Intervention de Patricia Schillinger

Réunion du 9 octobre 2012 à 14h30
Bisphénol a — Suite de la discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la France, comme l’ensemble des pays occidentaux, est confrontée à une augmentation inquiétante de certaines maladies ou épidémies, qu’il s’agisse des cancers, du diabète, de l’obésité ou encore de la dégradation de la fertilité. Or, ni le vieillissement de la population ni l’amélioration du dépistage ne suffisent à expliquer, à eux seuls, ces phénomènes.

Ce constat est relativement partagé, mais les causalités restent largement débattues au sein de la communauté scientifique. On peut tout de même affirmer que de multiples facteurs environnementaux jouent un rôle majeur dans cette évolution préoccupante. Parmi ces facteurs, il existe un relatif consensus pour mettre en cause les perturbateurs endocriniens, substances étrangères à l’organisme susceptibles de bouleverser le système hormonal, dont le rôle est essentiel pour la reproduction, le métabolisme ou le comportement.

Sur ce sujet, la science n’apporte pas encore de réponses précises admises sans discussion par l’ensemble des spécialistes, notamment sur les mécanismes à l’œuvre. Qui plus est, cette famille de substances est large et hétérogène, et ses effets et modalités d’action sont très divers. Se pose alors la question de savoir à partir de quel moment les données scientifiques doivent être suffisamment certaines pour qu’une décision de santé publique soit adoptée. Telle est précisément la question centrale du principe de précaution, que la France – je le rappelle – a inscrit dans sa Constitution.

L’un de ces perturbateurs, le bisphénol A, ou BPA, a fait l’objet de nombreuses études depuis plusieurs années ; celles-ci ont été synthétisées par l’INSERM et par l’ANSES en 2011. Les expertises de ces deux organismes permettent de faire l’état des lieux des données actuellement disponibles.

On peut en tirer les conclusions suivantes, à titre de prémisses pour préparer notre décision.

Tout d’abord, la toxicité du BPA est avérée pour l’écosystème et pour l’animal ; elle est suspectée chez l’être humain.

Ensuite, l’alimentation constitue la source principale d’exposition.

En outre, la période de la gestation est critique et constitue, comme celle du début de la vie, une phase de vulnérabilité particulière.

Enfin, le BPA ne répond pas à l’approche toxicologique classique, selon laquelle « la dose fait le poison ». Des effets nocifs sont, en effet, susceptibles de survenir à faible dose, en deçà des « doses journalières tolérables » définies par les réglementations, encore fondées sur le principe du lien entre la dose et l’effet. On peut également citer les effets « cocktail », en cas de mélange de plusieurs substances, les effets « fenêtre », selon la période de la vie, et les effets transgénérationnels du BPA, c’est-à-dire sa capacité à produire des effets sur la descendance.

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’examen, par le Sénat, de la proposition de loi adoptée, il y a un an, par l’Assemblée nationale à la quasi-unanimité.

Après un riche débat, notre commission a approuvé la démarche progressive et ciblée de ce texte et je résumerai ainsi notre approche, qui s’inscrit en cohérence avec celle de l’Assemblée nationale.

Premièrement, il s’agit de suspendre, dès le 1er janvier prochain, la commercialisation des conditionnements alimentaires contenant du BPA destinés aux nourrissons et aux enfants jusqu’à l’âge de trois ans.

Deuxièmement, il convient d’étiqueter les conditionnements alimentaires comportant du BPA pour les déconseiller aux femmes enceintes et aux enfants de moins de trois ans. Notre commission a étendu cet avertissement sanitaire aux femmes allaitantes.

Troisièmement, il faudra, à terme, suspendre l’ensemble des conditionnements alimentaires comportant du BPA.

Sur ma proposition, la commission a ajouté une disposition afin d’habiliter les agents de la répression des fraudes à contrôler les produits et à constater les éventuelles infractions.

En commission, la fixation de la date appropriée pour cesser d’utiliser le BPA dans les conditionnements alimentaires a fait l’objet d’un débat qui se poursuivra naturellement en séance publique.

Avant de présenter mes propres arguments, je souhaiterais d’abord me réjouir du fait que, en débattant sur ce point de chronologie, nous acceptions ensemble le principe même de la fin programmée de l’utilisation du BPA dans les conditionnements alimentaires. Ce premier acquis essentiel n’était pas nécessairement évident au départ. Il faut, à mon sens, le souligner, car il constitue le message principal de cette proposition de loi, message à destination non seulement des consommateurs, mais aussi de l’ensemble de l’opinion européenne et internationale.

Nos collègues de l’Assemblée nationale avaient prévu un délai de deux années entre l’adoption présumée de la loi et l’entrée en vigueur de la mesure générale d’interdiction. J’ai proposé à la commission de conserver ce délai pour permettre aux chercheurs et aux industriels de s’adapter au bouleversement que constitue la fin du BPA dans le cadre d’un usage alimentaire. Ce composé est en effet largement employé dans ce secteur et nous ne devons pas faire d’erreur : il ne s’agirait pas de l’interdire pour le remplacer par un substitut mal adapté et trop vite expertisé.

Dans tous les débats actuels sur la qualité des expertises – je pense par exemple à celui sur les OGM –, nous constatons la nécessité de mener des analyses sur une période suffisamment longue d’exposition. Pour autant, les « signaux d’alerte » mentionnés par l’INSERM et par l’ANSES, dont j’ai largement fait mention dans mon rapport écrit, nous pressent ; ils sont trop précis et trop nombreux pour que nous affaiblissions notre message en reculant encore le terme de la substitution.

N’oublions pas que cette mesure se conjugue, d’une part, avec la suspension quasi immédiate du BPA dans les conditionnements alimentaires à destination des nourrissons et des enfants en bas âge et, d’autre part, avec la création d’un avertissement sanitaire. En outre, les industriels ont largement anticipé cette décision, notamment pour des raisons d’image de marque auprès des consommateurs, et ont entamé d’importantes recherches depuis plusieurs années.

Depuis une semaine, j’ai lu et entendu de nombreux commentaires sur la décision de la commission des affaires sociales de conserver ce délai de deux ans. Je souhaiterais simplement indiquer que, ce faisant, la France sera le premier pays au monde à adopter une mesure aussi générale. C’est pourquoi l’échéance du 1er janvier 2015 me semble représenter un équilibre à la fois raisonnable et volontariste.

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