Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission aide publique au développement programme « aide économique et financière au développement » et programme « solidarité à l'égard des pays en développement » - examen du rapport pour avis

Photo de Christian CambonChristian Cambon, co-rapporteur pour avis :

Si on prolonge la réflexion au-delà des aspects strictement budgétaires, il faut prendre en compte les évaluations assez sévères de la Cour des comptes et du cabinet Ernst & Young.

Ces évaluations pointent les faiblesses de la politique de coopération à trois niveaux : l'évaluation, le pilotage et l'allocation des moyens.

La principale conclusion de ces deux études, c'est finalement qu'on ne sait pas mesurer l'efficacité de cette politique. Contrairement à l'idée qu'on s'en fait, ces budgets sont aujourd'hui bien gérés à travers des procédures qui ont été professionnalisées, notamment grâce à l'AFD. En revanche, on ne sait pas mesurer, calculer l'impact concret de nos financements sur le terrain en matière de scolarisation, d'accès aux vaccins, d'accès au réseau d'eau potable, etc. Autrement dit on en sait pas rendre compte des effets produits par nos contributions. C'est ce que nous ne cessons de dire depuis des années et j'ai l'impression que le message est enfin entendu, le ministre s'est engagé à faire tout son possible pour mettre en place un suivi d'indicateur fiable et significatif.

S'agissant de nos contributions multilatérales, je veux redire ici que nous attendons encore l'évaluation de notre partenariat avec le Fonds Européen de Développement. Il s'agit quand même de près de 800 millions d'euros. Et avec le Fonds Mondial de Lutte contre le sida auquel nous versons chaque année 360 millions d'euros. Chaque fois que la France prend un nouvel engagement avec ce type d'institution, le Gouvernement devrait préalablement fournir au Parlement une évaluation des contributions passées. Nous devons savoir notamment si la programmation de ces organismes est conforme aux priorités de la France et si les frais de structures sont maîtrisés. C'est le cas pour ce qui relève du ministère des finances, c'est beaucoup moins vrai du ministère des affaires étrangères.

L'évaluation suppose des moyens et je crois que sur une mission de 3 milliards, nous devons dépenser plus pour évaluer nos actions. Pour cela, les trois organes d'évaluation devraient adopter une programmation conjointe et voir leurs effectifs renforcés. On peut même se demander pourquoi on ne fusionnerait pas ces trois organismes d'évaluation qui font la même chose mais un est à Bercy, l'autre au Quai et le troisième à l'AFD. Je me propose de demander en votre nom à ce que nous puissions le cas échéant demander l'inscription à leurs programmes de telle ou telle évaluation.

Voilà pour l'évaluation. Venons-en à l'allocation des moyens.

Je partage pleinement le point de vue de Jean-Claude sur le décalage entre l'allocation des moyens et les objectifs de solidarité à l'égard de l'Afrique francophone. Quand on consacre moins de 200 millions d'euros de subvention à des projets dans 17 pays prioritaires, on ne peut pas, au niveau de chaque pays, avoir une action structurante. Alors il est vrai qu'à travers l'aide multilatérale et l'aide européenne, nous intervenons fortement dans ces pays, mais c'est une préoccupation de voir la France avec des moyens aussi limités dans des pays stratégiques comme le Niger ou francophiles comme le Mali ou Madagascar. Dans ces pays la France est attendue et elle n'est pas toujours au rendez-vous.

Il est vrai qu'il s'agit d'un budget très contraint, d'une part la France a pris des engagements internationaux auprès de grandes institutions comme la Banque mondiale à laquelle la contribution pour 2013 s'élève à 400 millions d'euros. On ne peut se dédire de ces engagements sans renier le crédit de la France. Ces institutions ont par ailleurs toute leur légitimité et toute leur efficacité pour intervenir de façon massive dans des domaines comme les infrastructures en Afrique ou pour des causes bien identifiées comme la vaccination avec le fonds GAVI. Dans certains secteurs ça n'a pas de sens de rester derrière son drapeau national avec des moyens trop limités. Revenir sur nos contributions nous ferait par ailleurs sortir des organes de programmation de ces institutions. Or toute la stratégie consiste à essayer d'infléchir la programmation de la Banque mondiale, du Fonds africain de développement ou du FED pour qu'ils s'orientent vers les pays prioritaires de la coopération française. Tout cela suppose un vrai pilotage de nos contributions, ce n'est pas sûr que ça soit aujourd'hui vraiment le cas, comme le relève la Cour des comptes. Dans certaines institutions, nous avons par ailleurs considérablement réduit nos contributions. Je pense aux organismes dépendant de l'ONU où nous sommes régulièrement à la 17ème place pour ce qui est des contributions volontaires alors que nous faisons partie des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Comme le disait un ancien chef d'Etat-major de l'armée de terre, « Nous ne pourrons pas voyager longtemps en première avec un ticket de 3ème ! »

Il y aurait sans doute des marges de manoeuvres sur le fonds mondial de lutte contre le sida dans la mesure où ce fonds reçoit une part très significative du programme 209 alors qu'il ne concerne que trois maladies, au demeurant importantes. Les résultats de ce fonds sont, semble-t-il, très satisfaisants, mais en l'état actuel du budget, on peut se demander s'il ne contribue pas à un certain déséquilibre, d'autant plus qu'il existe dans le domaine de la santé d'autres priorités notamment en matière de santé maternelle et infantile. On contribue à hauteur de 360 millions d'euros par an alors que nous disposons de 200 millions d'euros de subvention pour l'ensemble des pays prioritaires.

Je voudrais également souligner le poids croissant des financements en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Nous ne sommes qu'au début d'une mobilisation mondiale sur le sujet. Cette semaine encore, la Banque mondiale vient de publier un rapport sur les conséquences cataclysmiques de relèvement de la température de la planète. Avec le réchauffement climatique et la biodiversité, le périmètre d'action de cette politique augmente sans que le budget lui n'augmente. C'est une préoccupation à un moment où le fonds vert issu des accords de Copenhague te de Rio+20 va se mettre en place.

J'en viens à l'aide européenne qui m'est chère pour souligner une situation paradoxale.

D'un côté, je crois qu'il faut aller vers un rôle croissant de l'Europe, cela n'a pas de sens de mener 27 ou même 15 politiques de coopération en Mauritanie ou ailleurs, chacun dans son coin. Je suis convaincu de la pertinence de l'échelon européen qui permettra à l'Europe de disposer d'une masse critique dont aucun Etat ne dispose seul aujourd'hui. Cela ne veut pas dire la disparation de coopération bilatérale, mais cela signifie que nous devons aller vers des programmations conjointes. Je me félicite de l'engagement pris par le ministre dans ce domaine. Il y a des expérimentations en cours dans 15 pays. Il nous faudra apprendre à être chef de file dans un pays et pas dans l'autre, dans un secteur et pas dans un autre. Il faudra appliquer le principe de subsidiarité en confiant la gestion d'un budget commun aux équipes les plus efficaces, cela sera parfois la France, parfois les Anglais, ou la représentation de la commission, parfois tous ensemble ou dans des coalitions d'acteurs complémentaires.

D'un autre côté, je constate les difficultés du FED, difficultés de décaissements, le 10ème FED a décaissé seulement la moitié de ses crédits alors qu'il devrait s'achever en 2013. On nous parle dans le même temps d'une augmentation de 30 % pour le 11ème FED. Nous ne disposons d'aucune évaluation de notre partenariat avec ce fonds, mais beaucoup soulignent la rigidité de la programmation et je comprends que seulement 30 % de ces fonds sont consacrés aux 17 pays prioritaires de la coopération française. Tout cela conduit à nous interroger sur la façon dont nous pilotons nos contributions à ce fonds.

S'agissant de notre aide bilatérale, je regrette le niveau très faible de nos moyens en subventions, je constate la diminution de 6 % des crédits de l'aide-projet du programme 209 pour 2013. Ce sont ces crédits qui peuvent aider des pays comme le Mali, le Niger ou la Mauritanie à mettre en place des politiques publiques modernes. Il faut bien avoir à l'esprit que si nous devions intervenir militairement de façon prolongée au Nord Mali, voire dans l'ensemble de la région, ça finira par nous coûter beaucoup plus cher que si nous avions pu grâce à notre coopération, favoriser le développement du Sahel depuis 15 ans. Le conflit Touareg date depuis des décennies, mais la lutte armées est née du sous-développement de ces dix dernières années. La coopération peut être un outil de prévention des conflits et en cela, c'est peut-être un outil bon marché. Il nous faut en tout cas, d'ores et déjà nous préparer à l'après-conflit.

Concernant l'AFD, je crois qu'il faut redire la nécessité de renforcer les capitaux propres de l'AFD. La France a choisi de confier à une banque la gestion de sa coopération. Cette banque est soumise à des ratios prudentiels. Si le niveau de ses fonds propres l'empêche de concentrer ses interventions sur des pays aussi stratégiques que le Maroc ou la Tunisie, il faut augmenter ces fonds propres. L'Etat a prélevé un milliard sur les dividendes de l'AFD depuis 2004, il lui faut aujourd'hui renforcer son capital.

J'ai le sentiment qu'il faut également poursuivre les transferts de compétences au profit de l'AFD. Les deux évaluations soulignent. La Cour des comptes observe que la présence simultanée dans tous les postes diplomatiques d'une agence de l'AFD et service de coopération conduit à renchérir les coûts administratifs de gestion de notre aide. Sur place, on a pu constater avec Jean-Claude que la répartition n'était pas toujours lisible ni pour nous, ni pour nos pays partenaires. On peut peut-être faire mieux avec moins.

S'agissant des extensions géographiques des interventions de l'AFD, en Asie centrale ou en Amérique latine, je pense qu'il nous faut aujourd'hui faire un bilan pour savoir exactement combien ces extensions coûtent, quels objectifs sont poursuivis, avant d'autoriser l'AFD à aller plus loin.

En ce qui concerne le pilotage de cette politique, au niveau du Parlement, il serait souhaitable qu'on nous présente des indicateurs clairs. Il est par exemple regrettable qu'on ne puisse pas obtenir une définition de l'effort financier de l'Etat en faveur de l'Afrique faute d'un accord entre les administrations du Trésor et du Quai d'Orsay sur cette définition. Nous souhaiterions pouvoir suivre, lors du budget, trois agrégats, d'une part, l'aide pilotable, celle sur laquelle on exerce de véritables choix, géographique, sectoriel, d'autre part, l'effort financier de l'Etat par zone géographique, c'est-à-dire la somme des subventions et des bonifications de prêts et, enfin, un agrégat plus vaste qui prenne en compte l'ensemble des financements qui vont vers les pays du sud, avec notamment les investissements des entreprises, les financements innovants, les apports des ONG.

De manière générale, il y a un certain nombre d'indicateurs de moyens qui figuraient dans le document stratégique national qu'on devrait retrouver chaque année dans les documents budgétaires. Il nous faut ensuite des indicateurs de résultats. Ces indicateurs ne sont pas essentiels pour le pilotage de cette politique mais ils sont nécessaires pour expliquer aux Français à quoi sert l'argent public qui est consacré à l'aide au développement. On ne pourra pas continuer comme cela si on ne peut pas communiquer sur ces résultats, les Anglais l'ont bien compris. Ces indicateurs doivent majoritairement être issus de l'analyse des projets effectivement financés par la coopération française et pas d'une extrapolation de statistiques plus ou moins fiables. Le tout devrait aboutir à des documents budgétaires lisibles et fournis dans le temps.

Au niveau de l'exécutif, les deux évaluations soulignent la difficulté de coordination entre la direction du Trésor, du ministère des finances et la direction de la mondialisation du ministère des affaires étrangères et l'absence de structures qui permettent un pilotage politique de l'ensemble de cette politique. En réalité le ministre du développement ne pilote pas les arbitrages budgétaires, ni pour le programme 110 qui dépend du ministère des finances, ni pour le programme 209 qui fait l'objet d'un arbitrage global avec les autres programmes du Quai d'Orsay au niveau du ministre des affaires étrangères.

Les difficultés de coordination entre l'ensemble des acteurs sont nombreuses. On l'a vu pour l'expertise technique, mais cela est vrai sur de nombreux autres sujets, même les plus mineurs, comme les statistiques. C'est pourquoi il faut promouvoir le rôle des organes de coordination comme le Comité interministériel de la coopération internationale, le CICID et le Co-COCID, quitte à en réformer la composition. Si la réorganisation de ces organes de pilotage ne suffit pas, il faudrait alors envisager un redécoupage administratif pour éviter qu'on perde du temps et de l'argent dans des querelles de périmètre et des rivalités de département ministériel.

Dans cet univers administratif fragmenté, plus que jamais le Parlement peut être un lieu de synthèse. C'est pourquoi nous sommes favorables à une loi de programmation sur l'aide au développement. Les deux évaluations que je citais le proposent, le président de la République l'a promis. Le ministre nous invite à la lui demander... Cette loi devrait définir notre stratégie par zone géographique et par grand thème et être accompagnée d'un cadrage budgétaire adapté.

Sous réserve de ces observations, nous vous proposons d'adopter les crédits de ce budget sous réserve de deux amendements que nous allons vous présenter.

Pour ma part ce budget se situe dans la continuité du précédent. Je ne vois donc pas de raison de m'y opposer. Il présente à mon sens les mêmes qualités, les mêmes défauts.

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