Intervention de Manuel Valls

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 novembre 2012 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2013 — Audition de M. Manuel Valls ministre de l'intérieur

Manuel Valls, ministre de l'intérieur :

Madame Assassi, nous devons travailler à la modernisation de nos forces de l'ordre pour faire face aux évolutions de la délinquance, tout en obtenant des résultats. La politique du chiffre a été abandonnée, mais l'objectif de résultats demeure. Je n'ai pas cassé le thermomètre. La situation des années antérieures constituera toujours un point de comparaison. Mais il faut évaluer les outils statistiques. Je vous renvoie à l'enquête de victimation de l'ONDRP vient de paraître à ce sujet et qui fournit des éléments sur la réalité sans esprit de polémique. Le métier de policier doit également être précisé. Il convient de réfléchir enfin à la relation entre les forces de l'ordre et la population. J'annoncerai prochainement la mise en place d'un code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie. Deux dossiers évoluent de manière positive : celui de la sécurité privée, qu'il faut encadrer, et celui des polices municipales. J'ai rencontré M. Vandierendonck, auteur avec M. Pillet d'un rapport remarquable, non de rupture mais qui encourage la complémentarité entre les différentes forces de sécurité.

Une discussion est en cours avec ma collègue ministre de la fonction publique en vue d'améliorations statutaires et indiciaires ; nous tenons bien sûr compte de l'état des finances locales. Il faut également améliorer les communications entre la police municipale, la police nationale et la gendarmerie. Cependant, nous devons être prudents avec les demandes d'accès direct aux fichiers de police : la CNIL veille à protéger un certain nombre de données.

Je rencontrerai également le président de la commission consultative des polices municipales mise en place par le gouvernement précédent, Christian Estrosi. L'ensemble de ces acteurs partage notre volonté de conforter le statut des polices municipales. La situation des 18 000 policiers municipaux s'est déjà clairement améliorée. Cette troisième force doit être complémentaire de la police nationale et de la gendarmerie.

La mutualisation se poursuit avec un certain volontarisme. Initiée dans le domaine de l'armement où elle est devenue systématique, elle s'est étendue aux moyens mobiles, pour les motos et les véhicules, et au dépistage, notamment pour les kits salivaires. Les structures se sont également mutualisées : service de diffusion de la gendarmerie, intégration de l'immobilier de la gendarmerie au sein de la DEPAFI, déclinée au plan territorial au sein des secrétariats généraux pour l'administration de la police (SGAP), de l'établissement central logistique de la police nationale de Limoges et de l'établissement central de l'administration et de soutien de la gendarmerie nationale du Blanc. La direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale ont en outre constitué 12 groupes de travail, composés à parité, qui préparent la prochaine étape ainsi qu'une expérimentation sur quatre axes : signatures opérationnelles, formation des ressources humaines, achats et logistique, système d'information et de communication. Leurs travaux devraient aboutir à des avancées concrètes qui doivent préserver les spécificités et l'identité de chaque force. Les choses peuvent aussi évoluer sur le terrain, mais pour gagner en efficacité, cette complémentarité est indispensable. Les mutualisations sont toutes contrôlées par les deux inspections générales qui évaluent la pertinence des projets.

Quels sont les critères ayant présidé à l'établissement des zones de sécurité prioritaire (ZSP) ? Avant tout, la délinquance. Les quinze premières ZSP, annoncées cet été, reflètent ces choix : Saint-Ouen, le 18ème arrondissement de Paris, les quartiers nord de Marseille, les quartiers nord d'Amiens, Méru, Saint-Gilles, Vauvert. Les cinquante ZSP qui viennent d'être choisies - nous nous arrêterons autour de 110 à 120 -, sont également des zones de forte délinquance. Celles-ci requièrent une très bonne coordination des forces de sécurité intérieure, police et gendarmerie, en lien avec la justice, et une cellule opérationnelle du partenariat, qui peut s'inscrire dans le cadre du Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD).

La vidéosurveillance ne remplace pas les forces de police et de gendarmerie ; sans être la panacée, cet outil complète et facilite leur intervention et participe à l'élucidation d'un certain nombre d'affaires. Les villes qui ne sont pas dotées de vidéo protection doivent s'équiper ; c'est un des éléments du partenariat. J'ajoute que les caméras filment tout le monde, y compris les policiers et les gendarmes, ce qui est important dans le débat sur les modes d'intervention de la police. Nous allons d'ailleurs probablement expérimenter des caméras embarquées pour les forces de police, car c'est aussi une manière de les protéger. Enfin, tous les élus confrontés aux difficultés du terrain se dotent de cette vidéo protection, souvent avec des comités éthiques, composés d'élus, de citoyens et d'associations. Des villes comme Bondy, Pantin, Sevran se sont équipées. D'autres crédits vont être affectés pour équiper Rosny-sous-Bois, Villetaneuse, Aubervilliers, Villepinte, Clichy-sous-Bois. A Paris, nous allons bientôt installer la millième caméra.

Madame Troendle, nous considérons que les efforts consentis par les collectivités territoriales permettent aux services départementaux d'incendie et de secours d'atteindre un niveau d'équipement très satisfaisant. Avec moins de 20 millions d'euros, la capacité de soutien de l'Etat aux SDIS est devenue quasiment anecdotique, comparée au 1,2 milliard investis par les SDIS. C'est pourquoi nous devons nous concentrer sur les moyens aériens nationaux, le développement des réseaux de télécommunications, sur le déminage ; ainsi, j'ai obtenu les crédits nécessaires à la poursuite de la couverture ANTARES (adaptation nationale des transmissions aux risques et aux secours). Le fonds d'aide à l'investissement ne sera pas doté au-delà de la seule couverture des engagements antérieurs, ce qui doit représenter 4 millions d'euros.

Les missions de secours constituent un enjeu majeur de coordination des financements. Cette problématique est en effet complémentaire de la réflexion que mène ma collègue Marisol Touraine sur l'aide médicale. Je souhaite offrir aux Français une réponse de proximité et de qualité, comportant d'une part l'engagement de l'hôpital, celui des 200 000 sapeurs pompiers volontaires alliés aux 40 000 sapeurs pompiers professionnels. Cela suppose beaucoup de coordination, dépasser les frontières qui existent notamment entre les secours en montagne, les secours en mer et le SAMU. Le forfait de remboursement par les hôpitaux des prestations de transport effectuées pour leur compte par les SDIS en cas d'indisponibilité des ambulanciers privés a été réévalué de 105 à 113 euros en mars dernier. Cela n'épuise certes pas le sujet. Ma priorité est de diminuer les tensions qui existent dans certains départements entre les différents services de secours.

En ce qui concerne l'immigration, la baisse des crédits du budget de reconduites à la frontière est liée d'une part, à une rationalisation des marchés pour la gestion des centres de rétention administrative (CRA) et, d'autre part, à la baisse des dépenses en billets d'avion. Depuis quelques années, on constate en effet que les pays d'éloignement sont plus proches, le bassin méditerranéen notamment. On éloigne moins à plus grande distance. Les éloignements au Mali, par exemple, ont nettement baissé. Vous savez malheureusement depuis quelques heures qu'un de nos compatriotes y a été enlevé. La prévision en matière d'éloignement est cependant, vous avez raison, délicate.

Les crédits du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » sont en diminution de 7,5 %, de 66,2 millions à 61,6 millions : cette baisse est conforme à la norme d'évolution interministérielle des crédits d'intervention décidée par le Premier ministre. Néanmoins, l'importante hausse des fonds de concours européens, près de 18 %, réduit cette baisse à 3,5 %. Sans traduire un désintérêt de l'Etat pour la politique d'intégration des étrangers sur notre territoire, elle implique un recentrage autour de priorités claires.

L'essentiel de la politique d'intégration est portée par l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFFI), dont le budget atteint 188 millions d'euros en 2012, près du triple des crédits du programme 104, issus en majeure partie du produit des taxes sur les titres de séjour. La politique d'intégration des étrangers dépasse donc le strict cadre du programme 104. Le Premier ministre a d'ailleurs mis en place une mission pour évaluer l'ensemble des actions menées par les différents départements ministériels.

Les actions d'intégration des étrangers en situation régulière diminuent et je souhaite les réorienter vers les étrangers arrivés récemment, les primo-arrivants. Concernant la rétention, le marché d'assistance juridique en vigueur depuis 2010 arrive à son terme le 1er décembre 2012. J'ai demandé à mes services d'engager une réflexion sur l'avenir de la rétention, notamment sur son articulation avec l'assignation en résidence. Nous avons rencontré les associations, et je souhaite aboutir avant de lancer un nouveau marché pluriannuel. Je suis favorable à l'amélioration des prestations de conseil offertes aux retenus, mais ceci doit passer par un bilan transparent des coûts du marché, car l'effort de modération de la dépense publique doit être porté par tous. De manière générale, il faut mener cette réflexion au niveau national et européen.

Je vous ai répondu sur les conditions d'accueil des étrangers en préfecture. Depuis quelques années, la demande d'accueil s'est stabilisée à un niveau élevé : 800 000 titres sont délivrés chaque année et le nombre de réceptions au guichet atteint 4,5 millions. Ces chiffres vont augmenter. La biométrisation des titres oblige les demandeurs à les récupérer en personne pour une prise d'empreintes, d'où les problèmes que nous avons connu ces trois dernières années. Cela a justifié le transfert en préfecture et en sous-préfecture de l'accueil réalisé jusqu'à présent par les mairies. L'inspection générale de l'administration est chargée d'établir un bilan et de faire des propositions. Une marge de progrès existe dans nombre de préfectures. Nous viserons en priorité les sites les plus fragiles ; ainsi, je fais du relogement de la sous-préfecture de Saint-Denis un objectif prioritaire pour 2013. Cela devrait aussi significativement améliorer l'accueil des étrangers à Bobigny.

Un projet de loi sur l'immigration, consécutif à la mission qui a été confiée à un parlementaire, qui prévoit notamment l'instauration d'un titre pluriannuel, est prévu au premier semestre 2013. Nous avons d'ores et déjà pris des mesures concernant les étudiants et les familles en centre de rétention. Une circulaire simplifiera en outre critères de régularisation, qui resteront empreints de fermeté. Enfin, vous connaissez mes choix, vos choix et les choix du président de la République concernant la naturalisation.

Monsieur le Président, je partage une grande partie de vos interrogations concernant l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Etabli sur une prévision globale d'activité de 60 000 décisions et 2 500 avis à la frontière, avec un effectif porté à 455 équivalents temps plein (ETP), son budget pour 2013 atteint 37,09 millions d'euros, soit trois millions de plus qu'en 2012. Il est équilibré en recettes et en dépenses et financé sans prélèvement sur le fonds de roulement, qui est assez conséquent, mais nous ne pourrons pas procéder ainsi indéfiniment. L'OFPRA doit aussi obtenir des gains de productivité.

Nous avons obtenu 1 000 places supplémentaires dans les centres d'accueil pour les demandeurs d'asile (CADA). Nous aurons ici à faire face aux difficultés que j'évoquais. Nous avons fait de la diminution des délais d'examen des demandes d'asile une priorité ; des effectifs supplémentaires seront recrutés à l'OFPRA. Dans ces conditions, la durée de séjour en CADA devrait pouvoir être réduite, ce qui entraînera, normalement, un « turn over » plus important et donc une capacité d'accueil accrue au-delà des 1 000 places créées. Mais sur le terrain, la réalité est différente : il va falloir trouver des accords avec les associations pour organiser le « turn over ». Notre crédibilité est en jeu.

En vertu du règlement « Dublin II », la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a considéré que les conditions d'accueil devaient être ouvertes aux demandeurs d'asile dont la demande a vocation à être traitée par un autre Etat-membre, jusqu'à leur transfert effectif vers l'Etat membre responsable de la demande. Cela implique, d'une part, un hébergement d'urgence jusqu'au transfert effectif, alors qu'il est actuellement ouvert jusqu'au mois suivant la décision de réadmission, et, d'autre part, l'ouverture de droits à l'allocation temporaire d'attente (ATA). Avant cette décision, les demandeurs d'asile dont l'examen de la demande relève d'un autre Etat-membre étaient déjà pris en charge dans des structures d'hébergement d'urgence financées par le budget de l'asile. Dès lors, cette décision n'affecte que le versement de l'ATA. Les conséquences budgétaires de cette décision ultérieure aux arbitrages n'ont pas été intégrées dans le projet de loi de finances pour 2013. En tout état de cause, la France respectera ses obligations. Une mission d'inspection doit par ailleurs se pencher prochainement sur les modalités de gestion de l'ATA pour améliorer celle-ci.

Je connais les critiques sur le dispositif des pays d'origine sûrs. Il permet à l'OFPRA de ne pas être engorgé par des demandes importantes pour lesquels le taux d'obtention du statut de réfugié est très faible : l'inscription du Kosovo a par exemple fait passer le nombre de demandes d'asile du premier rang en 2010, avec 5 290 demandes, au 8ème rang en 2011 avec 3 246 demandes. Pour un pays donné, la question de l'attractivité, pour ne pas dire le détournement de certaines voies procédurales, doit être posée. Ce dispositif peut néanmoins évoluer. Certains pays méritent peut-être d'être retirés de la liste. Mais le préalable à toute réforme de fond est la réduction des délais. Nous devons mener une politique juste, impartiale, de qualité, et efficace, notamment en termes de délais.

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