Revenons quelques instants sur ledit contenu.
Nous avons eu maintes fois l’occasion d’indiquer ici à quel point le texte qui nous a été présenté en première lecture souffrait à nos yeux de sérieuses limites.
En effet, il allait bien moins loin que les propositions que la majorité sénatoriale avait pu formuler l’an dernier dans le cadre de l’adoption de son « contre-budget » de combat, de son contre-budget « manifeste », ses auteurs ayant renoncé à un volume de recettes fiscales particulièrement important et s’étant laissés glisser sur la pente de la réduction des dépenses publiques. Or, faut-il encore le répéter, cette réduction est le plus sûr moyen d’accroître un peu plus les déficits. D'ailleurs, de plus en plus d’économistes le disent aujourd'hui.
Parmi les recettes perdues figurent ainsi les 750 millions d’euros de « correction » apportés, à l’article 6 du projet de loi, à la taxation des plus-values des particuliers.
Soyons clairs, cette démarche, réponse selon nous maladroite à l’opération médiatique adroite menée par les « patrons pigeons » – c’est ainsi qu’ils s’étaient dénommés –, vidait quasiment de son contenu une mesure censée conduire à un traitement de ces revenus au titre du barème progressif. Plus précisément, l’abandon, sur un produit attendu de 1 milliard d’euros lié à cet accrochage des plus-values, de 750 millions d’euros – autrement dit, l’abandon des trois quarts de la somme – réduit à néant ou presque l’esprit originel de la mesure.
Madame la ministre, si vous aviez relevé de cinq points le taux d’imposition des plus-values des particuliers, vous auriez obtenu le même résultat. En effet, en plus-values nettes, la somme globalement déclarée par les contribuables de notre pays s’est élevée à environ 6 milliards d’euros en 2009. Un relèvement de quatre points du taux – voire inférieur – était donc suffisant puisque les moins-values ont été moins pesantes après l’année 2008.
S’agissant de l’impôt de solidarité sur la fortune – l’ISF –, vous avez fait une croix sur plusieurs centaines de millions d’euros. Nos collègues de l’opposition sénatoriale souhaitaient quant à eux d’autres allégements de l’ISF – bien évidemment, nous ne nous plaçons pas sur le même terrain.
En maintenant le seuil d’application du tarif de cet impôt à 1, 3 million d’euros, vous perdez au bas mot 300 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les 600 millions d’euros résultant de la limitation à 1, 5 % du taux maximal d’imposition et de l’aménagement du tarif.
Pour un contribuable disposant d’un patrimoine composé d’un hôtel particulier d’une valeur de 18 millions d’euros, situé dans une rue proche du Palais du Luxembourg, d’un peu plus de 1 million d’euros de valeurs monétaires diverses et qui fait valoir pour 900 000 euros de forfait mobilier – même si ce mobilier est, en partie, constitué d’objets d’art et de collection et agrémenté de tableaux d’art moderne, le tout pour une valeur de 30 millions d’euros –, le gain n’est pas forcément inappréciable.
Avec le tarif antérieur à la réforme Sarkozy de la fiscalité du patrimoine, ce contribuable aurait acquitté 283 850 euros d’ISF, hors abattement pour personne à charge ou je ne sais quel versement dans un fonds ISF-PME. Demain, avec le tarif applicable en 2013, le même contribuable, doté du même patrimoine, paiera 248 190 euros, ce qui correspond à une baisse de 35 660 euros de son ISF, soit plus de 12, 5 %.
C’est ainsi que nous avons renoncé à 600 millions d’euros de recettes fiscales.
De la même manière, alors que l’on vient de créer la Banque publique d’investissement, nous avons renoncé à remettre en cause le coûteux dispositif ISF-PME, dont l’impact est estimé, en 2013, à 482 millions d’euros, ou encore le dispositif Dutreil, dont le coût prévu s’élève à 304 millions d’euros. Et je ne tiens pas compte du fait que vous continuez à ne pas taxer les actifs professionnels ou certains objets d’art et de collection…
Toujours est-il, madame la ministre, que, rien que sur ce que nous connaissons, ce sont près de 1, 7 milliard d’euros de recettes fiscales qui ne seront pas engrangés au titre de l’ISF.
Pour notre part, nous ne pensons pas que l’instauration d’une tranche provisoire d’imposition à 75 % portant sur les seuls revenus d’activité constitue une solution adaptée à la situation.
En effet, un comédien ayant diversifié ses sources de revenus en plaçant judicieusement ses cachets précédents peut fort bien échapper à cette imposition, au seul motif que son « activité » principale, celle de jouer la comédie, ne lui aurait pas rapporté cette année 1 million d’euros. Il conviendrait plutôt de se rendre compte qu’un renforcement de la progressivité du barème actuel, notamment avec l’instauration d’une tranche à 50 %, est la seule voie digne de ce nom. Madame la ministre, c’est d’autant plus vrai si le Gouvernement poursuit le rêve de fusionner, demain, CSG et impôt sur le revenu dans un seul barème général qui souffrirait ensuite une sorte de « surtaxe progressive », comme au bon vieux temps de l’impôt cédulaire...
Cependant, le Gouvernement n’a pas fait le choix d’aller aussi loin que possible en matière d’imposition des sociétés.
D’ailleurs, j’observe que, à part une remise en cause partielle de la niche Copé, aucune mesure de fond n’a de fait été prise sur l’imposition des sociétés. Nous attendons encore de voir ce que donneraient, notamment, l’imposition des bénéfices distribués, l’application d’une forme de progressivité de l’impôt sur les sociétés à raison de la taille des entreprises assujetties, ou de leur chiffre d’affaires, et une taxation plus équilibrée des plus-values.
Par exemple, cette année – en pleine crise, nous dit-on –, pas moins de 38 milliards d’euros de dividendes seront distribués aux actionnaires des groupes du CAC 40.
Alors que l’on affirme aligner le taux d’imposition des plus-values des particuliers sur le barème progressif, pourquoi ne le fait-on pas pour le taux applicable aux plus-values des entreprises ? Il y a de quoi s’interroger !
Bref, à notre grand regret, le présent projet de loi de finances reste, une fois encore, quelque peu au milieu du gué, même après la nouvelle lecture de l’Assemblée nationale. Nous pensons que ce débat budgétaire aurait pu, aurait dû être l’occasion de réorienter plus avant encore notre fiscalité vers une réelle progressivité de l’impôt. Nous ne pourrons donc que confirmer notre position de première lecture. §