Intervention de Bernard Piras

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 novembre 2012 : 1ère réunion
Nomination d'un représentant spécial de l'union européenne pour le tibet — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Bernard PirasBernard Piras, rapporteur :

Nous sommes appelés à nous prononcer sur une proposition de résolution européenne, présentée par notre collègue M. Jean-François Humbert et plusieurs de nos collègues membres du groupe d'information sénatorial sur le Tibet, relative à la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet.

Je précise que cette proposition de résolution a été cosignée par 24 des 27 membres du groupe d'information sur le Tibet, représentant la quasi-totalité des groupes politiques du Sénat. Elle n'obéit donc à aucune considération partisane. L'attachement aux droits de l'Homme n'est ni de droite, ni de gauche, c'est une tradition de notre Haute assemblée.

Cette proposition de résolution européenne, fondée sur l'article 88-4 de la Constitution, a été déjà examinée par la commission des affaires européennes, qui m'avait désigné comme son rapporteur.

Sur mon initiative, la commission des affaires européennes a apporté plusieurs modifications, qui, sans remettre en cause son objet, ont visé à éviter de chatouiller la Chine sur son intégrité territoriale. La proposition de résolution ainsi modifiée a été adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes le 25 octobre dernier, et renvoyée à notre commission.

Si nous l'adoptons, elle deviendra une résolution du Sénat, à moins que, dans un délai de trois jours francs, le président du Sénat, le président d'un groupe, le président d'une commission permanente, le président de la commission des affaires européennes ou le Gouvernement demande, dans ce délai, qu'elle soit examinée en séance publique.

Avant de vous présenter le contenu de cette proposition de résolution, je pense utile de revenir brièvement sur la situation au Tibet.

Avec la multiplication des immolations depuis 2010, la question tibétaine est au coeur de l'actualité. Face à la propagande chinoise qui ne désarme pas, à la colonisation qui s'amplifie et la répression de toute protestation, il est légitime d'attirer l'attention de la communauté internationale sur cette violation constante des droits de l'Homme au Tibet depuis 1951. Depuis l'annexion forcée du Tibet par la Chine en 1950 et après le départ du Dalaï-Lama pour Dharamsala en 1959, les Tibétains n'ont jamais accepté ce qu'ils ressentent comme une domination étrangère. Après l'écrasement de la résistance armée tibétaine, les ravages de la révolution culturelle, après la répression du soulèvement à Lhassa en 1989, celui du printemps 2008 a été lourdement réprimé. Depuis, les Tibétains sont privés de leurs droits et libertés les plus élémentaires.

L'affirmation de l'histoire officielle chinoise, selon laquelle le Tibet appartient à la Chine ne saurait justifier la politique menée par la Chine au Tibet depuis 1951. Il est également impossible d'accepter la banalisation de la question tibétaine comme le propose la Chine, quand elle prétend que l'affaire relève de ses affaires intérieures, au titre d'une politique générale des minorités ethniques.

Loin de constituer une minorité noyée au sein des Hans majoritaires, les Tibétains sont les héritiers d'une civilisation millénaire à part entière, avec sa langue, sa culture, sa religion, et qui aspire à survivre.

Car, que demandent les Tibétains ? Tout simplement le respect de l'identité culturelle et religieuse de leur peuple dans le respect de l'intégrité territoriale de la Chine.

Dans un esprit d'apaisement, à deux reprises, le chef spirituel des Tibétains a avec réalisme ouvert la voie d'un compromis en donnant à la Chine la possibilité de sortir, à son avantage et sans perdre la face, de ces tensions permanentes.

À Strasbourg, devant le Parlement européen, le Dalaï-Lama a proposé en 1988 un plan de paix en cinq points : transformation du Tibet en une zone de paix démilitarisée ; abandon des transferts de population chinoises par la Chine ; respect des droits de l'Homme et des libertés individuelles ; restauration et protection de l'environnement naturel, avec l'abandon du stockage des déchets nucléaires chinois au Tibet ; ouverture de négociations sur le futur statut du Tibet. Il abandonnait la revendication d'indépendance pour se contenter d'une autonomie au sein de la Chine, ce qui constituait une concession majeure. Enfin, le Dalaï-Lama a cédé le pouvoir à un Premier ministre du gouvernement en exil, choisi par la diaspora, pour ne conserver qu'un magistère moral et religieux.

Toutes ces concessions n'ont eu aucun effet sur la politique de la Chine et les négociations sino-tibétaines demeurent au point mort. La multiplication des immolations par le feu (plus de 72 depuis 2009 d'après les données de l'administration tibétaine en exil) témoigne du désespoir de la population tibétaine.

Si la Chine représente un partenaire stratégique majeur pour notre pays, cela ne veut pas dire pour autant que la France élude, dans ses relations, la question des droits de l'homme.

Cette question est évoquée au plan bilatéral, chaque fois que des responsables français rencontrent des responsables chinois.

Cette question est également évoquée à l'échelle de l'Union européenne, dans le cadre du dialogue euro-chinois sur les droits de l'Homme.

Concernant le Tibet, la France, comme l'ensemble de nos partenaires européens, n'a de cesse d'appeler au dialogue, seule voie permettant de parvenir à une solution durable, qui respecte pleinement l'identité culturelle et spirituelle tibétaine, tout en préservant la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République populaire de Chine.

La présente proposition de résolution vise à attirer l'attention de l'Union européenne et de la communauté internationale face à l'aggravation de la situation au Tibet.

Son principal objet était de demander la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet, mais, lors de l'examen du texte devant la commission des affaires européennes, le texte a évolué et elle se contente désormais, à défaut de la désignation d'un représentant spécial, d'ériger cette question comme une priorité de l'action du représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'Homme.

Cette proposition de résolution est fondée sur les positions du Parlement européen.

Dès 1998, le Parlement européen a demandé la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet. En effet, à partir de 1997, les Etats-Unis ont mis en place un coordonateur spécial pour le Tibet. Ce coordonateur est une personnalité officielle de haut rang avec le titre de sous-secrétaire d'État, et son titulaire actuel est Mme Maria Otero, sous-secrétaire d'État pour la sécurité, les droits de l'Homme et la démocratie, en même temps que coordinateur spécial pour le Tibet.

Celle-ci rencontre trois fois par an les représentants du conseil de la sécurité de la Maison Blanche, du département d'État, ainsi que le sous-secrétaire d'État pour l'Asie et le Pacifique. Elle se rend régulièrement en Inde et au Népal pour rencontrer les Tibétains en exil. En trois ans, elle a rencontré cinq fois le Dalaï-Lama.

Comme autrefois sous Clinton, le président Barack Obama et la secrétaire d'Etat Mme Hillary Clinton se sont montrés très actifs, et ce, sans conséquences négatives : les relations entre les États-Unis et la Chine sont meilleures que celles de bien des pays européens.

Les Chinois ont accepté que la question du Tibet figure en priorité sur l'agenda sino-américain et leurs protestations sont formelles et presque routinières lorsque Barack Obama rencontre le Dalaï-Lama, ce qui n'est pas le cas lorsque des dirigeants européens font de même.

En 2002 et en 2003, le Parlement européen a adopté plusieurs résolutions appelant à nommer un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet afin de promouvoir des négociations sérieuses entre le gouvernement chinois, le Dalaï-Lama et ses représentants.

Dans une nouvelle résolution du 15 février 2007, le Parlement européen recommandait à l'Union européenne d'adopter une approche plus ferme pour favoriser le dialogue sino-tibétain. Il invitait en particulier le gouvernement de la Chine et le Dalaï-Lama à reprendre leur dialogue sans préalable, afin de parvenir à des solutions pragmatiques qui respectent l'intégrité territoriale de la Chine et répondent aux aspirations du peuple tibétain. Cette résolution invitait aussi à évaluer le rôle que l'Union européenne pourrait jouer pour faciliter une solution négociée, notamment en nommant un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet.

Or, cinq rencontres s'inscrivant dans le cadre du dialogue engagé en septembre 2002 entre le gouvernement de la Chine et les envoyés du Dalaï-Lama n'ont pas permis de régler les différences sur les problèmes de fond. En particulier, les deux parties n'ont pu atteindre une communauté de vues sur les relations historiques entre le Tibet et la Chine.

Après les événements de 2008 et le regain des tensions, le Parlement européen s'est encore attelé à la tâche de rappeler à la Chine la nécessité de respecter les droits de l'Homme au Tibet. Sa résolution du 14 juin 2012 soutient à nouveau la nomination d'un rapporteur spécial pour le Tibet auprès du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité, Mme Catherine Ashton.

Lors de l'examen de la proposition de résolution devant la commission des affaires européennes, j'ai suggéré plusieurs modifications, qui ont été acceptées, avec le souci de conserver l'esprit général et l'objectif d'attirer l'attention sur le respect des droits fondamentaux des Tibétains, tout en évitant de chatouiller la Chine sur sa souveraineté et son intégrité territoriale.

En particulier, je me suis interrogé sur l'opportunité de demander la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour une région à l'intérieur d'un État, ce qui constituerait une première. La Chine, qui considère le Tibet comme une affaire intérieure pourrait ressentir durement cette innovation.

J'ai pensé qu'il serait plus efficace d'avoir recours au nouveau représentant de l'Union pour les droits de l'Homme et de lui fixer la question tibétaine comme une priorité, ce qui a été accepté par la commission.

Je rappelle qu'il existe actuellement onze représentants spéciaux de l'Union européenne, qui appuient l'action du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton, et qui sont chargés de promouvoir les politiques et les intérêts européens dans les régions et les pays qui connaissent des troubles (comme les Balkans ou l'Afghanistan).

Le 25 juillet dernier, l'Union européenne s'est dotée, à la demande du Parlement européen, d'un représentant spécial pour les droits de l'Homme, dont le mandat vise notamment à renforcer l'efficacité, la présence et la visibilité de l'Union dans le domaine de la protection et de la promotion des droits de l'Homme. M. Stavros Lambrinidis, ancien ministre des affaires étrangères de nationalité grecque, a été choisi pour occuper cette fonction.

Tout en conservant l'esprit général de cette proposition de résolution, je vous proposerai plusieurs modifications afin d'améliorer encore sa rédaction.

Tout d'abord, je vous proposerai de modifier le titre de la proposition de résolution, afin de tirer les conséquences des modifications apportées par la commission des affaires européennes.

Je vous suggère ainsi de remplacer le titre actuel, qui fait toujours référence à un « représentant spécial pour le Tibet », par le titre suivant : « proposition de résolution européenne relative à l'action européenne en faveur de la protection des droits des Tibétains ».

Je vous suggère également d'adopter de légères modifications rédactionnelles, aux alinéas 4 et 6, en remplaçant le singulier par le pluriel, afin de distinguer les libertés de religion, d'association et d'expression et à l'alinéa 4 car il me paraît un peu excessif de faire du respect des droits de l'Homme l'un des principes fondateurs d'une politique étrangère.

Ensuite, je vous proposerai de transférer le segment de phrase « tenant compte de la nécessité, pour la République populaire de Chine, de préserver sa souveraineté et son intégrité territoriale et, pour les Tibétains, de jouir d'une réelle autonomie au sein de la République populaire de Chine », de l'alinéa 12 à l'alinéa 8, afin de mieux en souligner l'importance.

Enfin, et c'est peut-être la modification la plus importante, je vous suggère de remplacer le nom « Tibet » par l'expression « droits des Tibétains » aux alinéas 7 et 12.

Cette nuance sémantique permettrait de concilier deux objectifs : attirer l'attention sur la situation au Tibet et amener la Chine à une attitude plus respectueuse des droits des Tibétains, tout en évitant toute ambigüité sur la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République populaire de Chine.

Dans une période marquée par l'arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants, mais aussi de vives tensions entre la Chine et le Japon, et plus largement en Mer de Chine, je pense qu'il faut éviter tout geste qui pourrait provoquer l'effet inverse, avec un raidissement de la Chine dans son refus d'une ingérence dans ce qu'elle considère comme une affaire intérieure. Je vous propose dès lors d'adopter le texte de la proposition de résolution ainsi modifié.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé au sein de la commission.

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