Je vous remercie de m'avoir invité. Géologue, je travaille sur les grands fonds marins depuis 1982. J'ai fait une thèse sur les ressources minérales terrestres et j'ai travaillé au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) : j'ai mené des explorations terrestres essentiellement au Gabon. Je suis donc initialement un « terrien » mais je travaille sur les océans depuis de nombreuses années.
Je vais commencer mon propos par une courte introduction pour bien préciser le sujet. J'évoquerai ensuite le contexte international. Je montrerai enfin les potentialités des zones économiques exclusives (ZEE) françaises.
Pourquoi s'intéresser aux océans ? Les océans recouvrent deux tiers de la planète. Près de 60 % des océans sont à plus de 2 000 mètres de profondeur. Les explorations scientifiques des grands fonds ont conduit à la découverte de certains types de minéralisation. L'intérêt des océans n'est pas de remplacer les continents en termes de ressources, mais ils peuvent permettre la diversification des sources d'approvisionnement. Depuis quelques années, dans le contexte de l'augmentation de la demande au niveau mondial, l'industrie s'intéresse à ces connaissances scientifiques sur les grands fonds.
On peut relever plusieurs contextes dans lesquels les différents types de minéralisation peuvent se former. Ma présentation n'évoquera pas le contexte du plateau continental, dans lequel on trouve des sables, des graviers ou des minéraux lourds. On a ensuite le talus continental et les grands fonds, avec les zones sédimentaires et la croûte océanique, essentiellement volcanique. Dans les plaines abyssales, on trouve les nodules, les encroûtements et, éventuellement, les sédiments métallifères qui peuvent contenir de petites concentrations de terres rares. Dans la partie volcanique, on trouve les amas sulfurés associés aux sources hydrothermales.
Les nodules sont des boules d'une dizaine de centimètres de diamètre qui peuvent tapisser les fonds océaniques, en particulier dans les zones éloignées des continents. Ils se situent à environ 4 000 mètres de profondeur.
À des profondeurs moindres, entre 1 000 et 3 000 mètres, on peut trouver les encroûtements de manganèse qui, contrairement aux nodules, se forment sur tout substrat dur, comme des anciens volcans ou des atolls immergés. Il s'agit de croûtes noires, qui peuvent faire de 10 à 20 cm d'épaisseur.
Le troisième des principaux groupes de minéralisations est celui des sulfures hydrothermaux : ces sites se situent entre 1 000 et 5 000 mètres de profondeur et se présentent sous forme de cheminées hydrothermales.
S'agissant de la composition de ces minéralisations, les nodules sont composés essentiellement de manganèse et de fer. Ils peuvent aussi contenir - il s'agit des éléments intéressants - du nickel, du cobalt et du cuivre (en moyenne à hauteur de 2 %). Les encroûtements contiennent également une dominante de fer et de manganèse, mais également 0,7 % de cobalt en moyenne. Ils sont donc plus riches que les nodules. Il ne s'agit par ailleurs que d'une moyenne et certaines zones sont beaucoup plus enrichies. Les sulfures hydrothermaux sont constitués d'une combinaison de souffre et de métaux, avec, en moyenne 11 % de zinc et 5 % de cuivre. Ce sont donc des composés plutôt riches.
À côté de ces métaux de base, on peut trouver d'autres métaux : des encroûtements enrichis en platine, tellure ou nickel ; pour ce qui concerne les sulfures, on peut trouver des concentrations en métaux précieux, en or et en argent, mais aussi du plomb ou du cobalt, ou encore des métaux plus rares comme le germanium.
Quelles sont les dimensions de ces différents objets ? La zone la plus intéressante en matière de nodules, qui fait l'objet aujourd'hui de permis miniers dans les zones internationales, se situe au milieu de l'océan Pacifique. Il s'agit d'une zone très étendue, de plusieurs milliers de kilomètres carrés. Pour ce qui concerne les amas sulfurés, l'extension ne comprend que quelques centaines de mètres. Ces objets sont donc tout à fait différents des nodules en termes de nature, de richesse et d'extension.
Depuis plusieurs années, on constate un certain engouement pour ces ressources marines profondes. À partir 1978, date de découverte des premières sources hydrothermales au large du Mexique, de nombreuses campagnes d'exploration ont eu lieu dans l'Est du Pacifique. De nombreux sites hydrothermaux ont été découverts dans les années 1980. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, des actions d'exploration ont été menées dans le Sud-ouest du Pacifique et ont permis la découverte d'autres sites hydrothermaux. Plus récemment, à la fin des années 1990 et dans les années 2000, des actions ont eu lieu dans l'Atlantique, notamment dans le cadre de programmes européens, essentiellement dans la ZEE des Açores. Dans le Pacifique-Est, la France coopère avec l'Allemagne, les États-Unis et le Canada. Dans le Sud-ouest du Pacifique, des coopérations ont existé avec l'Allemagne et le Japon.
Il y a donc des enjeux scientifiques, à la fois en géosciences mais aussi en biologie, des enjeux environnementaux - de connaissance de la biodiversité et des écosystèmes des grands fonds marins - ; des enjeux économiques et technologiques car, pour explorer et exploiter, il faut faire évoluer les technologies. Il y a bien sûr également des enjeux juridiques, des enjeux géopolitiques liés à la diversification des sources d'approvisionnement. Enfin, il y a des enjeux d'éducation et de formation.
Je souhaite maintenant dresser l'état des lieux au niveau mondial.
S'agissant des ZEE des États, on a des permis d'exploration par exemple dans le Sud-ouest Pacifique et dans les zones japonaises. En 2010 et 2011, des permis d'exploitation ont été délivrés en Papouasie et en mer Rouge. Ainsi, à horizon de plusieurs années, il pourrait y avoir de l'exploitation.
Le domaine international est géré par l'Agence internationale des fonds marins (AIFM), liée à l'ONU. Une législation internationale s'est mise en place progressivement : au début des années 2000 pour les nodules et en 2010 pour les sulfures hydrothermaux. La législation sur les encroûtements est en cours de discussion et pourrait être adoptée l'année prochaine.
Cette législation a conduit au dépôt de permis d'exploration, notamment pour la zone au large du Mexique. La France a un permis dans cette zone, tout comme l'Allemagne. Des groupes privés ont également obtenu des permis dans cette zone particulièrement intéressante en matière de nodules. Dans l'Océan Indien, l'Inde a obtenu un permis dans une zone nodulée.
S'agissant des sulfures, quelques heures après la validation de la législation, la Chine a déposé un dossier. Elle détient aujourd'hui un permis dans l'Océan Indien, à la pointe Sud-est de l'Afrique. La Russie a obtenu un permis dans l'Atlantique. La France envisage de déposer une demande de permis au Nord de la zone russe dans l'Océan Atlantique. Ce permis est en cours de discussion. La Corée a obtenu un permis dans l'Océan Indien. On sait par ailleurs que le Brésil se mobilise sur ce sujet et a la volonté de déposer un permis dans l'Atlantique, au Sud du permis russe. On soupçonne enfin que les Chinois souhaitent déposer un nouveau dossier pour l'Atlantique Sud.
S'agissant des encroûtements cobaltifères, le Japon et la Chine souhaiteront très certainement déposer des permis quand la législation sera déposée.
Comme vous le voyez, il y a une vraie dynamique en termes de dépôt de dossiers par les différents pays.