Intervention de Gérard Le Cam

Commission des affaires économiques — Réunion du 14 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Programme « pêche et aquaculture » de la mission « écologie développement et aménagement durables » - examen du rapport pour avis

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam, rapporteur pour avis :

La discussion des crédits de la pêche s'inscrit cette année dans un cadre tout à fait nouveau par rapport à l'année dernière.

Sur le plan institutionnel, la pêche a été détachée du portefeuille du ministre de l'agriculture, où elle évoluait depuis plusieurs années, pour relever désormais du ministre délégué chargé des transports et de la mer, placé auprès de la ministre de l'Écologie du développement durable et de l'énergie. En conséquence, la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA), qui assure le pilotage de la politique nationale de la pêche, s'intègre désormais au sein du pôle écologique de l'exécutif.

Sur le plan budgétaire, les crédits de la pêche ne relèvent plus du programme 154 de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » mais ont été transférés au sein du programme 205 intitulé « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » de la mission « Écologie, développement et aménagement durables ». Ils restent gérés par la DPMA mais s'intègrent dans une enveloppe de programme plus réduite (environ 200 millions d'euros contre 2 milliards pour le programme 154 en 2012), ce qui laissera moins de marges de manoeuvre de ces crédits en court d'exécution.

Trois points sont abordés successivement dans mon rapport : d'abord, le contexte économique et réglementaire dans lequel évolue la pêche française, marquée par un train particulièrement rapide et préoccupant de réformes de la politique commune de la pêche au niveau européen. Même si le paysage s'éclaircit, toutes les incertitudes ne sont pas encore levées en la matière. Ensuite, sont analysés les crédits budgétaires eux-mêmes, qui sont modestes, et reviennent à leur niveau d'avant le plan pour une pêche durable et responsable (PPDR) de 2008 dit « plan Barnier ». Ces crédits sont loin de représenter l'essentiel des dispositifs en faveur de la pêche et de l'aquaculture mais n'en sont pas pour autant négligeables. Enfin, sont évoqués les défis auxquels la pêche et l'aquaculture devront faire face dans les années futures.

Le contexte dans lequel s'inscrit ce budget est marqué par un double phénomène de faiblesse structurelle de la filière pêche en France et de nouvelles réformes européennes en cours, susceptibles de menacer la pérennité de l'activité de certaines pêcheries.

La France compte plus de 5 500 km de côtes, sans compter les rivages ultramarins sur lesquels il existe un véritable potentiel de développement de la pêche et de l'aquaculture, comme l'a rappelé la résolution européenne sur la pêche ultramarine adoptée par le Sénat en juillet dernier, sur le rapport de notre collègue Serge Larcher. On pourrait penser que cette réalité géographique aurait pour conséquence une flotte de pêche puissante et une activité de pêche dynamique. Or il n'en est rien. La pêche décline inexorablement en France depuis une vingtaine d'années. Notre flotte en métropole est passée de 6 593 navires en 1995 à 4 675 en 2011. Le nombre des navires de taille intermédiaire - de 12 à 24 mètres - a été divisé par deux sur la période. La pêche en France n'emploie plus qu'un peu moins de 23 000 marins (dont moins de 20 000 en métropole). Ce déclin a nécessairement des répercutions à terre, car l'économie du littoral en est encore dépendante.

Nos pêcheurs n'ont pas réellement profité de la demande croissante de poissons et produits de la mer provenant des consommateurs. Nous importons aujourd'hui presque 80 % de ce que nous consommons. Notre balance des échanges de produits de la pêche et de l'aquaculture est déficitaire à hauteur de 3,5 milliards d'euros en 2011. Plus grave : les prix de vente au kilo de poisson débarqué en criée restent remarquablement stables sur longue période : ce ne sont donc pas les pêcheurs qui ont profité de la hausse des prix à la consommation.

Or dans le même temps, la pêche reste extrêmement dépendante d'un outil technique vieillissant. Les navires ont une moyenne d'âge de 25 ans. Le carburant pèse énormément dans les comptes des embarcations : l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) estime la consommation moyenne des navires de pêche à 0,5 litres par kilo de poisson pêché. En moyenne, les navires consomment 50 000 litres par an.

Souffrant de faiblesses structurelles, la pêche française s'inscrit dans un cadre européen très contraignant, en pleine refonte aujourd'hui. Les propositions de règlements communautaires réformant la politique commune de la pêche (PCP) ont été présentées par la Commission européenne fin 2011. Le Sénat a d'ailleurs pris position sur ces textes dans une résolution européenne adoptée en juillet 2012, sur le rapport de notre collègue Bruno Retailleau, critiquant certaines des orientations choisies. Depuis, les négociations sur la future PCP évoluent favorablement à Bruxelles. La marchandisation des droits de pêche avec les concessions de pêches transférables (CPT) obligatoires est une voie abandonnée : chaque État devrait conserver la liberté de choisir son système de gestion des droits de pêche.

La réunion du Conseil des ministres chargés de la pêche de l'Union européenne du 15 juin 2012 a également permis d'assouplir le rythme d'atteinte du rendement maximum durable (RMD) à 2020 au plus tard lorsque 2015 n'est pas possible. L'interdiction des rejets a aussi été assouplie. Lors de la réunion du Conseil pêche du 23 octobre dernier, de nouvelles avancées ont été obtenues concernant le futur Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), appelé à remplacer le Fonds européen pour la pêche (FEP) à partir de 2014. Alors que la première mouture de la Commission était très restrictive, les États-membres de l'Union se sont accordés pour utiliser le Fonds pour financer des opérations de modernisation de la flotte de pêche - à capacité constante - poursuivre le financement européen des plans de sortie de flotte et aider à l'installation de jeunes pêcheurs.

Il n'en reste pas moins que les pêcheurs sont la variable d'ajustement des arbitrages rendus sur la pêche en Europe et subissent des décisions annuelles de modification de quotas parfois difficiles à accepter - 32 % de baisse sur le merlu, 55 % pour l'églefin en mer celtique, 29 % pour la sole du Golfe de Gascogne pour 2013.

La pêche en eaux profondes sera-t-elle la prochaine victime d'une approche très sévère de la gestion de la ressource retenue à Bruxelles ? La proposition de règlement visant à interdire la pêche des espèces de grands fonds au moyen de chaluts, présentée durant l'été 2012, inquiète à juste titre les pêcheurs de Boulogne ou de Lorient.

Le budget 2013 pour la pêche s'inscrit donc dans ce contexte, qui n'est pas celui d'une crise comme on l'avait connue en 2008, mais qui correspond davantage à un certain marasme.

L'enveloppe de la pêche pour 2013 revient à son étiage d'avant la crise de 2008, avec 52,2 millions d'euros en crédits de paiement (CP) et autorisations d'engagement (AE) proposés cette année, contre respectivement 58,3 et 60,5 millions d'euros d'inscrits dans le projet de loi de finances pour 2012, soit une baisse de 10 % en CP et 14 % en AE.

Cette enveloppe, modeste, est destinée à servir les différentes priorités de la politique nationale de la pêche, qui, elles, ne changent pas.

Environ 6 millions d'euros sont destinés à renforcer les connaissances scientifiques sur l'état des stocks halieutiques et à établir des statistiques, répondant ainsi à des exigences communautaires - enquête annuelle sur l'aquaculture, programmes d'observations scientifiques en mer, subvention à l'IFREMER, au Muséum national d'histoire naturelle et à l'Institut de recherche et de développement.

Environ 6 millions d'euros sont consacrés au contrôle des pêches, qui constitue aussi une obligation européenne. L'enveloppe pour le contrôle est moins importante qu'en 2012, du fait de la fin du programme d'équipement des navires en livres de bord électroniques pour enregistrer leurs prises. Il faut cependant garder à l'esprit que les crédits de la pêche sont loin de retracer l'ensemble des moyens consacrés au contrôle puisque, par exemple, les crédits des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) qui pilotent les moyens opérationnels de contrôle, relèvent d'un autre programme. Les insuffisances du contrôle des pêches ont par le passé conduit la France à être condamnée par la justice européenne pour non-respect des obligations communautaires, dans l'affaire dite des captures sous taille, pour un montant de plus de 70 millions d'euros. La Cour des Comptes a alerté le Gouvernement dans un référé au mois de juillet 2012 sur l'inadaptation du dispositif actuel de contrôle des pêches, qui souffrirait d'un défaut de pilotage et laisserait trop de place à des négociations avec la profession. Le Gouvernement ne partage pas les constatations de la Cour. Même si l'organisation du contrôle des pêches est perfectible, il insiste sur les progrès en la matière, qui amènent même la France à dépasser les objectifs fixés par les règlements européens.

La dotation à la caisse chômage avaries intempéries gérée par le Comité national des pêches est maintenue à 6,8 millions d'euros.

Enfin, plus de la moitié des crédits du budget pêche sont consacrés à des dépenses d'intervention économique, contreparties ou non des crédits européens : il s'agit des contrats bleus, qui sont soutenus à hauteur d'environ 10 millions d'euros, mais aussi des aides à la commercialisation ou encore à la modernisation de la flotte.

Parmi les crédits d'intervention, on note la baisse de ceux consacrés aux plans de sortie de flotte, qui passent de 11 millions en AE en 2012 à 7 millions en 2013 : il est probable que l'année 2013 verra la prolongation du plan de sortie de flotte pour les chalutiers en Méditerranée, compte tenu de l'état de la ressource halieutique, mais aussi l'ouverture d'un nouveau plan pour les navires de pêche à l'anguille en Méditerranée et pour la flotte de pêche du requin-taupe de l'Île d'Yeu.

Pour terminer le panorama des crédits proprement dits, on constate la relative faiblesse des crédits consacrés à l'aquaculture. Le programme de recherche sur la sélection génétique des huitres passe de 2 millions d'euros l'année dernière à 600 000 euros en 2013. Mais en matière d'aquaculture, le défi est moins budgétaire que physique : les schémas régionaux de développement de l'aquaculture marine (SRDAM) créés par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP) de 2010 devraient être achevés d'ici la fin 2012 et identifier des sites propices à cette activité, qui est balbutiante en France.

Enfin, il faut garder à l'esprit que les crédits nationaux, ramenés cette année à un étiage bas, du fait de l'achèvement du plan Barnier de 2008, ne constituent qu'une petite fraction des soutiens au secteur de la pêche. L'Europe à travers le FEP est un acteur essentiel pour aider le secteur, avec une enveloppe de 216 millions d'euros sur la période 2007-2013 pour la France. Sont également maintenus en 2013 des dispositifs fiscaux favorables comme l'exonération totale de taxe intérieure de consommation pour les navires de pêche. Enfin, depuis un an, émerge un acteur interprofessionnel nouveau puissant : France filière pêche (FFP). Alimentée à partir d'une contribution volontaire des distributeurs, garantie pour les cinq ans à venir à hauteur de 30 millions d'euros par an, l'action de FFP pourrait avoir un impact majeur pour moderniser la filière et valoriser auprès du consommateur les produits de la pêche française.

En dernier lieu, j'évoque les quatre défis que la pêche française devra relever dans les années à venir. Le premier défi est économique : notre flotte doit être modernisée et nos moteurs doivent être moins gourmands. L'organisation économique de la filière doit aussi être renforcée pour permettre aux pêcheurs d'avoir des prix rémunérateurs. C'est là où l'action conjuguée de l'État, de l'Europe et de la profession à travers FFP, est essentielle.

Le deuxième défi est environnemental : la Commission européenne y veille, mais l'échelon national a aussi son rôle à jouer pour faire évoluer les mentalités et faire respecter les règles collectives. Mais l'application des règles de préservation de la ressource ne doit pas se faire au mépris des réalités économiques et sociales : il faut, avant de prendre toute décision définitive, en étudier l'impact économique et social.

Le troisième défi est territorial : il est indispensable de maintenir une activité de pêche sur le littoral, car celle-ci participe à l'aménagement harmonieux du territoire. Ce défi territorial doit aussi être porté outre-mer où le potentiel de développement de la pêche et de l'aquaculture est gigantesque.

Enfin, le dernier défi est social : améliorer les conditions de travail des marins, qui restent très exposés aux risques d'accidents du travail, former les générations futures de pêcheurs et aider à l'installation : voilà ce qui garantira un avenir à nos ports de pêche.

En conclusion, je propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la pêche du projet de loi de finances pour 2013.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion