Intervention de Jacques Rapoport

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 12 décembre 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jacques Rapoport candidat désigné aux fonctions de président du conseil d'administration de réseau ferré de france

Jacques Rapoport, candidat désigné aux fonctions de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France :

Je suis très heureux de me présenter devant vous dans le cadre de cette candidature. Comme ce n'est pas pour tirer le bilan d'une action, je ne puis qu'ébaucher quelques éléments de réponse à ces questions.

Les Français sont très attachés au train, qui fait partie de notre culture du service public. Toutefois, notre système ferroviaire est confronté à de graves défis techniques, financiers, commerciaux. Même s'il est, d'un point de vue comptable, un actif dans les comptes de RFF, notre réseau est un patrimoine public qui appartient à toute la nation. Nous sommes redevables de sa pérennité, ce qui nous impose d'importants travaux de maintenance, de rénovation, de modernisation. Nous devons également le développer : les besoins de transport de la population ne cessent d'augmenter - ce qui est une excellente chose.

Le financement du transport ferroviaire est déséquilibré. Il coûte une vingtaine de milliards d'euros - dont sept pour l'infrastructure - et présente un déficit annuel de 1,5 milliard, sachant qu'il y a déjà une importante contribution publique, les clients n'en financent que la moitié. Nous devons résoudre cette grave crise financière.

L'ouverture à la concurrence est déjà faite juridiquement pour le fret et pour le transport international de voyageurs, et la date de 2019 évoquée pour sa généralisation est très proche, pour un système de cette ampleur : ce n'est pas en 2018 qu'on s'y préparera ! Je ne crains pas cette concurrence car je considère que l'excellence française doit l'emporter. Si vous m'accordez votre confiance, c'est dans cet esprit que j'agirai : dans un monde difficile de compétition et d'exigence, garantir à l'excellence française la première place - non par des barrières ou des monopoles, mais par l'exigence sur tous les plans, du service des voyageurs à la performance économique, en passant par le professionnalisme du personnel.

Mon action devra s'inscrire dans la durée, et se caractériser par la détermination et la persévérance. Ce ne sont pas que des mots. Je parle de détermination, parce que la voie de la facilité à court terme existe dans un système aussi lourd, où le long terme l'emporte : c'est celle de l'endettement et du lent déclin, imperceptible d'une année sur l'autre. Je parle aussi de persévérance, parce que l'évolution de cet immense patrimoine ne peut se faire que dans la durée. Les coups d'éclats n'amènent rien.

Quoique l'exercice ne m'agrée guère, je dois parler un peu de moi-même. J'ai consacré toute ma vie professionnelle au service public, dans l'administration des finances, dans l'administration sociale où j'ai été très heureux, à la RATP où j'ai passé quinze années et où j'ai exercé des fonctions financières, puis d'exploitation technique, ce qui m'a donné le privilège de diriger les ingénieurs de la RATP, des hommes et des femmes d'exception. J'ai ensuite travaillé à Keolis, puis, depuis cinq ans, à La Poste, où, sous l'autorité du président Bailly, nous conduisons la modernisation du réseau des bureaux. Sans y avoir été impliqué récemment, je connais bien le réseau des transports publics. J'ai pour lui beaucoup d'affection et je lui ai consacré beaucoup d'énergie. Il est tellement vital pour l'équilibre du pays et pour la cohésion nationale et le bien-être des populations que c'est avec beaucoup d'ambition, d'enthousiasme et de plaisir que je le rejoindrais. Les cinq années que j'ai passées à La Poste m'ont montré combien les questions d'aménagement du territoire sont importantes : il est clair que le chemin de fer contribue beaucoup aux équilibres territoriaux.

Avant de répondre à vos questions, je tiens à souligner combien l'action de l'actuel président de RFF, M. Hubert du Mesnil, a été importante et décisive, dans un contexte difficile. Certes, la facilité n'est pas pour demain, ni pour après-demain, mais les années passées ont été particulièrement difficiles. Le système ferroviaire français et RFF ont connu sous son impulsion des progrès très importants.

À son actif, d'abord, il y a cette prise de conscience qu'après des années et des années de développement de lignes nouvelles, il ne fallait pas oublier la préservation du patrimoine existant. Avec sa grande, et ancienne, compétence en matière de transports, il a pu sonner l'alarme et convaincre les acteurs du monde ferroviaire de la nécessité d'accélérer les opérations de maintenance qui avaient été perdues de vue pendant deux ou trois décennies.

Il a également donné à RFF, au côté de la SNCF dont le rôle est irremplaçable, les moyens de mettre en place des outils de régulation qui créent les conditions pour que la concurrence ferroviaire soit un levier de développement et non un risque de déclin. Je pense à la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF), à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), au développement des autorités organisatrices régionales de transport. La concurrence est la pire des choses quand elle trouve son équilibre par du dumping, social ou aussi bien technique, ce dont on parle moins. Elle peut être la meilleure si l'on développe des instances de régulation, ce qu'a fait Hubert du Mesnil, aidant ainsi beaucoup le transport français à se préparer à la concurrence.

Il a également été un acteur très actif de la préparation de la réforme annoncée par Frédéric Cuvillier le 30 octobre. Il a su convaincre que responsabilité ne signifiait pas cloisonnement. Chaque fonction du système ferroviaire doit disposer des leviers d'action pour assumer les responsabilités qui lui reviennent. Il faut sortir de la mentalité consistant à se défausser systématiquement sur d'autres. Tous doivent travailler ensemble, avec pour objectif l'excellence du service public à la française. L'action d'Hubert du Mesnil a donc créé les conditions du succès dans les prochaines années.

La réforme ferroviaire annoncée par Frédéric Cuvillier le 30 octobre doit assurer la performance du système ferroviaire français, en assurant le double équilibre que je viens de suggérer : l'intégration de chacune des deux grandes fonctions, de transport et d'infrastructure. Elle découle des Assises du ferroviaire, qui ont fait apparaître un large consensus sur l'intérêt de regrouper l'ensemble des fonctions propres à assurer le bon état de l'infrastructure. Le système ferroviaire constitue un ensemble : les rails n'existent que pour les trains, et les trains ont besoin des rails. Les acteurs doivent donc travailler de façon intégrée.

Quelle sera la déclinaison opérationnelle de ces orientations ? Le ministre a confié à Jean-Louis Bianco mission de préparer la loi et de définir les éléments opérationnels pour décliner ces orientations générales. Il a demandé à Guillaume Pépy ainsi qu'à moi-même de formuler ensemble des propositions en liaison avec M. Bianco, et de mettre en place les dynamiques opérationnelles pour anticiper cette double intégration.

Nous pouvons avancer vite sur certains points. Ainsi, nous avons élaboré ensemble un document sur la sécurité ferroviaire, sur les règles ferroviaires et les modalités de traitement des incidents : c'est bien entre l'infrastructure et l'exploitant que les choses doivent se régler. Nous pouvons progresser aussi sur les garanties accordées au personnel et la gestion des ressources humaines. Nous nous situons évidemment dans le cadre du statut des cheminots. La SNCF a une longue histoire, porteuse de joies et de peines, d'éléments essentiels de notre grand service public. Dans la perspective de cette réforme institutionnelle, nous devons pouvoir garantir au personnel la préservation et même le développement de son professionnalisme. Le chemin de fer, comme tous les secteurs économiques, est confronté à l'introduction de technologies innovantes que chacun doit pouvoir maîtriser. Le ministre souhaite donc que soit défini un cadre social pour l'ensemble du secteur ferroviaire, public et privé, afin que la concurrence s'exerce dans de bonnes conditions.

La notion de pôle public ferroviaire intégré a fait l'objet de débats à tout le moins émotionnels... Il faut prendre en compte l'histoire : le chemin de fer est présent dans notre pays depuis 180 ans et depuis lors se sont accumulés beaucoup de savoirs nouveaux. Voilà un pôle d'excellence française. Valorisons-le, pour le renforcer et le préparer à la concurrence.

Pensez à l'interface entre le métier de transporteur et celui de gestionnaire d'infrastructures. Si un train privé tombe en panne et bloque une ligne, qui doit le dépanner ? Les systèmes de contrôle et de commande des trains comportent un ordinateur embarqué, un ordinateur au sol et un réseau radio ; on ne peut pas imaginer que chacun gère son ordinateur sans se préoccuper de l'autre. Le pôle public ferroviaire intégré, c'est l'intégration sous l'égide de celui qui possède le savoir historique, c'est-à-dire la SNCF, de toutes les dimensions techniques nécessitant une interface entre les deux acteurs, et aussi des dimensions sociales. RFF n'aura plus que quelques centaines d'ingénieurs mais il aura aussi des dizaines de milliers d'opérateurs et de cheminots, qui seront évidemment gérés comme ceux qui resteront à la SNCF, dans le cadre d'un statut qui apporte des garanties et favorise cette mobilité interne qui constitue une des forces du service public.

Nous partageons la volonté de construire un système efficace, propre à une identification claire des responsabilités et à une intégration systémique. J'ai commencé à travailler avec Guillaume Pépy, et je prends devant vous l'engagement, en mon nom comme en le sien, que nous saurons faire des propositions communes au ministre ; il n'y aura pas de divergence. Nous devons être les meilleurs en 2019 : une seule place convient au service public à la française, la première. Nous devons nous préparer à la concurrence pour l'attendre avec une parfaite sérénité.

Nous allons accélérer le plan de rénovation et de modernisation du réseau, indispensable pour l'ensemble des circulations ferroviaires et pour la promotion du fret. En l'état actuel, le fret est le parent pauvre des circulations ; ce n'est pas une fatalité ! Il faut simplement améliorer l'efficacité du réseau, et cela incombe à RFF. Quatre lignes à grande vitesse sont en construction ou en préparation, nous devons travailler avec toujours plus d'acuité sur le financement de projets et veiller à la performance économique.

Pour réduire notre déficit, nous avons plusieurs leviers. Une meilleure identification des responsabilités nous fera gagner en productivité et réduira donc les coûts : les activités de maintenance continueront de croître, avec les besoins, mais la croissance des dépenses sera moindre. Une meilleure maîtrise du financement de projets nous fera également progresser dans la bonne voie. Et il faudra poser la question des contributions. Ces marges de manoeuvres seront-elles suffisantes pour équilibrer le système ? Je ne saurais l'affirmer. Mais notre système ferroviaire a tous les leviers pour surmonter les défis difficiles qu'il a devant lui.

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