Intervention de André Vallini

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission médias programme « action audiovisuelle extérieure » - examen du rapport pour avis

Photo de André ValliniAndré Vallini, co-rapporteur pour avis :

S'agissant de l'AEF, nous sommes devant une équation qui est la suivante : un projet en cours d'élaboration, des défis à relever, un budget en stagnation.

Lors de son audition par la commission de la culture du Sénat, Mme Saragosse a réaffirmé l'identité des antennes, fondant l'organisation de la société sur des « services supports » communs et sur trois chaînes distinctes : France 24, RFI et MCD (à l'image de l'organisation de Radio France).

Outre l'argumentation développée par M. Cluzel qui se plaçait essentiellement sous l'angle du traitement de l'information, Mme Saragosse a exprimé l'importance de l'identité des marques dans la construction d'une notoriété et d'une audience sur un marché international de plus en plus concurrentiel.

Pour autant, Mme Saragosse a présenté des synergies possibles entre les rédactions fondées sur une appréciation réaliste de l'évolution des modes de diffusion et de distribution et des modes de consommation, en veillant à leur adaptation dans le temps et selon les pays.

Elle a également annoncé, et mis en oeuvre depuis, des groupes «projet» associant les salariés de l'entreprise, avec des problématiques précises et, d'après les informations recueillies, ils sont plusieurs centaines à s'être inscrits aux trois samedis de réflexion proposés, en dehors de leur temps de travail, ce qui montre qu'il y avait une attente.

Pour réussir, elle devra toutefois relever un certain nombre de défis.

Premier défi, les rédactions. La mise en oeuvre partielle du projet de fusion et les nominations de l'encadrement correspondant au nouvel organigramme de la société se sont accompagnées de promotions individuelles. Et il est peu probable, compte tenu du climat social, que le dénouement de cette situation se traduise sans négociation de départs et versement d'indemnités.

En outre, depuis 2009, la direction du pôle arabophone est commune à France 24 et MCD, et on voit mal pourquoi la spécificité des métiers (qui justifie la décision de ne plus fusionner les rédactions de RFI et de France 24) s'arrêterait aux portes de la rédaction arabophone.

MCD, dont l'audience a fortement progressé, et France 24, dont la diffusion 24h/24 a assis la notoriété au cours des printemps arabes, sont devenues des médias de référence. Ces rédactions ont besoin d'être confortées. Dans un monde arabe en profonde évolution, la présence d'un média indépendant, susceptible de travailler de façon objective, est un élément important de l'influence française.

Deuxième défi, la reconstruction du dialogue social. C'est sans doute l'enjeu le plus immédiat et le plus important, tant la dernière période marquée par deux plans sociaux a contribué à la dégradation profonde du climat social. Des clivages profonds entre syndicats et au sein du personnel sont apparus entre ceux qui soutenaient ou acceptaient le projet de fusion et ceux qui résistaient et y faisaient obstacle.

Un clivage existe aussi entre les rédactions de RFI et de France 24 : la première a vu ses effectifs diminuer quand la seconde les voyait croître.

Dès lors, la reconstruction d'un dialogue autour de projets communs s'avère difficile et la nouvelle direction en est consciente et recherche les voies de l'apaisement.

Ceci est d'autant plus important qu'en parallèle la négociation d'accords collectifs est d'ores et déjà inscrite à l'agenda social de la société du fait notamment de la fusion juridique effective au 13 février 2012.

Il est probable que ses conséquences ne seront pas neutres sur l'évolution de la masse salariale.

Troisième défi : la mise en oeuvre effective de la fusion. Si la fusion juridique est effective, sur le plan pratique, le temps de la transition n'est pas achevé. Sous la houlette de la holding, certaines fonctions ont pu être gérées en commun, voire centralisées. Mais la fusion des fonctions supports qui ont perdu un nombre conséquent d'emplois (dans le cadre des deux plans sociaux) reste souvent limitée à la juxtaposition de personnels en provenance des différentes entités, sans référentiels ni systèmes d'information communs. Tout reste à bâtir mais cela suppose aussi un effort conséquent de mise au point de procédures et d'outils communs.

Quatrième défi : le déménagement de RFI sur le site d'Issy-les-Moulineaux. En raison de l'opposition d'une partie du personnel et de demande d'expertise du CHSCT, le déménagement des équipes de RFI dans l'immeuble situé à proximité de France 24 n'est toujours pas effectif. Il pourrait commencer au début du mois de décembre. La direction de l'AEF table sur fin janvier.

Cinquième défi : la consolidation de l'audience. En dépit de la crise qui a affecté la société et d'une vive concurrence, le professionnalisme des équipes a permis au cours de cette période agitée de développer l'audience des différentes chaînes. Elle reflète à la fois une extension mécanique de leur diffusion et de leur distribution sur les vecteurs traditionnels comme sur les nouveaux médias, mais aussi une meilleure pénétration sur les marchés grâce à des programmes en adéquation avec les attentes des publics visés. Les objectifs pour 2013 sont de consolider ces acquis et de développer la diffusion sur les nouveaux supports.

Vous trouverez dans le rapport écrit des indications sur la diffusion et l'audience des différentes chaînes, qui montrent que, dans un paysage extrêmement mouvant et concurrentiel, un effort substantiel devra être fourni pour accroître la diffusion des différentes chaînes. Il n'est pas interdit non plus d'envisager une extension de la diffusion de RFI et du programme arabophone sur le territoire national.

Ces défis sont donc nombreux et seront d'autant plus difficiles à relever que l'équation budgétaire est insolvable. Le Projet annuel de performances nous présente un compte de résultat prévisionnel en équilibre. Cette présentation souffre néanmoins de quelques zones d'incertitudes déjà mises en évidence en octobre 2011 par l'inspection générale des finances, puis en juin 2012 par le rapport Cluzel et qui n'ont pas été levées.

Des ressources complémentaires sont d'ores et déjà surestimées. L'AEF a confié à France Télévisions Publicité la commercialisation des espaces publicitaires de France 24 pour une durée de 5 ans (2011-2015) avec des chiffres d'affaires minimum garantis sur les deux premières années du contrat (3,9 millions d'euros en 2012). Or, les recettes publicitaires effectivement réalisées ne devraient pas dépasser 2,1 millions d'euros en 2012. On peut donc douter que l'objectif de 3 millions d'euros retenu pour établir le budget puisse être atteint. La prudence eût commandé qu'on se calât plutôt sur la réalisation attendue pour 2012.

Concernant RFI et MCD, l'AEF a conservé l'activité de régie publicitaire en interne. Les objectifs prévus en 2012 pour RFI devraient quasiment être tenus (1,6 million d'euros projeté en fin d'année pour un objectif initial de 1,8 million d'euros), on voit donc mal comment aller au-delà de l'objectif initial 2012 dans la réalisation 2013, ce qui représenterait déjà un effort considérable de progression (+ 12,5 %).

Enfin, il est prévu une augmentation de 77,3 % des recettes attendues de la diversification et des produits dérivés (+ 1,7 million d'euros) et de 23,8 % des autres produits d'exploitation (+1,6 million d'euros) à laquelle nous n'avons pas trouvé de justification particulière autre que celle de faire apparaître une légère progression de ressources propres et des produits d'exploitation de l'entreprise au sein de ressources constituées pour l'essentiel par les dotations publiques (92,1 %).

Un moyen de développer des ressources de publicité et de parrainage ou d'amortir les coûts de fabrication de certains programmes serait d'assurer une visibilité des productions d'AEF sur les réseaux nationaux. Cela suppose toutefois un investissement en moyens de diffusion (de l'ordre de 0,3 à 1,2 million d'euros) pour une extension de la diffusion en FM de RFI ou la diffusion de MCD dans certaines agglomérations, de l'ordre de 8 millions d'euros pour France 24 qui pourrait s'orienter vers la diffusion sur des chaînes hôtes dans certains créneaux horaires.

Il serait à cet égard utile que le président de France télévisions se décide à répondre favorablement à la demande de Mme Saragosse de diffusion matinale de France 24 sur l'antenne de France 4.

A l'inverse des recettes surestimées, des charges d'exploitation sont probablement sous-estimées.

Le déménagement de RFI devrait être totalement effectif au plus tard à la mi-février. Ce retard pris dans cette opération représentera un coût pour AEF de l'ordre de 1,15 à 2,3 millions d'euros sur l'exercice 2013.

La fusion juridique des sociétés conduira probablement à l'harmonisation des statuts, et en se fondant sur l'estimation de l'IGF et en considérant une application au terme du délai imparti pour la négociation, un montant de 0,9 million d'euros (1,8 million d'euros en année pleine) devrait être prévu à ce titre. Une chose est certaine : tout cela aura un coût, sauf à accepter de vivre en conflit social permanent.

L'abandon de la fusion pose la question de la remise à l'antenne des journalistes qui occupent aujourd'hui des fonctions managériales, souvent en doublon. Dans le cadre d'une convention collective protectrice, cela peut se traduire en dizaines voire en centaines de milliers d'euros selon l'ancienneté et le niveau de rémunération.

Il n'est pas certain non plus que le nouveau mode de fonctionnement soit par coïncidence moins coûteux que celui abandonné. On sait d'ores et déjà que la remise à l'antenne de grilles complètes aurait un effet mécanique de 2,3 millions d'euros selon les estimations du rapport Cluzel. Il n'est pas certain que les rédactions arabophones, si elles échappent à la fusion, ne doivent pas être renforcées.

Des économies de gestion seront donc difficiles à mettre en oeuvre.

Deux plans sociaux à RFI et dans les structures communes ont en grande partie épuisé la capacité de l'entreprise à trouver dans une réduction des emplois permanents une nouvelle source d'économies sauf à impacter ses programmes. Et le principal gisement de réduction des coûts de diffusion a été exploité en 2012 avec la renégociation du contrat TDF pour la diffusion de RFI en ondes courtes.

Nous sommes donc devant un redoutable effet de ciseaux. Sauf à desserrer la contrainte budgétaire, il y a peu de marges de manoeuvre pour AEF et les entités qui la composent et le risque de déficit évoqué tant par l'inspection générale des finances que par le rapport Cluzel pourrait devenir effectif dès l'exercice 2013.

Lors de son audition devant notre commission le 7 novembre 2012, Mme Laurence Franceschini, directeur général des médias et des industries culturelles, a estimé que la « zone d'incertitude budgétaire » tournait autour de 5 millions d'euros pour le court terme.

On doit donc s'interroger sur la cohérence et le contenu des programmes à l'aune de la contrainte budgétaire. S'il est tentant de réduire l'ambition des programmes pour obtenir des économies immédiates, une telle politique serait une politique de Gribouille qui certes satisferait l'équation budgétaire mais conduirait à maintenir un outil pour ne pas s'en servir et à l'inexorable déclin de l'action audiovisuelle extérieure de la France.

C'est, semble-t-il, ce que le gouvernement a voulu éviter en abandonnant le projet de fusion des rédactions de RFI et de France 24, mais il n'a pas pu en tirer les conséquences financières dès l'exercice 2013 en l'absence de définition des nouvelles orientations stratégiques.

Cette situation rend difficile la définition d'une nouvelle stratégie et la négociation d'un contrat d'objectifs et de moyens qui s'ensuivra. Cette phase constituera donc une épreuve de vérité sur la véritable ambition de notre action audiovisuelle extérieure et donc de notre diplomatie d'influence.

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