C’est notre responsabilité de législateur qui est en cause !
Le rapporteur, M. Barbier, reconnaît lui-même qu’est ici en jeu une disposition centrale de la loi de bioéthique.
De surcroît, l’annonce de nouvelles réformes sur ces sujets relatifs à la bioéthique dans le cadre des débats à venir sur le mariage pour tous et la procréation médicalement assistée, la PMA, n’est pas pour nous rassurer. Un « appel » de cent députés en faveur de l’élargissement du projet de loi sur le mariage pour tous à la PMA vient en effet d’être adressé au Président de la République. Comment imaginer, mes chers collègues, revoir les règles de la PMA au détour de ce texte sans réviser les lois de bioéthique, qui nécessitent précisément un vaste débat préalable ? Il semble à l’évidence qu’il aurait été plus opportun, sur des sujets aussi graves, d’avoir une vision globale, de vraies consultations préalables et surtout une continuité dans les débats.
Y avait-il une urgence législative pour procéder de la sorte ? J’avoue être gêné et même choqué par la méthode, et je sais que ce sentiment est partagé par nombre de mes collègues, indépendamment de leur position sur le fond ou de leur appartenance politique. Cette méthode, qui traduit une volonté d’esquiver le débat, nous conforte dans l’idée qu’un tel sujet aurait mérité à tout le moins des consultations préalables et un vaste débat. Rien que pour cela, cette proposition de loi nous semble inopportune.
J’en viens maintenant au fond.
La loi de bioéthique du 7 juillet 2011 avait été précédée d’un large débat public sur tout le territoire national.
Tout d’abord, des avis et rapports avaient été commandés par le gouvernement d’alors afin d’approfondir la réflexion ; je veux parler du mémoire du Comité consultatif national d’éthique ainsi que des rapports de l’Agence de la biomédecine et du Conseil d’État.
Ensuite, le gouvernement avait pris une initiative innovante, démocratique et républicaine en organisant les « états généraux de la bioéthique », qui s’étaient déroulés durant tout le premier semestre de 2009. Il s’agissait d’élargir le débat au-delà du cercle des spécialistes, en donnant aux citoyens la possibilité de participer à des forums régionaux, en compagnie de médecins, de juristes et de philosophes, afin d’alimenter la réflexion sur les enjeux éthiques qui engagent notre avenir commun. La contribution finale a ainsi permis de donner la parole à l’opinion publique, de nourrir le débat et de confronter les experts aux questions et réflexions pertinentes des citoyens.
Ce n’est qu’ensuite que le Parlement, éclairé par la synthèse de ces travaux, a été saisi du projet de loi. Les rendez-vous de la bioéthique organisés dès 2009 ici même par la commission des affaires sociales du Sénat avaient déjà permis d’engager la réflexion, afin que chacun d’entre nous puisse se confronter, avant le vote, aux questions de fond. Les auditions sénatoriales du rapporteur Alain Milon ont par la suite complété cette consultation en profondeur des responsables concernés.
La discussion en séance, longue et fructueuse, avait permis à chacun de s’exprimer en son âme et conscience, notamment sur le sujet crucial de la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches qui en sont issues.
On le voit, ce sont un long chemin démocratique et des débats d’une ampleur sans précédent qui ont permis d’aboutir à la loi du 7 juillet 2011. Le texte auquel nous étions parvenus tenait tout à la fois compte de l’état de l’opinion et de l’avis de la communauté scientifique. Il a du reste été salué par de nombreux observateurs comme un texte équilibré et de compromis.
Le vote final du Parlement avait tranché en faveur du principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon humain, assortie de dérogations. D’aucuns auraient certes préféré le principe d’une autorisation assortie d’un encadrement, et c’est d’ailleurs le sens de la proposition de loi qui nous est soumise. S’agit-il pour autant d’une modification mineure ?
Il est clair que la portée d’un régime d’autorisation assorti de restrictions est très différente de celle d’un principe d’interdiction assorti de dérogations. On peut supposer qu’il y a, dans les deux cas, une même volonté de protéger l’embryon et d’éviter les dérives, mais il n’en est rien !
Comme l’a souligné le rapporteur Gilbert Barbier, l’interprétation juridique sera toujours différente. Dans le cas de l’interdiction, la possibilité de déroger est d’interprétation stricte ; dans le cas de l’autorisation, c’est la condition qui restreint la liberté de la recherche qui est d’interprétation stricte. Poser le principe de l’autorisation de la recherche sur l’embryon humain entraînera évidemment une accélération des autorisations de protocoles accordées par l’Agence de la biomédecine. Et nous sommes bien là au cœur du sujet !
La proposition de loi qui est soumise aujourd’hui à notre examen tend donc à revenir sur la philosophie même de la loi, en établissant un régime d’autorisation encadrée de la recherche sur l’embryon humain. Il s’agit d’un revirement à 180 degrés portant sur le cœur même du texte de la loi de 2011. Je crains qu’une telle approche, si elle est exclusivement à la main d’enjeux scientifiques, voire financiers ne constitue pas un progrès.
Rouvrir le débat dix-huit mois après l’adoption de la loi mériterait à tout le moins qu’on s’interroge sur les éléments scientifiques nouveaux susceptibles de justifier l’examen par le Parlement de cette modification.
Je note tout d’abord que très peu d’auditions ont été organisées pour préparer ce texte et que nombre d’arguments renvoient aux débats antérieurs au vote de la loi de 2011. Certes, je ne nie pas que ce qu’une majorité a fait, une autre peut le défaire. Mais, en l’espèce, on peut espérer que ce texte soit inspiré par d’autres considérations que celle d’un détricotage systématique des réformes adoptées par un autre gouvernement.
Alors, qu’y a-t-il de nouveau sur le fond pour qu’on légifère une nouvelle fois toutes affaires cessantes ?
Je constate que l’actualité conforte le vote de 2011 et confirme ce que l’état des recherches laissait déjà apparaître.
La communauté scientifique internationale, en couronnant les travaux du biologiste anglais John Gurdon et du médecin chercheur japonais Shinya Yamanaka du prix Nobel de médecine, vient de reconnaître que la transformation des cellules adultes en cellules souches constitue une solution de remplacement efficace à la recherche sur les embryons humains, désormais évitable.
Le comité Nobel a indiqué que ces découvertes avaient permis de montrer que les cellules adultes pouvaient être reprogrammées pour devenir pluripotentes, donc dotées de la capacité de se différencier en plusieurs types de cellules, et qu’elles révolutionnaient notre compréhension de la manière dont les cellules et les organismes se développent. Les cellules « reprogrammées » pourront ainsi régénérer différents tissus humains et permettre de traiter certaines maladies dégénératives, notamment nerveuses, sans le recours, éthiquement délicat, aux embryons humains.
Cette avancée a été saluée par de nombreux scientifiques : le professeur Marc Peschanski, qui y voit une « excellente nouvelle », le professeur écossais Ian Wilmut, « père » de la brebis clonée Dolly, qui a rejoint l’équipe du professeur Yamanaka et abandonné ses travaux sur les cellules souches embryonnaires, et le scientifique Axel Kahn.
Face à ce concert d’avis unanimes émanant de spécialistes d’horizons différents, nul besoin de bagage scientifique particulier pour mesurer le bouleversement décisif et prometteur causé par ces faits récents.
Dans ces conditions, le texte dont nous débattons ce soir est-il innovant ?
À la lumière d’une telle actualité, les dispositions de la présente proposition de loi apparaissent comme conformistes, voire décalées, et sont en tout cas contredites par les évolutions de la science elle-même. Je regrette que ce texte envoie un message à contre-courant, au risque d’aggraver le retard de la recherche française sur les cellules souches non embryonnaires.
Certains chercheurs, comme Mme Gluckman, présidente de l’association Eurocord, avaient d’ailleurs déclaré dès mars 2011 au Sénat, lors de la table ronde sur les cellules souches organisée par la commission des affaires sociales, qu’ils craignaient que « nous n’ayons pris beaucoup de retard sur les États-Unis et l’Asie » dans le domaine des cellules souches pluripotentes induites.
Dans un article récent du Quotidien du médecin, M. Privat, ancien directeur d’unité à l’INSERM, et Mme Adolphe faisaient également état du retard considérable que la France a déjà pris dans le domaine de la recherche sur les IPS, faute d’un financement adéquat.
L’argument majeur volontiers avancé par les auteurs de la proposition de loi pour justifier leur démarche est que ce texte permettrait à la recherche française de ne pas être en décalage par rapport à la recherche internationale. Cependant, n’est-ce pas précisément l’effet inverse qui se produirait en cas d’adoption de ce texte ?
Les crédits disponibles n’étant pas extensibles à l’infini, inciter à la recherche sur l’embryon humain reviendrait de fait à pénaliser pour partie la recherche d’avenir que constitue la recherche alternative sur les cellules souches adultes.
Sur le fond, la proposition de loi ne répond donc pas véritablement à un impératif scientifique.
Au regard de la procédure et du droit, l’examen de ce texte intervient au mépris de l’article 46 de la loi relative à la bioéthique, qui dispose : « Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
« À la suite du débat public, le comité établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation. »
Le moins que l’on puisse dire est que toutes ces étapes, qui figurent dans la loi votée en 2011, ont été allègrement ignorées. Nul débat public, pas la moindre consultation d’experts, aucune concertation d’élus n’ont précédé la présentation de cette proposition de loi, qui n’a fait l’objet d’aucune publicité.
Le Gouvernement, sur ces sujets de société, semble très frileux, redoutant la confrontation des idées et des points de vue, et préférant l’opacité. Lui toujours si prompt à créer des comités Théodule ou à commander des rapports sur tant de sujets où les éléments du débat sont connus est bien loin ici de la transparence réclamée et affichée comme une méthode de gouvernement ! Ce débat confisqué hypothèque considérablement la crédibilité du texte que nous examinons.