Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en deuxième lecture, la proposition de loi relative aux conditionnements alimentaires comportant du bisphénol A, ou BPA.
Nous avons longuement débattu de ce texte le 9 octobre dernier et, avant de vous présenter les modifications apportées par l’Assemblée nationale au texte du Sénat, je souhaite vous rappeler en quelques mots le contexte.
Le bisphénol A est très largement utilisé dans les produits de la vie courante et il fait l’objet, depuis plusieurs années, de nombreuses études et évaluations scientifiques. Celles-ci permettent de tisser aujourd’hui un faisceau d’indices que l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, ont analysés en 2011 et en 2012. Il existe dorénavant un certain consensus autour de quatre conclusions principales.
La toxicité du BPA est avérée chez l’animal et suspectée chez l’être humain. L’alimentation en constitue la source principale d’exposition. Le BPA ne répond pas à l’approche toxicologique classique et peut notamment produire des effets à faibles doses, avec des mécanismes encore mal élucidés. Enfin, les périodes de grossesse et du début de la vie sont critiques et constituent une zone de vulnérabilité.
C’est dans ce contexte scientifique qu’intervient la discussion de la proposition de loi dont l’objectif principal est de supprimer le bisphénol A des conditionnements alimentaires.
Quelles sont les principales modifications adoptées par l’Assemblée nationale en deuxième lecture ?
Commençons, bien sûr, par ce qui nous a beaucoup occupés, tout le monde s’en souvient, à savoir la date.
Premièrement, la suspension de la commercialisation des conditionnements destinés aux nourrissons et enfants de moins de trois ans avait été fixée par le Sénat au 1er janvier 2013. L’Assemblée nationale a conservé ce principe, mais, par prudence, au cas où le calendrier parlementaire ne permettrait pas une adoption définitive avant cette date, elle a prévu que cette suspension entrerait en vigueur le premier jour du mois suivant la promulgation de la loi.
Je vous rappelle que les industriels ont largement anticipé ce vote, ce qui démontre l’intérêt de tels débats parlementaires, et qu’il n’existe quasiment plus de conditionnements alimentaires pour bébés comportant du BPA.
Deuxièmement, en ce qui concerne les autres conditionnements, notre commission avait proposé de prévoir un délai de deux années entre la promulgation de la loi et la suspension de la commercialisation. Un débat a eu lieu, en séance, entre les tenants du 1er janvier 2015, position défendue par notre commission, ceux du 1er juillet et ceux du 1er janvier 2016.
Ce débat, certes long, était pourtant nécessaire, car il était utile d’entendre les différents arguments échangés et de mesurer la portée de la décision que nous allions prendre. Finalement, le Sénat avait opté pour le 1er juillet 2015.
Je ne sais s’il s’agissait de la légendaire sagesse de notre Haute Assemblée, mais je milite toujours pour un objectif plus volontariste. Alors que les industriels travaillent depuis déjà plusieurs années sur la substitution du BPA, je ne suis pas certaine qu’ajouter six mois leur soit nécessaire. A contrario, ce délai serait un signal de relâchement ou d’incertitude, alors qu’au fond nous sommes très largement, voire unanimement, d’accord sur l’objectif.
L’Assemblée nationale a, de son côté, approuvé la date du 1er janvier 2015, qui me semble d’autant plus acceptable par le Sénat que nos collègues députés ont fait un pas sensible vers le compromis, en adoptant deux mesures complémentaires.
Première mesure : seuls les conditionnements entrant en contact direct avec les aliments seront concernés, alors que le texte englobait également, jusqu’alors, les surfaces externes des emballages ou des récipients. Cette précision importante est cohérente avec les expressions utilisées en droit communautaire en la matière. En outre, elle conserve toute sa validité à notre objectif qui, conformément au cadre scientifique aujourd’hui établi, est d’éviter la migration de BPA dans les aliments.
Seconde mesure complémentaire : le Gouvernement remettra, avant le 1er juillet 2014, un rapport au Parlement pour évaluer les substituts possibles au BPA au regard de leur éventuelle toxicité. Ce rapport permettra, plus de six mois avant l’entrée en vigueur de la suspension, de faire un point d’étape et, le cas échéant, d’adapter notre législation, par exemple si nous nous rendons compte qu’il n’existe pas de substitut acceptable pour certains aliments, notamment ceux qui ont une acidité élevée.
En outre, l’Assemblée nationale n’a pas modifié l’habilitation que nous avions introduite pour que les agents de la répression des fraudes puissent contrôler effectivement le respect des dispositions de la proposition de loi.
Enfin, elle a confirmé la présence d’un avertissement sanitaire déconseillant l’usage des conditionnements alimentaires comportant du BPA aux femmes enceintes ou allaitantes et aux nourrissons et enfants en bas âge.
Au Sénat et à l’Assemblée nationale, le texte s’est enrichi de dispositions concernant les dispositifs médicaux ou certains produits destinés aux nourrissons.
Sur l’initiative de notre collègue Chantal Jouanno, le Sénat avait transposé le mécanisme applicable aux conditionnements alimentaires à tous les dispositifs médicaux destinés aux femmes enceintes ou allaitantes, aux nourrissons ou aux enfants jusqu’à trois ans et comportant soit une substance CMR : cancérogène, mutagène ou reprotoxique, soit un perturbateur endocrinien.
L’Assemblée nationale a supprimé cette mesure, estimant que son champ d’application très large était susceptible d’englober certains dispositifs indispensables au traitement ou à la prise en charge d’un patient et sans produit de substitution connu. Cette difficulté est d’autant plus forte que le nombre de substances concernées est très élevé : l’Assemblée nationale évoque le nombre de quatre cents, mais le tableau des substances CMR concernées représente plus de mille pages du Journal officiel de l’Union européenne, soit plusieurs milliers de substances.
Je n’évoquerai pas plus cette question à cet instant, car nous en aurons l’occasion plus tard dans la matinée.
Dans le même esprit et sur l’initiative de notre collègue Gilbert Barbier, le Sénat avait introduit une autre mesure, plus ciblée, qui consistait à interdire, à compter du 1er juillet 2015, dans les services de pédiatrie, néonatologie et maternité, l’utilisation de matériaux de nutrition parentérale, tubulures et contenants comportant certains phtalates.
L’Assemblée nationale a conservé cet ajout du Sénat, l’estimant à juste titre pertinent, mais elle en a défini plus précisément le champ d’application. Je crois que la rédaction trouvée à l’Assemblée nationale non seulement ne dénature pas l’amendement adopté au Sénat, mais en respecte l’objectif. En outre, la demande de rapport dont je viens de parler a été complétée par une étude sur la présence de ces phtalates dans les dispositifs médicaux.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a inséré deux interdictions supplémentaires.
Les collerettes de tétines et de sucettes, et les anneaux de dentition comportant du BPA seront interdits sans délai. L’utilisation de biberons comportant du BPA sera explicitement interdite, même s’ils relèvent de la catégorie des dispositifs médicaux, ce qui ne peut constituer qu’une régularisation de la loi de 2010.
J’aborderai un dernier point avant de conclure. Sur l’initiative du groupe écologiste, le Sénat avait demandé la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur les perturbateurs endocriniens. Même si nous avons déjà eu plusieurs rapports de ce type, notamment celui de Gilbert Barbier pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, le Gouvernement pourra ainsi actualiser les données scientifiques et présenter la politique qu’il entend mener à ce sujet. Je le disais, ce rapport devra également contenir des informations sur les dispositifs médicaux, ce qui est tout à fait pertinent.
En conclusion, je constate que la navette parlementaire a été fructueuse : nous avons eu des débats approfondis sur la date d’entrée en vigueur de la fin programmée des conditionnements alimentaires comportant du bisphénol A et nous avons enrichi le texte de mesures complémentaires.
À ce stade de la deuxième lecture, je crois que nous avons abouti à un compromis tout à fait satisfaisant, qui conforte nos ambitions dans un cadre réaliste.
Au regard des mesures restant réellement en discussion, il me semble inutile de reporter l’adoption définitive du texte de plusieurs semaines. En adoptant conforme le texte résultant des travaux de l’Assemblée nationale, le Sénat adresserait, dès aujourd’hui, un signal politique déterminant, puisque notre pays serait alors le premier au monde à programmer effectivement la fin de l’utilisation du bisphénol A dans les conditionnements alimentaires.
Tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, il existe une très large majorité, voire un consensus, sur le principe et les grandes modalités.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose, au nom de la commission des affaires sociales unanime, d’adopter la proposition de loi transmise par l’Assemblée nationale sans modification. §