Sans qu’il soit besoin de rappeler, comme Didier Guillaume l’a fait avec brio, la part mineure que représentent aujourd'hui les conseillers généraux et les conseillers régionaux au sein du collège sénatorial – respectivement 2, 6 % et 1, 21 % –, je souhaiterais vous citer la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux modifications des durées de mandat. En effet, le Conseil s’est déjà prononcé sur ce sujet à plusieurs reprises. Notre débat est certes de nature politique, mais il fait référence à la loi fondamentale.
Dans sa décision n° 90-280 DC du 6 décembre 1990, le Conseil constitutionnel a admis la prolongation d’un mandat local en cours, car celle-ci s’inscrivait dans le cadre d’une réforme visant à permettre la concomitance du renouvellement intégral des conseils généraux et des conseils régionaux. Or, comme je l’ai déjà souligné, tel est bien notre objectif. Le Conseil constitutionnel avait conclu, d'une part, que les choix du législateur s’inscrivaient « dans le cadre d’une réforme dont la finalité n’[était] contraire à aucun principe non plus qu’à aucune règle de valeur constitutionnelle », et, d'autre part, que les modifications apportées à la durée des mandats en cours revêtaient « un caractère exceptionnel et transitoire » et que, de ce fait, elles n’étaient « contraires ni au droit de suffrage garanti par l’article 3 de la Constitution ni au principe de la libre administration des collectivités territoriales ».
Par la suite, saisi de la loi du 16 février 2010, qui modifiait également la durée des mandats des conseillers généraux et régionaux – chacun son tour ! –, le Conseil constitutionnel a considéré que « la concomitance des scrutins peut également trouver une justification dans l’objectif de favoriser une plus forte participation du corps électoral à chacune de ces consultations ». Or tel est bien notre objectif. Le projet de loi qui vous est soumis répond donc pleinement à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
D’une part, je le répète, en prolongeant d’une durée limitée à un an le mandat des conseillers généraux élus en 2008 et des conseillers généraux élus en 2011, le Gouvernement ne porte pas atteinte au droit de suffrage. De même, en allongeant de trois à quatre ans le mandat des conseillers généraux élus en 2011 et de quatre à cinq ans celui des conseillers régionaux élus en 2010, le texte est proche de la durée normale de ces deux mandats.
D’autre part, en proposant de reporter ces deux élections pour assurer que la participation électorale ne soit pas découragée par la multiplication des scrutins en 2014 et que les assemblées locales représentent le plus fidèlement possible les suffrages des Français, le Gouvernement se conforme de façon indiscutable à la jurisprudence constitutionnelle.
Monsieur Portelli, pour vous répondre très précisément, je tiens à dire que le Gouvernement n’ira pas dans la voie du vote plural et de la pondération de voix, ainsi que cela a été proposé par la commission consultative présidée par M. Lionel Jospin pour réformer le mode d’élection des sénateurs. Je veux être très clair sur ce point à la suite de votre interpellation. Il ne peut donc pas être un argument dans le débat qui nous réunit.
Vous affirmez aussi, à l’instar de plusieurs de vos collègues lors de la discussion générale, que le scrutin binominal majoritaire serait contraire à la Constitution, au motif que la représentation des électeurs ne peut pas être partagée entre deux élus. Il est important d’y revenir, car vous semblez oublier que nombre d’élections se déroulent au scrutin de liste et que, dans ce cadre, plusieurs élus sont issus de la même circonscription électorale. Tel est notamment le cas des conseillers régionaux élus au sein d’une section départementale. Vous semblez également ignorer que plusieurs conseillers municipaux peuvent représenter, au sein du conseil municipal, la même commune associée.
La représentation par deux élus d’un même territoire, prévue par le scrutin binominal, n’est donc pas unique en droit électoral français. En tout état de cause, elle n’est en rien inconstitutionnelle.
En outre, je rappelle que le mode de scrutin proposé ne remet pas en cause le principe du vote individuel des deux élus du canton au sein de l’assemblée départementale. Vous l’avez d’ailleurs, d’une certaine manière, vous-même rappelé à plusieurs reprises.
J’y insiste, le Gouvernement a entendu fixer dans le présent projet de loi les critères que le pouvoir réglementaire devra respecter pour le redécoupage électoral. Ceux-ci reprennent la jurisprudence du Conseil constitutionnel et celle du Conseil d’État et garantissent la délimitation de cantons respectant au mieux l’égalité devant le suffrage.
La loi détermine également les effectifs des conseils départementaux, comme pour tous les types d’élection. Il en est ainsi de l’article L. 337 du code électoral pour les conseils régionaux et de l’article L. 125 du même code pour les députés.
À cet égard, il faut savoir que le Conseil d’État, auquel le Gouvernement a demandé son avis sur les conditions d’un remodelage, n’a jamais mis en avant une telle obligation juridique. Nous avons donc fait un pas en avant en inscrivant dans le texte qui vous est proposé des éléments qui, jusqu’alors, relevaient uniquement du pouvoir réglementaire.
Enfin, je voudrais rappeler que le canton n’est pas la seule circonscription électorale qui fasse l’objet d’une définition par le pouvoir règlementaire. Les limites des communes sont en effet modifiées par arrêté préfectoral.
Vous avez aussi évoqué le cas de Paris et du statut PLM. La loi a déjà modifié la situation de Marseille indépendamment de celle des deux autres villes en 1987, sur l’initiative de M. Jean-Claude Gaudin. Il y a donc un précédent. Le projet gouvernemental tient compte des évolutions démographiques propres à la ville de Paris depuis 1982. Le tableau des conseillers de Paris n’avait pas été modifié depuis cette date, alors même que la population parisienne a considérablement évolué en trente ans.
La méthode de répartition des effectifs des conseillers de Paris et des conseillers d’arrondissement est rigoureusement la même que celle qui avait été utilisée en 1982, laquelle avait été validée par le Conseil constitutionnel. Si M. Gaudin a des propositions à faire concernant le scrutin applicable à Marseille, le Gouvernement, tout à fait respectueux du premier édile de cette ville, est prêt à en discuter, mais vous ne pouvez pas utiliser cet argument, puisque le statut d’une des trois villes a déjà été modifié indépendamment des deux autres.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme Didier Guillaume, je voudrais vous rappeler que le Gouvernement, par ce texte, poursuit plusieurs objectifs constitutionnels.
Le premier est la parité, inscrit à l’article 1er de la Constitution, lequel dispose que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». En consacrant un tel objectif et en instituant une obligation pour les partis politiques de contribuer à sa mise en œuvre, la révision constitutionnelle de 1999 a permis l’élaboration d’un édifice législatif qui favorise la parité. Nous nous inscrivons parfaitement dans ce cadre. Si nous ne l’avions pas respecté, votre motion de procédure aurait été tout à fait recevable, mais il se trouve que le Gouvernement, par ce projet de loi, propose de parachever cette œuvre législative, afin que la parité soit une réalité dans la plupart des assemblées élues, comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler.
Le deuxième principe constitutionnel que vise le texte est le respect du principe d’égalité devant le suffrage. La réforme du mode de scrutin départemental conduira à revoir profondément le contour des circonscriptions électorales départementales. Je me permets de rappeler ici quelques exemples nous confirmant qu’il est nécessaire de réviser la carte cantonale actuelle : dans certains départements, beaucoup d’entre vous l’ont rappelé, et sur toutes les travées, le rapport entre le canton le plus peuplé et le canton le moins peuplé peut atteindre un pour quarante-sept ; dans près de la moitié des départements, ce ratio est supérieur à un pour dix ; dans dix-huit départements, il est supérieur à un pour vingt.
Malgré les changements démographiques intervenus depuis la création des cantons en 1790, la carte cantonale est restée figée, ignorant ainsi les grands mouvements de population qui ont marqué la France ces deux derniers siècles. De tels écarts, même si nous devons être très attentifs à ce qui a été dit sur la représentation d’un certain nombre de territoires, ne sont plus acceptables au regard du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage.
Le scrutin binominal majoritaire permettra donc à chaque département de se doter des circonscriptions électorales respectant l’égalité devant le suffrage, sans ignorer la spécificité d’un certain nombre de territoires. À cet égard, nous pouvons nous appuyer sur la jurisprudence constitutionnelle et administrative, que le Gouvernement propose de codifier.
Monsieur Portelli, la parité et le respect de la démographie sont autant de principes constitutionnels que vous auriez pu rappeler.
Le troisième principe visé par le texte est l’expression du pluralisme des opinions, inscrit à l’article 4 de la Constitution. Je veux bien évidemment parler de ce que nous proposons pour la démocratie communale et intercommunale.
Pour terminer, je reviens sur cette tradition républicaine, que certains d’entre vous ont évoquée en commission ou lors de la discussion générale, selon laquelle les modes de scrutin ne doivent pas être modifiés moins d’un an avant une élection.