Intervention de Renée Nicoux

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » - examen du rapport pour avis

Photo de Renée NicouxRenée Nicoux, rapporteur pour avis :

C'est la deuxième fois que j'ai l'honneur de vous présenter mon rapport sur cette mission, avec seulement un co-rapporteur contre quatre l'année dernière. Mais depuis, notre Commission a été coupée en deux. Je me réjouis que l'agriculture et la forêt soient restées du domaine de la commission des affaires économiques. Même si l'on parle de plus en plus de verdissement des politiques agricoles, élément majeur de l'actuelle réforme de la politique agricole commune (PAC), l'objectif de l'agriculture reste de produire pour nourrir.

J'aborderai successivement cinq points dans ma présentation : d'abord les équilibres généraux du budget, pour constater que les crédits nationaux à l'agriculture ainsi que les principaux dispositifs fiscaux de soutien sont préservés, malgré un contexte très délicat pour les finances publiques. Ensuite l'enjeu de compétitivité, en présentant les modifications proposées au dispositif d'allègement de charges pour les travailleurs saisonniers. Puis l'élevage, qui traverse des difficultés persistantes, auxquelles l'exécutif propose de répondre par un nouveau plan d'action, dont les grandes lignes ont été dévoilées en septembre à Rennes par le Président de la République. Ensuite, je mettrai l'accent sur le haut niveau de sécurité sanitaire de l'alimentation qui caractérise notre pays, et qui reste une priorité dans le budget 2013. Enfin, je terminerai par un bilan du plan Ecophyto 2018, car le changement de notre mode de production vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement est une longue bataille, qui doit être menée sans faiblir et avec les agriculteurs.

Mon premier point concerne donc les équilibres généraux du budget. L'année 2013 ne sera pas celle d'une rupture budgétaire, même si l'on enregistre une baisse globale des crédits de la mission. Je remarque tout d'abord une légère évolution du périmètre de la mission qui a perdu la pêche : les crédits d'intervention de la pêche du programme 154 de la mission « Agriculture » ont été transférés au programme 205 de la mission « Écologie » pour 60 millions d'euros. De même, les crédits de la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) sont sortis du programme 215 pour être affectés à la mission « Écologie ». En dehors de ces effets de périmètre, la baisse des crédits de la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales représente 9,5 % en crédits de paiement (CP) et 10 % en autorisation d'engagement (AE). Mais attention aux effets d'optique : dans ce total figurent 210 millions d'euros de crédits qui devaient servir à financer des exonérations de charges pour le travail agricole permanent. Or cette mesure, incompatible avec le droit communautaire, n'a jamais pu être mise en oeuvre par le précédent Gouvernement. Lorsqu'on ne la prend pas en compte, la baisse de crédits ne représente que 4 % en CP et 4,6 % en AE. Enfin, un constat permet aussi de modérer le jugement sévère que l'on pourrait avoir à la lecture des crédits de l'agriculture : les programmes « Enseignement technique agricole » et « Enseignement supérieur et la recherche agricoles », qui figurent au sein d'autres missions du budget de l'État, s'inscrivent eux en hausse sensible de 1,5 % en CP et 6,1 % en AE, limitant ainsi la baisse du budget global pour l'agriculture à 2,3 % en CP et 1,2 % en AE. Le budget du ministère de l'agriculture contribue donc à l'effort de redressement des finances publiques mais sans que cela constitue une saignée. Cet effort s'inscrit au demeurant dans la trajectoire de réduction des déficits publics définie par le projet de loi de programmation des finances publiques, qui fait passer le plafond de la mission agriculture, hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions », de 3,47 milliards d'euros en 2012, à 3,1 milliards en 2013, 3 milliards en 2014 et 2,92 milliards en 2015.

C'est le programme 154 qui supporte l'essentiel de l'ajustement. Accueillant en son sein l'ensemble des dispositifs d'intervention du ministère en faveur de l'agriculture, il voit son enveloppe globale réduite de 5,6 % en CP déduction faite de la mesure d'allègement de charges sur le travail permanent. Les réductions ont été opérées avec discernement. J'en veux pour preuve les crédits consacrés à l'installation : les lignes budgétaires sont certes réduites, mais permettent de répondre aux besoins résultant du rythme actuel d'installation des jeunes agriculteurs. Le programme 149 sur la forêt est également mis à contribution, avec une baisse de 12 % des CP. En revanche, je salue le travail effectué sur les crédits de fonctionnement du ministère et des opérateurs du ministère : bien sûr, la contrainte budgétaire pèse sur le ministère et sur les organismes publics financés par l'État. Mais contrairement à une pratique que l'on avait pu connaître par le passé, cela ne se fait pas de manière aveugle et automatique. Le programme 205 qui accueille les principaux crédits de fonctionnement du ministère de l'agriculture baisse de 1,5 % en CP, ce qui est conforme à la norme de construction du budget 2013 pour les dépenses de fonctionnement. Les opérateurs sont dotés en fonction de leur situation financière réelle : ainsi l'Office national des forêts, en grande difficultés, n'est pas ponctionné. De même, FranceAgriMer connaît une augmentation de sa subvention pour charge de service public de près de 9 millions d'euros, afin de correspondre au coût de l'intégration du personnel des offices agricoles suite aux différentes fusions intervenues ces dernières années. Enfin, le programme 206, accueillant les crédits de fonctionnement mais aussi d'intervention consacrés à la sécurité sanitaire, est en augmentation.

La fiscalité agricole ne connaît pas de bouleversement majeur, avec le maintien d'un régime favorable en matière de carburants. Le ministre Stéphane Le Foll a d'ailleurs annoncé que le remboursement partiel de taxe intérieure de consommation serait prorogé dans le cadre de la loi de finances rectificative. Les autre soutiens fiscaux, à l'agriculture biologique, aux coopératives, ou encore l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties sont maintenus. Il en va de même du traitement fiscal des biocarburants, dont toute modification trop hâtive pourrait menacer l'équilibre de la filière de production du colza. Il ne faudra cependant pas escamoter le débat à l'avenir sur le bon réglage de la fiscalité sur les biocarburants.

Mon deuxième point concerne la compétitivité de l'agriculture. Cette notion n'est absolument pas absente du budget. C'est d'autant plus nécessaire que la politique agricole commune (PAC) régule de moins en moins et que la concurrence est féroce sur de nombreux segments de l'activité agricole. Ce souci de compétitivité explique que le dispositif d'exonération de charges pour les travailleurs occasionnels (DE-TO) ait été maintenu dans le budget 2013. Des crédits à hauteur de 488 millions d'euros sont reconduits cette année pour compenser la perte de recettes que représente cette exonération pour la mutualité sociale agricole (MSA). Les crédits sont conservés mais le dispositif a dû être recentré avec l'article 60 du projet de loi de finances, car il coûte aujourd'hui bien plus que les 488 millions d'euros prévus. On peut d'ailleurs s'interroger a posteriori sur la sincérité des inscriptions budgétaires effectuées en 2012. Si l'on ne fait rien, cette exonération coûtera à l'État 590 millions d'euros en 2013, soit 100 millions de plus que ce qui est inscrit au budget, avec le risque d'accumuler une dette vis-à-vis de la MSA. D'où la volonté du Gouvernement d'un recentrage sur les bas salaires, en ramenant le seuil d'exonération totale de 2,5 SMIC à 1,25 SMIC et le seuil à partir duquel il n'y a plus d'exonération de 3 SMIC à 1,5 SMIC. Le ministre Stéphane Le Foll nous a assuré au cours de son audition devant notre commission que les heures supplémentaires étaient neutralisées dans le mode de calcul de l'exonération. Il a rappelé qu'elles bénéficiaient d'un dispositif spécifique d'exonération pour les entreprises de moins de 20 salariés. Ces précisions permettent de lever certaines craintes sur les effets du recentrage du dispositif, exprimées par les professionnels. Pour autant, les bornes retenues nous paraissent encore très sévères et je vous proposerai d'adopter un amendement les portant à 1,5 SMIC pour l'exonération totale, avec une dégressivité rapide amenant l'exonération à être annulée à 1,7 SMIC.

Au-delà de l'aspect relatif au coût du travail, la compétitivité de l'agriculture suppose qu'on recherche des débouchés pour des produits de qualité. Les moyens croissants consacrés à la politique de l'alimentation - plus de 4 millions d'euros pour 2013 - attestent que cela reste une priorité du Gouvernement. Le maintien des aides à la production biologique vise aussi à construire une filière compétitive, capable de répondre à la demande croissante de produits biologiques. Enfin, la recherche de compétitivité nécessite une transformation de nos modes de production pour les renforcer face aux risques économiques et environnementaux liés à l'activité agricole. Saluons la mise en oeuvre, cette année, pour la première fois, d'un soutien aux fonds de mutualisation. Prévus dans le cadre du bilan de santé de la PAC, ces fonds n'avaient pas encore pu connaître un début d'application. Au même titre que l'assurance, ils contribuent à la sécurisation des revenus des agriculteurs.

J'en viens à mon troisième point : la ferme France ne peut pas être appréhendée comme un ensemble homogène. Il existe de vraies disparités de situations selon les régions, selon les types d'exploitation, selon les spécialisations de celles-ci. Aujourd'hui, même si les prix du lait se sont redressés depuis la crise de 2009, même si les prix de la viande bovine se sont redressés depuis dix-huit mois, l'élevage reste fragile en France, alors même qu'il occupe plus d'un agriculteur sur deux. La cause de cette situation réside principalement dans la hausse des coûts de l'alimentation animale, qui pèse dans les comptes d'exploitation. Cela vaut aussi pour les élevages spécialisés que ce soit de poulets et dindes ou encore de porcs.

La mise en place d'un Fonds de modernisation céréaliers-éleveurs devant être alimenté par des contributions volontaires, et visant à aider les éleveurs à moderniser leurs exploitations, va dans le bon sens, mais la réussite d'une telle initiative purement privée et volontaire est aujourd'hui loin d'être garantie.

En revanche, le Gouvernement fait l'effort dans le budget qui nous est présenté de maintenir les principaux dispositifs de soutiens à l'élevage, qui sont loin d'être anecdotiques : la prime nationale supplémentaire à la vache allaitante (PNSVA), qui complète la prime européenne, est dotée de 165 millions d'euros en 2013 ; l'indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN) est également dotée de 248 millions d'euros de crédits nationaux en 2013, comme en 2012 ; l'élevage continue également de bénéficier de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE), avec près de 55 millions d'euros de crédits. Les crédits européens redéployés dans le cadre du bilan de santé de la PAC en faveur de l'élevage sont également conservés, et représentent 100 millions d'euros par an. Au total, aides nationales et européennes confondues, l'élevage est destinataire d'un peu plus de 5 milliards d'euros de soutiens publics, hors fiscalité.

Je me permettrai cependant d'apporter deux bémols à ce tableau favorable. D'une part les crédits d'intervention de FranceAgrimer - qui ne concernent d'ailleurs pas uniquement l'élevage mais l'ensemble des filières agricoles - sont amputés d'une quarantaine de millions avec la fin des plans stratégiques de filières, et tombent en 2013 à un étiage extrêmement bas situé à 97 millions d'euros. Le Gouvernement a indiqué qu'il envisageait de demander exceptionnellement à FranceAgrimer de puiser dans sa trésorerie environ 20 millions, mais il n'est pas certain que cela soit possible. Entre 8 et 10 millions pourraient éventuellement être trouvés. Et en tout état de cause, l'exercice ne pourra se reproduire sur les prochains exercices. D'autre part, il est inquiétant de constater que le plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE) voit ses crédits de paiements réduits de 35 à 30 millions d'euros, et que l'enveloppe d'autorisation d'engagement est divisée par deux, de 30 à 15 millions d'euros. Lors de son audition devant notre commission, le ministre Stéphane Le Foll nous a en partie rassuré en indiquant que l'enveloppe serait fongible avec celle consacrée au plan de performance énergétique (PPE), qui elle, augmente fortement, mais nous devrons rester vigilants sur l'utilisation de ces crédits. Pour finir sur l'élevage, je me réjouis que le crédit d'impôt remplacement ait été prolongé au-delà de 2012 par un amendement adopté à l'Assemblée nationale.

Les crédits consacrés à la sécurité sanitaire s'inscrivent en hausse de 3,86 %. Cela traduit un choix politique : faire de la sécurité sanitaire de l'alimentation et de la production alimentaire une priorité. L'excellence sanitaire est en effet un atout économique, notamment pour la conquête de marchés à l'export où ce facteur est fondamental. Le bras armé de cette excellence est la direction générale de l'alimentation (DGAL). Après plusieurs années d'efforts importants de rationalisation, d'optimisation de ses moyens de fonctionnement, ses crédits connaissent une augmentation de l'ordre de 12 millions d'euros - sur un total de 283 millions - ce qui, cependant, ne permettra pas encore de stabiliser les effectifs. Le schéma d'emplois prévoit encore une baisse de 97 postes. Les crédits relatifs à la prévention et à la gestion des risques sur le végétal sont maintenus à hauteur de 20 millions d'euros. Ceux qui concernent les risques sur le secteur animal augmentent en revanche, passant de 105 à 110 millions d'euros. Cela s'explique d'abord par la nécessité de compenser la baisse des crédits européens en matière de lutte contre la fièvre catarrhale ovine (FCO), qui est sous contrôle mais pas encore éradiquée. Cela s'explique aussi par l'impératif de lutte contre la tuberculose bovine, menace réelle et sérieuse dans plusieurs départements. Conserver le statut « indemne » pour la France constitue un enjeu majeur, afin de préserver nos capacités d'export en vif, qui représentent 1 million de têtes de bétail par an dans la filière bovine.

Le programme 206 porte aussi les crédits destinés à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Alors qu'elle est de plus en plus sollicitée, notamment dans le cadre de la révision des évaluations de produits phytopharmaceutiques, qu'elle est appelée à donner son avis à la suite d'alertes sanitaires, comme il y a quelques semaines en évaluant l'étude du Pr Séralini sur les risques liés à une consommation combinée de maïs génétiquement modifié et de résidus de pesticides à forte dose, l'ANSES voit malheureusement sa subvention pour charges de service public baisser de 3 millions d'euros. Si elle estime pouvoir faire face à une telle baisse, notamment en rationalisant son réseau de laboratoires de référence, la prolongation d'une telle logique de réduction de moyens obligera à faire des choix et abandonner des domaines d'expertise. Il apparait que les délais importants que l'ANSES peut demander pour effectuer certaines missions d'évaluation proviennent de son absence de capacité à recruter, alors qu'il existe des financements. Les emplois au-delà du plafond d'emplois permanents, fixés par la loi de finances, font également l'objet d'un plafonnement, imposé par la pratique du ministère des Finances. Il serait souhaitable d'assouplir ce second plafond, dès lors que des recettes existent. Un amendement qui permet d'augmenter les droits perçus par l'Agence lors de dépôts de dossiers concernant les produits phytopharmaceutiques, pour augmenter ces recettes, sera d'ailleurs proposé.

Je termine par le plan Ecophyto 2018 : lancé en 2008, il arrive prochainement à mi-parcours. Comme l'a montré le rapport de notre collègue Nicole Bonnefoy, rapporteur de la mission sénatoriale d'information sur le lien entre pesticides et santé, et comme l'a confirmé le bilan présenté au comité national d'orientation et de suivi du plan le 9 octobre dernier au ministère de l'agriculture, le rythme de réduction de l'usage de pesticides est assez faible. Cette année a même été marquée par une hausse de l'utilisation de fongicides, compte tenu de la situation climatique. Les moyens du plan reposent très peu sur le budget de l'État. La source principale de financement est désormais constituée d'un prélèvement de 41 millions d'euros sur le produit de la redevance pour pollution diffuse affectée à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques. Pour accélérer la mise en oeuvre du plan Ecophyto 2018, et notamment permettre à davantage d'agriculteurs de suivre la formation au certiphyto, je vous proposerai un amendement visant à augmenter les différents taux de la redevance, de l'ordre de 20 %, et d'affecter le produit de ces recettes supplémentaires au plan Ecophyto 2018 en relevant le prélèvement mentionné précédemment. Ecophyto 2018 constitue une stratégie nationale qui doit contribuer à la transformation de l'agriculture française, et qui trouvera son expression dans la future loi agricole annoncée par le ministre de l'agriculture lors de son audition devant notre commission.

Pour conclure, je propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission : « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion