Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission médias programme « action audiovisuelle extérieure » - examen du rapport pour avis

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam, co-rapporteur pour avis :

La réforme institutionnelle de l'AEF décidée par le gouvernement a pour conséquence l'intention exprimée d'adosser désormais la chaîne francophone à France Télévisions. En outre la nomination de sa directrice générale, Mme Saragosse, à la tête de l'AEF a ouvert la procédure de son remplacement.

Outre cette évolution, l'exercice 2013 sera marqué par l'aboutissement du processus de négociation entre les représentants des gouvernements bailleurs de fonds sur le plan stratégique 2013-2016, ce qui aura peut-être des conséquences financières sur l'évolution de sa dotation. A ce stade et à titre conservatoire, au sein d'une dotation affectée à l'AEF à son niveau de 2012, la dotation réservée pour TV5 Monde suit la même règle et reste fixée à 75 millions d'euros. Cette décision place la chaîne dans une situation difficile.

L'idée de faire entrer l'AEF à hauteur de 49 % dans le capital de TV5 Monde, partait de l'idée d'avoir une vision d'ensemble de tous les acteurs bénéficiant d'un soutien budgétaire de l'État français et de favoriser les synergies. Cette stratégie s'est avérée décevante.

L'arrivée de l'AEF a eu plusieurs conséquences négatives :

· les partenaires francophones ont eu le sentiment que l'État français voulait prendre une place dominante face aux opérateurs : il en est résulté une longue crise diplomatique,

· la concurrence, bien réelle, des deux sociétés pour l'accès aux réseaux des câblodistributeurs et aux hôtels, s'est traduite souvent par la perte de la gratuité dont TV5 Monde bénéficiait en tant que seule chaîne de langue française.

Les effets de synergie ont été des plus limités, et appliqués en fait au seul domaine des études d'audience.

En conséquence, le rapport Cluzel préconise et le gouvernement propose une substitution de France Télévisions à l'AEF dans le capital et au sein du conseil d'administration de TV5 Monde.

Cette reconfiguration peut conduire :

· soit à un transfert des parts d'AEF sur le chef de France Télévisions qui en deviendrait, avec 61,58 %, l'actionnaire majoritaire. Dans cette hypothèse, TV5 Monde deviendrait une filiale majoritaire de France Télévisions,

· soit à une répartition proche de la situation antérieure, de manière à ce que France Télévisions reste en dessous du seuil de 50 %.

Nous exprimons des doutes sur l'intérêt d'une filialisation de TV5 Monde au sein du groupe France Télévisions. D'une part, cette demande inquiéterait une nouvelle fois nos partenaires singulièrement échaudés par nos revirements successifs et qui ont consenti au cours des dernières années à voir leur contribution augmenter plus rapidement que celle de la France. D'autre part, elle n'a pas d'effets déterminants sur le renforcement des synergies entre partenaires, il peut même s'avérer judicieux de maintenir l'AEF parmi les actionnaires pour montrer l'intérêt de poursuivre l'effort de coopération entre les deux entreprises.

Lors de son audition devant notre commission, Mme Laurence Franceschini, directrice générale des médias et des industries culturelles, a considéré que ce scenario était celui vers lequel on s'acheminait et qu'il avait des chances raisonnables d'aboutir.

La politique de diffusion de TV5 Monde s'appuie sur 9 chaînes régionalisées et répond à plusieurs objectifs, pour la plupart inscrits dans sa charte fondatrice, ainsi que dans les plans stratégiques de la chaîne, négociés tous les quatre ans avec les États partenaires

Vous trouverez dans le rapport écrit des éléments sur la diffusion et la distribution de TV5 Monde qui utilisent de multiples canaux, et sur son audience en progression. Je m'attarderai ici sur quelques aspects concernant les programmes.

Les grilles de programmes de TV5 Monde sont le produit de synergies avec les chaînes partenaires. La valeur de sa grille qui reprend un choix des productions des chaînes nationales généralistes de service public des pays membres est sans commune mesure avec le coût de grille affiché dans son budget (58,43 millions d'euros en 2012). Elle permet donc de démultiplier sur une plus large base les investissements réalisés en grande partie au moyen des dotations en ressources publiques.

La barrière linguistique est le principal obstacle à la transformation du public potentiel en audience réelle. Le sous-titrage est donc un accélérateur des performances tant en matière de distribution, d'audience que de ressources propres. Globalement, entre 2009 et 2012, le volume horaire de sous-titres produits a plus que doublé.

TV5 Monde développe depuis plusieurs années une offre numérique d'appui à l'enseignement du français, langue étrangère ou langue seconde, baptisée apprendre et enseigner avec TV5 Monde, afin d'élargir son audience, en s'appuyant sur le public particulièrement prescripteur des enseignants (800 000 à travers le monde) et d'optimiser les contenus de l'antenne et ceux mis en ligne pour le public des apprenants.

J'en viens maintenant aux perspectives budgétaires pour 2013. Compte tenu de la décision de stabiliser une fois encore le montant de la dotation à son niveau 2011, soit 73,5 millions d'euros (hors taxe sur les salaires), l'exercice 2013 risque d'être extrêmement tendu.

Le processus de rééquilibrage des financements des partenaires non français s'achève en 2012. Leurs contributions aux frais communs atteint désormais 22,9 millions d'euros, ce qui représente une augmentation totale de leurs contributions de 60 % depuis 2008 alors que la progression de la contribution française a été inférieure à 5 % au cours de la même période.

Sauf nouvel accord dans le cadre de la négociation d'un nouveau plan stratégique, il est peu probable que les partenaires acceptent de poursuivre l'augmentation de leurs contributions au-delà de 2012. Néanmoins, le Canada a annoncé, en marge du sommet de la Francophonie de Kinshasa, qu'il pourrait accroître sa contribution de 2,5 %. Le Québec et la Suisse pourraient suivre cette initiative. Cependant, compte tenu du niveau des contributions, cela ne représenterait qu'un accroissement en volume de 0,38 million d'euros.

Le dispositif de minimum garanti (4,2 millions d'euros) par la régie publicitaire s'achève en fin d'année 2012. Le chiffre d'affaires réel réalisé sera inférieur à 3 millions d'euros en 2012. Dans un marché publicitaire atone, il serait donc imprudent pour TV5 Monde d'inscrire à son budget des recettes supérieures.

Il est loin d'être certain, bien au contraire, compte tenu de la concurrence des nouveaux entrants, que TV5 Monde puisse compenser cette perte de recettes par de nouvelles ressources de distribution, lesquelles représentent déjà 62 % des recettes commerciales.

TV5 Monde doit renouveler son dispositif technique de production, post-production et diffusion en répondant aux exigences de production de ses programmes, en définition standard (SD) comme en haute définition (HD), sur l'ensemble des supports.

La chaîne va devoir procéder à des investissements de plus de 15 millions d'euros en recourant à du crédit-bail qui va générer des frais financiers estimés à 0,33 million d'euros par an.

Enfin, du fait de la période de double exploitation et de formation du personnel, un surcoût transitoire estimé à un montant de l'ordre de 3 millions d'euro est inéluctable.

Les dirigeants de TV5 Monde évaluent à 2 millions d'euros l'effet du glissement mécanique des charges à activité constante.

La reconstitution de l'enveloppe d'acquisitions d'oeuvres françaises risque d'être une nouvelle fois compromise. La faible augmentation de la dotation française a créé mécaniquement un ajustement à la baisse des achats de programmes français estimé à 2 millions d'euros depuis 2007. La reconstitution du budget de programme est importante pour la poursuite de l'activité de la chaîne. Il conditionne pour une large part son attractivité, son audience et donc sa capacité à être distribuée et à générer des ressources propres. Cette situation est également préoccupante pour la production audiovisuelle française.

Au total le besoin de financement de la chaîne a été évalué à 6 millions d'euros sans compter les 2 millions d'euros nécessaires à la reconstitution de l'enveloppe d'acquisitions d'oeuvres françaises. Sauf desserrement de cette contrainte par l'apport de nouvelles ressources, ce sont les programmes qui risquent de servir de variables d'ajustement, ce qui est périlleux pour son développement.

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