Intervention de Roland Ries

Réunion du 28 novembre 2012 à 9h30
Loi de finances pour 2013 — Participation de la france au budget de l'union européenne

Photo de Roland RiesRoland Ries :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’exprimerai pas devant vous aujourd’hui un point de vue strictement financier et technique. Je voudrais plutôt évoquer quelques éléments plus politiques, qui pour moi s’imposent dans le contexte actuel avec la force de l’évidence, mais qui permettront, me semble-t-il, de cadrer ce débat, lequel a des aspects techniques complexes, mais surtout une dimension politique forte.

Concrètement, nous sommes ici, ce matin, pour débattre de l’article 44 du projet de loi de finances pour 2013, plus communément appelé prélèvement européen. Cet article dispose que le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne est environ de 20 milliards d’euros.

Mes chers collègues, il y a là bien plus que le simple énoncé d’un chiffre. Derrière ces milliards se cache en effet une vision, une certaine conception de la construction européenne. C’est bien cela qui, en réalité, mérite d’être débattu, au-delà des chiffres qui nous sont présentés.

Nous serons cet après-midi amenés à voter les ressources, afin de pouvoir ensuite, peut-être, parler des dépenses. Cependant, à l’inverse du budget français, voté par la représentation nationale, le budget européen n’est pas entièrement débattu par le Parlement européen. Les députés de Strasbourg s’expriment uniquement sur les dépenses, tandis que les ressources, d’origine nationale, sont débattues au niveau intergouvernemental lors de réunions du Conseil plus ou moins extraordinaires, souvent peu ordinaires en tout cas.

Ainsi, selon la décision du Conseil du 7 juin 2007 relative au système des ressources propres, les États membres versent au budget de l’Union européenne des ressources dites « traditionnelles » – droits de douanes, prélèvements agricoles et cotisations diverses –, une partie de leur TVA ainsi qu’un prélèvement appelé revenu national brut, c’est-à-dire, en l’occurrence, pour la France, environ 20 milliards d’euros pour 2013.

A priori, tout comme nos collègues députés européens, nous ne pouvons argumenter sur cette somme, qui est destinée à assurer l’équilibre du budget européen pour 2013. Ce débat nous permet néanmoins de vous interpeller, monsieur le ministre, et d’échanger avec l’ensemble des groupes politiques qui composent cet hémicycle sur les moyens de rendre ce budget européen plus efficace, mais aussi plus solidaire et d’éviter les périls auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.

Comme cela a été dit, ce débat sur le budget 2013 s’inscrit effectivement dans un contexte de crise très important : crise économique et financière, crise écologique, mais aussi crise institutionnelle entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen, crise, enfin, au sein même du Conseil entre les différents États membres.

Crise institutionnelle, car le budget européen de l’année 2012 n’est pas définitivement réglé. Crise institutionnelle, car les négociations sur le budget européen 2013 se sont soldées par un échec le 13 novembre dernier. Crise institutionnelle, enfin, car, parallèlement à ces tensions, les négociations qui ont eu lieu le week-end dernier sur le nouveau cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 n’ont pas abouti non plus.

Mes chers collègues, nous pouvons le dire, « l’Europe budgétaire » est aujourd’hui dans une grande impasse. Son passé n’est pas soldé, son présent est incertain et son futur est préoccupant.

En ce qui concerne le passé, le budget pour l’année 2012, qui pourtant devrait être aujourd’hui derrière nous, demeure d’actualité puisqu’une dizaine de programmes européens avaient déjà utilisé, au mois d’octobre, entre 95 % et 100 % des fonds alloués pour l’année budgétaire en cours. Il manque ainsi une rallonge de 9 milliards d’euros pour la recherche, la croissance et l’emploi, l’enseignement, la santé, l’aide alimentaire et l’aide humanitaire. En pratique, il manque par exemple 90 millions d’euros pour les seules bourses Erasmus. Certains pays comme l’Espagne sont à court d’argent et incapables de verser leurs bourses à leurs étudiants. Une situation dramatique pour l’avenir d’un dispositif dont on sait pourtant l’importance dans l’émergence d’une citoyenneté et d’une conscience européennes.

Aucun accord n’a été conclu sur ce point : le Parlement insiste pour qu’une solution soit trouvée sur le paiement des factures de 2012 et fait pression en bloquant les négociations sur le budget 2013. Cette pression du Parlement européen est, à mon sens, d’autant plus nécessaire que ce n’est pas la première fois que les crédits accordés à l’Union européenne ne permettent pas de tenir l’année. En effet, fin 2011, le budget européen s’était déjà retrouvé dans une situation similaire, car le budget alors adopté était nettement sous-évalué. La Commission avait donc dû reporter à 2012 environ 5 milliards d’euros de factures, qui ont par conséquent amputé ledit budget 2012 d’autant. D’ailleurs, lors de l’adoption de ce budget, le commissaire européen avait prévenu que les montants adoptés étaient sous-évalués et « ne permettraient pas de couvrir les besoins ».

Nous sommes donc face à une situation endémique, qui se reproduira certainement l’an prochain, le manque augmentant chaque année du fait du report du déficit d’un exercice budgétaire sur l’autre.

Le présent budget n’est guère plus encourageant. Le budget 2013 se révèle en effet être dans l’impasse. Le Conseil, confronté à des États membres divisés entre une augmentation et une stabilisation budgétaire, a revu à la baisse le projet de la Commission, qui prévoyait une hausse de 9 milliards d’euros par rapport au budget de l’année qui se termine.

En réalisant un grand nombre de coupes budgétaires, le Conseil a donc davantage écouté les États membres qui demandent une discipline budgétaire renforcée que ceux qui sollicitent une augmentation. Il a tenu à souligner le paradoxe qu’il y a « à autoriser au niveau européen une progression des dépenses publiques qui est interdite à la majorité des États membres au niveau national ».

En réalité, mes chers collègues, il s’agit là non pas uniquement d’un arbitrage budgétaire, mais d’un choix économique et politique. À l’austérité des pays s’ajouterait désormais l’austérité de l’Union, quand la France plaide, elle, pour un budget raisonnable et orienté vers la croissance et l’emploi. La France souhaite en effet un budget qui s’inscrit dans la ligne de la réorientation engagée par le Conseil européen des 28 et 29 juin dernier, et des priorités fixées par le Pacte pour la croissance et l’emploi. Rappelons que nous avions alors obtenu une réaffectation de 55 milliards d’euros de fonds structurels et une recapitalisation de la Banque européenne d’investissement à hauteur de 10 milliards d’euros.

La commission des budgets du Parlement européen s’est cependant opposée aux réductions voulues par le Conseil et a voté, en séance plénière le 23 octobre dernier, un budget très proche de celui qui avait été initialement proposé par la Commission. Un bras de fer s’engage donc sur la table de l’Europe entre, d’un côté, le Conseil et, de l’autre, la Commission et le Parlement, qui plaident pour un budget qui soit « un instrument privilégié de relance et de croissance économique ».

C’est donc en quelque sorte Keynes contre Friedman et, faute d’aboutir à un consensus impossible, les eurodéputés se préparent à ce que le budget 2013 ne soit pas voté et que, à défaut, le système des douzièmes provisoires soit appliqué.

Comment, dans ces conditions, envisager sereinement le futur budgétaire de l’Union ? Déjà, lors des négociations concernant le cadre financier 2007-2013, Tony Blair, alors Premier ministre du Royaume-Uni, avait dit : « si on ne change pas nos méthodes, la prochaine fois, il y aura des morts entre nous ! » Il fallait voir dans cette remarque comme une prémonition, car le Conseil extraordinaire des 22 et 23 novembre dernier est bien en passe de faire une première victime : l’Europe elle-même.

Tout le monde s’aperçoit en fait que, ce qui se joue à l’occasion de ces négociations, c’est bien l’avenir de l’Europe. Car construire un budget, fût-il européen et pluriannuel, ne relève pas du simple exercice comptable, mais constitue un acte politique. Et c’est précisément sur les contours de ce projet politique européen que portent, et que doivent porter les débats. Aux tenants d’une Europe du progrès économique et de la justice sociale, d’une Europe qui dispose des moyens financiers nécessaires pour soutenir une politique résolue en matière d’investissement et de croissance, s’opposent en effet les tenants d’une Europe minimale, simple variable d’ajustement budgétaire dans un contexte économique difficile pour ses États membres.

Je considère, pour ma part, que nous ne pouvons pas laisser se compromettre le destin européen dans les eaux glacées des calculs égoïstes. Sinon, comme l’a rappelé le Président de la République, François Hollande, à l’occasion de son déplacement en Pologne, « c’est une Europe au rabais qui se prépare, où chacun viendra chercher son chèque », quand le projet européen vise, au contraire, à sublimer les intérêts nationaux.

Dès lors, mes chers collègues, les négociations pluriannuelles 2014-2020 doivent être l’occasion d’engager un vrai débat, à la fois sur le niveau et l’origine des ressources budgétaires de l’Union Européenne et sur le ciblage des dépenses et des priorités. Du côté des ressources, la Commission européenne proposait, par exemple, de revoir les différents rabais dont disposent certains États membres, mais également de trouver des ressources budgétaires propres à l’Union, afin d’éviter que cette dernière ne dépende presque exclusivement des seules contributions nationales, aujourd’hui si âprement négociées. Je souscris évidemment à cette orientation. Ces ressources budgétaires propres pourraient être constituées, au-delà des ressources propres traditionnelles, par la taxe sur les transactions financières, par une taxe carbone ou encore par la création d’un impôt européen.

Je sais que cette perspective n’est pas populaire dans le contexte d’aujourd’hui, mais, par exemple, un impôt sur les sociétés, même faible, et harmonisé au niveau européen, permettrait notamment de lutter contre le dumping fiscal auquel se livrent les pays de l’Union pour renforcer l’attractivité de leur territoire. §

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