Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 12 décembre 2012 à 14h30
Simplification des normes applicables aux collectivités locales — Articles additionnels avant l'article 1er, amendement 16

Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, je ferai une intervention liminaire assez générale avant l’article 1er, dans la mesure où nous avons reçu très tardivement l’avis du Conseil d’État et que nous souhaitons, avec ma collègue Anne-Marie Escoffier, que les choses soient dites en amont.

La discussion des articles de cette proposition de loi porte sur la question de l’adaptation des normes aux particularités locales. Sur ce point, le Gouvernement avait demandé l’avis du Conseil d’État, afin d’être éclairé sur les dispositions à prendre.

Cet avis rendu à la mi-novembre dernier, soit quelques jours après que nous nous fûmes réunis la première fois, conclut que notre droit contient toutes les dispositions permettant au législateur d’adapter les normes applicables aux particularités locales – contrairement à ce que nous avions pu dire à un moment donné –, sous réserve que ces adaptations respectent des principes constitutionnels d’égalité et de non-tutelle.

Je vous cite l’avis du Conseil d’État, afin qu’il figure dans le compte rendu intégral des débats du Sénat : « L’attribution d’un pouvoir réglementaire aux collectivités par la loi n’est pas, par elle-même, contraire au principe d’égalité. L’attribution par la loi de pouvoirs de dérogation à la norme nationale ou de pouvoirs d’adaptation de la norme nationale respecte même le principe d’égalité si elle remplit deux conditions : la modulation de la norme repose sur une différence objective et la différence de traitement qui en découle est en rapport direct avec le but visé par le texte de loi. Une loi peut donc prévoir dans chaque cas les circonstances qui autoriseraient les collectivités à déroger à la mise en œuvre de telle ou telle disposition.

« Il revient aussi au législateur de se saisir de cette question en mesurant à chaque fois, au cas d’espèce, si les conditions essentielles de mise en œuvre des libertés publiques ne dépendent pas uniquement des collectivités, ce qui contreviendrait à la jurisprudence constitutionnelle. Chaque loi doit prévoir l’articulation entre le pouvoir réglementaire que le Premier ministre tient de l’article 37 de la Constitution et le pouvoir réglementaire des collectivités.

« La loi peut aussi prévoir qu’un décret en Conseil d’État précise les modalités de mise en œuvre d’une norme générale. Selon la situation objective rencontrée, le législateur peut parfaitement inviter le Gouvernement à prévoir les modalités concrètes de l’adaptation des normes qu’il vote à la particularité des territoires qu’il estime devoir être soumis à son attention particulière. »

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’attire votre attention sur la conclusion du Conseil d’État, que je n’étais pas en mesure de vous donner lors de notre dernier débat : « Notre droit permet déjà de faire plus et mieux que ce que nous faisons aujourd’hui ; dégager une règle générale d’adaptation des normes au niveau local serait vain. Surtout, la rédaction d’une telle règle générale la rendrait peu intelligible, suscitant une forte insécurité juridique. »

Nous prendrions donc le risque de complexifier le droit applicable aux collectivités, alors qu’il suffit de faire des lois plus claires, plus opérantes, mieux adaptées aux réalités des territoires. C’est précisément l’objectif que nous visons au travers du texte portant sur la réforme de l’action publique et la décentralisation sur lequel nous travaillons actuellement.

Nous tenions, avec Anne-Marie Escoffier, à vous faire part officiellement, en séance publique, de ces précisions.

J’en viens maintenant à l’avis du Gouvernement sur l'amendement n° 16 rectifié. Cet amendement vise sans doute, dans un souci de clarté, à identifier précisément les normes opposables aux collectivités territoriales, mais il présente des faiblesses juridiques, comme l’a d'ailleurs indiqué M. le rapporteur.

Dans sa rédaction actuelle, on peut s’interroger sur la portée de cette disposition. Plusieurs interprétations sont possibles.

Une interprétation stricte conduit à en conclure que seules les normes visées dans l’article additionnel sont applicables aux collectivités territoriales, c’est-à-dire les lois ou les décrets, ce qui exclut les arrêtés, qui ne seraient plus applicables aux collectivités, mais également les règles d’un rang supérieur à la loi dans la hiérarchie des normes, à savoir les règlements européens, voire la Constitution, ce qui n’est pas envisageable, vous en conviendrez largement avec moi. Dans l’ordre juridique national, les collectivités territoriales ne sauraient se soustraire aux normes de valeur constitutionnelle d’application directe, par exemple celles qui sont issues de la Charte de l’environnement.

Pour toutes ces raisons, vous en conviendrez sans doute vous-même, la première interprétation ne peut être la bonne.

La seconde interprétation est plus souple. Elle permettrait de considérer que seuls les arrêtés ne sont pas applicables aux collectivités. Or la nature des actes réglementaires n’est pas conditionnée par les catégories de publics concernés, mais par des considérations tenant à la répartition des compétences au sein de l’exécutif et aux conditions d’exercice du pouvoir réglementaire.

En l’absence de précisions apportées par les auteurs de cet amendement, en regard de son objet et de sa portée, le Gouvernement ne peut qu’être hostile au principe visant à soustraire les collectivités à l’application de tous les actes juridiques autres que les lois et les décrets.

Madame Goulet, je pense donc que vous allez allègrement retirer cet amendement !

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