Intervention de Charles Revet

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 14 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « écologie développement et aménagement durables » transports maritimes - examen du rapport pour avis

Photo de Charles RevetCharles Revet, rapporteur pour avis :

Vous connaissez ma position, constante depuis tant d'années déjà : je ne me résous pas au déclin de l'activité maritime française en général, et du transport maritime en particulier. Nous disposons des plus beaux atouts en Europe de par nos façades maritimes, les transports maritimes n'ont pas cessé de progresser ces dernières décennies, mais nous faisons toujours moins ! Nous reculons dans un marché toujours plus grand, nos voisins européens nous dépassent et nous surpassent largement : je ne suis pas marin, mais ma fibre maritime ne peut accepter un tel recul, parce que je suis convaincu qu'il n'a rien d'inéluctable !

Je sais que je peux compter ici sur votre écoute, car nous partageons les mêmes objectifs : faire avancer notre pays sur les métiers et les technologies de demain, pour développer nos savoir-faire, notre emploi, dans un monde désormais soucieux de sobriété énergétique, à une époque où nous devons assurer la transition écologique de notre économie.

Il y a bien sûr de la politique dans tout cela, mais aussi un besoin de bon sens face aux réalités : le transport maritime achemine 90 % des marchandises que nous consommons ; nos ports sont mal reliés au chemin de fer et aux voies navigables, ce qui en bride le développement, alors même que les ports européens concurrents sont saturés ; nous avons des objectifs très élevés de report modal, nous ne les atteindrons pas sans utiliser mieux notre domaine maritime, qu'il s'agisse du transport ou de l'énergie ; nous avons encore des savoir-faire en matière maritime, qui sont méconnus, insuffisamment valorisés, mais qui représentent un atout considérable.

J'en viens aux chiffres de ce projet de budget.

Il y a d'abord les 142 millions d'euros du volet « sécurité et affaires maritimes » inscrits au programme 205. Ce programme est élargi à la pêche depuis cette année mais je ne vous parlerai pas de la pêche puisque ce secteur relève de la commission des affaires économiques.

A quoi iront ces 142 millions l'an prochain ?

Pour plus de moitié ces crédits compenseront les exonérations de charges patronales pour l'emploi de marins français sur les navires inscrits au registre international français, le RIF. Cette mesure de soutien à la flotte de commerce est indispensable : sans cette exonération, il est certain que le pavillon français reculerait encore plus, alors qu'il se maintient tant bien que mal en nombre de bateaux - pour les chiffres des trafics et des navires, je vous renvoie à mon rapport écrit.

L'autre moitié se répartira ainsi : 20 % iront aux actions de sécurité maritime proprement dite, c'est-à-dire aux moyens techniques des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS), des centres de sécurité des navires (CSN) et de la société nationale de sauvetage en mer (SNSM) ; 20 % iront à la formation des gens de mer et au soutien à l'emploi maritime, principalement à la nouvelle Ecole nationale supérieure maritime (ENSM), née en 2009 et toujours en cours d'installation ; les 10 % restant iront à des moyens techniques de soutien au programme.

Il y a ensuite, deuxième ensemble, la centaine de millions d'euros inscrits au programme 203 « Infrastructures et services de transports » et qui iront : pour une grosse moitié (soit 58 millions d'euros) à l'entretien des accès aux sept grands ports maritimes de métropole et aux quatre grands ports des départements d'outre mer : ce sont en particulier les travaux de dragage, que l'État est censé assumer à ses frais ; l'autre petite moitié de cette enveloppe, soit 45 millions d'euros, servira à cofinancer des infrastructures fluviales et portuaires.

Quels commentaires m'inspirent ces chiffres ?

Les crédits du volet « sécurité et affaires maritimes » reculent de 2 % en autorisations d'engagement et de 3 % en crédits de paiement : c'est une mauvaise nouvelle, même si le recul s'explique par celui des exonérations de charges pour le RIF, qui sont des dépenses de constat.

Le plus grave se situe du côté des investissements. Depuis 2008, des investissements ont été relancés dans nos grands ports maritimes : l'État y a mis 174 millions au titre du plan de relance portuaire, qui ont été inscrits dans les contrats de plan 2007-2013 ; puis l'État a encore ajouté, toujours sous la précédente législature, 50 millions grâce au plan de relance de l'économie. C'est peu dire que ces investissements étaient nécessaires ! Mais il faut continuer sur cette tendance ! Or, pour l'an prochain, le Gouvernement, ne prévoit d'autoriser que 45 millions d'investissements nouveaux : c'était 74 millions l'an passé, la chute est de 40 % !

Je déplore vivement ce recul de l'investissement dans nos grands ports, même si je sais bien que leur modernisation ne sert à rien sans leur désenclavement, et qu'il faut dépenser aussi hors de la circonscription portuaire pour relier mieux nos ports à la voie ferrée et aux fleuves. Les investissements de ces dernières années auraient-ils été suffisants, le temps serait-il venu de marquer une pause ? Je ne le crois pas, je suis même convaincu de l'inverse.

Pour ce fait majeur, je vous proposerai, mes chers collègues, et croyez bien que c'est par dépit, un avis négatif à ces crédits insuffisants.

J'aimerai, ensuite, attirer votre attention sur des sujets dont nous aurons à reparler l'an prochain à propos des transports maritimes.

Je crois nécessaire, tout d'abord, de parachever la réforme de nos grands ports maritimes. Je n'ai pas pu l'obtenir en 2008, je l'ai redit l'an passé dans un rapport d'information puis dans un débat en séance publique : il est grand temps de confier la gestion de nos grands ports maritimes aux collectivités et organismes économiques locaux. C'est même la condition nécessaire à ce qu'ils redémarrent vraiment ! Tous les ports qui réussissent en Europe sont entre les mains des autorités locales, même ceux qui sont restés propriété d'État, comme c'est le cas en Espagne. La réforme de 2008 représente un progrès, nous sommes parvenus à rendre la gouvernance portuaire un peu plus dynamique, davantage tournée vers le projet économique. Nous sommes également parvenus, certes péniblement, à mettre fin à une organisation du travail héritée d'un autre âge. Mais nous ne sommes pas allés assez loin, les responsables des ports n'ont pas les coudées assez franches, les décisions d'investissement doivent encore aujourd'hui attendre l'accord de l'administration centrale ; c'est un frein voire un blocage qui paralyse le développement de nos ports.

Il y a semble-t-il une légère amélioration de l'activité en 2012 : Marseille va lentement franchir la barre du million de conteneurs transités dans l'année, Le Havre les deux millions. Mais nos deux grands ports les mieux placés au sud et au nord de l'Europe restent largement derrière les autres grands ports européens. Comment se contenter d'une croissance si péniblement acquise lorsque la position géographique et les investissements récents nous font toucher du doigt des résultats deux fois, trois fois supérieurs ? Pourquoi se contenter de si peu, quand nos voisins, sur chacune de nos façades, font toujours mieux que nous ? Je vous rappelle qu'Anvers et Hambourg sont à dix millions et Rotterdam à 15 millions de conteneurs par an !

Un mouvement est en marche, on le voit en vallée de la Seine, avec un rapprochement des ports : comme en Allemagne, comme en Hollande, les ports veulent aller plus loin, assumer leur rôle véritable de « chef d'orchestre logistique ». Mais ils ont besoin de nous, et c'est par le développement de l'activité, par l'investissement que nous nous en sortirons « par le haut » !

Deuxième sujet d'importance : la compétitivité du pavillon français. Nous en avons débattu - trop peu, hélas ! - à l'occasion de la proposition de loi sur le cabotage maritime, que nous a présentée récemment Evelyne Didier.

C'est un sujet essentiel mais complexe, sur lequel nous devons avancer : c'est dans l'intérêt de nos emplois maritimes tous métiers confondus. Le sujet est complexe parce qu'il est économique, social et fiscal, parce que les règles sont souvent européennes mais nous avons des marges d'action. Ces marges d'action sont étroites, mais nous ne devons pas renoncer à les utiliser et nous devons le faire avec les parties prenantes : les marins et les gens de mer en général, les industriels, les autorités organisatrices de transports. Le RIF a été salutaire pour nos navires au long cours, il reste encore quelques améliorations à y apporter pour que nos navires naviguent à armes égales avec leurs concurrents européens. Nous devons trouver des moyens d'action contre la concurrence déloyale en matière de cabotage national, notamment avec les îles : c'est le sujet dont nous a parlé Evelyne Didier, il mérite toute notre attention.

Nous pourrions également améliorer la compétitivité du pavillon français en prenant deux mesures législatives qui me paraissent devenir urgentes :

- il nous faut actualiser la loi de 1992 sur la sécurité des approvisionnements énergétiques. Cette loi impose que les navires français transportent au moins 5 % du pétrole brut que nous raffinons. Or, à mesure que nos raffineries ferment, cette obligation perd sa raison d'être, à savoir que la France maîtrise ses approvisionnements « stratégiques » d'énergie. Il faut donc inclure dans cette obligation les produits raffinés, ainsi que le gaz liquide : nous rétablirons la maîtrise de cette « réserve stratégique » et nous ferons du bien à notre pavillon national ;

- il nous faudra débattre également pour savoir si, devant le risque grandissant de la piraterie maritime, nous autorisons ou pas l'embarquement de gardes armés à bord de nos navires marchands. D'autres pays ne s'en privent pas, notamment la Grande-Bretagne, dont le pavillon est déjà bien plus compétitif que le nôtre. Nous avons choisi le recours à la Marine nationale, mais elle n'est pas suffisamment disponible. Les risques changent vite en la matière, nous devons être réactifs, c'est aussi un critère de compétitivité de notre pavillon.

Mon rapport pour avis comporte encore d'autres pistes, notamment en matière d'enseignement maritime, dont je suis sûr que nous aurons à reparler.

En conséquence, je vous invite à donner un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.

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