Intervention de Nicolas Alfonsi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « justice » programme « protection judiciaire de la jeunesse » - examen du rapport pour avis

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi, rapporteur pour avis du programme « protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice » :

Comme chaque année, l'examen des crédits du programme n°182 nous offre l'occasion de dresser un bilan de l'action des pouvoirs publics en matière de justice des mineurs.

Ce budget 2013 est un budget de rupture : les crédits et les postes augmentent. De 2008 à 2011, les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) avaient diminué de façon continue : - 6% sur l'ensemble de cette période. La légère hausse de 2012 était uniquement destinée à financer la transformation de 20 foyers classiques en centres éducatifs fermés (CEF). Sur la période 2008-2012, la PJJ a perdu 556 emplois.

La PJJ a réussi à faire face à ces diminutions en recentrant son activité sur le pénal : depuis 2008, elle a progressivement cessé d'intervenir dans le domaine de la protection de l'enfance en danger (sauf en matière d'investigations), tout en restructurant ses services et en fermant des unités qui étaient trop petites ou inadaptées. Elle a créé neuf directions interrégionales, correspondant aux circonscriptions de l'administration pénitentiaire, et 54 directions territoriales.

En 2013, l'étau se desserre un peu : les crédits augmenteront de 1,09% en autorisations d'engagement et de 2,41% en crédits de paiement, ce qui nous amène aux alentours de 800 millions d'euros. Par ailleurs, le plafond d'emplois augmente de 205 ETP (équivalents temps plein), ce qui se traduira par la création effective de 75 emplois. L'ensemble des acteurs de la justice des mineurs s'en félicitent.

Ce budget marque aussi une rupture dans les priorités. Nous en avons déjà parlé : entre 2002 et 2012, l'accent a été mis sur la prise en charge des mineurs délinquants les plus difficiles, avec la mise en place des CEF et l'intervention d'éducateurs en prison, notamment dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Ce type de prise en charge est positif, comme l'ont souligné l'année dernière nos collègues Jean-Claude Peyronnet et François Pillet, mais coûteux. Notre commission s'était inquiétée des conséquences de l'accroissement de ces dispositifs au détriment des autres modes de prise en charge - les foyers classiques et le milieu ouvert en particulier.

Ce projet de budget propose un rééquilibrage.

Il ne remet pas en cause les CEF, ni l'intervention des éducateurs en prison. Quatre nouveaux CEF seront ouverts en 2013, après trois ouvertures cette année (ce qui porte à sept sur vingt le nombre de foyers transformés en CEF dans le cadre du projet lancé par le précédent Gouvernement). Mais un gel des nouvelles transformations a été annoncé, dans l'attente d'une évaluation du dispositif et de la nécessité de trouver un moyen de ne pas développer les CEF au détriment des autres solutions de placement.

Il met par ailleurs l'accent sur les services de milieu ouvert, en proposant d'affecter 178 emplois à cette fonction dans les territoires les plus sollicités, à la suite de l'effort entamé l'année dernière par le précédent Gouvernement. Le but est de ramener les délais de prise en charge de 13 jours à 5 jours rapidement, comme l'obligera à partir de janvier 2014 la loi sur l'exécution des peines du 27 mars 2012.

Enfin, il agit en faveur des familles d'accueil, dont l'indemnité passera de 31 à 36 euros par jour. Ce mode de prise en charge est adapté à certains mineurs délinquants et permet de stabiliser leur situation. Le but du Gouvernement est d'augmenter le nombre de familles d'accueil de 350 en 2012 à 450 l'année prochaine. C'est très positif.

J'en viens au secteur associatif habilité, partenaire ancien et reconnu pour la PJJ. Environ un tiers de son budget, soit 240 millions d'euros, lui est attribué. Les associations proposent une diversité de modes de prise en charge. Certaines d'entre elles sont habilitées à la fois par l'État, au titre de l'ordonnance de 1945, et par les conseils généraux au titre de la protection de l'enfance en danger.

Elles ont parfois joué un rôle moteur dans la mise en place de solutions éducatives nouvelles : la mesure de réparation pénale, les centres éducatifs renforcés (CER), les CEF, que le secteur associatif a été le premier à développer.

L'État habilite et contrôle les associations. Mais il s'investit trop peu dans la formation des personnels. Un effort devrait être accompli, pour permettre aux agents du secteur associatif habilité d'avoir accès aux formations proposées par l'Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ).

Cette année encore, le secteur associatif habilité est mis à contribution. Les crédits qui lui sont réservés diminuent de façon continue depuis 2008. C'est en partie la conséquence du recentrage de la PJJ sur le pénal, mais pas seulement. Comme dans le secteur public, une pression à la baisse est exercée sur les coûts de fonctionnement des associations. Celles-ci s'inquiètent notamment de la nouvelle « mesure judiciaire d'investigation éducative », qui leur fait perdre des postes et risque de diminuer la qualité des investigations.

En outre, la PJJ a tendance à faire exécuter de plus en plus « en interne », par ses propres services, des mesures qu'elle faisait exécuter auparavant par les associations, comme les investigations ou réparations pénales par exemple.

Enfin, la décision d'imputer le financement du « service citoyen » en établissement public d'insertion de la défense (EPIDe) créé par la loi Ciotti, soit deux millions d'euros, sur les crédits du secteur associatif, est inopportune.

Il me paraît légitime que les associations prennent leur part dans les efforts de maîtrise des dépenses publiques, mais le Gouvernement devrait veiller à ne pas déstabiliser certaines associations qui sont déjà fragiles. Sa décision de réserver 10 millions d'euros pour résorber les arriérés de paiement de l'État à l'égard des associations est bonne, mais elle ne sera pas suffisante pour résorber totalement les arriérés de paiement - qui atteignent près de 40 millions d'euros en 2012. Les mesures budgétaires ne devraient pas avoir pour effet de diminuer la qualité de la prise en charge. J'attirerai l'attention de Mme le garde des Sceaux sur ce point en séance publique.

Les juridictions pour mineurs font face à de nombreuses évolutions.

L'activité pénale des juges des enfants est en plein bouleversement. Les parquets jouent un rôle de plus en plus important chaque année : près de 58% des mineurs délinquants font l'objet d'une mesure alternative aux poursuites en 2011, contre 41% en 2004. Les procédures rapides de convocation et de jugement sont de plus en plus utilisées.

Les juges des enfants seront obligés d'appliquer la loi tirant les conséquences de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du 8 juillet 2011 à partir du 1er janvier 2013 : il sera alors interdit à un juge des enfants qui a instruit une affaire de présider le tribunal pour enfants chargé de juger cette même affaire. La mise en oeuvre de cette décision soulève de nombreuses difficultés, particulièrement dans les 34 juridictions où il n'y a qu'un seul juge des enfants. La mutualisation entre juges d'une même cour d'appel va poser des problèmes et engendrer des coûts supplémentaires. Je me félicite que le projet de budget créée dix nouveaux postes de juges des enfants, mais cela ne suffira pas. Un fonctionnement en binômes pourrait être mis en place, la Chancellerie y réfléchit dans le cadre d'un groupe de travail. Il faudra évaluer rapidement cette situation et, si nécessaire, modifier la loi rédigée en décembre 2011, dans le respect des principes de l'ordonnance de 1945 et de la décision du Conseil constitutionnel.

Le tribunal correctionnel pour mineurs juge depuis le 1er janvier 2012 des récidivistes de plus de 16 ans ayant commis des infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement. A ma connaissance, il y a très peu d'audiences. L'état de récidive légale est très restrictif. Entre janvier et mai 2012, moins de 200 personnes ont été jugées par cette juridiction, à comparer avec les 33 000 qui sont jugées chaque année par les tribunaux pour enfants. Il faudra se poser la question de l'utilité de cette juridiction.

Les juges des enfants ont une double casquette : ils sont compétents en matière pénale mais aussi dans le domaine de la protection de l'enfance en danger, qui constitue leur activité principale. Pour ce type de suivi, les juges des enfants n'ont désormais plus en face d'eux que les conseils généraux, puisque la PJJ n'exerce plus aucune compétence au civil. Or nous n'avons aucun moyen de savoir comment les décisions des juges des enfants sont exécutées par les conseils généraux. L'État se retranche derrière la libre administration des collectivités territoriales, ce qui n'est pas acceptable, car il doit pouvoir savoir si des décisions judiciaires sont exécutées ou pas. Je l'avais dit l'an dernier : l'État ne peut pas se désintéresser de l'exécution des décisions civiles des juges des enfants et doit mettre en place un outil de suivi.

Il faudra que nous nous penchions sur les conséquences du désengagement de la PJJ de la protection de l'enfance en danger. Pour les magistrats, cette coupure est trop brutale : certains mineurs délinquants sont aussi des mineurs en danger et il faudrait pouvoir assurer une continuité de la prise en charge, qui fait souvent défaut.

Depuis son recentrage sur le pénal, la PJJ a renforcé ses partenariats avec les conseils généraux, preuve qu'elle ne peut pas se désintéresser de la protection de l'enfance. Le décret de juillet 2008 lui assigne pour mission la conception des normes et des cadres d'organisation de la justice des mineurs. La PJJ participe ainsi aux cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) et aux observatoires départementaux de la protection de l'enfance. Elle mène également une politique d'audit de concert avec les conseils généraux et a formé une partie de leurs personnels dans ce domaine l'an dernier. En revanche, les relations entre la PJJ et les conseils généraux sont loin d'être apaisées sur la question des mineurs étrangers isolés.

Je me suis rendu à Douai le mois dernier. Dans ce territoire où se concentrent de nombreuses difficultés, les initiatives de partenariats ciblés sont très intéressantes. La PJJ a conclu un partenariat avec la brigade de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie nationale pour mettre en place conjointement des mesures de réparation pénale ou des libertés surveillées. Les gendarmes interviennent auprès des jeunes sur des thématiques ciblées : atteintes aux biens ou aux personnes, trafic de stupéfiants, infractions au code de la route. 309 jeunes ont été suivis en 2011. Les sessions permettent de nouer un dialogue avec le jeune et de lui rappeler quelques règles élémentaires. Autre partenariat intéressant : la conclusion d'une convention avec le centre médico-psychologique de Douai sur les infractions sexuelles. Deux groupes de parole ont été mis en place et offrent de bons résultats, d'après les premiers retours d'expériences. Une autre initiative ciblée sur l'alcoolisme était à l'étude le jour de ma visite. Ce type d'initiative mérite d'être évalué, développé et, le cas échéant, diffusé sur l'ensemble des territoires pertinents.

L'année dernière, je m'étais montré indulgent, car la PJJ faisait de gros efforts pour limiter l'impact des baisses de crédits sur la qualité du travail des éducateurs. Cette année, point besoin d'indulgence, car c'est un budget très positif, même si je ne manquerai pas d'appeler l'attention du Gouvernement sur la situation des associations et des juges pour enfants.

Je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la PJJ.

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