'il faut pérenniser. Le programme des investissements d'avenir (PIA) mobilise près de 22 milliards d'euros, soit 62,5 % du total des crédits du « grand emprunt », pour l'enseignement supérieur et la recherche. 574 projets ont été sélectionnés sur les 1 660 déposés, au cours de deux vagues d'appels à projets. Le bilan qui vient d'en être fait est encourageant, tout en pointant les limites.

Les jurys internationaux ont fait un travail de sélection apprécié. Le pilotage par le commissaire général à l'investissement, dirigé désormais par M. Louis Gallois, a été efficace. Surtout, des équipes se sont formées pour répondre aux appels à projet et ont appris à travailler ensemble ; des synergies sont apparues et ont permis à de petites structures bien organisées de remporter certains de ces appels.

Pour ce qui est de la recherche, les actions Equipex, Idex et Labex devraient dessiner « un paysage fortement structuré » autour de « thématiques chef de file ». Cela permettra de répondre pour partie à la critique d'éclatement du paysage de la recherche que j'ai évoquée. Les instituts de recherche technologiques (IRT) s'appuient sur des pôles de compétitivité ; ils rassemblent les compétences de l'industrie et de la recherche publique dans une logique de co-investissement public-privé.

Quant aux sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT), elles devraient pallier l'insuffisante valorisation de la recherche publique et le manque de prise en compte de l'aval. On peut toutefois se demander dans quelle mesure il ne vaudrait pas mieux, plutôt que de créer systématiquement de telles structures nouvelles, utiliser celles qui existent déjà ou sont attendues et prévoir leur articulation : certains technopoles aujourd'hui, et certains IRT demain, peuvent assurer ce transfert de technologie. Il faudrait examiner les situations territoire par territoire.

Les pôles de compétitivité constituent par ailleurs un autre instrument précieux, et d'ailleurs étroitement lié aux investissements d'avenir. Beaucoup de pôles ont instruit les projets du PIA, les ont labellisés et les portent aujourd'hui. Après la première phase (2005-2009), la deuxième phase s'achève cette année sur une évaluation globalement positive, concluant à la pertinence d'une troisième phase. Une véritable « dynamique collaborative » s'est fait sentir. Le label « pôle de compétitivité » est bien inscrit dans le paysage de l'innovation. L'impact macro-économique est indéniable : 2 500 innovations, un millier de brevets, un accroissement des dépenses de R&D, de nombreux emplois maintenus ou créés ...

Quelques limites toutefois sont apparues : une concentration excessive sur la R&D au détriment de l'innovation technologique, déjà évoquée ; une coopération entre pôles d'un même secteur insuffisante ; un pilotage à revoir, en intégrant davantage les collectivités, notamment les régions et agglomérations participantes, comme ce devrait être le cas pour les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ; et aussi, à terme, un déficit de financement. Les dotations du Fonds unique interministériel (FUI) baissent en effet depuis 2008 ; le rapport Gallois l'a souligné et appelé à corriger cette évolution. Dans le même temps, les ressources propres des pôles doivent impérativement augmenter, pour réduire leur dépendance aux subventions publiques.

Enfin, dernier instrument d'orientation de la recherche dont je veux dire un mot, le crédit d'impôt recherche (CIR). Avec une enveloppe de 3,35 milliards d'euros dans le projet de loi de finances, rattaché au programme 172 de la MIRES, il constitue la deuxième dépense fiscale de l'État. Laquelle dépasse même les 5 milliards d'euros si l'on prend en compte la créance fiscale des entreprises proprement dite. Il s'agit d'un outil central pour asseoir sur notre territoire et développer la R&D des entreprises, y compris des plus petites ; toutes les études vont en ce sens, et toutes les personnes rencontrées l'ont confirmé.

Le Gouvernement s'est engagé, suite au rapport Gallois, à pérenniser le CIR durant le quinquennat, ce qui est une bonne chose. Il a par ailleurs décidé de l'élargir à l'innovation, et ce pour les seules PME. Devrait ainsi être créé un nouveau compartiment réservé aux entreprises indépendantes de moins de 250 salariés, dont le taux de déduction de dépenses serait de 20 % et le plafond de dépenses de 400 000 euros. C'est une bonne initiative. Il faudra toutefois veiller à ce que ce l'administration fiscale n'en ait pas une interprétation biaisée, consistant à rattacher les dépenses systématiquement à ce crédit d'impôt innovation, et non au CIR, plus coûteux pour l'État. Un gros travail de précision règlementaire est donc à effectuer, qui sera crucial pour établir la portée réelle de la mesure.

Au-delà, reste à faciliter l'usage de cet instrument fiscal par les PME, pour lesquelles il est encore source de complexité et d'insécurité juridique. J'ai identifié plusieurs pistes :

- rétablir la tolérance de versement anticipé du CIR. En effet, les entreprises ne peuvent demander le remboursement de leur créance qu'au dépôt de leur liasse fiscale, ce qui entraîne un décalage de trésorerie de 3 à 9 mois. Il serait donc souhaitable de revenir au dispositif déployé dans le cadre du « plan de relance », qui permettait le remboursement du CIR à compter du 2 janvier. Le risque de se voir opposer l'article 40 de la Constitution m'empêche de vous proposer un amendement sur ce point ; j'espère que le Gouvernement en prendra l'initiative ;

- élargir le périmètre des dépenses d'innovation éligibles au crédit d'impôt innovation sur la base des critères proposés par le manuel d'Oslo, qui est la référence internationale. Il est en effet primordial de soutenir non seulement les phases avales aux projets d'innovation, mais aussi les phases indispensables à tous les stades de leur développement, telles que les activités de marketing technologique ou de design. J'ai un premier amendement à vous soumettre sur ce point ;

- sécuriser les garanties offertes en cas de contrôle. Les sociétés bénéficiant du CIR sont en effet soumises à une vérification de l'administration fiscale et une expertise scientifique du ministère en charge de la recherche dépourvue de contradictoire. Il faut corriger ce point, et donner la possibilité aux entreprises de demander une contre-expertise en cas de désaccord. Je vous propose un second amendement sur ce point ;

- travailler, en associant l'ensemble des acteurs concernés, à une réglementation, ou du moins à une labellisation des sociétés de conseil. Si beaucoup sont sérieuses, d'autres en effet « vendent » à des très petites entreprises (TPE) ou des PME des solutions de défiscalisation « clefs en mains » ; or, elles se retournent contre leurs bénéficiaires lorsqu'elles sont irrégulières et donnent lieu à un redressement fiscal.

Voilà, Monsieur le Président, mes chers collègues, les analyses et propositions que m'ont inspirées cet avis « Recherche ». Pour conclure, il me reste à donner mon avis sur les crédits de la MIRES pour 2013. A titre d'élément positif, figure la préservation des crédits de la mission, dans un contexte budgétaire difficile, ainsi que la pérennisation du CIR assorti de la création d'un volet « innovation ». Mais d'un autre côté, le transfert important de crédits de l'ANR pour soutenir des dépenses récurrentes interpelle quant à l'avenir du financement sur projet : est-ce un rééquilibrage ponctuel ou une orientation plus durable ? De plus, certains organismes de recherche se trouvent dans une situation budgétaire difficile du fait de la stagnation ou de la baisse de leurs dotations publiques. Dans ces conditions, je m'abstiendrai sur le vote des crédits de la MIRES.

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