Intervention de Jacques Legendre

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 novembre 2012 : 3ème réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « médias livre et industries culturelles » programmes « livre et des industries culturelles » et « audiovisuel extérieur » - examen des rapports pour avis

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre, rapporteur pour avis sur les crédits du programme « livre et industries culturelles » :

Le budget 2013 s'inscrit dans une perspective pluriannuelle de baisse drastique de 31,2 % des crédits de la Mission « Médias, livre et industries culturelles » entre 2012 et 2015. Or, les secteurs du livre et des industries culturelles, particulièrement impactés par la révolution numérique, nécessitent un accompagnement et un soutien confortés. Je ne vous cache donc pas mon inquiétude.

Le programme 334 comprend deux actions :

- la première : « Livre et culture », représente 95,2 % des crédits ;

- la seconde est dédiée aux industries culturelles, avec 4,8 % des crédits.

Quid des crédits et de la politique du livre et de la lecture ?

A 248,1 millions d'euros, les autorisations d'engagement progresseront de 0,2 % ; les crédits de paiement, de 255,5 millions d'euros, baisseront de 2,95 %, en euros courants.

En euros constants, c'est-à-dire compte tenu de l'inflation, la réalité est plus sévère puisque la diminution des crédits de paiement approchera 5 %.

Les crédits de la BnF diminuent de 1,16 % pour s'établir à 203,4 millions d'euros. 11 à 12 millions d'euros devront être trouvés sur 3 ans, entre 2012 et 2015. Outre un prélèvement sur le fonds de roulement, l'établissement étudie une trentaine de pistes d'économie : certaines de ces réformes permettront de rationaliser utilement certaines procédures ou dépenses ; d'autres risquent d'avoir un impact sur les services rendus aux lecteurs. Des suppressions d'emplois théoriques seront aussi nécessaires, de même que le maintien des vacances d'emplois liées aux départs à la retraite, soit une réduction d'effectifs de 2,5 % en 2013.

Le Quadrilatère Richelieu, dont les crédits avaient augmenté de 4,1 % en 2012 afin d'assurer le financement de sa rénovation, sont stables en 2013. Ce chantier, prévu sur la période 2011-2017, souffre désormais d'une incertitude en termes de coûts et de délais, de l'amiante ayant été récemment découverte et faisant l'objet d'une expertise.

Les crédits dédiés au développement de la lecture et des collections diminuent de 1,2 %, à 19,4 millions d'euros (en AE=CP), dont 12 millions d'euros de crédits d'intervention et 7,1 millions d'euros destinés à la Bibliothèque publique d'information (BPI), soit une somme identique à l'an dernier pour ce qui concerne la BPI. Les crédits déconcentrés sont également préservés, contrairement aux crédits centraux d'intervention.

Les crédits consacrés à 1'édition, la librairie et les professions du livre, subissent la plus forte baisse de crédits : - 16,67 % en raison de la suppression de la subvention accordée jusqu'ici au Centre national du livre (CNL). En effet, ce dernier est financé par deux taxes affectées, dont le produit est plafonné depuis 2012. Mais il recevait aussi, depuis 2009, une subvention pour compenser des transferts de charge de missions assurées auparavant par le ministère : le CNL contribue ainsi au financement d'organismes interprofessionnels, telle l'ADELC (Association de développement de la librairie de création). Les 2,8 millions d'euros prévus à ce titre n'ont en définitive pas été versés en 2012 et la subvention ne sera pas reconduite en 2013, alors même que le Centre doit renforcer son soutien aux librairies. Pour assumer l'ensemble de ses missions, il devra opérer une ponction d'environ 5,7 millions d'euros sur son fonds de roulement (qui est d'environ 17 millions, si l'on prend en compte les engagements pris et une réserve de précaution représentant deux mois d'activité).

Depuis 2010, le statut du CNL est harmonisé sur celui des autres établissements publics et, en mai 2011, un contrat de performance a été signé pour la période 2011-2013.

Mais le CNL est aujourd'hui sur la sellette. Il a fait l'objet de diverses critiques, propositions, rapports de contrôle :

- le rapport de l'Assemblée nationale d'octobre 2011 a remis en cause le principe même des taxes affectées ;

- en juin 2012, la Cour des comptes a établi un rapport sur le contrôle des comptes de la période 2002-2009 et la gestion du CNL. Elle a souligné les efforts de l'établissement mais aussi les points pouvant encore être améliorés (établissement de priorités, mesure de l'efficience des dispositifs, recentrage de la trentaine de types d'aides, etc.) ;

- enfin, un rapport de l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) devrait être rendu d'ici fin 2012. Il doit dresser le bilan de la réforme statutaire de 2010, du fonctionnement et des résultats de l'établissement.

Le CNL sera donc encore sous les feux des projecteurs en 2013.

Il m'apparaît essentiel de retrouver une cohérence : aux missions renforcées du Centre doivent correspondre les moyens de les assumer pour l'avenir, dans la transparence et l'efficience bien entendu. Nous serons donc vigilants compte tenu des besoins croissants en termes de soutien aux librairies et de numérisation des oeuvres. Je propose de demander à la ministre ses premières orientations dans ce domaine.

Mon rapport écrit fait un point sur la numérisation des oeuvres, au plan européen, national et territorial. Il fait aussi état de la mise en oeuvre des textes législatifs adoptés afin de réguler et valoriser la filière, en prenant en compte ses spécificités.

La loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique s'applique semble-t-il à la satisfaction des professionnels et je m'en réjouis. Les difficultés viennent de Bruxelles et le Gouvernement a répondu aux avis circonstanciés de la Commission européenne dans le cadre de la notification de la loi, en particulier sur la question de l'application de la loi aux distributeurs situés hors de France. Il est impératif que la Commission européenne apprécie mieux les conditions d'une concurrence véritablement équitable. Le Sénat a marqué à plusieurs reprises sa détermination et il est bon de le rappeler.

L'application de la loi du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée connaît des rebondissements liés à la récente démission d'une majorité de représentants des fabricants et importateurs de matériels membres de la Commission pour copie privée. La tension avec les ayants droit est à son comble, posant la question de l'adoption des barèmes en application de la validation prévue par la loi et valable un an. Il faut appeler au dialogue des différentes parties en cause.

S'agissant de la loi relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle, une première liste de 50 000 livres indisponibles devrait être publiée au 1er mars 2013. Elle servira de test pour la suite. Une information importante devra s'adresser aux auteurs.

La TVA connaît des taux réduits évolutifs. Le livre devrait bénéficier du nouveau taux de 5 % au 1er janvier 2014 et je m'en réjouis. En deux ans, les taux de TVA applicables au livre auront cependant changé trois fois ! Et chaque changement est source de tracasseries et de coûts pour les professionnels. Une information des consommateurs sera là aussi nécessaire.

Mon rapport fait aussi le point sur l'adaptation du contrat d'édition à l'heure du numérique. Il s'agit d'en adapter et d'en sécuriser les clauses, tant pour les auteurs que pour les éditeurs. Les avancées sont réelles, y compris s'agissant de la rémunération des auteurs, à propos de laquelle nous avions exprimé notre préoccupation. Une difficulté persiste néanmoins, sur la question de l'autonomie des clauses relatives à l'exploitation papier et des clauses spécifiques à l'exploitation numérique au sein du contrat.

Un projet de loi réformant le code de la propriété intellectuelle (CPI), est annoncé pour 2013, de même que l'adoption par les organismes professionnels d'un code des usages numériques.

Un volet de mon rapport écrit concerne les librairies. Après l'échec du portail 1001libraires.com, la page est tournée. D'autres projets montrent la double nécessité :

- d'une mutualisation des efforts et d'une solidarité interprofessionnelle ;

- d'un partenariat entre libraires et professionnels de l'Internet.

Je forme le voeu que ces projets aboutissent dans les meilleurs délais, le facteur temps étant essentiel sur ce marché émergent. Il est nécessaire que les libraires s'ajustent au plus près des attentes des consommateurs. Ainsi, le volet livraison d'un livre papier est un facteur déterminant : rapidité de livraison et gratuité des frais de port devraient sans doute être davantage considérés dans leurs démarches. Actuellement les distributeurs de presse sont en crise et, par ailleurs, une concurrence déloyale existe entre des sociétés internationales comme Amazon qui assure gratuitement la distribution du livre à domicile et les autres qui ne peuvent assurer ce service. Pourquoi ne pas s'interroger sur un recours au portage pour permettre aux clients de recevoir leurs livres à domicile dans des conditions satisfaisantes ?

Je suggère que professionnels et ministère réfléchissent, par exemple, à l'idée d'un portage à domicile mutualisé. Ceci suppose d'associer aussi les distributeurs et d'étudier la possibilité d'un partenariat avec un opérateur spécialisé dans le portage.

Il est urgent de mettre en oeuvre une politique renouvelée de soutien aux librairies. Après le rapport Parent, deux missions ont été confiées à l'IGAC, en vue d'un nouveau « Plan librairie » pour 2013. J'interrogerai la ministre sur les premières mesures envisagées pour aider les libraires indépendants à « garder la tête hors de l'eau » et à s'adapter aux attentes des lecteurs. Il faut prendre rapidement des mesures en faveur des libraires. Pour certains libraires, la situation est difficile et appelle des réponses rapides.

La seconde action du programme 334 concerne les industries culturelles : ses crédits sont confortés, avec notamment la création d'une sous-action de soutien aux manifestations cinématographiques dotée de 2,6 millions d'euros, ce dont je me réjouis.

En revanche, le budget de l'Hadopi enregistre une baisse de 27,3 % : il est ramené de 11 à 8 millions d'euros. Alors que le coût de la seule protection des oeuvres est évalué à 7,2 millions... Mme Filippetti nous a dit, la semaine dernière, qu'avec un fonds de roulement de trois mois, l'Hadopi pourrait « fonctionner jusqu'à la fin de la mission de M. Lescure, au printemps », et que des décisions seraient « prises à ce moment-là sur son devenir ».

A cet égard, je me dois de dire que j'ai rencontré des professionnels déçus et inquiets après l'annonce de l'abandon du projet de Centre national de la musique. La mission confiée à Pierre Lescure a un objet extrêmement large et maintiendra encore les secteurs concernés dans l'incertitude pendant plusieurs mois. Je partage les regrets et inquiétudes des acteurs culturels, confrontés à une situation financière parfois dramatique : le temps perdu ne se rattrapera pas, alors que le projet aurait pu être opérationnel fin 2012, quitte à organiser une montée en puissance progressive. Des aides d'urgence seraient nécessaires dans l'attente du nouveau projet.

Il convient de garder le cap : répondre aux attentes des consommateurs tout en préservant le droit d'auteur, axe fondamental de l'exception culturelle française, et en trouvant donc les moyens d'un partage équitable de la valeur ajoutée.

Ceci me conduit à insister sur la nécessaire adaptation de la fiscalité, française et européenne, aux réalités de l'économie numérique. Je rappelle les démarches du Sénat en ce sens dans mon rapport écrit.

Le 26 septembre 2012, la Commission européenne a présenté sa stratégie pour « stimuler la croissance dans le secteur de la culture et de la création ». Elle a alors promis de s'engager plus avant dans de nombreux domaines, dont la lutte contre la contrefaçon, la TVA sur les biens culturels, les aides d'État dans le secteur de la culture... Je forme le voeu que ces annonces trouvent rapidement une traduction concrète satisfaisante. Il nous faut rester extrêmement vigilants.

Je me réjouis de la hausse de 176 % des crédits de la musique enregistrée, à 1,9 million. Il en est de même de la prorogation du crédit d'impôt en faveur de la production phonographique pour 3 ans et des modifications apportées par l'amendement gouvernemental voté par nos collègues députés à l'article 18 ter :

- le taux est porté de 20 à 30 % pour les TPE et PME, ce qui permettra d'aider les labels indépendants dont la situation est fragilisée par la crise ;

- les conditions d'accès sont assouplies car elles s'avéraient trop strictes face à un marché en repli. Le plafonnement a été fixé à un niveau unique de 800 000 euros.

Je m'en réjouis. Je me suis interrogé sur l'idée d'aller plus loin, en particulier en renforçant la clause de francophonie du crédit d'impôt.

La question était alors de savoir dans quelle mesure il conviendrait de concentrer davantage le dispositif sur la production d'expression francophone, quelle soit la taille de l'entreprise. Mais le risque serait double, surtout sans concertation préalable avec l'ensemble de la profession :

- le premier risque serait d'exclure de petits labels produisant aussi des artistes français chantant dans une langue étrangère. Ces entreprises sont aujourd'hui bénéficiaires du crédit d'impôt pour l'ensemble des nouveaux talents produits si ceux d'expression francophone sont majoritaires. L'ensemble de leur production contribue au rayonnement de la scène française à l'exportation ;

- le second risque concerne la notification d'un tel dispositif à Bruxelles, dont le résultat serait loin d'être acquis.

Pour ces raisons, j'ai renoncé à vous proposer une modification de l'article 18 ter, l'équilibre trouvé avec la réforme de 2009, modifiée comme je viens de l'indiquer, me semblant a priori satisfaisant. Il répond à deux objectifs auxquels nous sommes attachés : l'encouragement à la création francophone et le soutien aux labels de petite et moyenne taille.

Enfin, j'évoque le secteur porteur d'avenir des jeux vidéo, qui constitue un atout créatif et industriel pour notre pays. Ce secteur se structure et devrait faire l'objet, à mon sens, d'une attention plus soutenue des pouvoirs publics. Lors de notre mission au Canada en 2010, nous avions constaté que les créatifs remarquables formés en France étaient attirés par le Canada, faisant ainsi perdre des emplois à la France. J'espère que tel sera notamment le cas de la Banque publique d'investissement, compte tenu de la forte attractivité d'autres pays, le Canada notamment.

En conclusion, je vous propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat s'agissant des crédits alloués au programme 334 pour 2013.

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