Le présent avis porte sur les crédits du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives », de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».
Le périmètre de ce programme comprend les moyens affectés au Conseil d'État, aux huit cours administratives d'appel, aux quarante-deux tribunaux administratifs et, depuis le 1er janvier 2009, à la Cour nationale du droit d'asile.
Dans un contexte budgétaire contraint, pour permettre le redressement des finances publiques, alors que les dépenses de l'État sont globalement stabilisées en valeur, ce programme voit ses crédits progresser de 6 % en un an, avec 369,6 millions en crédits de paiement, et ses autorisations d'engagement augmenter de plus de 15 %, principalement en raison du renouvellement du bail des locaux de la Cour nationale du droit d'asile, pour un montant de 33 millions d'euros. Parallèlement, les effectifs augmentent de quarante emplois.
La sanctuarisation des moyens dont bénéficient les juridictions administratives tend à ne pas casser les efforts efficaces des dernières années de réduction des délais de traitement des affaires et du nombre de dossiers en stock.
Cependant, les juridictions administratives seront confrontées, dans les prochains mois au dynamisme confirmé des contentieux traditionnels (+ 6 % en chaque année depuis près de quarante ans), à la poursuite de la montée en puissance des contentieux particuliers (droit au logement opposable ou droit des étrangers), au volume élevé des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). En effet, en 2011, les tribunaux administratifs ont examiné 554 QPC, les cours administratives d'appel 146 et le Conseil d'État 201.
En dépit des efforts consentis par le Gouvernement, les moyens accordés aux juridictions administratives ne suffiront sans doute pas à absorber la pression contentieuse.
Le vice-président du Conseil d'État, M. Jean-Marc Sauvé l'a exprimé clairement lors de son audition devant notre commission : la création de quarante emplois ne permettra aux juridictions d'absorber que 3 % de hausse du contentieux. Or, nous sommes régulièrement au dessus.
Dès lors, il semble nécessaire de chercher des réponses complémentaires à la réponse budgétaire, pour éviter une dégradation de la situation de la justice administrative.
La première réponse que nous pouvons envisager est une réponse procédurale.
Depuis quelques années, sous l'impulsion du vice-président, M. Jean-Marc Sauvé, un certain nombre de réformes ont été engagées, visant à proportionner le traitement des affaires aux difficultés qu'elles présentent.
Je pense par exemple à la possibilité pour le rapporteur public d'être dispensé, à sa demande, par le président de la formation de jugement d'exposer publiquement ses conclusions à l'audience, en considération de la nature des questions à juger (affaires simples, répétitives...).
Je pense ensuite au jugement de certains litiges par un juge unique, plutôt que par une formation collégiale. Si cet outil a constitué l'un des éléments importants mis en place pour permettre aux juridictions de faire face à l'inflation du contentieux, il semble avoir atteint ses limites. En effet, en 2010 et 2011, le nombre d'ordonnances a connu une baisse sensible et le nombre d'affaires réglées par juge unique, une stabilisation.
Se dessinent alors de nouvelles perspectives fondées sur une limitation de l'intervention du juge aux cas qui le justifient pleinement.
Lors des déplacements que j'ai effectués, dans trois tribunaux administratifs, une cour administrative d'appel et au Conseil d'État, et au cours des auditions que j'ai réalisées, j'ai pu constater, un sentiment d'impuissance des magistrats s'agissant du droit au logement opposable (DALO), pour lequel, le juge ne peut qu'enjoindre l'État, éventuellement sous astreinte, de trouver un logement à la personne déclarée prioritaire. Le juge ne tranche ici aucune question de droit. Il ne règle pas non plus la situation du justiciable, puisqu'il n'est évidemment pas en mesure de lui attribuer un logement. Ce problème se manifeste principalement en Île-de-France, où il y a une véritable pénurie de logements. Il est moins prégnant ailleurs.
Ce sentiment d'impuissance du juge administratif est également présent en matière de droit des étrangers, où le juge peut être saisi de cinq séries de recours pour une même affaire (la contestation du principe même de l'éloignement, l'absence de délai de retour volontaire qui lui est laissé, le choix du pays de sa destination, le bien fondé de son placement en rétention et le prononcé d'une interdiction de retour...). Lorsqu'il annule par exemple, une décision de refus de titre du préfet, cela n'implique pas que l'étranger doive recevoir un titre de séjour, mais que son dossier doit être réexaminé.
Il me semble qu'une réflexion devrait s'engager pour rendre ces procédures plus simples et plus efficaces.
La deuxième réponse réside dans un renforcement de la productivité des juridictions.
L'image, pas toujours très positive, que nous avions des juridictions administratives a radicalement évolué au cours des deux décennies passées. Ces dernières années, des résultats très encourageants ont été obtenus grâce, notamment, à une très forte mobilisation des magistrats et des personnels des juridictions. Cependant, cette productivité semble avoir atteint un seuil qu'il sera difficile de dépasser à l'avenir. Le nombre de dossiers traités par magistrat ou par agent de greffe tend à se stabiliser.
Dès lors, le renforcement de la productivité des juridictions doit passer par d'autres canaux.
Le premier, réside dans la poursuite des efforts engagés par le Conseil d'État en matière de gestion optimale des moyens accordés.
J'ai été vraiment intéressé par les outils de pilotage des juridictions administratives utilisés par le Conseil d'État, notamment la diffusion de tableaux de bords mensuels. Elle permet le suivi de l'activité en temps réel, sur le terrain, par les chefs de juridiction et, au niveau central, par le secrétariat général du Conseil d'État. Ce processus n'est absolument pas vécu comme une contrainte par les juridictions. Il permet de surveiller les flux contentieux, et d'ajuster les moyens en fonction des besoins.
Ce pilotage se caractérise aussi par un dialogue permanent, dans les deux sens, entre le Conseil et les autres juridictions administratives, à travers des « Conférences de gestion » annuelles et des déplacements sur le terrain du vice-président dans chaque juridiction (tous les quatre ans), de la section du contentieux (sur des questions juridiques particulières), du secrétaire général du Conseil d'État...
Enfin, les juridictions administratives ont mis en place une véritable administration électronique.
Les méthodes de travail des magistrats, tout d'abord, en ont été profondément bouleversées. Les outils informatiques ont permis, pour le traitement des contentieux de masse, par exemple, l'utilisation de modèles de décision et d'une banque de paragraphes, une centralisation des jurisprudences, ainsi que l'accès aux ressources documentaires, par la mise en place d'un intranet performant. Cela améliore considérablement la productivité des magistrats.
De plus, la juridiction administrative se livre à une vaste expérimentation de la dématérialisation du poste de travail des magistrats, avec le « travail juridictionnel collaboratif ». Les magistrats utilisent quasi-exclusivement leurs ordinateurs, portables notamment. Tous les magistrats, sans distinction de génération, s'y sont mis. Ce système engendre des économies de papier considérables.
Quant à l'activité juridictionnelle, l'objectif est, à terme, de dématérialiser le cycle complet de traitement d'un dossier du contentieux administratif, de l'enregistrement des recours à la notification des décisions et à l'archivage des dossiers.
Cet effort important de modernisation entrepris par les juridictions administratives, moyennant un investissement technologique initial élevé, devrait générer, à terme, des économies substantielles, en particulier en matière de frais d'affranchissement, d'utilisation de papier et des gains de productivité substantiels.
Cependant, la dématérialisation de la procédure doit demeurer une option, car les justiciables ne sont pas tous égaux en équipement et dans la maîtrise de l'outil informatique. Il faut traiter de la même manière toutes les requêtes.
Voilà les quelques éléments d'information que je voulais vous communiquer.
Pour conclure, le budget « sanctuarisé » proposé pour les juridictions administratives me semble aller dans le bon sens. Je vous propose, par conséquent, que notre commission donne un avis favorable à l'adoption de ces crédits.