Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après ces paroles hautement républicaines de M. Mézard, je n’ai quasiment plus rien à dire !
Comme vous le savez, en 1790, l’assemblée constituante, prenant en compte le besoin de proximité des citoyens avec la justice, instaura les juges de paix, symboles d’une justice rapide, accessible, gratuite et équitable. Ceux-ci avaient pour ressort territorial le canton et pour principale mission de régler les petits litiges de la vie quotidienne, dans une démarche conciliatrice.
Les juges de paix furent supprimés par l’ordonnance n° 58-1273 du 22 décembre 1958 et remplacés par les tribunaux d’instance, juridiction d’exception dont le ressort, plus vaste, est fixé par décret. Cette extension de la taille des ressorts, associée à la professionnalisation du juge et à l’accroissement des compétences dévolues par le législateur, a fait perdre à cette juridiction le caractère de proximité qui avait assuré le succès du bon vieux « juge cantonal ».
Or cette judiciarisation de la société n’a pas tout résolu et certainement pas le problème de l’égalité des citoyens devant l’accès au droit. C’est ce souci, ancien et maintes fois réaffirmé, de rapprocher les citoyens de leur justice qui a poussé le législateur à créer, en septembre 2002, les juridictions de proximité, celles des petits litiges du quotidien.
Selon les chiffres donnés par la Chancellerie, on comptait, en 2011, 672 juges de proximité. Ils traitèrent cette année-là 90 000 affaires nouvelles en matière civile et 370 000 affaires en matière pénale.
Le contentieux est donc important et concerne les citoyens dans leur rapport premier avec la justice, celle de tous les jours.
En 2011, la loi du 13 décembre relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles a prévu, pour le 1er janvier 2013, la suppression des juridictions de proximité et le rattachement des juges de proximité aux tribunaux de grande instance.
Plusieurs arguments ont alors été avancés pour justifier ce changement : d’abord, l’existence de deux juridictions de première instance, qui complexifie manifestement l’organisation judiciaire puisque, en l’absence de juge de proximité dans un ressort, le tribunal d’instance retrouve sa compétence initiale ; ensuite, le faible nombre de juges de proximité, qui ne parvient pas à désengorger les tribunaux de manière significative ; enfin, la présence de membres de la société civile dans l’institution judiciaire.
En un mot, les juridictions de proximité auraient donc échoué à rapprocher les citoyens de la justice et à simplifier la juridiction de première instance.
Malgré ces reproches, dont certains sont justifiés, la proposition de loi présentée par Jean-Pierre Sueur, que nous examinons aujourd’hui en petit comité, vise à reporter la suppression des juridictions de proximité au 1er janvier 2015. Si le texte était adopté, les juridictions de proximité bénéficieraient donc d’un sursis de deux années encore.
Les réformes de ces dernières années n’ont fait qu’ébranler un peu plus la confiance des citoyens en leur justice et leurs juges. À cet égard, la réforme de la carte judiciaire, initiée en 2007 par Mme Rachida Dati, alors ministre de la justice, est emblématique : manque de méthode, absence de concertation, … On se souviendra longtemps des manifestations de magistrats et d’avocats !
En outre, si le délai imposé par la loi du 13 décembre 2011 est respecté, c’est tout le contentieux qui sera transféré aux tribunaux d’instance, alors que leurs moyens n’ont pas été augmentés, loin s’en faut, et que la dernière réforme de la carte judiciaire a abouti à la suppression de 178 d’entre eux.
Une réforme ambitieuse ainsi que l’apport de moyens financiers et humains plus importants seront nécessaires dans les années à venir. En fait, c’est tout l’appareil judiciaire de première instance qu’il faudrait revoir. Mais pour que cette réforme ne constitue pas un énième rendez-vous manqué, nous devons nous donner du temps : le temps de la réflexion mais, surtout, celui de la concertation.
Ce délai de deux années supplémentaires nous paraît, dès lors, raisonnable et utile. Voilà pourquoi les écologistes voteront ce texte.
Je veux profiter de l’optique de la réforme pour vous dire, madame la ministre, en poursuivant sur le mode lyrique employé par M. Mézard, que les écologistes – bien que n’étant pas jacobins, nous n’en sommes pas moins de gauche – sont convaincus que l’accès au droit est un rempart contre la précarité et un outil indispensable pour plus de dignité et de cohésion sociale. Nous considérons que l’accès au droit de tous doit constituer une priorité pour notre gouvernement. En effet, si nul n’est censé ignorer la loi, tous les citoyens doivent être égaux devant elle. Le temps est donc venu de rétablir la confiance des Français dans leur justice, qui n’est ni laxiste ni incompétente !
Pour conclure, je reprendrai simplement les mots du candidat Hollande, qui faisait de la justice de proximité celle des « oubliés, des humbles, des accidentés de la vie, cette justice du travail, de l’aide sociale, du handicap, des pensions, des allocations familiales qui concerne chaque année environ 250 000 personnes ». Je vous dirai aussi tout l’espoir que nous, écologistes, avons dans la réforme à venir. Et nous comptons sur vous, madame la ministre !