La commission procède à l'audition de M. Alexandre de Juniac, président-directeur général d'Air France.
Monsieur de Juniac, vous pilotez depuis un an l'un des fleurons de l'économie française. La période difficile que nous traversons vous a amené à faire des économies : Air France a perdu 350 millions d'euros l'an passé, et pourrait perdre un peu plus cette année, alors que le trafic a repris et que le chiffre d'affaires augmente. Vous avez lancé un plan de redressement ambitieux, « Transform 2015 », pour rétablir les marges bénéficiaires dès 2015 et remettre en place une compagnie aérienne globale, présente à la fois à l'international et au plan régional, ainsi que dans le segment des compagnies low cost. Sans perdre de temps, vous avez pris immédiatement des mesures de réduction des dépenses - gel des salaires, renégociation des accords sociaux et restructuration de l'offre industrielle - afin de rendre Air France plus concurrentielle. Vous avez annoncé 550 millions d'euros supplémentaires pour améliorer la qualité de service au sol et en cabine, et vous prévoyez le départ volontaire de 5 122 personnes. Cela répond à l'objectif que vous avez fixé de 20 % de gain de productivité pour chacune des trois catégories de personnel. Ce plan, qui a fait l'objet, j'imagine, d'âpres négociations, a abouti à la signature d'accords avec les pilotes et avec les personnels au sol, mais pas encore avec les personnels navigants commerciaux. Pouvez-vous nous dire où en est cette négociation ? Pensez-vous pouvoir limiter les pertes dès l'an prochain ? Comment voyez-vous l'avenir des lignes déficitaires, et en particulier - c'est le coeur de notre compétence - des lignes intérieures ?
Merci pour votre accueil. Je suis accompagné par M. Xavier Broseta, directeur général adjoint en charge des ressources humaines et de la politique sociale - c'est lui qui a piloté l'ensemble des chantiers sociaux que nous allons évoquer -, M. Zoran Jelkic, mon directeur de cabinet, en charge des métiers, et Mme Patricia Manent, qui s'occupe des relations avec le Parlement et les institutions.
L'industrie du transport aérien mondial est fragile et en difficulté, notamment en Europe.
Elle cumule en effet deux facteurs de fragilité : une intensité capitalistique extrêmement forte, puisqu'elle nécessite des infrastructures industrielles ou informatiques lourdes, et que les avions coûtent cher (la flotte du groupe Air France-KLM a une valeur à neuf de vingt milliards d'euros environ) et une forte intensité de main d'oeuvre, puisque c'est, au fond, une industrie de services - même si Air France-KLM est aussi un employeur industriel, avec près de quinze mille emplois industriels.
Elle est, du surcroît, fortement exposée à la concurrence internationale. En Europe, le marché est désormais complètement dérégulé, et nous devons faire face, vous le savez, à l'irruption très rapide des compagnies low cost - même si la France, du fait de notre position prépondérante, est relativement protégée de ce phénomène, puisque la part de marché de ces compagnies n'y est que de 20 %, contre 40 % en moyenne en Europe, et jusqu'à 60 % en Espagne et en Italie. Sur les vols long-courriers, nous voyons arriver sur le marché des compagnies qui n'existaient pas il y a dix ans : compagnies du Golfe, telles qu'Emirates, Qatar Airways ou Etihad Airways, compagnies asiatiques pourvues de flottes neuves, mais situées plus loin donc un peu moins dangereuses pour nous. Dans tous les cas, la concurrence se renforce, et pour des entreprises de services comme nous c'est une concurrence entre statuts sociaux - y compris en Europe, où l'harmonisation fiscale et sociale est loin d'être faite...
L'industrie du transport aérien, enfin, est soumise à d'innombrables aléas : on connaissait ceux de la météorologie, mais on ignorait jusqu'à récemment l'impact que pouvait avoir une éruption volcanique, qui a pu arrêter tout trafic aérien pendant plusieurs jours en 2010, causant des pertes de plusieurs centaines de millions d'euros aux compagnies aériennes. Il y a aussi les aléas technologiques, comme l'accident de Fukushima qui a bloqué le marché japonais, ou géopolitiques : le printemps arabe, par exemple, a arrêté ou considérablement ralenti le trafic sur la partie Afrique du Nord-Moyen Orient.
Les difficultés se concentrent en Europe : les compagnies américaines se sont redressées - mais après être toutes passées sous chapitre 11 -, en Asie les compagnies sont soit nationales, soit étatisées, à l'exception des compagnies japonaises - mais Japan Airlines est passé tout près de la faillite - et les compagnies du Golfe bénéficient d'un soutien actionnarial très fort, pour lequel la rentabilité du capital n'est pas toujours la priorité, et sont aussi une forme d'expression de la puissance de l'État qui les possède. En Europe, les grandes compagnies (British Airways, Iberia, Lufthansa et Air France-KLM) sont dans des situations difficiles et ont lancé des plans de restructuration extrêmement vigoureux. Depuis mon arrivée, deux acteurs ont disparu : la compagnie nationale hongroise Malev, et Spanair, compagnie espagnole de type semi low cost. Le transport aérien dans son ensemble souffre sur notre continent ; or, c'est une industrie clef : on dit souvent qu'il n'y pas de grand pays sans grande compagnie aérienne. Comment, en effet, organiser le transport international des passagers et des marchandises sans réseau aérien mondial ?
Air France-KLM est un acteur majeur dans l'industrie du transport aérien. Mais sa situation financière est extrêmement tendue, c'est pourquoi nous avons dû mettre en oeuvre les mesures de redressement que vous avez évoquées. Le groupe utilise environ 600 avions, ce qui en fait l'une des premières compagnies mondiales, sans doute après Delta et United Airlines, et au niveau de Lufthansa. C'est le plus grand réseau intercontinental mondial : nous desservons près de 130 destinations, quand le deuxième réseau, celui de Lufthansa, en dessert moins de cent. Nous appartenons à un réseau d'alliances très puissant, Skyteam, avec deux partenaires principaux : sur la partie américaine, Delta, qui est l'une des deux plus grandes compagnies américaines, et en Chine les compagnies China Eastern et China Southern, qui nous donnent accès à ce qui sera bientôt le plus grand marché aérien du monde. Il comporte aussi des compagnies coréennes, européennes, sud-américaines... Cela nous permet - avantage commercial et stratégique majeur - d'offrir le plus grand nombre possible de destinations, comme nous le demandent nos clients et notamment les grandes entreprises mondiales qui ont besoin d'un tel réseau.
En France, Air France-KLM est un acteur très important, pour plusieurs raisons. Nous sommes le premier employeur privé de la région Île-de-France, avec 45 000 salariés principalement répartis entre Roissy et Orly. Nous sommes un acteur important de l'aménagement du territoire, grâce aux dessertes opérées par Air France ou par nos compagnies régionales, que vous connaissez. Nous sommes aussi un acteur important en matière industrielle, avec 9 000 emplois industriels de très haute qualification dans la maintenance : Air France industries KLM Engineering & maintenance est le numéro deux mondial, après Lufthansa, de la maintenance industrielle, qui est un secteur en forte expansion, puisque la flotte mondiale croît dans les mêmes proportions que le transport aérien.
Le chiffre d'affaires d'Air France-KLM avoisine les 25 milliards d'euros, pour un effectif total de 107 000 salariés, dont les deux tiers sont employés par Air France. Malheureusement, notre situation financière est très dégradée. Nous avons subi cinq années consécutives de pertes d'exploitation ; pour 2012 notre perte d'exploitation devrait être inférieure à celle de 2011 - nous nous y sommes engagés vis-à-vis de la communauté financière - mais elle sera tout de même très significative. Notre dette financière, qui s'élevait à 2 ou 2,5 milliards d'euros en 2007, a pratiquement triplé pour atteindre 6,5 milliards d'euros au 31 décembre 2011. Il faut lui ajouter les leasings d'avions - qui sont une pratique normale de l'industrie - ce qui porte le total de notre dette à 11 milliards d'euros. Nos fonds propres étant de cinq milliards, notre situation est très difficile. Elle l'est d'autant plus qu'étant une industrie à forte intensité de main d'oeuvre, et soumise à une forte pression concurrentielle, nos marges sont extrêmement limitées. Comme les volumes d'affaires sont très gros, on s'imagine volontiers que nous sommes riches, mais nous ne faisons guère de marge. C'est un élément un peu triste de cette industrie, qui explique notre fragilité financière : un endettement important est extrêmement préoccupant pour nous.
Cette situation financière impose un effort de redressement très vigoureux. J'ai lancé dès mon arrivée, en janvier dernier, le plan Transform 2015, qui comprend un ensemble de mesures immédiates relativement classiques que vous avez rappelées (gel des salaires, compression des investissements, coupes dans les dépenses de frais généraux), et qui sont complétées par un ensemble de mesures sur les plans industriel, social et commercial. Le but est de faire revenir la compagnie Air France, et dans son sillage Air France-KLM, à la profitabilité, et au premier plan en termes de positionnement commercial, de marque, et de qualité de produit.
Un des éléments qui expliquent la dégradation des résultats d'Air France est que nos coûts sont structurellement trop élevés, notamment par rapport à nos concurrents européens, qui ont pourtant des droits sociaux à peu près comparables. Notre plan industriel vise donc à optimiser le long-courrier : nous avons un réseau dense, qui fonctionne assez bien mais a perdu de la compétitivité. Les avions sont pleins, et la recette se maintient à peu près sur les vols intercontinentaux. En baissant nos coûts, la profitabilité, actuellement quasi nulle, redeviendra très significative, comme elle l'a longtemps été. Nous allons restructurer bien davantage le court et le moyen courriers, car ils concentrent l'intégralité des pertes de l'activité passagers d'Air France-KLM, et d'Air France en particulier, avec 700 millions d'euros de pertes dont 500 pour Air France. Nous allons donc optimiser notre programme, en fermant des lignes déficitaires et en ouvrant des lignes que nous pensons bénéficiaires, et restructurer notre offre autour de trois pôles : un pôle Air France, qui dessert les grands flux de trafic sous les couleurs d'Air France ; un pôle régional français, avec une nouvelle marque qui sera dévoilée fin janvier, qui servira l'alimentation d'Orly et de Roissy sur les petits flux de trafic mais aussi les lignes transversales, et qui regroupera les filiales Brit Air, Regional et Airlinair ; enfin un pôle low cost, Transavia, pour s'attaquer au marché low cost du loisir qui est le plus dynamique actuellement. Nous espérons que cette offre combinée nous permettra de toucher l'ensemble des segments de marché.
La renégociation sociale, condition nécessaire du succès, a été lancée en mars dernier avec les trois catégories de personnel : personnel au sol, personnel navigant commercial (hôtesses et stewards), et personnel navigant technique (pilotes). Nous avions deux objectifs : une réduction de 20 % des coûts de chacune des catégories, et un délai de trois mois pour aboutir - ce qui n'était pas la tradition de la maison en la matière... Grâce à Xavier Broseta, deux négociations sur trois ont abouti, avec plein succès : avec les pilotes, qui sont une part critique de notre personnel, et avec le personnel au sol, qui représente 60 % de nos effectifs. Malheureusement, nous n'avons pas pu conclure d'accord avec les personnels navigants commerciaux : nous sommes allés jusqu'au bout, nous avions un projet de texte, mais nous n'avons pas pu conclure. Après avoir un peu hésité, nous avons récemment rouvert des négociations. A la différence des deux autres catégories de personnel, l'accord qui régit les conditions de travail des personnels navigants commerciaux est un accord à durée déterminée ; ils l'avaient voulu lorsqu'ils avaient signé le précédent accord en 2008. Cet accord expire au 31 mars 2013. Il n'est donc pas possible de le dénoncer, mais en l'absence de nouvel accord au 31 mars nous pouvons imposer unilatéralement des conditions qui réglementent l'emploi de nos personnels navigants commerciaux. Nous avons donc jugé nécessaire d'attendre un peu, après l'échec de la négociation, du printemps dernier, pour voir comment les choses allaient évoluer, et comme nous préférons un accord à des mesures unilatérales, nous avons décidé d'ouvrir de nouvelles négociations, avec quatre principes : même objectif de 20 % d'économies - ne serait-ce que par souci d'équité avec les autres catégories de personnel -, respect du calendrier, prise pour point de départ du projet d'accord que nous avions failli signer, et contreparties (plan de départ volontaire, garanties de rémunération...) si un accord est trouvé, mais pas sinon, pour les mêmes raisons d'équité. Nous espérons trouver un accord avec deux au moins des trois organisations représentatives du personnel que nous avons.
La reconquête commerciale passe par deux volets : d'abord, la lutte contre les low cost, à la fois grâce au pôle régional français, la partie Air France et Transavia. Nous avons une offre qui couvre bien tous les segments du marché, et nous allons lancer en janvier une offre commerciale à prix réduits avec options à destination de la clientèle qui recherche des prix limités mais qui est prête à payer des options. La compagnie Delta, avec laquelle nous sommes alliés, a réussi à limiter l'évolution des low cost sur le territoire nord-américain, alors même qu'elles y étaient plus anciennes : la compagnie Southwest, notamment, a fait couler beaucoup d'encre. Ce n'est donc pas une ambition irréaliste. Ensuite, nous allons remonter en gamme l'ensemble des autres produits Air France : moyen-courrier d'apport sur le long-courrier. Nous portons la France dans notre marque, nous pouvons donc jouer sur cet atout en mettant en avant qualité de vie, savoir-vivre, cuisine, produits de luxe, afin d'attirer la clientèle des pays émergents notamment. Nous devons convaincre les Brésiliens, les Chinois, les Indiens, de monter dans nos avions : cette clientèle est très sensible à la qualité que la France peut fournir. Nous allons donc investir près de 600 millions d'euros dans la rénovation pour améliorer tous les aspects de nos vols : sièges, nourriture, télévision à bord, service au sol, afin que nous puissions, collectivement, être fiers de notre compagnie nationale, que nous avons pour objectif de faire revenir, en 2016, parmi les premières en terme de qualité de service.
La parole est à notre rapporteur pour le budget des transports aériens, M. Vincent Capo-Canellas, qui est aussi maire du Bourget.
Merci pour la franchise avec laquelle vous avez abordé la problématique financière d'Air France. Les chiffres que vous avez cités montrent l'ampleur du défi. Où en est l'application financière du plan Transform 2015 ? Qu'en est-il des échéances à venir, notamment en ce qui concerne la dette ? Vous avez affiché un objectif de retour à la profitabilité. On dit souvent que les compagnies américaines ont fortement augmenté leur profitabilité. Y a-t-il un secret américain ? Peut-on s'en inspirer ?
Quelle est l'évolution du trafic ? Je comprends que le moyen et le long courriers se portent assez bien. Qu'en est-il du trafic intérieur, et européen ? S'est-il stabilisé ?
Vous avez été très clair sur la négociation avec les personnels navigants commerciaux. Estimez-vous que, si vous signez un accord, ce plan suffira, ou la dégradation éventuelle de la conjoncture imposera-t-elle de nouveaux efforts ?
On dit souvent qu'on naît low cost, mais qu'on ne le devient pas, même s'il semble y avoir quelques contre-exemples aux États-Unis. Comment Air France peut-elle prendre pied sur ce marché ?
Où en êtes-vous de la stratégie d'alliance d'Air France à l'international ?
Où en est le projet de monter au capital d'Alitalia ?
Vous nous avez indiqué qu'un accord a été trouvé avec les pilotes, et avec les personnels au sol, mais que la discussion reprend avec les hôtesses et les stewards, qui sont régis par des CDD...
C'est leur convention collective qui a une durée déterminée. Individuellement, ils sont en CDI.
Quelles seraient les conséquences d'un échec de la négociation ? Faut-il s'attendre à des grèves ?
On peut supposer que les mesures que vous avez prises vous permettront de retrouver des marges et de réduire votre dette. Que deviendra alors le projet de monter au capital d'Alitalia ? Est-ce suspendu, abandonné ?
Vous avez évoqué Regional Airlines : cette filiale comprend plusieurs centaines de salariés, qui sont inquiets. Il semble qu'Air France favorise ses syndicats de pilotes, qui sont puissants, et que vous voulez récupérer un certain nombre de lignes qui sont desservies par Regional Airlines. Quel est l'avenir de cette compagnie ? Pouvez-vous nous faire une réponse plus claire que la dernière fois que nous vous avons entendu ?
J'habite Poitiers : dans la région, tous les marchés sont raflés par Ryanair, ce qui est désagréable. Répondez-vous à tous les appels d'offres ? Ryanair est aidée, Air France pourrait l'être aussi ! Notre compagnie devrait être plus présente sur ces marchés importants.
Je suis bien d'accord : l'omniprésence de Ryanair est agaçante, d'autant que cette compagnie bénéficie d'aides publiques.
En matière d'aménagement du territoire, envisagez-vous de modifier la stratégie d'Air France en direction du rail ? La ligne LGV entre Paris et Bordeaux ouvrira en 2017 : y a-t-il une tentation ?
Il existe de très grandes compagnies de transport de fret. Pour Air France, le fret peut-il être une solution pour contribuer à la rentabilité de l'entreprise ?
Les compagnies des pays émergents sont soutenues par les États. Air France-KLM a-t-elle besoin de plus d'État ?
Quelle est la part des constructeurs d'avions dans la flotte d'Air France ?
Nous avons donné comme perspective à la communauté financière - vous savez comme ces communications sont strictement surveillées - des résultats pour 2012 meilleurs que ceux de 2011, et une première diminution de notre dette : nous comptons la faire passer de 6,5 à 4,5 milliards d'euros dans les deux prochaines années, et revenir à la profitabilité dès 2014, pour atteindre un taux de profitabilité compris entre 6 % et 8 % en 2015, ce qui peut paraître faible mais est significatif dans notre secteur. Nous sommes sur le chemin annoncé, mais de justesse. Aussi n'avons-nous d'autre choix que de mettre en oeuvre le plan Transform 2015 dans son intégralité : il n'y a pas de marges de manoeuvre. Nous avons conçu ce plan sur des hypothèses prudentes de croissance du trafic et de nos capacités : jusqu'à 2011, celles-ci croissaient de 4 % à 5 % par an, nous comptons qu'elles augmenteront de 1 % ou 2 % dans les trois prochaines années.
La profitabilité des compagnies américaines s'explique par le dispositif prévu par le chapitre 11, qui leur permet de renégocier leurs engagements avec leurs créanciers, et souvent de les transformer en capital : ainsi Delta a fait des principales banques auprès desquelles elle s'était endettée ses actionnaires. Il permet aussi de renégocier les accords de personnel sous le contrôle du juge, comme le fait actuellement American Airlines. Elles peuvent ainsi transformer complètement leur modèle économique, d'une manière qu'on ne peut pas transposer en France...
L'évolution du trafic est contrastée. Sur le long courrier, les taux de remplissage de nos avions sont bons. Mais sur les court et moyen courriers, alors que le trafic vers l'Europe du Nord et l'alimentation du restent soutenus, les destinations d'Europe du Sud connaissent un fort ralentissement, voire, dans le cas de l'Espagne et de l'Italie, un effondrement du trafic. Le trafic domestique reste très ralenti également, notamment en classe affaires, peut-être parce que les entreprises font désormais voyager leurs employés dans des conditions moins avantageuses, ou les font moins voyager. Nous suivons cette évolution, qui nous inquiète, mois par mois, et même semaine par semaine, voire jour par jour. Heureusement notre équipe de gestion et d'optimisation du remplissage des avions est l'une des meilleures au monde.
Faudra-t-il un deuxième plan Transform ? L'actuel plan était prévu pour les années 2012, 2013 et 2014, avec une clause de rendez-vous au deuxième semestre 2013. Il prévoit 5 122 suppressions d'emplois - toutes par départ volontaire - pour 2012 et 2013, il y aura peut-être une nouvelle tranche pour 2014, si la conjoncture se dégrade ou si nos performances sont inférieures à nos prévisions, mais il est encore beaucoup trop tôt pour le dire : rendez-vous au deuxième semestre 2013. En revanche, de nouvelles restructurations industrielles ne me semblent pas à prévoir.
Il n'est certainement pas question de transformer Air France en une compagnie low cost. D'une part, nos coûts ne sont pas « low », et d'autre part, nous ne cherchons pas à proposer, sous la marque « Air France », un produit au rabais : ce serait une erreur, qui tirerait la marque vers le bas. Le marché du court et moyen courriers se décompose en effet en trois segments : environ 30 % des clients sont prêts à payer sans discuter, soit parce qu'ils ont les moyens, soit parce que c'est leur entreprise qui paie : ce segment a tendance à rétrécir ; la même proportion, à peu près, ne veut pas payer, et joue des comparateurs de prix sur internet pour réduire au maximum la facture : c'est la clientèle des compagnies low cost, et nous n'avons guère de chance de la récupérer ; c'est du low cost de type Ryanair avec lequel nous ne pouvons pas nous battre. Enfin, 40 % du marché fluctue entre les compagnies low cost et notre compagnie, dont ces clients apprécient à l'occasion les prestations : il nous faut absolument les fidéliser. Cette clientèle est l'objet de notre politique commerciale au travers de Transavia, qui est né low cost, et du pôle régional français qui pratiquera des prix réduits avec options. Le réseau Air France lancera bientôt une offre commerciale pour les clients qui n'appartiennent pas aux deux parties supérieures du marché. Elle donnera lieu à une campagne sur les murs de France à compter du 7 janvier.
Air France-KLM est membre de l'alliance Skyteam et nous avons jugé nécessaire de nouer une alliance avec une compagnie du Golfe, Etihad, pour laquelle il s'agit de la seule façon de rivaliser avec Emirates, son grand frère. Un accord de code share a été signé entre les aéroports d'Abu Dhabi, d'une part, et de Schiphol et Roissy Charles de Gaulle (CDG), d'autre part.
Nous avons été précurseurs car aucune compagnie du Golfe n'avait rejoint d'alliance auparavant. La compagnie Emirates estime peut-être pouvoir constituer une alliance autour d'elle. Elle coopère avec Qantas sans pour autant devenir, comme Qatar Airways, membre de l'alliance Oneworld. Le développement des alliances est pertinent car ces compagnies ont des positions fortes dans l'Océan indien au sens large qui représente 1,5 milliard de passagers potentiels et où les compagnies occidentales sont assez faibles. C'est une excellente façon de ramener du trafic sur nos réseaux.
Nous avons indiqué aux syndicats du personnel navigant commercial (PNC) que nous accorderions une prime à la signature d'accords à l'instar de ce que nous avons fait avec les pilotes et le personnel au sol. Les accords signés avec ces personnels ont eu pour première contrepartie l'engagement de ne pas procéder à de départs contraints d'ici fin 2014. En outre, si Air France revenait à meilleure fortune plus rapidement que prévu, ils bénéficieraient d'émissions d'actions réservées ou de plans d'intéressement et de participation particulièrement musclés. Nous pratiquons la plus grande transparence : les catégories signataires ont chacune désigné un expert au sein du groupe de travail interne chargé du projet qui en valide le degré d'avancement ainsi que les solutions à apporter aux problèmes rencontrés. A défaut d'accord avec les PNC, nous devrons en revanche traiter la question des sureffectifs évalués entre 500 et 600 emplois.
Avec Alitalia il s'agit davantage d'une suspension que d'un abandon. Nous ne disposons pas pour l'heure des moyens financiers de monter à son capital et de réaliser cette opération pourtant intéressante pour la couverture du sud de l'Europe.
En revanche, notre coopération avec cette compagnie est exemplaire concernant l'alimentation de nos s et de nos lignes nord et sud américaines en passagers, le domaine industriel - nous assurons la maintenance d'une partie de leurs avions - ou la nourriture à bord. Les principaux actionnaires et les équipes dirigeantes de la compagnie sont aussi très favorables à une alliance avec nous.
Le pôle régional français est un très beau projet regroupant outre Régional, Brit Air, et Airliner. 40 % de son trafic consiste à alimenter nos hubs de Roissy et d'Orly par des avions que nous affrétons, et 60 % est le fait de lignes commerciales propres pour lequel Air France fournit un appui stratégique et commercial. La compagnie Régional a clairement un avenir dans ce pôle, même si la situation sociale y est la plus difficile. Cela tient au fait que cette compagnie s'est historiquement un peu développée en réaction contre la maison mère, ainsi qu'à la césure existant entre ses organisations syndicales et celles d'Air France.
Air France favorise-t-elle ses syndicats par rapport à ceux des autres compagnies ? Il est vrai qu'au printemps, le dialogue avait avancé plus vite avec les syndicats de pilotes d'Air France quant à l'affectation des 120 nouveaux postes à pourvoir dans le cadre du développement de la flotte de Transavia qui doit passer de 8 à 14 avions. Nous nous sommes en effet engagés à leur réserver une part de ces emplois. Toutefois, entre temps, les choses ont mûri et nous nous sommes engagés à créer une filière donnant aux pilotes du pôle un accès aux postes chez Transavia et, sous certaines conditions chez Air France si la compagnie recrutait de nouveau. Aujourd'hui, la direction générale du groupe et les syndicats de pilotes ont le même désir de poursuivre les discussions et d'aboutir.
Il faut distinguer deux catégories de low cost. Le premier n'offre aucune prestation et part souvent d'aéroports secondaires, comme c'est le cas de Ryanair. Bien qu'important en Europe, ce marché n'est pas le nôtre. En revanche, nous nous assurons que ces compagnies opèrent dans des conditions de concurrence équitables. Air France a ainsi obtenu des décisions de justice visant à éviter que, sur le territoire national, des personnels n'opèrent avec un statut socialement défavorisé.
D'autres compagnies s'adressent à une partie du marché plus élevée. C'est le cas d'Easyjet qui concurrence directement Air France y compris sur sa clientèle affaire et commence à rencontrer les mêmes contraintes que les compagnies classiques. Les responsables d'Easyjet constatent qu'avec des places attribuées, il est très difficile de réaliser en 30 minutes le turnaround c'est-à-dire l'arrivée, le débarquement et le réembarquement de l'avion. C'est à cette concurrence que notre nouvelle politique commerciale et industrielle s'adresse.
Lorsque le TGV arrive dans une ville, notre trafic entre celle-ci et Paris s'effondre, il est divisé par deux en quelques mois comme l'illustre le cas récent de Strasbourg et comme cela se profile à Bordeaux. Nous ne le voyons pas d'un très bon oeil, d'autant que la concurrence intermodale n'est pas tout à fait équitable. Nous finançons intégralement nos infrastructures alors que tel n'est pas le cas pour le train. Que faisons-nous ? Dans l'intérêt de nos passagers, nous passons des accords avec la SNCF afin de faciliter la desserte de notre hub de Charles De Gaulle.
J'insiste toutefois sur le fait que l'accessibilité de nos hubs parisiens est désastreuse, que ce soit par le train, les transports publics ou la route. Il s'agit d'un problème d'intérêt général ; cette situation est indigne de la France !
Mais certains, comme l'aéroport de Lyon sont très bien desservis.
Absolument, mais Charles de Gaulle est une plate forme internationale qui a vocation à devenir le premier d'Europe.
Effectivement plusieurs projets coexistent : CDG Express, le Grand Paris Express, ou encore la desserte routière pour laquelle il y a encore beaucoup à faire... Ce constat vaut aussi pour Orly, très important pour l'aménagement du territoire.
La situation du fret est très difficile car au ralentissement du commerce mondial s'ajoute une surcapacité chronique liée à l'arrivée d'avions cargo du Golfe ou de Chine ainsi qu'à l'augmentation de la taille des soutes de nos avions ; la soute du Boeing 777 est le double de celle du 747. Face à cette situation de demande déprimée et d'offre sur-capacitaire, Qantas s'est retiré de la compagnie luxembourgeoise Cargolux et les Allemands ont abandonné leur joint venture avec des partenaires chinois. En outre, le transport maritime a fait de nombreux progrès notamment en matière de produits frais puisqu'il est par exemple désormais possible d'endormir les fleurs...
Faut-il plus d'Etat ? L'Etat nous a beaucoup soutenus dans la mise en place de Transform. Son intervention dans la compagnie serait impossible compte tenu des règles européennes. N'oublions pas que KLM est aussi la compagnie nationale des Pays-Bas. Cette alliance est absolument fondamentale : pour KLM tout serait fini sans Air France, mais Air France n'irait pas bien non plus sans KLM. Cette dernière dispose en effet d'une très forte ouverture internationale liée à la position du pays : nos deux réseaux constituent une force formidable.
Il est important que l'Etat vérifie que les conditions de concurrence européenne et internationales sont bien respectées. Dès que l'on accorde un droit de trafic à une compagnie non européenne bénéficiant des conditions offertes à l'est de l'Europe, on fait partir de l'emploi ; il faut le savoir.
Les appareils moyens courriers d'Air France sont pour 75 % des Airbus et pour 25 % des Boeing, contre respectivement 35 % et 65 % pour les appareils longs courriers. Ces proportions relativement équilibrées sont raisonnables pour une compagnie comme la nôtre. Depuis la commande d'A350 passée en 2011, KLM commence à exploiter des Airbus.
Avec son endettement, Air France est un colosse aux pieds d'argile. Etes-vous à l'abri d'une OPA qui serait lancée par une ou deux compagnies chinoises membres de Skyteam ?
Dans la lutte contre le low cost menée au travers de Transavia, avez-vous envisagé qu'Air France transfère des slots à cette compagnie ?
Vous n'avez curieusement pas évoqué le taux de remplissage des avions : c'est pourtant un élément essentiel...
Si votre hub est situé à Roissy, est-il néanmoins possible que des slots soient transférés à l'aéroport d'Orly qui est plus accessible lorsque l'on vient du sud ou de l'ouest de la France ?
Merci pour la clarté de votre exposé et de vos réponses.
Que représente la masse salariale dans votre budget ?
Avec le chemin de fer, y a-t-il concurrence ou complémentarité ? Ce qui compte pour l'aménagement du territoire, c'est d'offrir la meilleure desserte possible quel que soit le mode de transport utilisé.
Vous avez un concurrent encore plus favorisé que le rail : c'est la route, qui ne paie rien. Là comme ailleurs, la concurrence loyale et non faussée n'existe pas. Il faudra bien un jour poser clairement cette question.
Dans le low cost, jusqu'où peut-on aller en matière de sécurité et de conditions de travail des salariés ?
Je prends toutes les semaines l'avion à l'aéroport de Brest Guipavas qui vient d'être refait par la chambre de commerce et d'industrie. Toutefois, depuis un mois, nous empruntons des petits avions auxquels on n'accède plus par la passerelle. Ils sont souvent en retard et cela fait par exemple trois fois que je suis sur liste d'attente... Le temps de trajet en train de Paris à Rennes diminuera bientôt ; nous risquons alors d'être nombreux à préférer ce mode de transport. C'est notamment le cas de ceux qui, comme moi seront à trois heures et demie de Paris. Je tenais à vous faire part de notre fort mécontentement. Cette situation va-t-elle durer ?
Il existe une forte demande de vols vers la Guadeloupe et la Martinique au départ de Charles de Gaulle. Nous avons pu le constater notamment auprès de nos interlocuteurs rencontrés au Canada dans le cadre de l'agenda interterritorial. En effet, le transit actuel par Orly s'avère très compliqué.
Qu'en est-il de la transition écologique et des évolutions notamment en matière de carburant ?
Je ne crois pas au risque d'OPA, et ce pour plusieurs raisons : des intérêts non européens ne peuvent pas prendre plus de 50 % de nos entreprises. Même si le cours de notre action est bas, la mariée n'est pas suffisamment belle ! Enfin, il n'est pas d'exemple d'OPA hostile dans ce secteur, auquel les Etats sont très sensibles.
Nous luttons contre les low cost en nous appuyant sur l'ensemble du réseau point à point, c'est-à-dire à la fois sur le pôle régional français, le réseau Air France opérant à partir d'Orly et Transavia. Nous ne prévoyons pas de transferts de slots d'Air France vers Transavia mais nous procéderons d'ici trois à cinq ans à des échanges de lignes dans les deux sens entre ces compagnies. Un peu de souplesse est nécessaire, ce que les pilotes ont bien compris.
Les deux compagnies vont commencer à exploiter des routes en parallèle, Air France assurant les dessertes aux deux extrémités de la journée et Transavia conservant les horaires où le nombre de passagers loisirs est plus important. Il ne s'agit pas d'échanges mais de slots supplémentaires.
KLM le fait déjà avec un certain succès. En outre, à partir d'avril 2013, quatre vols - et non des slots - seront transférés de Roissy à Orly.
La masse salariale représente 33 % de nos coûts, ce qui est supérieur aux autres compagnies comparables... ce qui explique que nous devons accomplir un effort important en ce domaine.
Il est vrai que la route finance encore moins son infrastructure que le rail. Pour nous, il importe de réduire au maximum la part des taxes et des redevances, faute de quoi l'on tuera la compagnie française. L'un des avantages des compagnies du Golfe est précisément qu'elles ne paient pas leurs infrastructures. Contrairement à l'Europe, ces pays ont fait le choix d'un financement par l'impôt.
Il faut reconnaître la réussite des low cost qui on créé les seules compagnies véritablement européennes. Elles ne l'ont pas fait au détriment de la sécurité.
Même Ryanair, qui fait décoller des avions avec des réservoirs qui ne sont pas remplis ?
Oui, même Ryanair. Toutes les compagnies font attention au carburant car plus vous en emportez, plus vous êtes lourd et plus vous en consommez.
Contrairement ce que l'on entend parfois, l'on ne peut pas non plus accuser Air France de faire le moindre compromis sur la sécurité. Tous nos investissements ont baissé sauf ceux sur la sécurité, où ils n'ont pas été affectés ne serait-ce que d'un euro.
La limite au low cost, c'est ce que les voyageurs sont prêts à accepter. On a envisagé de les faire voyager debout ou de faire payer les toilettes... A partir d'un certain moment, on ne peut pas aller plus loin. Par exemple aux États-Unis, la progression des low cost s'est arrêtée pour se stabiliser entre 30 % et 40 % du marché.
Les accords que nous avons passés avec les pilotes et les personnels au sol ne remettent pas en cause le niveau actuel des salaires. Nous obtenons en revanche des gains de productivité en augmentant le temps de travail. Pour les personnels au sol, nous revenons aux 35 heures. Dans l'accord avec les pilotes et dans le projet concernant les hôtesses et les stewards, le temps de travail augmente de 10 %, soit très en-deçà des maxima prévus par le code de l'aviation civile.
La sécurité au travail est prise très au sérieux car elle est le corollaire de la sécurité en vol pour laquelle nous sommes presque à égalité avec les meilleures compagnies de notre catégorie. Enfin, Air France est une référence pour la prévention des risques psychosociaux (RPS).
Si l'on nous demande parfois de se rendre aux Antilles à partir de Charles de Gaulle de façon à assurer des correspondances, 95 % de nos clients sont satisfaits par Orly.
Orly convient pour les domiens qui habitent l'Île-de-France ou la province mais gêne les touristes étrangers. Cela freine le développement du tourisme en Guadeloupe et en Martinique : je l'ai constaté lors d'une rencontre à Laval, au Canada, dans le cadre des objectifs du millénaire.
Depuis l'hiver 2011, nous avons mis en place à titre expérimental deux vols quotidiens de Roissy, l'un vers la Martinique et l'autre vers le Guadeloupe. Le bilan auquel nous procédons révèle que cela n'a pas créé de trafic supplémentaire. Il s'agit de vols bien positionnés, le samedi et le dimanche, mais le trafic européen demeure très limité et ces vols sont moins intéressants pour nous que ceux partant d'Orly.
Notre compagnie contribue à la transition écologique en agissant, en premier lieu, sur les nuisances sonores. Le transport aérien est l'une des seules industries qui paye une taxe en la matière. Cela fonctionne bien, même si l'on peut s'étonner de plaintes émanant de riverains souvent installés dans ces zones alors que l'aéroport existait déjà. Les appareils contribuent beaucoup à cette amélioration : un A380 est, par exemple, deux fois moins bruyant qu'un 747.
En second lieu, nous limitons les émissions de dioxyde de carbone et d'oxyde d'azote. Comme KLM nous utilisons des bio-fuels, ce qui fonctionne mais avec les avantages et les inconvénients de ces carburants.
Enfin, nous menons des programmes d'économie d'énergie largement dictés par le prix du pétrole, qui est notre premier poste de dépenses. Depuis mon arrivée, les comptes d'Air France ont fluctué d'un milliard et demi du seul fait des variations des cours du pétrole ! Nous avons aussi des programmes d'économie d'énergie au sol et dans la gestion des vols, les pilotes y sont très impliqués. L'essentiel des progrès viendra toutefois des constructeurs d'avions et des motoristes.
A Brest, l'utilisation d'avions plus petits - qui implique le recours à des escabeaux, et non à des passerelles - est justifiée par le faible niveau de trafic. Le coût d'exploitation rapporté au siège de ce type d'avions étant deux fois supérieur à celui d'un appareil plus grand, ces décisions ne sont pas toujours faciles à prendre. Nous allons regarder ce qu'il en est précisément dans ce cas d'espèce.
Nous avons construit un aéroport tout neuf avec ses passerelles et maintenant, on nous demande d'emprunter les escabeaux ! Je comprends qu'il n'y ait pas assez de passagers, mais pour mon retour de ce soir je suis encore sur liste d'attente... Beaucoup préféreront sans doute le train lorsque nous serons à 3 heures 30 de Paris.
Je précise que ce service est assuré par Brit Air, installé à Morlaix...
Certes, mais c'est le passager qui doit être au coeur du système. C'est lui qui fait le trafic. Je le dis aussi pour Brit Air.
Merci de votre franchise et de votre clarté alors qu'Air France traverse une période difficile.
La commission procède à l'audition de M. Jacques Rapoport, candidat désigné aux fonctions de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France.
M. Rapoport est candidat aux fonctions de président de Réseau ferré de France (RFF). Nous l'auditionnons en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, sa nomination par décret en Conseil des ministres ne pouvant intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition, publique et ouverte à la presse, sera suivie d'un vote à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. La loi proscrit dans ce cas toute délégation de vote, et oblige à un dépouillement simultané des votes à l'Assemblée nationale et au Sénat. La nomination du candidat sera écartée si les trois cinquièmes des suffrages exprimés par les sénateurs et les députés sont négatifs.
Monsieur Jacques Rapoport, vous êtes inspecteur général des finances et vous avez consacré une bonne partie de votre carrière aux transports, en particulier à la RATP où vous avez dirigé aussi bien les finances, l'exploitation du métro, le pôle industriel que le pôle opérations, mais aussi à Keolis, une filiale de la SNCF. Vous avez également été secrétaire général du ministère des affaires sociales et directeur général des bureaux de poste au groupe La Poste, ce qui vous qualifie tout particulièrement pour diriger des structures publiques en transformation et aux métiers très nombreux.
Votre candidature intervient à un moment stratégique pour le rail français. Le ministre chargé des transports a annoncé la création, l'an prochain, d'un « pôle public ferroviaire intégré » qui comporterait une sorte de holding surplombant la SNCF et un « gestionnaire d'infrastructures unifié » (GIU), lequel regrouperait les 1 500 salariés de RFF et les 55 000 cheminots de SNCF Infra qui s'occupent actuellement des horaires, de la régulation du trafic, de la gestion des circulations, de la maintenance et de l'ingénierie.
L'idée est de rationaliser l'organisation actuelle, dans laquelle RFF est responsable des travaux et des sillons, sans maîtriser le personnel, ni l'organisation pratique des équipes. Le gouvernement a décidé le regroupement des équipes, ce qui va dans le bon sens, comme l'ont montré il y a un an les Assises du ferroviaire. Cependant, la forme de cette holding reste à définir, d'une manière qui rende possible la concurrence : le fret ferroviaire est ouvert à la concurrence et le transport national de voyageurs le sera dans six ans, l'opérateur SNCF ne doit donc pas être en position d'organiser le marché ni d'en maîtriser suffisamment les règles pour pouvoir empêcher les concurrents d'y venir.
Nous aurons de nombreux aspects à préciser. Nous pouvons nous inspirer de nos voisins allemands qui ont concilié intégration et respect des règles de la concurrence, mais, comme s'y est engagé le ministre, nous devrons trouver une voie française, adaptée à notre situation. RFF doit trouver toute sa place dans ce paysage, pour participer pleinement à la grande réforme ferroviaire. En quinze ans, RFF a su remettre de l'ordre dans la planification du réseau, qui avait trop longtemps été délaissé au profit du seul TGV. Nous avons entendu la Cour des comptes : des progrès importants ont été faits sur la régénération des voies, salués par l'école polytechnique de Lausanne cette année encore : RFF rénove mille kilomètres de lignes par an. À ce rythme, le vieillissement du réseau devrait cesser vers 2017 - c'est dire l'ampleur de la tâche.
Selon le contrat signé avec l'État en 2008, RFF mobiliserait 13 milliards d'euros entre 2009 et 2015 ; l'établissement propose même d'accélérer le rythme avec un nouveau programme de modernisation du réseau. Cependant, le coût complet du réseau est estimé à 7 milliards d'euros par an, qui ne sont couverts que pour moitié par les péages facturés aux utilisateurs. RFF a une dette de 29 milliards d'euros et ses charges continuent d'augmenter deux fois plus vite que les recettes.
Le problème tient pour beaucoup de la quadrature du cercle, d'autant que vous ne maîtriserez qu'une partie des paramètres, en particulier sur la gestion de la dette que RFF a héritée. Quelle serait votre feuille de route ? Comment voyez-vous l'évolution du réseau ferré dans ses différentes composantes ? À quoi devrait ressembler, selon vous, la holding du pôle public ferroviaire ? Comment voyez-vous le passage entre la situation actuelle et celle du « gestionnaire d'infrastructures unifié » ?
Je suis très heureux de me présenter devant vous dans le cadre de cette candidature. Comme ce n'est pas pour tirer le bilan d'une action, je ne puis qu'ébaucher quelques éléments de réponse à ces questions.
Les Français sont très attachés au train, qui fait partie de notre culture du service public. Toutefois, notre système ferroviaire est confronté à de graves défis techniques, financiers, commerciaux. Même s'il est, d'un point de vue comptable, un actif dans les comptes de RFF, notre réseau est un patrimoine public qui appartient à toute la nation. Nous sommes redevables de sa pérennité, ce qui nous impose d'importants travaux de maintenance, de rénovation, de modernisation. Nous devons également le développer : les besoins de transport de la population ne cessent d'augmenter - ce qui est une excellente chose.
Le financement du transport ferroviaire est déséquilibré. Il coûte une vingtaine de milliards d'euros - dont sept pour l'infrastructure - et présente un déficit annuel de 1,5 milliard, sachant qu'il y a déjà une importante contribution publique, les clients n'en financent que la moitié. Nous devons résoudre cette grave crise financière.
L'ouverture à la concurrence est déjà faite juridiquement pour le fret et pour le transport international de voyageurs, et la date de 2019 évoquée pour sa généralisation est très proche, pour un système de cette ampleur : ce n'est pas en 2018 qu'on s'y préparera ! Je ne crains pas cette concurrence car je considère que l'excellence française doit l'emporter. Si vous m'accordez votre confiance, c'est dans cet esprit que j'agirai : dans un monde difficile de compétition et d'exigence, garantir à l'excellence française la première place - non par des barrières ou des monopoles, mais par l'exigence sur tous les plans, du service des voyageurs à la performance économique, en passant par le professionnalisme du personnel.
Mon action devra s'inscrire dans la durée, et se caractériser par la détermination et la persévérance. Ce ne sont pas que des mots. Je parle de détermination, parce que la voie de la facilité à court terme existe dans un système aussi lourd, où le long terme l'emporte : c'est celle de l'endettement et du lent déclin, imperceptible d'une année sur l'autre. Je parle aussi de persévérance, parce que l'évolution de cet immense patrimoine ne peut se faire que dans la durée. Les coups d'éclats n'amènent rien.
Quoique l'exercice ne m'agrée guère, je dois parler un peu de moi-même. J'ai consacré toute ma vie professionnelle au service public, dans l'administration des finances, dans l'administration sociale où j'ai été très heureux, à la RATP où j'ai passé quinze années et où j'ai exercé des fonctions financières, puis d'exploitation technique, ce qui m'a donné le privilège de diriger les ingénieurs de la RATP, des hommes et des femmes d'exception. J'ai ensuite travaillé à Keolis, puis, depuis cinq ans, à La Poste, où, sous l'autorité du président Bailly, nous conduisons la modernisation du réseau des bureaux. Sans y avoir été impliqué récemment, je connais bien le réseau des transports publics. J'ai pour lui beaucoup d'affection et je lui ai consacré beaucoup d'énergie. Il est tellement vital pour l'équilibre du pays et pour la cohésion nationale et le bien-être des populations que c'est avec beaucoup d'ambition, d'enthousiasme et de plaisir que je le rejoindrais. Les cinq années que j'ai passées à La Poste m'ont montré combien les questions d'aménagement du territoire sont importantes : il est clair que le chemin de fer contribue beaucoup aux équilibres territoriaux.
Avant de répondre à vos questions, je tiens à souligner combien l'action de l'actuel président de RFF, M. Hubert du Mesnil, a été importante et décisive, dans un contexte difficile. Certes, la facilité n'est pas pour demain, ni pour après-demain, mais les années passées ont été particulièrement difficiles. Le système ferroviaire français et RFF ont connu sous son impulsion des progrès très importants.
À son actif, d'abord, il y a cette prise de conscience qu'après des années et des années de développement de lignes nouvelles, il ne fallait pas oublier la préservation du patrimoine existant. Avec sa grande, et ancienne, compétence en matière de transports, il a pu sonner l'alarme et convaincre les acteurs du monde ferroviaire de la nécessité d'accélérer les opérations de maintenance qui avaient été perdues de vue pendant deux ou trois décennies.
Il a également donné à RFF, au côté de la SNCF dont le rôle est irremplaçable, les moyens de mettre en place des outils de régulation qui créent les conditions pour que la concurrence ferroviaire soit un levier de développement et non un risque de déclin. Je pense à la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF), à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), au développement des autorités organisatrices régionales de transport. La concurrence est la pire des choses quand elle trouve son équilibre par du dumping, social ou aussi bien technique, ce dont on parle moins. Elle peut être la meilleure si l'on développe des instances de régulation, ce qu'a fait Hubert du Mesnil, aidant ainsi beaucoup le transport français à se préparer à la concurrence.
Il a également été un acteur très actif de la préparation de la réforme annoncée par Frédéric Cuvillier le 30 octobre. Il a su convaincre que responsabilité ne signifiait pas cloisonnement. Chaque fonction du système ferroviaire doit disposer des leviers d'action pour assumer les responsabilités qui lui reviennent. Il faut sortir de la mentalité consistant à se défausser systématiquement sur d'autres. Tous doivent travailler ensemble, avec pour objectif l'excellence du service public à la française. L'action d'Hubert du Mesnil a donc créé les conditions du succès dans les prochaines années.
La réforme ferroviaire annoncée par Frédéric Cuvillier le 30 octobre doit assurer la performance du système ferroviaire français, en assurant le double équilibre que je viens de suggérer : l'intégration de chacune des deux grandes fonctions, de transport et d'infrastructure. Elle découle des Assises du ferroviaire, qui ont fait apparaître un large consensus sur l'intérêt de regrouper l'ensemble des fonctions propres à assurer le bon état de l'infrastructure. Le système ferroviaire constitue un ensemble : les rails n'existent que pour les trains, et les trains ont besoin des rails. Les acteurs doivent donc travailler de façon intégrée.
Quelle sera la déclinaison opérationnelle de ces orientations ? Le ministre a confié à Jean-Louis Bianco mission de préparer la loi et de définir les éléments opérationnels pour décliner ces orientations générales. Il a demandé à Guillaume Pépy ainsi qu'à moi-même de formuler ensemble des propositions en liaison avec M. Bianco, et de mettre en place les dynamiques opérationnelles pour anticiper cette double intégration.
Nous pouvons avancer vite sur certains points. Ainsi, nous avons élaboré ensemble un document sur la sécurité ferroviaire, sur les règles ferroviaires et les modalités de traitement des incidents : c'est bien entre l'infrastructure et l'exploitant que les choses doivent se régler. Nous pouvons progresser aussi sur les garanties accordées au personnel et la gestion des ressources humaines. Nous nous situons évidemment dans le cadre du statut des cheminots. La SNCF a une longue histoire, porteuse de joies et de peines, d'éléments essentiels de notre grand service public. Dans la perspective de cette réforme institutionnelle, nous devons pouvoir garantir au personnel la préservation et même le développement de son professionnalisme. Le chemin de fer, comme tous les secteurs économiques, est confronté à l'introduction de technologies innovantes que chacun doit pouvoir maîtriser. Le ministre souhaite donc que soit défini un cadre social pour l'ensemble du secteur ferroviaire, public et privé, afin que la concurrence s'exerce dans de bonnes conditions.
La notion de pôle public ferroviaire intégré a fait l'objet de débats à tout le moins émotionnels... Il faut prendre en compte l'histoire : le chemin de fer est présent dans notre pays depuis 180 ans et depuis lors se sont accumulés beaucoup de savoirs nouveaux. Voilà un pôle d'excellence française. Valorisons-le, pour le renforcer et le préparer à la concurrence.
Pensez à l'interface entre le métier de transporteur et celui de gestionnaire d'infrastructures. Si un train privé tombe en panne et bloque une ligne, qui doit le dépanner ? Les systèmes de contrôle et de commande des trains comportent un ordinateur embarqué, un ordinateur au sol et un réseau radio ; on ne peut pas imaginer que chacun gère son ordinateur sans se préoccuper de l'autre. Le pôle public ferroviaire intégré, c'est l'intégration sous l'égide de celui qui possède le savoir historique, c'est-à-dire la SNCF, de toutes les dimensions techniques nécessitant une interface entre les deux acteurs, et aussi des dimensions sociales. RFF n'aura plus que quelques centaines d'ingénieurs mais il aura aussi des dizaines de milliers d'opérateurs et de cheminots, qui seront évidemment gérés comme ceux qui resteront à la SNCF, dans le cadre d'un statut qui apporte des garanties et favorise cette mobilité interne qui constitue une des forces du service public.
Nous partageons la volonté de construire un système efficace, propre à une identification claire des responsabilités et à une intégration systémique. J'ai commencé à travailler avec Guillaume Pépy, et je prends devant vous l'engagement, en mon nom comme en le sien, que nous saurons faire des propositions communes au ministre ; il n'y aura pas de divergence. Nous devons être les meilleurs en 2019 : une seule place convient au service public à la française, la première. Nous devons nous préparer à la concurrence pour l'attendre avec une parfaite sérénité.
Nous allons accélérer le plan de rénovation et de modernisation du réseau, indispensable pour l'ensemble des circulations ferroviaires et pour la promotion du fret. En l'état actuel, le fret est le parent pauvre des circulations ; ce n'est pas une fatalité ! Il faut simplement améliorer l'efficacité du réseau, et cela incombe à RFF. Quatre lignes à grande vitesse sont en construction ou en préparation, nous devons travailler avec toujours plus d'acuité sur le financement de projets et veiller à la performance économique.
Pour réduire notre déficit, nous avons plusieurs leviers. Une meilleure identification des responsabilités nous fera gagner en productivité et réduira donc les coûts : les activités de maintenance continueront de croître, avec les besoins, mais la croissance des dépenses sera moindre. Une meilleure maîtrise du financement de projets nous fera également progresser dans la bonne voie. Et il faudra poser la question des contributions. Ces marges de manoeuvres seront-elles suffisantes pour équilibrer le système ? Je ne saurais l'affirmer. Mais notre système ferroviaire a tous les leviers pour surmonter les défis difficiles qu'il a devant lui.
Merci. Vous avez montré beaucoup d'énergie et une volonté de réussir dans cette mission difficile. Vous avez fait un bilan à la fois réaliste et plein d'espoir.
J'ai toujours été opposé à la réforme de 1997 qui a séparé l'exploitant historique et le gestionnaire d'infrastructures. Mais j'ai toujours apprécié la qualité du travail effectué par RFF, et par ses présidents successifs - vous avez bien fait de rappeler l'action d'Hubert du Mesnil. Je note avec satisfaction que le gouvernement veut revoir la question, sans fusionner pour autant les activités de gestionnaire d'infrastructures et l'activité d'exploitant principal.
La priorité pour RFF doit être la régénération du réseau. On arrive désormais à régénérer mille kilomètres de ligne chaque année, contre cinq cents il y a quelques années. L'actualisation de l'étude menée par l'école polytechnique de Lausanne fait apparaître qu'il faut accélérer si l'on veut prendre le dessus sur la dégradation du réseau. Dans certains territoires, les temps d'accessibilité sont excessifs, alors qu'il y a un bassin de population susceptible d'utiliser le chemin de fer. Il faudra donc continuer à développer le réseau ferroviaire à grande vitesse, mais peut-être pas au rythme qui a été retenu jusqu'à présent.
Il faut, aussi, réduire la dette de 29 milliards d'euros, qui oblige RFF à lever chaque année 1,4 milliard d'euros sur les marchés financiers, ce qui est énorme et diminue d'autant les moyens pour la rénovation du réseau et l'ouverture de lignes nouvelles. Pensez-vous que l'écotaxe poids lourds va apporter des moyens suffisants à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) face aux besoins d'investissement ?
Il faut, également, développer le fret ferroviaire. L'amélioration du réseau classique y contribuera, mais il manque encore des maillons. En particulier, comment aller du port du Havre à l'Est de la France sans passer par la région parisienne ? Il faut remettre à niveau la ligne Serqueux-Gisors et l'électrifier.
Il faut, enfin, se donner les moyens propres à favoriser l'acceptabilité sociale du développement du fret ferroviaire sur les lignes classiques, en particulier quand elles sont empruntées fréquemment, avec des nuisances importantes. Pour la rive droite du Rhône et l'Ardèche en particulier, nous avons progressé. La question se posera bientôt dans l'Est de la France aussi.
J'ai eu le privilège de siéger au conseil d'administration de RFF, désigné par le ministre des Transports de l'époque, avec M. Zeller et Mme Keller. J'ai donc vu comment fonctionnait l'entreprise. Elle est endettée, mais pas de sa responsabilité : elle a hérité de dettes de la SNCF et elle s'est parfois substituée aux collectivités qui refusaient de financer leur part de certains chantiers, comme celui de la LGV Atlantique. Il ne s'agit donc pas de mauvaise gestion ou d'erreurs de commandement. Je suis convaincu de la nécessité du rapprochement avec la SNCF, malgré les rivalités qui ont pu exister entre les deux entreprises.
La loi de Mme Duflot sur le logement social propose la mise à disposition de terrains appartenant à RFF et à la SNCF, qui ont très mal géré leur patrimoine : dans certains départements on a laissé des terrains, des gares s'effondrer au lieu de les vendre dans de bonnes conditions. Autant les mettre à disposition, dès lors, pour faire des logements sociaux.
Certaines voies pourraient être réhabilitées dans l'esprit du Grenelle. Avez-vous une réflexion sur ce point ?
Vous semblez être un grand connaisseur des voies ferrées, et votre passage à La Poste vous a donné du cachet. La France est le Finistère de l'Europe et tous les Européens passent chez nous pour aller à Lutèce ou sur nos belles côtes. Les autoroutes et les voies ferrées sont une vitrine. Vous avez parlé du déclin qui s'y installait, d'année en année, et dit qu'il allait s'arrêter. Il y a deux territoires en France : la façade, urbaine qu'on connaît, et la ruralité. Ce déclin fait des laissés pour compte, les réseaux secondaires. Ils constituent un maillage territorial qui permet à nos citoyens de se déplacer vers la ville. Le fret est désormais chargé sur des camions dans ces zones secondaires. Je crains une France des autobus et des camions. Il faut en faire une grande cause nationale, car sans voie ferrée, sans autoroute, on tombe dans l'hyper-ruralité et on crée une fracture difficile à résorber. Il faut avoir conscience de cela dans nos politiques d'aménagement. La France, première destination mondiale, ne doit pas être irriguée uniquement par quelques grands axes. Les touristes doivent pouvoir aller au fond des vallées dans de belles petites michelines, et il faut pouvoir y amener les céréales, comme il y a une ou deux décennies, par le train et non en camion.
Vous avez tenu exactement le discours que nous pouvions vouloir entendre. La description que vous avez faite du service public me convient parfaitement. Je crois que c'est effectivement un pôle d'excellence et que, s'il s'en est parfois écarté, c'est plus du fait des directions que du personnel. La qualité de notre réseau ferroviaire est préservée, même si une rénovation profonde s'impose. Mais nous avons des sillons très concentrés ; comment faire en cas d'accident majeur si n'existe aucune ligne de délestage ? La question s'est posée lorsque la ligne vers le Luxembourg a été coupée. On omet toujours de dire que si notre réseau était correctement entretenu - et nous savons bien qui est responsable de son état actuel - la vitesse des trains serait supérieure et nous n'aurions pas besoin de mettre des TGV partout. Il ne faut pas laisser se dégrader les lignes entre capitales régionales. Les cheminots ont trop souvent été caricaturés ; ils aiment leur métier, leur entreprise : travailler aux chemins de fer est leur fierté.
Les accidents sont de plus en plus des accidents de personne, ou bien sont dus à des vols de cuivre : comment améliorer la situation ?
J'ai eu des relations difficiles avec les présidents de RFF, mais j'ai apprécié votre discours, la manière dont vous avez parlé du ferroviaire, du pôle public ferroviaire intégré. J'ai la conviction que ce ne sont pas que des propos de présentation et que l'homme qui sera président de RFF travaillera sur ces bases, qui me paraissent indispensables si l'on veut que l'excellence française l'emporte.
Le pôle public ferroviaire intégré devra jouer pleinement son rôle pour la reconquête des finances, la préparation à la concurrence. Vous avez évoqué le problème du fret, il me tient tout particulièrement à coeur. Tout le monde en parle depuis vingt ans, mais le fret ferroviaire est tombé à 7 % et le fret aérien ne va guère mieux. Que reste-t-il ? Des poids lourds, de plus en plus imposants. Cela ne nous convient pas. Nous en avons parlé au ministre ; nous a-t-il entendus ? Il faut un vrai plan national, voire européen. Il n'est pas réaliste de prétendre amener le fret sur des lignes qui, comme Paris-Bordeaux-Irun, sont déjà saturées. Il faut sans doute créer des lignes spécifiques pour le fret, dans le cadre de grands travaux éventuellement aidés par l'Europe. C'est très important, en particulier pour donner à nos ports, dont on déplore souvent qu'ils soient en retard par rapport à ceux du Nord, l'hinterland qui leur manque.
Si vous pouviez, enfin, faire en sorte que les rapports entre RFF, la société Vinci et les maires soient pacifiés, ce serait une bonne chose...
Vous avez indiqué que l'excellence française doit l'emporter : on ne peut qu'être d'accord. Encore faut-il la considérer sous l'angle de l'équilibre et non de la performance à tout prix.
Serez-vous entièrement favorable au TGV, ou accepterez-vous, contrairement aux voeux des élus, d'avoir des trains adaptés aux fonctions qu'ils ont à remplir sur les territoires ? L'excellence, c'est l'organisation, les moyens, les hommes. Il faut regrouper toutes les fonctions régaliennes. Pour avoir auditionné toutes les parties prenantes, je peux dire que les dysfonctionnements étaient nombreux. Le regroupement est une bonne chose.
Pour faire des travaux convenablement, il faut avoir la main sur les sillons, et tenir compte des exigences commerciales des uns et des autres. Le conseil d'administration de la SNCF et son directeur chargé du fret se plaignent du manque de sillons. Allons-nous enfin faire des efforts dans ce domaine ? Le fret, c'est d'abord une réalité économique, une organisation industrielle complètement différente de l'Allemagne. Les péniches arrivent d'Anvers et de Rotterdam à Duisbourg, d'où partent des dizaines de lignes pour irriguer la Ruhr et tout le pays. Nous n'avons rien de tel en France, nous n'avons même pas voulu du canal du Rhône au Rhin !
Les opérateurs privés sont très attachés à réaliser eux-mêmes la maintenance du matériel roulant. Avez-vous l'intention d'effectuer vous-même cette maintenance et de le leur imposer ?
On ne peut pas supprimer un statut du jour au lendemain. Vous allez gérer deux types de personnel, celui de RFF qui n'a pas de statut et les cheminots sous statut de la SNCF. Allez-vous faire passer le personnel de RFF sous statut ? Qu'adviendra-t-il du statut des cheminots ? Les départs en retraite sont nombreux en ce moment ; n'est-ce pas l'occasion d'une évolution statutaire ?
Au cours de votre carrière à la RATP, vous avez été directeur du métro. Maire du Bourget, j'utilise le RER B pour me rendre au Sénat : quand tout fonctionne, c'est très bien... Nous sommes suspendus aux annonces : hier, c'était le B+ ; il est en retard. Maintenant on nous parle du B++... Comment concevez-vous l'amélioration des transports en Ile de France ? Un saut qualitatif est indispensable. La tangentielle nord était annoncée pour la fin de l'année 2014 : nous apprenons qu'elle aura deux ans de retard, et plus encore puisque fin 2016 signifie en réalité mi-2017. Comment voyez-vous le lien avec le Grand Paris Express et quel peut être votre rôle sur ce sujet ? Je sais bien que, dans l'attente du rapport Auzannet et de la discussion interministérielle, le sujet est sensible. Mais pour les usagers, l'urgence est là : il faut prendre le problème à bras le corps et dans sa globalité, ce qui nous renvoie à la gouvernance. Or, entre le syndicat des transports d'Île-de-France (STIF), la Société du Grand Paris (SGP), la RATP, RFF, la SNCF, on a l'impression qu'on n'en sortira jamais...
Enfin, un tour de table serait en cours entre la SNCF, la RATP, RFF et Aéroports de Paris (ADP) au sujet du « CDG Express ». Quelle est votre position à ce sujet ? Alexandre de Juniac nous a dit combien la mauvaise liaison du centre de la capitale à l'aéroport était préjudiciable. On ne saurait construire le CDG Express sans régler préalablement les problèmes que j'évoquais, du RER B aux métros du grand Paris. On ne peut n'avoir de transports efficaces que pour ceux qui se rendent dans les aéroports ! Il faut donc faire les deux.
Je suis très sensible à l'intérêt que vous manifestez au sujet et sollicite votre indulgence : je ne suis que candidat. Mon propos vous a convenu, tant mieux, mais je ne l'ai pas tenu pour vous complaire. Je suis fier et heureux de participer au service public depuis 35 ans et d'y achever mon parcours professionnel.
Les priorités ? D'une certaine façon, tous les sujets sont prioritaires, tous les thèmes que vous avez abordés méritent d'être considérés. Emerge cependant depuis quelques années une priorité qui fait consensus : la sauvegarde du patrimoine. Cela ne diminue en rien l'importance des autres sujets mais nous ne pouvons en faire abstraction lorsque nous envisageons les nouveaux projets. Nous nous appuyons sur des expertises externes, notamment celle de l'école polytechnique de Lausanne, qui nous évalue tous les six ans environ. Je préfère parler de kilomètres de voies que de coûts et je dirai qu'une bonne façon de faire mieux consiste à faire moins cher au kilomètre, non en sacrifiant la technique mais en améliorant notre organisation.
La dette est supérieure à 30 milliards ; en y ajoutant celle de la SNCF, on approche les 40 milliards. Une partie est légitime, celle qui a vocation à être amortie par des recettes commerciales futures, mais ce n'est malheureusement pas le cas de la totalité. Je souhaite faire porter l'effort sur l'optimisation des coûts de production et sur le financement de projets. Dans ce domaine, on a le pire et le meilleur. Le pire consiste à externaliser un projet pour cacher de la dette, qui revient ensuite sous forme de péage annuel. Le meilleur projet est celui qui conduit à partager le risque. Le projet de la tangentielle nord - malheureusement retardé - comporte des risques d'exécution qu'un bon financement de projet doit aider à partager, voire à transférer vers un opérateur. Dans ce cas, l'effet peut être très vertueux.
Voilà pour les deux leviers de l'entreprise gestionnaire de l'infrastructure. Au-delà, demeure une impasse, relevée par la Cour des comptes, l'institut Montaigne, les Assises du ferroviaire... Mais ces enjeux - tarifaires - relèvent d'une décision politique.
La situation du fret en France n'est pas bonne. Les acteurs de la SCNF n'ont pas tort de souligner qu'en l'état actuel de notre réseau, l'infrastructure ne peut être exploitée aussi loin que les technologies modernes le permettraient. La modernisation technique du réseau existant doit apporter des solutions pour intensifier l'utilisation de l'infrastructure : faire rouler plus de trains sur la même ligne. C'est ainsi que nous trouverons des solutions pour le fret. Nous n'allons pas créer des lignes de fret, ni transférer le fret sur le camion, ce qui serait contraire aux intérêts de la nation. La modernisation technique doit accroître la productivité du capital, c'est-à-dire faire rouler plus de trains avec la même infrastructure.
Messieurs Houpert et Capo-Canellas, vous avez raison. L'outil ferroviaire est essentiel à l'aménagement du territoire, à la revitalisation des zones rurales, et aussi à l'équilibre des grandes villes, à commencer par l'Île-de-France. La relance du gros entretien et du renouvellement a commencé par les lignes peu circulées, où c'est plus facile. Pour rénover la ligne B du RER, il faut couper la circulation, faire du travail de nuit, ce qui revient plus cher, et que tout soit remis en état à cinq heures du matin. Cela ne laisse pas beaucoup de temps à l'intervention. Il est vrai qu'il faut trouver un équilibre entre les zones rurales et urbaines. C'est un travail de tous les acteurs, mais in fine les décisions reviennent aux pouvoirs publics.
Le statut des cheminots constitue un élément essentiel du système. Il garantit la cohésion de l'entreprise et l'implication du personnel. Je reconnais qu'avec l'ouverture à la concurrence, si tout reste en l'état, les entreprises privées vont l'emporter. D'où l'orientation, difficile, retenue par le ministre : la négociation d'un cadre social harmonisé. Nous ne sommes pas au bout du chemin ; encore fallait-il l'emprunter.
La cession de terrains représente 120 millions d'euros dont j'aurais du mal à me priver. Je comprends bien aussi l'utilité de mettre des terrains à disposition pour construire des logements sociaux.
Je partage votre analyse sur le CDG Express. Le sujet n'est pas neuf, j'ai entendu à plusieurs reprises parler de métro de riches contre métro des pauvres...Depuis une dizaine d'années, la ligne B s'est améliorée même si beaucoup reste à faire. Son bon fonctionnement est un préalable à la construction du CDG Express. Cette nouvelle ligne ne relevant pas de la notion de service public et mettant en oeuvre une tarification élevée, elle doit trouver seule son équilibre financier, ce qui explique le retard. Le nouveau président d'ADP, Augustin de Romanet, est très demandeur ; attendons sa contribution.
Il serait opportun que vous disposiez des comptes-rendus des auditions de la Cour des comptes et du président de la SNCF. Ce dernier a en effet pris des engagements concernant le foncier, confirmant notamment qu'il ne vendrait plus un mètre linéaire de voie ferrée. Il a également indiqué souhaiter mettre des gares à disposition des communes pour du logement social.
La transition économique et écologique s'impose. A partir du 1er juillet 2013, l'écotaxe poids lourds va peser lourdement sur les territoires pauvres en infrastructures. Leur survie économique va dépendre de la possibilité d'un désenclavement par le fret ferroviaire ; pour certains, le sauvetage de lignes constituera le dernier espoir, avec le numérique. Il faudra étudier au cas par cas ces territoires où n'existe que la voie ferrée pour supporter les nouvelles contraintes de la fiscalité écologique et énergétique. Des compromis seront à trouver avec les opérateurs privés, en termes de régime d'exploitation. Sinon, le risque est grand d'accentuer la désertification.
Nous avons interrogé le président du directoire de la Société du Grand Paris au sujet du fret. Réponse : rien n'a été prévu dans ce cadre. Notre interrogation demeurant, je la verse au dossier.
Je vous remercie en notre nom à tous pour votre prestation, dont je ne doute pas de la sincérité et de l'engagement.
La commission procède au vote sur la candidature de M. Jacques Rapoport aux fonctions de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France.
Voici les résultats du scrutin : sur 8 votants, il y a 8 votes favorables.