Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rendez-vous d’aujourd’hui est important : il n’a échappé à personne que les deux projets que nous étudions préfigurent l’acte III de la décentralisation.
Nous prenons acte du fait que, pour son application dans la France hexagonale, ce projet de loi est marqué par une double volonté du Gouvernement : d’une part, ne pas toucher à l’architecture actuelle de l’organisation administrative en maintenant le conseil régional et le conseil général et, d’autre part, réaménager les compétences qui leur sont actuellement dévolues.
Le Gouvernement a donc décidé de maintenir un conseil général par département et un conseil régional regroupant plusieurs départements. Pour la France, il s’agit d’une adaptation à une nouvelle situation économique et sociale, mais aussi de son intégration à l’Europe.
Concernant la Réunion, la situation est tout à fait différente. Le problème fondamental tient à ce qu’elle est située à 10 000 kilomètres de la France et de l’Union européenne. Nous nous acheminons vers une rupture économique et historique de l’outre-mer !
Les quatre départements d’outre-mer issus de la loi du 19 mars 1946 sont également régis par la loi intégrant les régions d’outre-mer, elles-mêmes devenues régions ultrapériphériques de l’Union européenne. Or, parmi ces régions, la Martinique et la Guyane sont désormais en dehors du projet actuel, tandis que la Guadeloupe et la Réunion sont concernées.
Ainsi, s’agissant des départements d’outre-mer, la situation actuelle se traduit par une division entre, d’une part, ceux qui comme la Martinique et la Guyane ont opté pour une collectivité unique et, d’autre part, la Guadeloupe et la Réunion, qui garderaient, sur le même territoire, un conseil général et un conseil régional.
Cette réforme va donc diviser institutionnellement le bloc des quatre « vieilles colonies » devenues départements et régions d’outre-mer.
Comment réformer ces collectivités territoriales issues de l’intégration actuelle dans la République française et comment les placer dans une perspective de cohérence plus large et d’avenir ?
L’essence même de la réforme nous pose un problème : logiquement, les régions françaises regroupent plusieurs départements. Mais les quatre régions d’outre-mer sont monodépartementales. Comment donc répondre à la philosophie de la réforme qui vise à regrouper plusieurs départements, alors que nous-mêmes n’en avons qu’un seul ?
Outre-mer, c’est la double représentation institutionnelle du département et de la région sur un même territoire qui est en cause. La Martinique et la Guyane en ont tiré les conséquences.
Par ailleurs, les régions de la France continentale s’intègrent dans une unité géographique, elle-même intégrée à l’Europe.
Comment, à la Réunion, à 10 000 kilomètres de la France et de l’Europe, pouvons-nous nous intégrer dans une telle réforme et nous intégrer à l’Europe ?
En revanche, l’intégration de différents pays de l’Afrique orientale est en marche : les îles de l’océan Indien – Maurice, Madagascar, les Seychelles et les Comores –, toutes voisines de la Réunion, participent à un regroupement qui comptera plusieurs centaines de millions habitants dans quelques décennies. Ce regroupement sera lié à l’Union européenne, donc à la France, par des accords de partenariat économique, ou APE, qui seront tout prochainement signés.
C’est donc un grand défi qui se trouve devant nous : comment, à 10 000 kilomètres, concilier les siècles d’intégration de la Réunion dans la France et les décennies d’intégration dans l’Union européenne, d’une part, et notre intégration dans notre environnement géographique, d’autre part ? Voilà le problème qui nous est posé et il ne peut être résolu par une loi électorale élaborée pour un contexte très différent du nôtre.
La Guadeloupe et la Réunion sont toutes deux confrontées à l’application de cette loi, mais elles le sont d’une façon différente. En effet, contrairement à la Guadeloupe, qui dispose d’un congrès, la Réunion, par une disposition spécifique et particulière, se trouve interdite du droit de faire connaître son opinion.
Il faudrait parvenir à une réforme institutionnelle dont le Gouvernement prendrait l’initiative.
La Réunion était une colonie. Compte tenu de la modestie de son territoire et de l’importance de sa population, il y a eu une assemblée unique ; ce fut l’assemblée législative sous le régime colonial, puis le conseil général.
Dans la période de l’intégration départementale et de l’avènement de la décentralisation, sur l’initiative du président François Mitterrand, une loi a été votée en 1981 instituant une assemblée unique dans les quatre départements d’outre-mer, comme en Martinique et en Guyane aujourd’hui. Seule une erreur de référence sur un article constitutionnel a fait annuler la loi votée.
Depuis, la situation géoéconomique et institutionnelle de ces départements d’outre-mer a évolué par rapport à l’Europe, avec la création des régions ultrapériphériques, ou RUP, et du fait de l’intégration économique des pays de l’Afrique de l’Est et des îles de l’océan Indien.
Le simple principe de précaution exige que ce problème soit discuté par les intéressés eux-mêmes, comme en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe.
C’est pourquoi, en l’absence à la Réunion de dispositif organisant, par un congrès, l’expression des conseillers généraux et régionaux, il appartient au Gouvernement de prendre une initiative aboutissant à la consultation de la population sur les modalités et les objectifs de la réforme.
En un mot, faut-il privilégier la vision d’avenir de la Martinique et de la Guyane, à savoir maintenir la citoyenneté française de leurs habitants tout en adaptant leurs politiques et leurs institutions à leur développement et à leur environnement géoéconomique, ou, au contraire, se maintenir dans une région monodépartementale au sein de laquelle coexistent une région et un département sur un petit territoire ?
Il ne faut entretenir aucune confusion sur l’objet de cette réforme outre-mer. Qui peut oser dire qu’il est plus Français qu’un Martiniquais ou qu’un Guyanais à la suite de cette réforme, qui est respectueuse de la Constitution et qui les concerne ?
Il s’agit donc d’un appel au Gouvernement et à la population, pour examiner une situation concrète, concilier le passé historique et l’avenir, réfléchir sur la réforme instaurée en Guyane et en Martinique.
Tout cela explique pourquoi, sur ce projet de loi, à notre grand regret, nous ne pourrons participer au vote. §