Comme nombre d’entre nous, je suis touché par ce débat et je partage, à plusieurs égards, le malaise de René Garrec.
À la différence des dates commémoratives du 11 novembre et du 8 mai, qui font aujourd’hui partie de notre histoire et qui marquaient l’armistice de guerres menées pour défendre la liberté de notre pays, celle du 19 mars commémore le cessez-le-feu intervenu à l’issue d’une guerre d’indépendance d’un ancien territoire français, ce qui explique les sentiments partagés qui s’expriment aujourd’hui.
La place toute particulière de cette guerre dans l’histoire de notre pays plaide en faveur de la date du 19 mars, qui commémore la fin des conflits au Maroc, en Tunisie et en Algérie puisque, à des degrés d’intensité et de violence divers, la France a combattu contre l’indépendance de cette colonie et de ces deux protectorats français.
Je souhaite exprimer, avec tout le respect possible, mon désaccord avec l’argumentation présentée par les auteurs de la motion tendant à opposer la question préalable, en insistant sur deux points évoqués par notre collègue Jean-René Lecerf.
Tout d’abord, et ce sera ma première observation, le conflit d’Algérie fut le dernier au cours duquel des appelés du contingent ont combattu pour la France, et j’espère qu’il le restera longtemps.
Par les hasards de la vie publique, j’ai fait partie du gouvernement qui a intégré l’administration des anciens combattants dans celle de la défense, ce qui me semble être l’aboutissement naturel et honorable du phénomène social que représentent les vétérans dans notre pays.
Ce même gouvernement a mis fin à la conscription, sur la base d’une décision prise antérieurement par le président Chirac, et s’est efforcé d’organiser correctement une défense professionnalisée.
Enfin, ce gouvernement a consacré la reconnaissance de la guerre d’Algérie en tant que telle, et nous avons rappelé le grand rôle joué à cet égard par mon ami Jean-Pierre Masseret.
Cette génération de combattants qui a servi sous les ordres d’officiers, dont certains étaient des militaires d’active mais aussi, pour beaucoup d’entre eux, des appelés, a le droit que soit reconnu son apport à l’honneur et à la défense du pays, même si nous ne pouvons pas porter la même appréciation historique sur ce conflit armé que sur les deux guerres mondiales.
Cette « troisième génération du feu », que nous honorons comme telle, est la dernière génération d’appelés, de jeunes soldats citoyens.
Cette volonté de les honorer est largement partagée, nous le savons tous ; il suffit de voir dans quelles villes existent des rues ou des places du 19 mars 1962. Nous savons aussi, quelles que soient nos différences politiques, que ceux qui ont combattu en Afrique du Nord souhaitent la reconnaissance de cette date, et pas une autre. Du point de vue de la légitimité et de l’appel à l’honneur, il me semble donc que la reconnaissance de cette date se justifie à plusieurs titres.
Ma deuxième observation concerne le vote unanime intervenu sur la loi d’avril dernier fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France. Je n’en ai pas du tout la même lecture que Jean-René Lecerf !
Lorsque ce débat a eu lieu, nous traversions une période de fortes tensions politiques, je n’en dirai pas davantage. Comme vous le savez, l’idée de réunir lors de la même date les commémorations de l’ensemble des conflits auxquels a participé notre pays, déjà évoquée voilà fort longtemps par le président Giscard d’Estaing, suscitait une réelle émotion dans le monde combattant. Plusieurs d’entre nous, qui étions alors dans l’opposition, ont perçu le risque d’un clivage sur ce sujet, qu’il fallait évidemment éviter.
À la suite de quelques réflexions émises par les uns et les autres, un amendement tendant à rappeler que cette date ne mettrait fin à aucune autre commémoration a été présenté, rendant possible le rassemblement et l’unanimité. Pour ma part, j’y ai attaché la plus grande importance, du fait de mes fonctions antérieures et de l’attachement que je porte à la communauté militaire. Nous avions besoin, en effet, d’une date commémorant le sacrifice des militaires d’active, de la nouvelle défense française.
Nous sommes parvenus à nous rassembler sur ce sujet pour ce motif-là, car nous étions tous convaincus qu’il fallait trouver une date permettant d’honorer aussi la mémoire des soldats d’aujourd’hui, ces professionnels tombés lors d’opérations extérieures. En revanche, si nous avions voulu écarter, au travers de ce choix, le débat sur la commémoration de la guerre d’Algérie, nous savons tous que l’unanimité n’aurait pu se faire.
Mieux vaut nous rassembler dans le respect mutuel, j’y insiste, afin de consacrer la reconnaissance d’une génération du feu et de ses souffrances au combat au travers de la date du 19 mars, plutôt que de chercher des arguments ne correspondant ni à la réalité ni à la gravité des événements.