Intervention de Isabelle Debré

Réunion du 12 décembre 2012 à 14h30
Cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Isabelle DebréIsabelle Debré :

Monsieur le président, madame la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie, mes chers collègues, la proposition de loi, adoptée par la commission des affaires sociales le 5 décembre dernier et que nous examinons aujourd’hui, concerne la situation des allocataires du minimum vieillesse

En l’état actuel du droit, lorsqu’ils perçoivent des revenus professionnels, les titulaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, sont particulièrement pénalisés : non seulement la sécurité sociale prélève des cotisations sociales sur les revenus d’activité perçus, mais la prestation servie aux allocataires se trouve en outre réduite du montant desdits revenus, ce qui conduit à annuler purement et simplement le bénéfice financier de la reprise d’activité.

Le caractère différentiel du minimum vieillesse place par conséquent les allocataires dans une situation d’iniquité à l’égard des autres retraités qui bénéficient du cumul emploi-retraite depuis 2003, et sous une forme libéralisée depuis 2009.

L’objet de cette proposition de loi est donc de permettre aux titulaires de l’ASPA de cumuler leur allocation avec des revenus d’activité, mais, bien sûr, dans la limite d’un plafond déterminé par la loi dans la mesure où il s’agit d’une prestation financée par la solidarité nationale.

Avant de détailler le contenu du texte que je soumets à votre appréciation, il me paraît utile de rappeler quelques faits et chiffres.

Comme vous le savez, le minimum vieillesse, dont la création remonte à 1956, constitue le premier minimum social d’un point de vue historique. Il permet aux personnes âgées d’au moins 65 ans – 60 ans en cas d’inaptitude au travail ou d’invalidité – et dont les revenus sont faibles parce qu’elles n’ont pas suffisamment cotisé aux régimes de retraite jusqu’à la liquidation de leurs pensions, d’atteindre un seuil minimal de ressources. Il s’agit d’une prestation servie de manière subsidiaire, les intéressés devant faire valoir en priorité leurs droits en matière de pension de retraite.

Le minimum vieillesse est généralement versé par les caisses de retraite. Près des trois quarts des allocataires dépendent de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Pour les bénéficiaires n’ayant pas cotisé à un système de retraite, le versement de l’allocation relève du Service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, le SASPA, qui dépend de la Caisse des dépôts et consignations.

Quant au financement de l’allocation, il est assuré par le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, dont il représente près de 15 % des dépenses, soit 3 milliards d’euros en 2011.

La récente modernisation du dispositif a successivement conduit à simplifier son architecture et à revaloriser le montant de l’ASPA pour personne seule. Sur ce point, l’année 2012 marque en effet la dernière étape de la revalorisation exceptionnelle de 25 % en quatre ans du minimum vieillesse pour les personnes isolées, telle que décidée par le précédent gouvernement dans le cadre du « rendez-vous de 2008 sur les retraites ».

Cette mesure a été précédée de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse. Conformément à ce texte, l’ASPA se substitue, pour les nouveaux bénéficiaires, à l’ancien minimum vieillesse, constitué de plusieurs allocations réparties en deux étages.

Ainsi, depuis 2007, les bénéficiaires du minimum vieillesse regroupent les bénéficiaires de l’une des deux allocations permettant d’atteindre le plafond du minimum vieillesse : soit l’ancienne allocation supplémentaire vieillesse, l’ASV, soit la nouvelle ASPA.

Comme je l’ai déjà indiqué, le calcul du minimum vieillesse revêt un caractère différentiel : en vertu de l’article L. 815-9 du code de la sécurité sociale, le montant de la prestation servie est égal à la différence entre le montant des ressources personnelles de l’intéressé et du conjoint, du concubin ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité et le montant du minimum de ressources garanti aux personnes âgées.

Au 1er avril 2012, le minimum vieillesse permet de compléter l’ensemble des ressources du bénéficiaire et de son conjoint éventuel pour atteindre 777, 16 euros par mois pour une personne seule et 1 206, 59 euros pour un couple. À la fin de 2010, les bénéficiaires touchaient en moyenne, par mois, 287 euros au titre de l’ASV et 382 euros au titre de l’ASPA.

Si le nombre d’allocataires du minimum vieillesse a connu une baisse structurelle au cours des cinq dernières décennies, il se stabilise depuis le début des années 2000 et pourrait être amené à s’accroître.

La montée en charge des régimes d’assurance vieillesse de base et complémentaires, la mise en place de minima de pensions dans les principaux régimes de retraite et la participation accrue des femmes au marché du travail au fil des générations sont autant de facteurs expliquant la baisse du nombre de titulaires du minimum vieillesse, qui est passé de 2, 5 millions en 1960 à 576 000 en 2010.

Comme l’indique la Cour des comptes dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2012, le dispositif du minimum vieillesse continue et continuera cependant à jouer un rôle essentiel dans la couverture vieillesse des personnes pauvres.

Les effectifs d’allocataires, qui demeurent probablement inférieurs au nombre de personnes éligibles, en raison notamment d’un défaut d’information, risquent d’augmenter compte tenu de l’arrivée à l’âge de la retraite d’un nombre croissant de générations ayant eu des carrières incomplètes.

Dans cette perspective, alors que le cumul emploi-retraite a été intégralement libéralisé, que des mécanismes d’intéressement existent pour d’autres minima sociaux et que le nombre d’allocataires du minimum vieillesse pourrait s’accroître dans un contexte budgétaire et financier pour le moins contraint, on comprendrait mal, aujourd’hui, que ceux-ci ne puissent cumuler leur allocation avec des revenus d’activité, en particulier lorsque ces revenus sont modestes.

Ce constat apparaît largement partagé par les personnes que j’ai auditionnées en qualité de rapporteur de la commission des affaires sociales. Un syndicat a même qualifié les règles actuelles d’« aberration juridique », rappelant que, malgré les revalorisations intervenues, les allocataires de l’ASPA se situent très majoritairement sous le seuil de pauvreté, défini par l’INSEE comme égal à 60 % du revenu médian, soit 964 euros mensuels en 2010.

La situation inéquitable à laquelle font face les allocataires du minimum vieillesse à l’égard des autres retraités a d’ailleurs été mise en évidence par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS. Dans son rapport relatif à l’évaluation du cumul emploi-retraite, publié quelques semaines après le dépôt de la présente proposition de loi, l’IGAS affirmait en effet : « Un mécanisme d’intéressement pour le minimum vieillesse corrigerait un facteur d’inégalité dans l’accès au cumul emploi-retraite. »

Le Conseil d’orientation des retraites, le COR a, quant à lui, fait valoir que « le droit à la retraite ne prive pas les retraités d’un droit fondamental, le droit au travail ».

À cet égard, force est de reconnaître que le cumul emploi-retraite a connu un développement important depuis 2004. Le nombre de bénéficiaires est aujourd’hui estimé à un 500 000 personnes, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 ayant ouvert la possibilité d’un cumul intégral lorsque les retraites ont été liquidées à taux plein, y compris à l’aide de périodes assimilées financées par la solidarité nationale.

La présente proposition de loi est en pleine concordance avec la recommandation émise par l’IGAS.

Elle prévoit de modifier l’article L. 815-9 du code de la sécurité sociale pour autoriser le cumul de l’ASPA avec des revenus d’activité dans la limite de 1, 2 SMIC pour les personnes seules et de 1, 8 SMIC pour les couples.

La détermination d’un plafond de cumul paraît en effet nécessaire dans la mesure où cette allocation relève de la solidarité nationale.

Lorsque le minimum vieillesse est versé à une personne seule, un plafond de 1, 2 SMIC permettrait de compléter les ressources personnelles de l’intéressé avec des revenus d’activité à hauteur de 565 euros au total.

Pour les couples allocataires, le plafond de 1, 8 SMIC représente 1, 5 fois le plafond du cumul pour une personne seule, c’est-à-dire un lien de proportion similaire à celui qui existe entre l’ASPA pour couple et l’ASPA pour personne seule. Il permettrait ainsi aux couples allocataires de bénéficier de revenus d’activité d’environ 807 euros au total.

Dans un souci d’équité, le texte prévoit que le dispositif de cumul s’applique également aux allocataires de l’ancien minimum vieillesse, au nombre de 433 000 en 2010 selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministre des affaires sociales et de la santé. Ils percevaient l’ASV pour un montant moyen de 287 euros par mois.

Il demeure difficile, il est vrai, de connaître avec exactitude le nombre d’allocataires qui sera concerné par cette mesure.

En tout état de cause, la proposition de loi s’adresse en priorité aux allocataires du minimum vieillesse âgés de 65 à 75 ans environ, qui représentent un tiers de l’ensemble des titulaires. Elles concernent tout particulièrement les femmes, qui représentent 62% des allocataires isolés âgés entre 65 et 70 ans.

Cette proposition de loi ne prétend évidemment pas résorber l’ensemble des situations de pauvreté dans lesquelles se trouvaient plus d’un million de personnes âgées de 64 ans et plus en 2010, soit 10 % de cette classe d’âge, selon les dernières données de l’INSEE. Ce nombre est, d’ailleurs, certainement encore plus élevé aujourd’hui d’après les témoignages recueillis auprès des associations auditionnées.

Ce texte ouvre simplement un droit aux personnes qui souhaitent travailler, et qui sont en capacité de le faire, en arrêtant de les pénaliser parce qu’elles s’engagent dans cette voie.

Elle apporte une réponse humaine, pragmatique et de bon sens à la situation particulière des allocataires du minimum vieillesse désireux de compléter leurs ressources par des revenus d’activité ou de garder un lien social.

Elle permettra de rétablir une plus grande équité entre retraités selon qu’ils bénéficient d’une pension contributive ou qu’ils dépendent de la solidarité nationale.

Le Sénat s’honorerait de lui réserver une suite favorable. §

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