Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 20 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « culture » crédits du cinéma - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis sur les crédits « Cinéma » :

Le secteur du cinéma, et surtout le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), ont fait couler beaucoup d'encre cette année. Je commencerai par quelques bonnes nouvelles avant d'évoquer la délicate question du financement du CNC, ainsi que quelques autres sujets d'actualité.

Quelles sont ces bonnes nouvelles ?

- la production cinématographique bat un nouveau record historique : avec 272 films agréés en 2011 (4,2 % de plus qu'en 2010) ;

- la fréquentation des salles : un nouveau record aussi, en 2011. Pour la quatrième année consécutive, le seuil des 200 millions a été franchi, avec 216 millions de spectateurs. Néanmoins, 2012 devrait être une année un peu moins favorable ;

- la part du cinéma français s'accroît : elle est de 40,9 % en 2011, même si l'effet du film Intouchables contribue à expliquer cette performance ;

- le nombre de salles se stabilise (à 5 464), essentiellement en raison du développement des multiplexes. Les investissements des exploitants (en termes de confort, d'accès, de numérisation...) concourent à renforcer l'attractivité des salles et, par conséquent, leur fréquentation.

En revanche, le nombre d'exploitations continue à diminuer. C'est pourquoi nous devons être particulièrement attentifs au soutien à la modernisation des petites exploitations, notamment classées « art et essai ». A cet égard, en tant que membre du comité de suivi parlementaire chargé d'évaluer l'application de la loi du 30 septembre 2010 relative à l'équipement numérique des salles, je suis satisfait de son bilan. 86,3 % des établissements cinématographiques français et 8 salles sur 10 sont désormais numérisés. Si quelques difficultés ont pu être exprimées, les négociations entre distributeurs et exploitants ont néanmoins été facilitées par les recommandations de bonnes pratiques émises par le comité professionnel de concertation instauré par la loi.

Cinenum, le dispositif du CNC d'aide à la numérisation des salles n'étant pas susceptibles de recueillir suffisamment de contributions des distributeurs pour financer leur transition, fonctionne de façon satisfaisante. Au total, le CNC a déjà soutenu la numérisation de près de 1 000 écrans répartis dans environ 750 établissements. A terme, près de 1 800 écrans, répartis dans plus de 1 200 établissements, auront eu recours à l'aide du CNC et à celles des collectivités territoriales pour pouvoir faire face à cette révolution.

Depuis juin 2012, le dispositif est ouvert aux salles dites « peu actives » (organisant moins de cinq séances hebdomadaires), c'est-à-dire aux salles saisonnières et aux salles rurales. Le cas spécifique des 131 cinémas itinérants est aussi en voie de résolution. Il a été difficile de trouver un équipement de projection adapté à leurs spécificités et contraintes. C'est chose faite. Le CNC va désormais soutenir, pour chaque circuit, autant de projecteurs numériques que de projecteurs 35 millimètres utilisés, dans la limite de quatre par circuit. Je m'en réjouis car les circuits itinérants constituaient jusqu'ici en quelque sorte le talon d'Achille du dispositif d'aide. Or, s'ils ne représentent qu'une faible part de la fréquentation cinématographique annuelle, ils jouent un rôle indispensable d'aménagement culturel du territoire. Je suis moins optimiste s'agissant de la numérisation des films de patrimoine. En effet, le CNC pourrait être contraint de « réduire la voilure » du plan initialement envisagé. En effet, un prélèvement exceptionnel de 150 millions d'euros sera opéré sur son fonds de roulement en 2013, afin qu'il contribue à la maîtrise des finances publiques. Toutefois, ce fonds comporte une « réserve numérique » dédiée pour partie au plan de numérisation des oeuvres. Cette réserve sera donc entamée. Par conséquent, le calendrier et l'ampleur du plan de numérisation devront être révisés. Or l'inventaire, la restauration puis la numérisation des films sont importants pour plusieurs raisons. J'y vois :

- un enjeu patrimonial : il s'agit de sauver dès que possible des oeuvres souvent en mauvais état ;

- un enjeu économique, social et culturel : il s'agit de contribuer à l'activité d'industries techniques fragilisées par la révolution numérique, et donc aussi de maintenir des compétences nécessaires en leur sein. On risque sinon de voir la filière chimique disparaître et des entreprises fermer, avec parfois d'ailleurs les bobines de films qu'elles détiennent ;

- enfin, je souligne l'enjeu en termes de développement de l'offre légale en ligne.

Quid de l'évolution des ressources du CNC ? Je vous rappelle qu'elles proviennent pour l'essentiel du produit de taxes affectées, prélevées sur les diffuseurs de films - exploitants de cinéma, chaînes de télévision, fournisseurs d'accès à Internet, diffuseurs de vidéo...- en vue d'alimenter le compte de soutien aux professionnels du secteur. Ces taxes ont été créées et adaptées (dans leur assiette et leur taux) au fur et à mesure des évolutions technologiques et des marchés concernés, et encore l'an dernier pour ce qui concerne le volet « distributeurs » de la taxe sur les services de télévision (la TST).

Cette réforme avait pour but de mettre fin à des comportements d'optimisation fiscale tendant à contourner le dispositif. L'objectif était donc de sécuriser cette taxe, tout en modérant son rendement très dynamique. Elle a été notifiée à la Commission européenne mais celle-ci s'est interrogée sur sa compatibilité avec le « paquet télécoms ». Commission et Gouvernement n'ont pas pu trouver d'accord, alors que le délai de négociation arrivait à échéance le 21 octobre 2012, après deux prorogations. Il a donc été décidé de retirer la notification en cours et de proposer un nouveau texte dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2013. La nouvelle taxe doit renforcer le lien avec l'activité audiovisuelle du distributeur et prévoir, à cette fin, un abattement tenant compte de sa densité audiovisuelle, afin de ne pas encourir les critiques de Bruxelles. Nous serons donc attentifs au projet qui sera soumis au Parlement en décembre.

Le CNC a fait l'objet de deux rapports d'audit sévères, l'un de l'Inspection générale des finances (IGF), l'autre de la Cour des comptes. Dans son rapport sur les agences de l'État de septembre 2012, l'Inspection estime que : « le statut atypique du centre, qui cumule à la fois le statut d'établissement public et celui d'administration centrale, crée une situation dans laquelle les grandes orientations de la politique en faveur du cinéma, impulsées par le CNC, ne peuvent être réellement discutées et contre-expertisées au sein de l'État. »

Dans son rapport sur la gestion et le financement du CNC entre 2007 et 2011, demandé par notre commission des finances et présenté le 3 octobre dernier, la Cour des comptes critique les instruments d'évaluation des actions menées par le CNC ainsi que son système de financement. Elle souligne « la faiblesse de la démarche d'évaluation conduite par le CNC quant à la performance de ces dispositifs d'aides », notant que « l'augmentation du nombre de films produits ne saurait constituer le seul critère d'analyse de la réussite du soutien public ». La Cour des comptes recommande le passage d'un dispositif de pilotage autonome par la recette à un pilotage par la dépense, dans le cadre d'une concertation entre l'État et son opérateur. Ceci suppose une hiérarchisation préalable et aussi précise que possible des besoins du CNC.

S'il est sans doute perfectible, notre système a aussi bien des mérites. Il est performant. Certaines améliorations peuvent être nécessaires mais il faut encourager les systèmes qui marchent bien. Il me semble que toute réforme devra consolider un dispositif à la fois efficace, cohérent et vertueux de soutien public au cinéma, dont il conviendra en effet d'assurer les moyens d'un meilleur suivi. De quoi conforter, et réconforter, le CNC !

J'évoque par ailleurs, dans mon rapport écrit, d'autres sources de financement public en faveur du cinéma :

- les aides des régions, essentielles pour soutenir la diversité de la création ;

- les sociétés pour le financement du cinéma et de l'audiovisuel (SOFICA), qui contribuent au financement de près de la moitié des films agréés et dont l'efficacité a été soulignée par l'IGF. Depuis deux ans, les « coups de rabot » ont réduit cependant l'avantage fiscal de 48 % à 36 %, limitant la rentabilité de cet investissement.

J'ajoute qu'un amendement du rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, adopté à l'article 56 du projet de loi de finances (PLF), contre l'avis du Gouvernement (et contre celui du président de la commission des affaires culturelles), n'emporte pas mon adhésion. Il tend à soumettre les SOFICA à un plafonnement global de 18 000 euros et 4 % du revenu imposable, à l'instar des investissements en outre-mer du dispositif Girardin. Le risque serait de faire entrer ces deux dispositifs dans une concurrence peu avantageuse pour les SOFICA. C'est pourquoi, je vous proposerai d'adopter un amendement tendant à revenir au projet de loi de finances initial sur ce point et, par conséquent, d'exclure les SOFICA du plafonnement des dépenses fiscales, sachant que le montant maximal déductible à ce titre par un contribuable est en tout état de cause fixé à 6 480 euros ;

- j'évoque aussi dans mon rapport écrit les crédits d'impôt, national et international, à la production cinématographique, qui favorisent la localisation des tournages sur notre territoire. Ils sont devenus beaucoup moins attractifs que certains autres pays voisins et méritent d'être renforcés. Je l'avais déjà souligné l'an dernier. Je suis donc satisfait de l'inscription, dans le Pacte pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, présenté par le Premier ministre le 6 novembre 2012, de mesures destinées à « renforcer l'attractivité du territoire en matière de tournages de films et de productions audiovisuelles ». Je propose de demander à la ministre des précisions sur les projets de réformes en cours dans ces domaines ;

- je m'inquiète en revanche des annonces du Gouvernement concernant la TVA. Le secteur cinématographique, en particulier les salles, sera en effet impacté si la hausse du taux intermédiaire de TVA s'appliquait à lui. Alors que le livre et le spectacle vivant seront soumis au taux de 5 %, le cinéma subirait une TVA de 10 % ! Or le cinéma fait tout autant partie du secteur culturel que le livre ou le spectacle vivant. Il serait très dommageable que cette mesure, alourdissant de manière conséquente les dépenses des consommateurs, provoque une rupture d'égalité de l'accès de tous à la culture, principe auquel nous sommes tous fortement attachés.

Ne pouvant prolonger davantage mon propos, je vous renvoie à mon rapport écrit qui présente un bilan d'activité de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). L'impact de la réponse graduée m'apparaît positif, même si nous savons que certaines pratiques permettent de contourner la loi. Ces avancées en termes de pédagogie méritent néanmoins d'être saluées.

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