Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le moins que l’on puisse dire est que cet article a fait beaucoup parler de lui, au point qu’il a failli occulter d’autres dispositions tout aussi intéressantes du texte.
Je ne m’attarderai pas sur l’un des aspects de fond de la question qui nous occupe, à savoir que le régime d’imposition séparée des plus-values n’a tout son intérêt – c’est le cas de le dire ! – que lorsque le taux d’imposition apparent est supérieur au taux d’imposition des plus-values. Cette réalité sélectionne d’emblée assez largement le « public » qui a tout intérêt à voir le maintien du dispositif actuel.
Songeons-y un instant. La grand-mère qui a quelques économies lui ayant permis d’acquérir pour 400 euros ou 500 euros de titres, parts de sociétés ou fonds communs de placement auprès de la banque de détail qui gère son compte courant bancaire n’a même pas intérêt à faire imposer les éventuelles cessions de parts au titre du régime des plus-values. Elle-même est, le plus souvent, soit non imposable au titre de l’impôt sur le revenu, soit redevable d’une cotisation réduite, pour partie soumise à décote ou bénéficiant d’un abattement spécifique.
Ceux qui trouvent donc tout intérêt au régime d’imposition séparée des plus-values sont bel et bien ceux dont le revenu global est taxé au-delà de 18 %.
Lors de l’examen de l'article 5, nous avons eu l’occasion de souligner que cela ne concernait pas grand monde. Je ne peux que réitérer cette observation qui nous amène à poser la question de l’intérêt général. Défendre une approche contraire revient à ne s’intéresser qu’au 1 % de foyers fiscaux véritablement bénéficiaires du régime séparé d’imposition.
Mes chers collègues, sur cet article 6, nous avons déposé un amendement tendant à rétablir le texte initial de l’article, rejetant par là même la position défendue par les fameux « pigeons » qui ont été entendus par le Gouvernement et ont contraint ce dernier à mettre en place des dispositions « compensatrices ». Je pense à la remise en cause des frais réels à l’article 4 ter.
Pour notre part, nous estimons que le cadeau fiscal de plusieurs centaines de millions d’euros proposé pour Noël aux patrons « pigeons » est parfaitement injustifié.
En effet, à qui fera-t-on croire que seuls le génie créatif et la prise de risque de quelques entrepreneurs audacieux suffisent pour lancer ici un site de rencontres exploitant la misère affective, là une plateforme d’échange de produits déclassés ou d’occasion, ailleurs un site de vente par correspondance en ligne ? Arrêtons quelque peu les fables et n’oublions jamais que, derrière l’aventure et le story telling fort en vogue en la matière – « parti de rien, il a créé sa société et s’apprête à la revendre en pleine gloire pour tenter un nouveau coup d’audace ! » –, se trouvent généralement quelques banquiers à l’affût, beaucoup d’arrangements avec le code du travail et, surtout, le souci de choisir le moment de quitter le bateau, notamment quand la profitabilité commence à décliner.
Ces entrepreneurs quelque peu pressés me semblent créer des entreprises à l’image des vins primeurs que nous pouvons goûter : une attaque franche et séduisante, mais un goût qui s’évanouit très vite en bouche, puisque le produit manque de saveur sur la longueur...
La levée de boucliers des pigeons – falsifiant au demeurant la réalité, puisqu’appliquer un taux d’imposition de 45 % ne signifie pas que toute la plus-value y est soumise – n’est, au fond, que la révolte de ces entrepreneurs qui savent pertinemment que leur start up a une profitabilité en expansion de trois ans et que, passé ce délai, la rentabilité s’atténue, ce qui, de fait, rend l’affaire moins séduisante...
Les créneaux de production de biens et de services réduits, les segments étroits de clientèle, cela marche quand on est tout seul ou que deux ou trois autres personnes s’embarquent avec vous, mais, dès que le développement est parti et que les charges de structure progressent, c’est tout de suite beaucoup moins intéressant financièrement. Quand on voit comment des segments d’activité comme le renseignement téléphonique, la téléphonie mobile ou la fourniture d’énergie, malgré l’ouverture à la concurrence, ont pu évoluer, on mesure immédiatement ce qu’il y a derrière le « complot des pigeons ».
L’avenir de l’économie française n’est pas dans le soutien aux aventures d’un Charles Beigbeder, qui a échoué à vendre Annecy comme ville olympique et s’est déjà débarrassé de Poweo, son opérateur alternatif d’électricité, avant d’être confronté aux difficultés, ou d’un Pierre Kosciusko-Morizet, dont le site PriceMinister a dû être vendu à un fonds japonais pour éviter la cessation de paiement. Les belles histoires de l’économie de la connaissance et de la bulle cybernétique, des « entrepreneurs » audacieux en phase avec leur époque valent bien les fables que l’on raconte de temps à autre sur l’économie d’avant la naissance du capitalisme.
Autant nous comprenons fort bien qu’un chef d’entreprise ayant tenu la barre de son entreprise pendant quinze, vingt ou vingt-cinq ans, ayant largement réinvesti ses bénéfices dans l’affaire pour la conforter, puisse bénéficier d’un régime favorable de traitement de ses plus-values, autant il ne sous semble pas opportun de faire de même pour les créateurs d’entreprises à durée limitée, pressés de se débarrasser de leurs sociétés.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons l’article 6 que s’il est rétabli dans sa rédaction initiale.