Intervention de Alexandre de Juniac

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 12 décembre 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Alexandre de Juniac président-directeur général d'air france

Alexandre de Juniac, président-directeur général d'Air France :

Merci pour votre accueil. Je suis accompagné par M. Xavier Broseta, directeur général adjoint en charge des ressources humaines et de la politique sociale - c'est lui qui a piloté l'ensemble des chantiers sociaux que nous allons évoquer -, M. Zoran Jelkic, mon directeur de cabinet, en charge des métiers, et Mme Patricia Manent, qui s'occupe des relations avec le Parlement et les institutions.

L'industrie du transport aérien mondial est fragile et en difficulté, notamment en Europe.

Elle cumule en effet deux facteurs de fragilité : une intensité capitalistique extrêmement forte, puisqu'elle nécessite des infrastructures industrielles ou informatiques lourdes, et que les avions coûtent cher (la flotte du groupe Air France-KLM a une valeur à neuf de vingt milliards d'euros environ) et une forte intensité de main d'oeuvre, puisque c'est, au fond, une industrie de services - même si Air France-KLM est aussi un employeur industriel, avec près de quinze mille emplois industriels.

Elle est, du surcroît, fortement exposée à la concurrence internationale. En Europe, le marché est désormais complètement dérégulé, et nous devons faire face, vous le savez, à l'irruption très rapide des compagnies low cost - même si la France, du fait de notre position prépondérante, est relativement protégée de ce phénomène, puisque la part de marché de ces compagnies n'y est que de 20 %, contre 40 % en moyenne en Europe, et jusqu'à 60 % en Espagne et en Italie. Sur les vols long-courriers, nous voyons arriver sur le marché des compagnies qui n'existaient pas il y a dix ans : compagnies du Golfe, telles qu'Emirates, Qatar Airways ou Etihad Airways, compagnies asiatiques pourvues de flottes neuves, mais situées plus loin donc un peu moins dangereuses pour nous. Dans tous les cas, la concurrence se renforce, et pour des entreprises de services comme nous c'est une concurrence entre statuts sociaux - y compris en Europe, où l'harmonisation fiscale et sociale est loin d'être faite...

L'industrie du transport aérien, enfin, est soumise à d'innombrables aléas : on connaissait ceux de la météorologie, mais on ignorait jusqu'à récemment l'impact que pouvait avoir une éruption volcanique, qui a pu arrêter tout trafic aérien pendant plusieurs jours en 2010, causant des pertes de plusieurs centaines de millions d'euros aux compagnies aériennes. Il y a aussi les aléas technologiques, comme l'accident de Fukushima qui a bloqué le marché japonais, ou géopolitiques : le printemps arabe, par exemple, a arrêté ou considérablement ralenti le trafic sur la partie Afrique du Nord-Moyen Orient.

Les difficultés se concentrent en Europe : les compagnies américaines se sont redressées - mais après être toutes passées sous chapitre 11 -, en Asie les compagnies sont soit nationales, soit étatisées, à l'exception des compagnies japonaises - mais Japan Airlines est passé tout près de la faillite - et les compagnies du Golfe bénéficient d'un soutien actionnarial très fort, pour lequel la rentabilité du capital n'est pas toujours la priorité, et sont aussi une forme d'expression de la puissance de l'État qui les possède. En Europe, les grandes compagnies (British Airways, Iberia, Lufthansa et Air France-KLM) sont dans des situations difficiles et ont lancé des plans de restructuration extrêmement vigoureux. Depuis mon arrivée, deux acteurs ont disparu : la compagnie nationale hongroise Malev, et Spanair, compagnie espagnole de type semi low cost. Le transport aérien dans son ensemble souffre sur notre continent ; or, c'est une industrie clef : on dit souvent qu'il n'y pas de grand pays sans grande compagnie aérienne. Comment, en effet, organiser le transport international des passagers et des marchandises sans réseau aérien mondial ?

Air France-KLM est un acteur majeur dans l'industrie du transport aérien. Mais sa situation financière est extrêmement tendue, c'est pourquoi nous avons dû mettre en oeuvre les mesures de redressement que vous avez évoquées. Le groupe utilise environ 600 avions, ce qui en fait l'une des premières compagnies mondiales, sans doute après Delta et United Airlines, et au niveau de Lufthansa. C'est le plus grand réseau intercontinental mondial : nous desservons près de 130 destinations, quand le deuxième réseau, celui de Lufthansa, en dessert moins de cent. Nous appartenons à un réseau d'alliances très puissant, Skyteam, avec deux partenaires principaux : sur la partie américaine, Delta, qui est l'une des deux plus grandes compagnies américaines, et en Chine les compagnies China Eastern et China Southern, qui nous donnent accès à ce qui sera bientôt le plus grand marché aérien du monde. Il comporte aussi des compagnies coréennes, européennes, sud-américaines... Cela nous permet - avantage commercial et stratégique majeur - d'offrir le plus grand nombre possible de destinations, comme nous le demandent nos clients et notamment les grandes entreprises mondiales qui ont besoin d'un tel réseau.

En France, Air France-KLM est un acteur très important, pour plusieurs raisons. Nous sommes le premier employeur privé de la région Île-de-France, avec 45 000 salariés principalement répartis entre Roissy et Orly. Nous sommes un acteur important de l'aménagement du territoire, grâce aux dessertes opérées par Air France ou par nos compagnies régionales, que vous connaissez. Nous sommes aussi un acteur important en matière industrielle, avec 9 000 emplois industriels de très haute qualification dans la maintenance : Air France industries KLM Engineering & maintenance est le numéro deux mondial, après Lufthansa, de la maintenance industrielle, qui est un secteur en forte expansion, puisque la flotte mondiale croît dans les mêmes proportions que le transport aérien.

Le chiffre d'affaires d'Air France-KLM avoisine les 25 milliards d'euros, pour un effectif total de 107 000 salariés, dont les deux tiers sont employés par Air France. Malheureusement, notre situation financière est très dégradée. Nous avons subi cinq années consécutives de pertes d'exploitation ; pour 2012 notre perte d'exploitation devrait être inférieure à celle de 2011 - nous nous y sommes engagés vis-à-vis de la communauté financière - mais elle sera tout de même très significative. Notre dette financière, qui s'élevait à 2 ou 2,5 milliards d'euros en 2007, a pratiquement triplé pour atteindre 6,5 milliards d'euros au 31 décembre 2011. Il faut lui ajouter les leasings d'avions - qui sont une pratique normale de l'industrie - ce qui porte le total de notre dette à 11 milliards d'euros. Nos fonds propres étant de cinq milliards, notre situation est très difficile. Elle l'est d'autant plus qu'étant une industrie à forte intensité de main d'oeuvre, et soumise à une forte pression concurrentielle, nos marges sont extrêmement limitées. Comme les volumes d'affaires sont très gros, on s'imagine volontiers que nous sommes riches, mais nous ne faisons guère de marge. C'est un élément un peu triste de cette industrie, qui explique notre fragilité financière : un endettement important est extrêmement préoccupant pour nous.

Cette situation financière impose un effort de redressement très vigoureux. J'ai lancé dès mon arrivée, en janvier dernier, le plan Transform 2015, qui comprend un ensemble de mesures immédiates relativement classiques que vous avez rappelées (gel des salaires, compression des investissements, coupes dans les dépenses de frais généraux), et qui sont complétées par un ensemble de mesures sur les plans industriel, social et commercial. Le but est de faire revenir la compagnie Air France, et dans son sillage Air France-KLM, à la profitabilité, et au premier plan en termes de positionnement commercial, de marque, et de qualité de produit.

Un des éléments qui expliquent la dégradation des résultats d'Air France est que nos coûts sont structurellement trop élevés, notamment par rapport à nos concurrents européens, qui ont pourtant des droits sociaux à peu près comparables. Notre plan industriel vise donc à optimiser le long-courrier : nous avons un réseau dense, qui fonctionne assez bien mais a perdu de la compétitivité. Les avions sont pleins, et la recette se maintient à peu près sur les vols intercontinentaux. En baissant nos coûts, la profitabilité, actuellement quasi nulle, redeviendra très significative, comme elle l'a longtemps été. Nous allons restructurer bien davantage le court et le moyen courriers, car ils concentrent l'intégralité des pertes de l'activité passagers d'Air France-KLM, et d'Air France en particulier, avec 700 millions d'euros de pertes dont 500 pour Air France. Nous allons donc optimiser notre programme, en fermant des lignes déficitaires et en ouvrant des lignes que nous pensons bénéficiaires, et restructurer notre offre autour de trois pôles : un pôle Air France, qui dessert les grands flux de trafic sous les couleurs d'Air France ; un pôle régional français, avec une nouvelle marque qui sera dévoilée fin janvier, qui servira l'alimentation d'Orly et de Roissy sur les petits flux de trafic mais aussi les lignes transversales, et qui regroupera les filiales Brit Air, Regional et Airlinair ; enfin un pôle low cost, Transavia, pour s'attaquer au marché low cost du loisir qui est le plus dynamique actuellement. Nous espérons que cette offre combinée nous permettra de toucher l'ensemble des segments de marché.

La renégociation sociale, condition nécessaire du succès, a été lancée en mars dernier avec les trois catégories de personnel : personnel au sol, personnel navigant commercial (hôtesses et stewards), et personnel navigant technique (pilotes). Nous avions deux objectifs : une réduction de 20 % des coûts de chacune des catégories, et un délai de trois mois pour aboutir - ce qui n'était pas la tradition de la maison en la matière... Grâce à Xavier Broseta, deux négociations sur trois ont abouti, avec plein succès : avec les pilotes, qui sont une part critique de notre personnel, et avec le personnel au sol, qui représente 60 % de nos effectifs. Malheureusement, nous n'avons pas pu conclure d'accord avec les personnels navigants commerciaux : nous sommes allés jusqu'au bout, nous avions un projet de texte, mais nous n'avons pas pu conclure. Après avoir un peu hésité, nous avons récemment rouvert des négociations. A la différence des deux autres catégories de personnel, l'accord qui régit les conditions de travail des personnels navigants commerciaux est un accord à durée déterminée ; ils l'avaient voulu lorsqu'ils avaient signé le précédent accord en 2008. Cet accord expire au 31 mars 2013. Il n'est donc pas possible de le dénoncer, mais en l'absence de nouvel accord au 31 mars nous pouvons imposer unilatéralement des conditions qui réglementent l'emploi de nos personnels navigants commerciaux. Nous avons donc jugé nécessaire d'attendre un peu, après l'échec de la négociation, du printemps dernier, pour voir comment les choses allaient évoluer, et comme nous préférons un accord à des mesures unilatérales, nous avons décidé d'ouvrir de nouvelles négociations, avec quatre principes : même objectif de 20 % d'économies - ne serait-ce que par souci d'équité avec les autres catégories de personnel -, respect du calendrier, prise pour point de départ du projet d'accord que nous avions failli signer, et contreparties (plan de départ volontaire, garanties de rémunération...) si un accord est trouvé, mais pas sinon, pour les mêmes raisons d'équité. Nous espérons trouver un accord avec deux au moins des trois organisations représentatives du personnel que nous avons.

La reconquête commerciale passe par deux volets : d'abord, la lutte contre les low cost, à la fois grâce au pôle régional français, la partie Air France et Transavia. Nous avons une offre qui couvre bien tous les segments du marché, et nous allons lancer en janvier une offre commerciale à prix réduits avec options à destination de la clientèle qui recherche des prix limités mais qui est prête à payer des options. La compagnie Delta, avec laquelle nous sommes alliés, a réussi à limiter l'évolution des low cost sur le territoire nord-américain, alors même qu'elles y étaient plus anciennes : la compagnie Southwest, notamment, a fait couler beaucoup d'encre. Ce n'est donc pas une ambition irréaliste. Ensuite, nous allons remonter en gamme l'ensemble des autres produits Air France : moyen-courrier d'apport sur le long-courrier. Nous portons la France dans notre marque, nous pouvons donc jouer sur cet atout en mettant en avant qualité de vie, savoir-vivre, cuisine, produits de luxe, afin d'attirer la clientèle des pays émergents notamment. Nous devons convaincre les Brésiliens, les Chinois, les Indiens, de monter dans nos avions : cette clientèle est très sensible à la qualité que la France peut fournir. Nous allons donc investir près de 600 millions d'euros dans la rénovation pour améliorer tous les aspects de nos vols : sièges, nourriture, télévision à bord, service au sol, afin que nous puissions, collectivement, être fiers de notre compagnie nationale, que nous avons pour objectif de faire revenir, en 2016, parmi les premières en terme de qualité de service.

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