La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.
La séance est reprise.
M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date de ce jour, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du II de l’article 6 de la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée (Validation législative des rémunérations perçues) (2012-287 QPC).
Acte est donné de cette communication.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (projet n° 166 rectifié, texte de la commission n° 252, rapport n° 250), ainsi que du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (projet n° 165 rectifié, texte de la commission n° 251, rapport n° 250).
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un tournant, ambitieux, de l’histoire de la démocratie locale que nous abordons aujourd’hui.
La démocratie ne saurait être un modèle abouti, figé. Elle doit pouvoir se réformer, se moderniser, s’approfondir, pour renforcer le lien essentiel, si particulier, qui unit les citoyens à leurs représentants. Ce lien constitutif de notre histoire et de notre nation, qui est au cœur de notre pacte républicain, est garant de notre cohésion.
Nous entamons aujourd’hui une phase exigeante, nécessaire et longue de réformes électorales, qui doivent nous amener à donner un nouvel élan à notre démocratie dans les territoires. Ce mouvement a plusieurs sources.
Tout d’abord, voilà un peu plus d’un an, a été adoptée au Sénat une proposition de loi portée par les élus socialistes, radicaux, écologistes et communistes visant à abroger le conseiller territorial. Je veux saluer cette initiative parlementaire utile, qui s’est prolongée, il y a quelques semaines, à l’Assemblée nationale.
Ensuite, le Président de la République a voulu et défini ce nouvel élan.
Lors de son discours de candidat à la présidence de la République à Dijon, puis de son intervention, en octobre dernier, aux états généraux de la démocratie territoriale, qui doivent tant au Sénat, il a fixé de grandes orientations, autour de quatre principes : confiance, clarté, cohérence et démocratie. Ce sont ces grandes orientations, qui sont le fruit d’une consultation large avec les élus, que le Gouvernement entend mettre en œuvre, notamment au travers des deux projets de loi que j’ai l’honneur de vous présenter, mesdames, messieurs les sénateurs.
Dans nos collectivités locales, dans les régions, les départements, les communes, au rythme des lois de décentralisation et des transferts de compétences, une culture démocratique s’est affirmée, fondée sur la proximité, l’écoute et le dialogue, qui a permis de rapprocher les décisions publiques des citoyens. Cette culture s’appuie sur des élus qui, quelle que soit leur sensibilité politique, ont à cœur de travailler au développement de leur collectivité et de rassembler les énergies autour d’un projet commun et solidaire.
Pour autant, force est de constater que nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. Dans les départements, les communes, les intercommunalités, des progrès peuvent, et doivent, encore être accomplis.
Il convenait au préalable de revenir sur la création du conseiller territorial, qui confondait deux échelons : le département et la région. Or ces deux échelons n’ont pas les mêmes logiques de fonctionnement, ni les mêmes perspectives d’action.
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Ce conseiller territorial, à la fois conseiller régional et général, était donc source d’inefficacité et de confusion.
Or la démocratie demande transparence et lisibilité dans la prise de décision.
La démocratie consiste à garantir la possibilité de porter, à échéances régulières, un jugement rétrospectif sur les actions menées. En d’autres termes, c’est la liberté de désapprouver ou d’encourager. Pour exercer pleinement ce droit, les citoyens doivent savoir qui fait quoi, qui décide de quoi.
Par ailleurs, le conseiller territorial était voué à des allers-retours permanents entre sa circonscription d’élection, le chef-lieu de département et le chef-lieu de région
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Or l’élu local se doit d’être au cœur des réalités du terrain pour en percevoir toutes les implications.
Nos concitoyens attendent également que leurs élus soient à l’image de la société. Or le mode de scrutin retenu alors était très défavorable au pluralisme et, surtout, à la parité.
Enfin, l’argument économique, brandi à maintes reprises pour justifier la création du conseiller territorial, n’a jamais démontré sa pertinence.
M. Manuel Valls, ministre. Les synergies qui devaient exister entre les structures régionale et départementale n’avaient aucun fondement, pas plus que le thème des économies réalisées sur les indemnités des élus : dans les faits, il aurait fallu indemniser les remplaçants, c’est-à-dire les super-suppléants inventés pour l’occasion !
Protestations sur les travées de l'UMP.
M. Manuel Valls, ministre. En résumé, pour parler trivialement, le conseiller territorial relevait de l’usine à gaz.
Exclamations sur les travées de l'UMP.
M. Manuel Valls, ministre. Il compliquait là où il fallait simplifier ; il complexifiait là où il fallait clarifier. Élu local moi-même, j’ai entendu ces critiques de la part de nombreux élus de gauche, mais l’honnêteté m’oblige à dire qu’elles émanaient aussi de certains élus de droite.
Mêmes mouvements.
Cette réforme était en fait – peut-être est-ce là le plus grave ! – l’expression d’une défiance à l’endroit de la démocratie locale et des élus qui la font vivre.
On a voulu faire des économies sur la démocratie locale, au détriment de son efficacité et de sa légitimité.
Le Président de la République l’a rappelé lors des états généraux de la démocratie territoriale, les libertés locales sont une conquête républicaine et leur progrès, c’est tout simplement le progrès de la République.
Dans cette conquête de la démocratie territoriale, le département a une place importante, particulière.
En 1790, le découpage départemental est le symbole d’une conception moderne, rationnelle et déjà républicaine de l’administration de notre pays. La loi de 1871 relative aux conseils généraux est l’une des grandes avancées démocratiques de la IIIe République naissante. En 1982, la fin de la tutelle est l’un des actes forts des lois de décentralisation.
Je l’ai dit, la démocratie ne peut se concevoir comme un modèle figé. Elle doit accompagner les évolutions que connaissent les territoires. Nous entrons dans une nouvelle phase de décentralisation, qui doit se traduire par une nouvelle phase de la démocratie locale.
Fusionner les mandats de conseiller régional et de conseiller général relevait d’une volonté d’affaiblir tout à la fois le département et la région.
Certains continuent de croire que moderniser la vie politique locale, c’est supprimer un échelon. Toutefois, on n’améliore pas l’efficacité des politiques publiques en éloignant les citoyens des décisions. Le département est un échelon de proximité essentiel, un échelon républicain par excellence. À ce titre, il conserve toute sa pertinence.
Affirmer cela, ce n’est en rien plaider pour le statu quo. Pour demeurer pertinent, l’échelon départemental doit effectivement entamer sa modernisation, celle des compétences et des politiques. Ce sera l’un des aspects du futur projet de loi porté par la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.
Il faudra également moderniser le mode de scrutin. Chacun ici est conscient, me semble-t-il, des lacunes du régime de scrutin actuel. Tout d’abord, un mode de scrutin doit représenter équitablement la population et les territoires. Or trois cinquièmes des cantons sont les mêmes que lors du premier découpage cantonal réalisé il y a plus de deux siècles !
Depuis 1801, les territoires ont évolué, la répartition de la population française aussi. Dans l’Hérault, par exemple, le rapport entre le canton le plus peuplé et le canton le moins peuplé est de 1 pour 47. Ce ratio est supérieur à 1 pour 20 dans dix-huit autres départements et, de manière plus consolidée, il est supérieur à 1 pour 5 dans quatre-vingt-huit départements. Qui pourrait prétendre que le principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant le suffrage est respecté ? Non, nous ne pouvons plus nous satisfaire de cette situation ! Il y va, à terme, de la légitimité même de l’institution départementale.
De même, la sous-représentation – le mot est faible ! – des femmes dans les assemblées départementales est devenue insupportable. Progressivement, difficilement, la parité a partout progressé : dans les régions, dans les communes, au Parlement, même si certains ont fait davantage d’efforts que d’autres. Il reste bien sûr des progrès à accomplir. Mais nulle part la situation n’est comparable à celle des départements.
Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 13, 5 % de l’ensemble des conseillers généraux.
Les différentes mesures mises en œuvre n’y ont rien fait. Certes, candidat et suppléant doivent être de sexe différent, mais les femmes ne représentaient, en 2011, que 23 % de l’ensemble des candidats.
Les dernières élections cantonales l’ont montré, le mode de scrutin actuel ne permettra pas de remédier à ce problème.
Lors du renouvellement partiel de 2011, quatorze départements n’ont élu aucune femme. Fait notable, et regrettable, dans trois départements, l’assemblée départementale reste exclusivement masculine.
En matière de parité, comme en matière de représentation démographique, il ne doit plus exister d’exception départementale. C’est une condition de la légitimité de cette institution.
Nous ne ferons pas cette réforme de la démocratie dans les départements au détriment de l’identité de ce territoire. Démocratiser, moderniser, ce n’est pas dénaturer. La stabilité de l’institution départementale dans l’histoire montre une qualité essentielle du scrutin majoritaire : celui-ci garantit un lien fort entre l’élu et son territoire, une proximité réelle entre l’électeur et son représentant – des valeurs que le Gouvernement souhaite préserver.
Proximité et parité : ces deux impératifs, ces deux objectifs rappelés par le Président de la République ont guidé la rédaction de ce projet de loi.
J’ai consulté les différentes formations politiques représentées au Parlement ainsi que les associations d’élus concernées. À cet égard, je tiens à souligner l’écoute et le respect mutuel qui ont caractérisé nos échanges.
J’ai entendu les projets de réforme proposés par les uns et les autres. Certains suggéraient un scrutin de liste au niveau départemental, calqué sur le modèle régional. Cette proposition répondait au problème de la parité, mais conduisait à renoncer à la proximité. Pour d’autres, le nouveau scrutin aurait dû se tenir au niveau de l’arrondissement ou dans un cadre intercommunal.
Aucune de ces solutions n’était pertinente. L’arrondissement est une échelle administrative, sans signification particulière pour nos concitoyens. Quant à l’intercommunalité, institution encore très jeune, sa carte reste inachevée, mouvante. Surtout, elle doit à mon sens rester un espace commun, un espace de compromis, de projets. Cette vision disparaîtrait si elle était elle-même érigée en circonscription infra-départementale.
Le canton reste un espace électoral bien identifié et légitime pour beaucoup de nos compatriotes. Nous avons donc fait le choix de le conserver. Toutefois, il s'agit d’un canton renouvelé et remodelé – j’y reviendrai.
Un scrutin moderne, paritaire : tel est l’objectif du scrutin binominal majoritaire proposé à votre examen, mesdames, messieurs les sénateurs. Il est issu du travail mené notamment par l’une de vos collègues, Mme Michèle André. Dans chaque canton seront élus, solidairement, deux candidats de sexe différent. C’est le gage d’une parité enfin respectée dans les assemblées départementales. La parité des candidats s’appliquera également aux remplaçants.
Cette parité de l’assemblée délibérante, nous voulons qu’elle s’applique tout autant à l’exécutif du département. Là encore, les disparités de représentation sont criantes : 95 % des présidents et 85 % des vice-présidents de conseils généraux sont des hommes. Je vous proposerai donc d’appliquer à la commission permanente du département et aux vice-présidents les règles applicables aux régions depuis 2007. Ils seront donc élus au scrutin de liste paritaire.
La parité est un gage de représentativité, mais elle ne suffit pas. Comme je l’ai souligné, les cantons actuels ne représentent plus la réalité de la répartition de la population française. Nous devons donc procéder à une refonte globale de la carte cantonale. Le nombre de cantons sera fixé de manière à conserver un nombre d’élus proche de celui que nous connaissons aujourd’hui.
Il fallait fixer dans la loi un critère clair. Le présent projet prévoit que l’écart de population d’un canton par rapport à la moyenne départementale ne dépasse pas 20 %.
M. Manuel Valls, ministre. Ce chiffre n’a rien d’arbitraire, mesdames, messieurs les sénateurs. En effet, parallèlement à la rédaction de ce texte, j’ai saisi le Conseil d’État afin de déterminer une règle simple, et c’est l’avis de cette instance qui nous a conduits à opter pour cette limite de 20 %. Elle est celle qui est appliquée par le Conseil constitutionnel, je vous le rappelle, en matière de redécoupage des circonscriptions législatives.
Protestations sur plusieurs travées de l'UMP.
Je le sais, certains, sur toutes les travées, seront tentés d’assouplir cette limite, …
… de lui apporter de multiples amendements afin de tenir compte des spécificités de leur territoire.
Or ce serait priver la règle de son sens, et je refuse pour ma part que les inégalités actuelles perdurent.
Je tiens en même temps à vous rassurer : cette règle, telle qu’elle est énoncée dans le projet de loi, prévoit déjà des exceptions fondées sur des motifs géographiques ou des considérations d’intérêt général.
Je pense, en particulier, aux îles et à la montagne. Toutefois, ces exceptions devront être spécialement justifiées.
Renforcer la démocratie départementale, c’est doter le département d’un mode de scrutin qui soit – j’y insiste – représentatif et paritaire, …
… tout en conservant la proximité. C’est aussi améliorer la lisibilité de cette élection. Ce projet de loi vise donc à substituer aux termes « conseil général » et « conseiller général », devenus peut-être peu explicites pour les électeurs, ceux de « conseil départemental » et de « conseiller départemental ». Le département doit rester un échelon territorial à part entière ; son nom doit donc apparaître plus clairement.
Autre facteur d’une meilleure lisibilité : les conseils généraux seront renouvelés dans leur totalité.
Rien ne justifie plus le renouvellement par moitié. Au contraire, il faut rendre ce scrutin plus compréhensible pour les citoyens et donner à l’institution départementale une majorité claire pour le temps d’un mandat.
Enfin, revivifier la démocratie locale, c’est créer toutes les conditions d’une participation satisfaisante aux élections, même si d’autres facteurs, bien évidemment, y contribuent. En l’état actuel du droit, quatre scrutins doivent se tenir en 2014 : les élections municipales et territoriales en mars, les élections européennes en juin et les élections sénatoriales en septembre.
La restauration du double scrutin régional et départemental ajouterait une cinquième élection, vous avez raison, monsieur le président de la commission des lois.
Cinq élections, soit neuf tours de scrutin, en l’espace de six mois : ce calendrier électoral engorgé est difficilement praticable et conduirait à coup sûr – nous pouvons au moins nous accorder sur ce point – à une faible participation des électeurs. C’est pourquoi je vous propose de reporter à 2015 l’organisation des élections départementales et régionales.
Ces deux scrutins auront lieu, bien sûr, le même jour. L’expérience l’a montré, en 1992 par exemple, la concomitance des élections régionales et cantonales peut avoir des effets bénéfiques sur la participation électorale. Lors de son abandon en 1994, l’abstention était remontée de dix points.
Je connais les objections que certains soulèveront durant les débats. Je rappellerai simplement que c’est le précédent gouvernement qui avait raccourci la durée des mandats pour créer le conseiller territorial.
En 2015, les élus auront effectué des mandats d’une durée proche du mandat normal de six ans : cinq ans pour les conseillers régionaux, quatre ou sept ans pour les conseillers généraux. Ce report n’aura qu’un impact marginal sur le collège sénatorial. D’ailleurs, nous ne faisons que rétablir ce qui avait été défait par la précédente majorité.
Cette entreprise de modernisation et d’approfondissement de la démocratie locale ne doit pas, si vous me permettez l’expression, se cantonner au seul département.
Le fait intercommunal est devenu concret pour nos concitoyens. Ceux-ci constatent, chaque jour, que les communautés de communes, d’agglomération ou les communautés urbaines assument toujours davantage de responsabilités et de politiques publiques.
Cette réalité des politiques doit s’affirmer comme une réalité démocratique. Là encore, le chef de l’État a arrêté un principe lors des rencontres de la Sorbonne. Les délégués communautaires seront élus au scrutin universel direct, « le même jour et par un même vote » que les conseillers municipaux.
C’est, à ce stade, la meilleure option pour donner à l’intercommunalité la légitimité démocratique nécessaire à son développement. Dans le même temps, l’échelon municipal doit être préservé. Je sais combien les Français sont attachés à la figure du maire, pour avoir exercé cette fonction pendant douze ans, et à la commune.
La commune, c’est l’élément de base, le fondement de la démocratie locale. Chaque jour, par leur travail, leur engagement, leur abnégation, les élus municipaux sont les premiers représentants de la République devant les Français.
Le texte initial prévoyait que les délégués communautaires soient signalés parmi les premiers de chaque liste en concurrence. Votre commission des lois a estimé, à juste titre, qu’il fallait préserver une liberté dans l’établissement des listes.
Sur le principe, je suis en plein accord avec cette logique – je tiens d’ailleurs à saluer le travail que vous avez conduit, mesdames, messieurs les sénateurs, sous l’impulsion de Michel Delebarre. Je crois cependant que le texte établi par la commission, si vous me permettez cette remarque, pâtit encore, à ce stade, d’une trop grande complexité. Nous devons tout faire pour que, là aussi, la simplicité et la lisibilité l’emportent.
Démocratiser l’intercommunalité, c’est aussi étendre l’élection par fléchage des délégués communautaires au plus grand nombre de communes. Pour cela, il convient d’abaisser de 3 500 à 1 000 habitants le seuil de population au-delà duquel les conseillers municipaux seront élus au scrutin de liste.
Cet abaissement du seuil répond également à l’impératif de rendre le scrutin municipal plus paritaire. Aujourd’hui, l’objectif de parité est quasiment atteint dans les communes de plus de 3 500 habitants, c’est-à-dire précisément là où s’applique l’obligation de constituer les listes paritaires. Dans les communes les plus petites, en revanche, la part des conseillères municipales est de 32 %. C’est bien la démonstration que, lorsque la parité n’est pas obligatoire, les travers de notre société politique l’emportent.
Abaisser le seuil, c’est enfin simplifier, rendre plus transparente l’élection municipale. Le panachage, s’il est adapté aux communes les moins peuplées, complexifie l’élection. De même, rien ne justifie plus que des règles de transparence élémentaires, comme l’obligation de dépôt de candidature, ne s’appliquent pas dans les communes de plus de 1 000 habitants. Votre commission a d’ailleurs tenu à étendre cette obligation à toutes les communes.
Je le sais, le seuil de 1 000 habitants au-delà duquel devra s’appliquer le mode de scrutin qui vaut actuellement pour les communes de plus de 3 500 habitants ne fait pas l’unanimité : certains proposent plutôt de fixer ce seuil à 1 500 habitants – c’est, je crois, la position de l’Association des maires de France –, d’autres à 2 000 habitants ; d’autres encore souhaitent que l’élection proportionnelle soit généralisée à toutes les communes. Le seuil de 1 000 habitants est un compromis dont nous pourrons débattre.
Je suis évidemment ouvert à toutes les propositions.
L’élargissement de l’élection proportionnelle sera, quoi qu’il en soit, significatif. Pour autant, il ne doit pas se faire au détriment du pluralisme. Dans les communes les plus petites, nous le savons, il est souvent difficile de constituer des listes complètes. C’est ce qui justifie le maintien d’un seuil. C’est également pourquoi le Gouvernement est favorable à l’abaissement du nombre de conseillers municipaux adopté par votre commission pour les premières strates de la population.
Comme vous l’avez constaté, nous débattons conjointement d’un projet de loi ordinaire et d’un projet de loi organique. Ce dernier est principalement lié à la question du vote des ressortissants communautaires aux élections municipales.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, aborder une réforme des modes de scrutin n’est jamais chose aisée. C’est pour cela que nous avons souhaité en débattre d’abord au Sénat, où ces questions sont connues, étudiées. Je ne doute pas qu’elles seront plus faciles à aborder qu’ailleurs. Le Président de la République a fixé, dans la sérénité et dans un souci de dialogue, de grandes orientations pour notre démocratie locale. Ce projet de loi en est, je vous le disais, l’une des traductions.
Veillons donc, par nos échanges, à renforcer la démocratie dans nos territoires et à donner un exemple de démocratie. Le contraire ne ferait qu’alimenter le sentiment de défiance malheureusement déjà présent chez nos concitoyens. L’étude récente qui vient d’être publiée par le CEVIPOF, le Centre de recherches politiques de Sciences Po, montre que la défiance à l’égard de l’ensemble des institutions, mais aussi des collectivités territoriales, ne cesse de s’accroître, et cela doit nous faire collectivement réfléchir. Il est de notre responsabilité collective d’y apporter une réponse.
Nous allons avoir des débats, des oppositions ; des points de vue divergents vont s’exprimer. C’est normal, c’est la discussion démocratique. Toutefois, je vous invite tous, sur toutes les travées, à mener ces débats, auxquels le Gouvernement prendra évidemment toute sa part, en gardant deux impératifs à l’esprit : le renforcement de notre démocratie et le souci de l’intérêt général.
Je vous le disais en introduction : c’est un tournant que nous abordons aujourd’hui. Prenons le temps de bien le négocier. C’est important pour notre démocratie locale !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Jacqueline Gourault et M. Pierre Jarlier applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est aujourd’hui saisi de deux projets destinés essentiellement, dans le contexte d’une modernisation du scrutin départemental, à renforcer la parité en politique, introduite il y a plus de dix ans par le constituant au rang des fondements de notre République, puis à concrétiser le principe, adopté en 2010, de l’élection directe par les citoyens des délégués communautaires.
Une plus grande féminisation des assemblées délibérantes locales est donc l’un des objectifs de la réforme soumise à l’examen de la Haute Assemblée.
Cette volonté est confortée par le texte adopté par la commission des lois. La gestion des affaires départementales et intercommunales, compétences de proximité par excellence, sera désormais placée sous le regard croisé d’élus de l’un et de l’autre sexe. La mixité progressera également au sein des conseils municipaux et, parallèlement, se diffusera dans les intercommunalités. C’est un atout pour la démocratie locale. En reflétant mieux la diversité de la société civile, la parité politique enrichit et équilibre le choix et la mise en œuvre des politiques publiques pour mieux répondre aux besoins et aux attentes des administrés.
La coopération intercommunale, encore balbutiante il y a deux décennies, s’est affermie tout au long de ces dernières années. Elle regroupera dans quelques mois l’ensemble des 36 700 communes de France, hormis Paris, pour conduire des projets communs dans l’intérêt d’une meilleure administration des territoires. La démocratisation des instances intercommunales est l’aboutissement nécessaire de l’élargissement de leurs attributions par le transfert d’un plus grand nombre de compétences communales, de l’augmentation de leur poids financier, de leur plus grande intégration.
Les citoyens éliront désormais, en même temps que leurs conseillers municipaux, les membres des organes délibérants des communautés de communes, des communautés d’agglomération, des communautés urbaines et des métropoles. Cette élection au suffrage universel direct leur permettra ainsi de choisir ceux des élus qui se consacrent en plus aux compétences exercées en commun par les collectivités regroupées.
Le législateur est donc appelé à fixer les principes qui régiront demain l’élection des élus municipaux, intercommunaux et départementaux pour régler l’administration des collectivités et des services publics locaux.
La commission des lois, réunie le 19 décembre dernier, s’est attachée à clarifier et à conforter les dispositions des présents projets de loi.
Elle a tout d’abord adopté l’article 1er, qui prévoit de substituer les appellations de « conseil départemental » et de « conseiller départemental » à celles, très anciennes, de « conseil général » et de « conseiller général ». Cette disposition, certes symbolique, permettra de clarifier le lien entre l’élu du département et la collectivité départementale qu’il représente, sur le modèle du conseiller régional. Cette clarification est simple, mais indispensable.
La commission a approuvé, sous réserve de modifications ponctuelles, le principe d’un binôme de candidats de sexes différents au sein de cantons redélimités dans le cadre d’une nouvelle carte cantonale.
Cette mesure permettra non seulement de moderniser la circonscription cantonale, qui, depuis deux cents ans, a connu peu de modifications, mais également de favoriser la parité dans une collectivité trop souvent considérée, à juste titre, comme insuffisamment ouverte aux femmes. Ainsi, les articles 2 à 13 mettent fin au scrutin majoritaire uninominal à deux tours au profit d’un nouveau mode de scrutin, dont les résultats mériteront d’être examinés.
Le renouvellement triennal par moitié serait remplacé par un renouvellement intégral tous les six ans, dont on peut se féliciter : en effet, le renouvellement par moitié ne permet pas toujours au conseil général d’assumer ses compétences dans la durée. C’est pourquoi la commission a adopté l’article 4, qui instaure ce renouvellement intégral, à l’unanimité. Il favorisera la continuité de l’action départementale, gage de politiques locales plus ambitieuses et plus cohérentes.
Le texte adopté par la commission pour l’article 5 prévoit que l’élection serait acquise au binôme comportant le candidat le plus jeune, ce qui représente, vous en conviendrez, monsieur le ministre, une innovation électorale majeure ! §Je le souligne, car la commission n’a pas tout à fait suivi son rapporteur sur cette question. Certains de ses membres, cédant tardivement à l’appel de leurs artères, ont choisi le candidat le plus jeune.
L’article 8 prévoit que la déclaration de candidature devra comporter la signature des deux candidats titulaires, les informations les concernant, ainsi que les signatures de leurs suppléants de même sexe et les informations à leur sujet, afin de préserver la parité en cas de recours au remplaçant.
Le recours au suppléant serait, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les conseils généraux, possible pour toutes les causes autres que l’annulation de l’élection ou la démission d’office par le représentant de l’État. Dans ces deux cas, l’article 9 prévoit l’organisation d’une élection partielle si les deux sièges sont vacants.
La question de la vacance d’un siège de conseiller départemental méritera d’être abordée, monsieur le ministre, notamment dans les cas où la majorité au sein des conseils départementaux serait faible. À ce stade de notre réflexion, il nous est apparu qu’aucune solution n’est exempte de tout risque, pour éviter le maintien d’un siège vacant.
L’une des questions les plus sensibles de ce projet de loi est assurément le remodelage de la carte cantonale, qui est aujourd’hui rendu nécessaire par les disparités démographiques importantes entre les cantons dans certains départements. Quelques exemples ont été donnés. Ces disparités mettent à mal le principe constitutionnel d’égalité des suffrages.
Cette redéfinition de la carte cantonale résulte aussi nécessairement du principe du binôme et de votre volonté, monsieur le ministre, de conserver l’effectif actuel des conseils généraux. Ainsi, les articles 3 et 23, que nous avons adoptés sous réserve de précisions et d’améliorations rédactionnelles, prévoient les règles qui guideront le pouvoir réglementaire dans cette tâche.
Nous ne pouvons que nous féliciter que ces principes reprennent ceux qui ont été dégagés par les jurisprudences concordantes du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État. Toutefois, force est de constater que de nombreuses craintes s’expriment, notamment la peur de cantons trop vastes ou trop peuplés, …
… qui remettraient en cause le lien de proximité, que nous devons conserver, avec les conseillers départementaux.
Pour répondre à ces inquiétudes, le projet de loi prévoit, à l’article 23, des dérogations de portée limitée, qui seraient justifiées par des considérations d’intérêt général ou d’ordre géographique. Les territoires montagneux viennent immédiatement à l’esprit. Ces exceptions devraient principalement s’appliquer également aux territoires à faible densité de population ou aux cantons comptant un nombre très important de communes, dans l’objectif de délimiter des cantons à taille humaine et de respecter le principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant le suffrage.
La commission des lois n’a pas souhaité modifier ces règles, car elles permettent non seulement de respecter la jurisprudence, mais également, par leur souplesse, de prendre en compte les spécificités de nos territoires.
La commission a enfin adopté le report des prochaines élections départementales et régionales en mars 2015 : la loi du 16 février 2010 les avait fixées l’année précédente en abrégeant les mandats généraux et régionaux pour mettre en place le conseiller territorial. Pour la commission des lois, la concomitance de ces deux élections est le moyen de favoriser la participation électorale. Ce report d’une année atténue aussi les effets de la loi de 2010 sur la durée normale de ces mandats.
Enfin, par coordination, les premières élections prévues, à l’article 22, pour la mise en place de la collectivité unique en Guyane et en Martinique, en lieu et place des conseils généraux et des conseils régionaux, sont également reportées à mars 2015. La commission, sur l’initiative de notre collègue Christian Cointat, avait calé les élections des conseillers aux assemblées de Guyane et de Martinique sur les élections régionales.
La commission des lois a adopté l’économie générale du cadre proposé pour amender le régime électoral communal, lequel résulte aujourd’hui des lois du 19 novembre 1982 et du 6 juin 2000, qui ont respectivement introduit dans les communes les plus peuplées la représentation proportionnelle, assortie d’une prime majoritaire, et la parité de candidature.
La commission a cependant complété le dispositif pour en préserver la cohérence. Elle s’en est tenue au seuil proposé par le Gouvernement pour élargir l’application du scrutin proportionnel : 1 000 habitants lui semblent constituer un étiage raisonnable au regard des particularismes communaux. D’une part, ce seuil autorise pleinement l’application de la proportionnelle et, partant, de la parité dans des conseils municipaux comptant au moins quinze membres ; d’autre part, la population des communes considérées doit permettre, sans grande difficulté, la constitution des listes de candidats.
Parallèlement, la réduction du champ d’application du scrutin majoritaire aux communes de moins de 1 000 habitants permet d’unifier les modalités de vote en vigueur dans ce régime : y seront autorisées les candidatures isolées, les listes incomplètes et le panachage pour faciliter l’élection des conseillers municipaux et la constitution des assemblées.
C’est pourquoi la commission a adopté l’article 16 sans modification et ses corollaires, les articles 17 et 18, en prévoyant cependant, pour le premier tour de scrutin, une déclaration de candidature obligatoire dans les communes régies par le scrutin majoritaire, pour favoriser la constitution de majorités municipales cohérentes.
Par ailleurs, la commission a inversé le principe d’attribution du siège en cas d’égalité des suffrages en retenant le critère du plus jeune.
Pour faciliter l’élection des conseillers municipaux dans les plus petites communes, elle a réduit de deux le nombre des membres de leurs assemblées délibérantes. Certaines d’entre elles peinent parfois à se constituer pleinement. Ainsi l’effectif du conseil municipal serait-il abaissé de neuf à sept dans les communes de moins de 100 habitants et de onze à neuf dans celles de moins de 499 habitants.
La commission a retenu l’article 19 modifiant la répartition des conseillers de Paris entre les secteurs dans le texte proposé par le Gouvernement : le nouveau tableau demeure fondé sur les principes adoptés par le Parlement en 1982. Les modifications qui y sont portées découlent mécaniquement de l’examen de l’évolution démographique de chacun des vingt arrondissements de Paris.
Par coordination, la commission des lois a aligné, dans le projet de loi organique, le mandat municipal pris en compte au titre de la limitation du cumul des mandats : aujourd’hui, le conseiller municipal y figure pour les communes d’au moins 3 500 habitants, par référence au critère objectif du seuil du changement de mode de scrutin.
Il convenait donc d’harmoniser cette disposition avec le choix de l’abaissement du seuil à 1 000 habitants, condition nécessaire pour conforter juridiquement son fondement.
Tout en adoptant le principe de mise en œuvre du fléchage pour l’élection au suffrage universel direct des délégués communautaires, la commission des lois en a assoupli les modalités afin de permettre aux différentes listes de mieux répartir entre leurs candidats les responsabilités au sein du conseil municipal et de l’organe communautaire.
La commission a donc supprimé du dispositif gouvernemental le « blocage » en tête de liste des candidats fléchés pour le conseil de l’intercommunalité. Votre rapporteur a d’ailleurs constaté au cours des auditions des représentants des collectivités qu’il a rencontrés que ce fléchage figé suscitait une réserve quasi unanime.
Cela étant, le texte débattu en commission des lois s’efforce de concilier, d’une part, la liberté du choix des candidatures fléchées, selon des modalités clairement déterminées et, d’autre part, la sincérité du scrutin. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, nous avons abouti à une proposition se caractérisant en premier lieu par sa complexité. Cela ne simplifie pas les choses.
Toutefois, ces points font encore l’objet de nombreuses discussions. Beaucoup d’autres possibilités ont été évoquées et le seront de nouveau au cours de notre débat. Le dispositif examiné par la commission des lois est sûrement perfectible. Je n’entrerai pas dans le détail : l’examen des articles nous permettra peut-être d’avancer de manière intelligente.
Enfin, la commission des lois a adopté le principe de la participation des citoyens des États membres de l’Union européenne autres que la France à l’élection des délégués intercommunaux, posé par le projet de loi organique : son article 1er tire logiquement les conséquences de leur élection au suffrage universel direct dans le cadre de l’élection municipale, décidée en 2010. Ils seront à l’avenir désignés par le corps électoral des conseillers municipaux qui, depuis 1998, inclut les ressortissants communautaires.
La réforme qui nous est soumise constitue, sans nul doute, une évolution importante pour la démocratie locale. Elle bouleversera, par certains de ses volets, les conditions d’exercice des mandats locaux et les habitudes des électeurs.
Simultanément, elle renforcera la légitimité des élus : dorénavant, les conseillers intercommunaux qui gèrent des secteurs importants de la gestion municipale seront désignés au suffrage universel direct. Les femmes seront mieux représentées à tous les niveaux de collectivités. La gestion départementale devrait en sortir renforcée et modernisée, grâce à une plus grande représentativité.
En conséquence, la commission des lois soumet à la délibération du Sénat les textes qu’elle a établis pour le projet de loi organique et pour le projet de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives – la parité politique –, a toujours été au cœur des préoccupations de la délégation aux droits des femmes. Je me réjouis donc que la conférence des présidents lui ait accordé un temps de parole dans la discussion générale de ces deux textes, …
… qui tendent à une meilleure prise en compte de l’objectif constitutionnel de parité dans l’élection des conseillers départementaux, de certains conseillers municipaux et des délégués communautaires.
Notre délégation a déjà consacré plusieurs rapports à la parité politique. Le dernier en date, publié en juin 2010 dans le cadre de la discussion de la réforme territoriale et des modes de scrutin pour l’élection des conseillers territoriaux, avait dressé un bilan de l’application des lois relatives à la parité.
Le constat qu’elle avait établi était clair : la loi du 6 juin 2000 et les lois qui l’ont complétée ont permis au principe d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives de devenir une réalité effective dans les assemblées élues au scrutin de liste proportionnel. C’est le cas des conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants, qui, à l’issue du dernier scrutin de 2008, comptent 48, 5 % de femmes. C’est aussi le cas des conseils régionaux qui, avec 48 % de femmes élues en 2010, donnent l’exemple d’une parité presque parfaite.
En revanche, la parité n’a que peu progressé dans les élections au scrutin uninominal majoritaire, et les dispositifs instaurés pour compenser cet état de fait – pénalités financières, règle du suppléant de sexe opposé – se sont révélés peu efficaces et décevants.
Les dispositions législatives qui nous sont aujourd’hui proposées abordent quatre des sujets sur lesquels notre délégation avait pointé les insuffisances de la parité : l’élection des conseils généraux, la composition de leurs exécutifs, l’élection des conseils municipaux des communes de moins de 3 500 habitants, et la composition des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
Notre délégation s’est réunie le 10 janvier pour procéder à un échange de vues sur ces dispositions qui se veulent favorables à la parité, mais qui ont suscité des débats et des réserves.
Le mode de scrutin proposé pour l’élection des futurs conseillers départementaux – le scrutin majoritaire binominal – est le dispositif qui a suscité les appréciations les plus variées, du fait de son caractère inédit et du redécoupage des cantons qu’il imposera.
Actuellement, les conseillers généraux sont élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours, dans le cadre des cantons. Si on reconnaît traditionnellement à ce mode de scrutin le mérite de faciliter la proximité et l’ancrage territorial de l’élu, …
… nous savons aussi qu’il ne favorise pas la parité et n’offre aucun levier pour déconstruire les stéréotypes de genre.
Actuellement – ce sont les chiffres publiés par l’Observatoire de la parité –, les femmes ne représentent que 14 % de l’effectif des conseils généraux et, M. le ministre l’a rappelé, trois départements sont dirigés par un conseil exclusivement masculin.
Pour y remédier, le Gouvernement propose, à l’article 2 du projet de loi, de faire élire dans chaque canton deux candidats de sexe différent, qui se présenteraient en binôme et seraient solidairement élus ou battus.
Cependant, pour maintenir inchangé l’effectif actuel des conseils généraux, l’article 3 du projet de loi prévoit de diviser par deux le nombre actuel de cantons.
Au cours de sa réunion, notre délégation a formulé trois remarques sur ces deux dispositions, qui sont évidemment indissociables et doivent donc être examinées en regard.
Conçu, comme l’a rappelé au sein de la délégation notre collègue Bernadette Bourzai, pour faire aboutir l’objectif de parité inscrit dans la Constitution, ce dispositif devrait garantir une parité quasi mathématique, dans la mesure où il débouchera, dans chaque canton, sur l’élection de deux candidats de sexe différent. Toutefois, son caractère nouveau n’est pas sans soulever des interrogations.
Il est sans précédent en droit français. Il n’existe de mode de scrutin comparable dans aucun autre pays, pas même au Chili, dont le scrutin législatif est parfois évoqué à titre de comparaison.
Le caractère nouveau de ce mode de scrutin réside non pas dans l’élection de deux élus, mais dans leur solidarité devant l’élection.
La solidarité entre les deux membres du binôme est entière quant à l’issue du scrutin et pendant toute la durée des opérations électorales. Néanmoins, une fois élus, les deux conseillers départementaux deviendront indépendants l’un de l’autre.
Quelles en seront les conséquences dans l’exercice de leurs mandats ?
Nous nous sommes demandés, au sein de mon groupe politique en particulier, si les deux membres du binôme ne feraient pas alors l’objet d’un traitement différent, les femmes se retrouvant à nouveau cantonnées dans leurs secteurs traditionnels d’intervention – les questions sociales, l’éducation et la santé –, les hommes continuant de s’arroger le monopole des questions économiques.
Protestations sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.
Au cours de la réunion de notre délégation, nous nous sommes interrogés sur les conséquences du redécoupage systématique de la carte cantonale qu’il imposera.
Certes, les évolutions démographiques intervenues depuis le découpage initial ont entraîné des écarts de représentation de la population, en particulier entre zones urbaines et zones rurales au sein d’un même département, que l’on ne peut accepter.
Néanmoins, la conjonction du critère démographique interdisant que la population d’un canton soit supérieure ou inférieure de 20 % à la population moyenne d’un département et de la réduction de moitié du nombre des cantons ne risque-t-elle pas d’être défavorable à la ruralité et à la proximité de l’élu avec les citoyens ?
Ne risque-t-elle pas d’accélérer la disparition, déjà bien avancée, des services publics ?
C’est une préoccupation qui a été exprimée par plusieurs d’entre nous, qui ont insisté sur le rôle spécifique joué par l’élu du département dans les zones rurales.
Autre interrogation : les deux candidats d’un binôme seront-ils nécessairement de la même sensibilité politique, ou la mise en place des binômes donnera-t-elle lieu, au contraire, à des alliances politiques avant le premier tour du scrutin ?
Seule l’expérience le dira, mais on peut légitimement craindre que ce système ne permette pas de préserver la représentativité pluraliste des actuels conseils généraux et accentue plutôt le bipartisme.
Dans ces conditions, certains d’entre nous, et j’en fais partie, ont souligné que l’objectif de parité aurait été aussi valablement garanti par le recours au scrutin proportionnel, dont le fonctionnement positif est connu et favorable à la parité.
Il est vrai que le scrutin binominal s’inspire d’une recommandation adoptée en juin 2010 par la délégation, et figurant dans le rapport de Michèle André sur le projet de réforme des collectivités territoriales.
La délégation s’était alors demandé si le Conseil constitutionnel censurerait le mode de scrutin proposé pour l’élection des conseillers territoriaux, dans la mesure où il était très défavorable à l’objectif constitutionnel de parité. Les constitutionnalistes interrogés avaient estimé que c’était peu probable, car le juge constitutionnel avait toujours reconnu au législateur une grande latitude dans les modes de scrutin.
Dans une attitude constructive, la délégation avait alors recherché des mécanismes susceptibles de « neutraliser les effets négatifs » du scrutin majoritaire sur la parité. Elle avait alors proposé celui du scrutin binominal.
Il s’agissait donc d’une tentative pour remédier aux inconvénients du scrutin uninominal.
Je serai plus rapide sur le second dispositif, qui introduit la parité dans l’élection des membres de la commission permanente et des vice-présidents des futurs conseils départementaux.
Il transpose dans les départements les dispositions de la loi du 31 janvier 2007, qui ont permis d’assurer une quasi-parité au sein des exécutifs régionaux. Il s’agit donc d’un dispositif connu, qui a fait ses preuves et que nous ne pouvons qu’approuver sans réserve.
Troisième dispositif : le projet de loi propose de ramener de 3 500 à 1 000 habitants le seuil au-delà duquel les conseillers municipaux seront élus au scrutin de liste, assorti de contraintes paritaires.
L’étude d’impact évalue à 16 000 le nombre de femmes conseillères municipales supplémentaires dont ce changement de seuil devrait permettre l’élection.
C’est donc une mesure positive pour la parité, et nous y sommes favorables dans l’ensemble, même si les débats sur la fixation du seuil ont trouvé un écho au sein de notre délégation.
Le quatrième dispositif consiste à élire par un système de fléchage les conseillers communautaires de façon concomitante à celle des conseillers municipaux.
Ce dispositif permettra notamment de ne pas laisser les organes dirigeants des EPCI à fiscalité propre en dehors de toute logique paritaire. Cette intention est, a priori, louable, car ces instances ont un véritable pouvoir de décision et les femmes en sont trop souvent exclues. Nos débats au sein de la délégation ont cependant insisté sur un point : ce système de fléchage ne peut être pertinent que dans les communes d’une certaine importance.
La délégation s’est inquiétée, par ailleurs, de la complexité du dispositif proposé par la commission des lois pour assouplir les modalités de ce fléchage et éviter que les premiers de liste ne se retrouvent à la fois dans les exécutifs municipaux et dans les instances communautaires.
Par ailleurs, à titre personnel, j’ai dit mon inquiétude de voir, avec cette mesure, l’intercommunalité glisser vers une autorité de plein droit au détriment de la commune.
Telles sont, mes chers collègues, les principales remarques que je souhaitais formuler au nom de notre délégation.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Hélène Lipietz et Françoise Laborde applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à remercier M. le ministre de présenter ce texte au Sénat, car il constitue une étape essentielle dans cette révolution tranquille de l’intercommunalité que notre pays connaît depuis une vingtaine d’années.
Il y a vingt ans, justement, j’ai eu l’honneur de présenter devant le Sénat le projet de loi qui deviendrait la loi de 1992 sur les communautés de communes, marchant ainsi dans les pas de mon prédécesseur dans la fonction, Jean-Michel Baylet.
À cette époque, je me souviens qu’il y avait quelque scepticisme en la matière.
Quelques communautés de communes ont d’abord été créées, puis beaucoup d’autres.
Chemin faisant, nous avons pu remarquer que la liberté était féconde. Avoir écrit dans la loi, d’une part, que les communautés ne portaient pas atteinte aux communes, mais étaient bien plutôt à leur service, et, d'autre part, que les élus, et non pas le représentant de l’État, décidaient librement du périmètre de l’intercommunalité, a permis de créer de nombreuses communautés de communes, puis de communautés d’agglomération, grâce à la loi présentée par Jean-Pierre Chevènement en 1999.
Un mouvement considérable a eu lieu. Monsieur Sido, vous avez indiqué que la création des communautés de communes n’était pas allée sans entraîner quelque scepticisme. Vous me permettrez pourtant de vous faire observer que c’est grâce au concours d’une loi, que vous avez votée, qu’il y a aujourd’hui des communautés de communes, d’agglomération ou urbaines partout en France !
Ce modèle qui fut tant décrié et suscita tant de scepticisme est aujourd’hui généralisé !
Chacun peut en convenir : un assez large accord a prévalu entre nous sur ce point.
La question aujourd’hui posée est celle de la démocratie. Nous sommes les héritiers de la Révolution française. C’est bien elle qui a fixé la règle selon laquelle, pour pouvoir lever l’impôt…
… et décider de l’affectation de l’argent public, il fallait être élu au suffrage universel direct.
Or la réalité c’est que des communautés d’agglomération ou des communautés urbaines ont aujourd'hui des budgets qui représentent 60 % ou 70 % de la dépense publique, quand celui de la commune-centre est bien inférieur. Il devient donc impossible de maintenir un système dans lequel les élus intercommunaux n’émanent pas du suffrage universel direct.
Il fallait donc trouver une formule qui permette une élection démocratique tout en garantissant le respect de l’institution communale, car, et cela a été rappelé à juste titre, les structures intercommunales sont au service des communes.
Nous arrivons au point où la véritable révolution que constitue l’intercommunalité aura un support démocratique.
Qui ici refuserait que les électeurs puissent désigner les élus chargés de gérer l’essentiel ou, du moins, une part importante des crédits prélevés ou affectés sur un territoire ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce projet de loi marque donc une étape très importante. Je suis fier, monsieur le Premier ministre, … Pardon, monsieur le ministre…
Exclamations ironiques et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
J’anticipe peut-être !
Je disais donc que j’étais fier, monsieur le Premier ministre, … Pardon, monsieur le ministre…
Mêmes mouvements.
Je suis fier d’appartenir à une majorité qui aura voté une telle avancée.
Bien entendu, on peut se demander comment cela se manifestera concrètement. À cet égard, M. le rapporteur Michel Delebarre, auquel je tiens à rendre hommage, …
… a bien voulu vous faire part des débats que nous avons eus sur le sujet. Il faut travailler encore pour clarifier le dispositif, afin de répondre aux exigences du Conseil constitutionnel en matière d’intelligibilité de la loi.
Plusieurs systèmes sont possibles. Certains ont même imaginé des numérotations, voire des doubles numérotations.
Il existe aussi une autre méthode : présenter une liste de candidats pour la commune en indiquant ceux qui, parmi ces candidats, iront siéger au sein de l’intercommunalité.
Nous devons donc continuer à travailler pour rendre le dispositif lisible et compréhensible. Divers subterfuges typographiques sont possibles ; le plus simple, c’est de dire les choses clairement.
J’en viens à la question du département, qui va beaucoup nous occuper, mes chers collègues.
Nous avons déjà entendu beaucoup d’éléments sur le sujet, et nous voyons bien le débat qui s’amorce. Certains vont affirmer qu’il y a des difficultés particulières en milieu rural.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous sommes tous profondément attachés au monde rural et à la représentation des territoires.
Marques de scepticisme sur les travées de l'UMP.
Nous sommes même nombreux à considérer que la question doit être appréhendée au regard des évolutions démographiques de notre pays.
Les habitants des territoires ruraux sont aujourd'hui plus nombreux qu’il y a quelques années ; les derniers recensements en attestent.
Il n’y a aucun rapport entre les élus des villes et ceux du monde rural !
Mon cher collègue, si vous le permettez, j’aimerais rappeler quelques éléments. Le Conseil constitutionnel s’est exprimé, et la règle des plus ou moins 20 % a été retenue pour les élections législatives, comme elle l’avait été pour feu l’élection des conseillers territoriaux. Quant au Conseil d'État, qui a été consulté par le Gouvernement, il s’est lui aussi prononcé. Toutes ces données existent ; elles se seraient imposées à tout gouvernement et à toute majorité, quels qu’ils fussent.
Dès lors que le Conseil constitutionnel a fixé une règle, pour des raisons d’ailleurs de respect du principe d’égalité, dès lors que le Conseil d'État l’a confirmée, voter autre chose nous exposerait à un recours devant le Conseil constitutionnel.
Je vous remercie de cette annonce, mon cher collègue ; vous voyez donc face à quelle difficulté nous nous trouverions en adoptant un autre dispositif.
De deux choses l’une : soit vous respectez la jurisprudence du Conseil constitutionnel, soit vous ne la respectez pas, et vous devrez alors l’assumer.
Dès lors que l’on prend acte de la réalité que je viens de rappeler, plusieurs systèmes sont possibles.
Nous ferons le maximum pour tenir compte des particularités géographiques et démographiques, dans la limite imposée par le nécessaire respect du principe d’égalité. Là encore, je vois mal un gouvernement et une majorité, quels qu’ils fussent, faire autrement ou justifier que l’on fît autrement.
Toutefois, ces rappels étant faits, s’il existe plusieurs solutions, celle qui nous est proposée a, convenons-en, deux mérites.
Premièrement, un tel dispositif permet d’instaurer la parité. Vous avez vous-même voté une révision constitutionnelle en ce sens, mes chers collègues.
Certes, monsieur Sido, mais il est recommandé de tout faire pour la favoriser. Je suis certain que vous avez à cœur de satisfaire cet objectif.
On ne peut donc pas reprocher au Gouvernement de ne pas chercher à favoriser la parité ; il propose précisément des solutions concrètes pour la mettre en œuvre.
Deuxièmement, le dispositif qui nous est présenté…
D’ailleurs, nous connaissons déjà les objections qui seraient apportées à d’éventuelles autres formules.
Les uns réclament la proportionnelle ? Les autres répondront que cela couperait les conseillers départementaux des réalités du terrain !
Et quand nous proposons un système garantissant que les élus seront bien attachés à un territoire, cela ne vous convient pas non plus, chers collègues de l’opposition.
Alors que, nous, nous respectons la règle des 20 %, vous ne nous expliquez pas comment vous comptez vous y prendre pour contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En d’autres termes, on peut toujours formuler des objections. Toutefois, je serais pour ma part très curieux d’entendre des propositions de substitution, qui, premièrement, soient compatibles avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État, deuxièmement, favorisent effectivement la parité…
M. François Grosdidier. Vous voulez la parité partout, sauf dans les familles !
Sourires sur les travées de l'UMP.
Vous ne voulez pas du pluralisme ! C’est scandaleux ! Nous ne voterons pas cette partie du texte !
Vous pouvez toujours critiquer. J’attends que vous nous fassiez part d’autres solutions répondant à ces trois exigences. Nous pourrions alors avoir un débat passionnant, mes chers collègues.
Je veux enfin aborder la question des dates.
Exclamations.
Sur ce point, M. le ministre s’est, comme toujours, montré très éloquent.
Marques d’ironie sur les travées de l’UMP.
Cinq élections sont prévues au cours de la même année. Sur ces cinq scrutins, quatre sont à deux tours, sauf évidemment lorsqu’un candidat est élu au premier tour. Nous avons donc potentiellement neuf tours de scrutin la même année. À mon sens, aucun gouvernement, aucune majorité, quels qu’ils soient, n’auraient jugé possible d’organiser cinq élections, donc neuf tours de scrutin, la même année.
Et tout le monde sait bien qu’il est totalement impossible d’organiser trois élections le même jour.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur Sido, la culture américaine est différente. Nous, nous avons des traditions françaises.
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Mes chers collègues, reprenons les trois grands volets du débat.
Premièrement, quel que soit le gouvernement, quelle que soit la majorité, il faut trouver une solution sur la question des dates. Nous en proposons une. Pouvez-vous en suggérer une autre ?
Deuxièmement, une réforme du mode de scrutin départemental est nécessaire et inéluctable. Elle doit respecter trois impératifs. Or, à ce jour, personne parmi vous n’a présenté de solution de rechange répondant à ces objectifs. §
Troisièmement, il y a une avancée majeure s’agissant de l’intercommunalité. On peut encore améliorer ou affiner le dispositif, mais nul ne peut contester qu’il s’agisse d’une avancée majeure vers plus de démocratie.
Voilà pourquoi la commission des lois a adopté ce texte. Je suis certain qu’il éveillera votre intérêt, voire votre passion, mes chers collègues. J’espère qu’il emportera aussi votre adhésion.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Monsieur le président, mes chers collègues, je souhaite faire un rappel au règlement concernant l’organisation de nos travaux, sur le fondement de l’article 29 ter du règlement.
Le texte qui nous est proposé aujourd’hui a été déposé sur le bureau du sénat le 28 novembre dernier.
Le rapporteur a été nommé par la commission des lois le 5 décembre. Le rapport a été présenté en commission des lois le 19 décembre, soit moins de quinze jours ouvrables après le dépôt du texte et moins de dix jours ouvrables après la nomination du rapporteur.
Mme Catherine Troendle. Comment celui-ci a-t-il raisonnablement pu effectuer en si peu de temps un travail approfondi sur un texte essentiel pour le devenir des collectivités territoriales et de la représentation élective ?
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Ce texte touche, je vous le rappelle, à 101 départements, à 4 056 cantons, à 2 581 EPCI, dont une métropole, à 15 communautés urbaines, à 202 communautés d’agglomération, à 2 358 communautés de communes, à 6 642 communes, c'est-à-dire, en fait, à 64 490 952 Français recensés en 2012, dont 62 465 709 personnes en métropole et 2 025 243 dans les départements d’outre-mer !
M. Bruno Sido applaudit.
La liste des personnes entendues est pour le moins courte : cinq associations, la Direction générale des collectivités locales, la DGCL, et le bureau des élections et études politiques.
Puis, le rapporteur s’est contenté – mais pouvait-il faire autrement, étant donné le calendrier ? – d’analyser les contributions écrites de trois associations, dont l’Association des maires de France, l’AMF, l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF, et l’Association des régions de France, l’ARF. Les représentants des partis politiques n’ont pas été entendus, alors qu’il s’agit d’un texte électoral.
Comment travailler dans des délais aussi courts sur des textes aussi lourds de conséquences ? La question se pose aujourd’hui, comme elle s’est posée depuis le début de cette législature.
Le travail est bâclé, la réflexion annihilée. C’est certainement cela, le changement !
Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Je vous donne acte de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à M. François Rebsamen.
J’écoute toujours avec intérêt les interventions de Mme Catherine Troendle.
Toutefois, en l’occurrence, je ne vois pas en quoi l’article 29 ter du règlement peut être invoqué ici ! Cet article précise que : « L’organisation de la discussion générale des textes soumis au Sénat et des débats inscrits à l’ordre du jour peut être décidée par la conférence des présidents – ce fut le cas –, qui fixe la durée globale du temps dont disposeront les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
« Ce temps est réparti par le président du Sénat de manière à garantir à chaque groupe un temps minimum […] ».
Vous êtes donc hors sujet, ma chère collègue !
Mme Catherine Troendle proteste.
Vous auriez au moins pu faire référence à un article ayant quelque chose à voir avec votre propos. Votre exposé est totalement hors sujet !
M. François Rebsamen. L’article 29 ter, que j’ai sous les yeux et dont je pourrais vous donner entièrement lecture, n’a absolument aucun rapport avec votre rappel au règlement ! Il s’agit d’une intervention d’opportunité, et je la regrette. Vous avez le droit de formuler de telles observations, mais pas de faire un rappel au règlement en vous appuyant sur un article qui n’a rien à voir avec les faits que vous dénoncez !
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Philippe Adnot.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun sait ici que j’étais favorable à la suppression du conseiller territorial, qui préfigurait la fusion des départements et des régions.
Je regrette d’autant moins ma position quand je vois ce qui se passe avec les chambres de métiers et de l’artisanat, les chambres de commerce et d’industrie et les chambres d’agriculture ! Les départements avaient beaucoup à y perdre.
Qu’il me soit permis de dire d’entrée de jeu que je suis favorable au redécoupage des cantons : il aurait été nécessaire de les rééquilibrer – ce point ne prête pas à discussion – et une telle décision aurait été également prise par le précédent gouvernement.
Pour autant, je souhaite que les dérogations prévues dans le texte en fonction des contraintes géographiques soient couplées aux problèmes démographiques.
En effet, là où le nombre d’habitants au kilomètre carré est faible, il est nécessaire de moduler la règle des plus ou moins 20 %. Monsieur le ministre, il me semble que, sur le sujet, vous avez entrouvert la porte. Nous gagnerions tous à travailler dans le sens d’un maximum de cohérence.
Le redécoupage ne signifiait pas qu’il était nécessaire de changer le mode électoral alors que le lien entre l’élu et le territoire a fait la preuve de sa pertinence et de sa force. Je ne nie pas que la représentation féminine et la difficulté d’appréhender les lignes de partage en milieu urbain justifiaient une réflexion, voire des modifications.
C’est pourquoi je suggérerai que l’on introduise la proportionnelle en milieu urbain. Il nous a été demandé tout à l’heure d’avancer des propositions. En voici une : je souhaite que la proportionnelle s’applique dans les communautés d’agglomération à partir de 100 000 habitants, par exemple. Ainsi, nous augmenterons la représentation féminine tout en préservant, en dehors des agglomérations, le lien, qui me paraît excellent, entre l’élu et le territoire.
On me répondra certainement qu’il n’est pas possible de faire cohabiter deux systèmes électoraux dans un même territoire. Cet argument est faux ! Il l’est d’autant plus que les sénateurs, qui sont des élus de la Nation, connaissent bien cette organisation électorale. J’ai consulté d’éminents spécialistes, qui m’ont assuré que cette objection n’était pas justifiée.
Mes chers collègues, je sais que certains parmi vous, quelle que soit leur sensibilité politique, sont favorables au système que je proposerai par voie d’amendement. Je ne me fais pas grande illusion sur nos chances de parvenir à le faire adopter. Néanmoins, si tous ceux qui pensent que ce système est meilleur votaient mon amendement, ils feraient progresser cette proposition, qui mérite réflexion. Je vous invite donc tous à voter en ce sens.
Je ne nie pas l’intérêt du système binominal ; nombre de critiques qui lui sont adressées méconnaissent, en réalité, le fait que les élus départementaux sont non pas des gestionnaires locaux, mais des gestionnaires départementaux. J’ai entendu, par exemple, demander : qui va s’occuper de quoi ? Je suis désolé, les représentants élus à l’Assemblée départementale par le système binominal devront gérer de manière totalement égalitaire les affaires du département. Ils n’auront pas à gérer en fonction de considérations locales.
Par conséquent, la bataille annoncée n’aura pas lieu. Ne cherchons pas de mauvais arguments pour contester certaines propositions !
Le reproche que j’adresse au système qu’on nous propose est l’importance des secteurs géographiques qui seront créés. Si l’amendement que j’ai déposé afin d’introduire la proportionnelle en milieu urbain n’était pas retenu, le système binominal serait bon, sous réserve que l’on fasse évoluer le critère des plus ou moins 20 %. Sur un tel sujet, nous pourrions tomber d’accord.
En résumé, mes chers collègues, je préfère, dans l’ordre : premièrement, le maintien du système actuel avec un redécoupage modulé, qui satisferait tout le monde ; deuxièmement, le système proportionnel en milieu urbain et le maintien du système actuel hors agglomération, si nous le trouvons intéressant ; troisièmement, un système binominal modulé.
Le mécanisme que je ne souhaite en aucun cas est celui de la proportionnelle intégrale, car celle-ci pourrait créer des situations catastrophiques. Nous le voyons bien dans les représentations régionales. Comment s’organise une liste départementale ? C’est l’agglomération la plus importante qui a les leaders ! Toutes les listes de tous les partis politiques désignent en tête les représentants des grandes agglomérations.
Nous ne devons pas aller dans cette direction. C’est pourquoi, lorsque nous voterons, il sera important de réfléchir, pour éviter que le pire ne nous arrive !
S’agissant des municipales, je salue l’évolution qui a permis de passer le seuil de 500 à 1 000 habitants. Lors des états généraux de la démocratie territoriale, toutes les communes nous ont signifié qu’il s’agissait d’une bonne décision. Elles nous demandent simplement d’aller au-delà des 1 000 habitants. Il serait bon de les écouter et de porter ce seuil à 1 500 habitants.
Monsieur le ministre, vous avez ouvert la porte à une évolution en ce sens. Nous nous honorerions à prendre en compte les demandes des communes.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, mes chers collègues, M. le ministre vient de nous le rappeler, on nous annonce une grande loi sur la décentralisation – c’est un engagement du candidat François Hollande –, qui demeure selon moi bien floue.
Sourires sur les travées de l'UMP.
Nous verrons ce qu’il en sera. Par ailleurs, il nous faudra bien aborder un jour le cumul des mandats, autre engagement de François Hollande.
La grande loi de 1982, qui a été une véritable révolution…
Pas par moi : je n’étais pas élu à l’époque !
Rappelez-vous que, avant 1982, le préfet était l’exécutif du département. Cela paraît invraisemblable aujourd’hui, quarante ans après !
Beaucoup a été tenté depuis lors – Jean-Pierre Sueur a rappelé la loi de 1992, je m’en souviens fort bien ; il y a eu aussi la loi Chevènement et la loi Raffarin –, …
… et parfois réussi, pour faire de notre pays une République certes une, mais plus décentralisée. Ce point figure d’ailleurs désormais dans la Constitution.
Chez les experts de tout poil – ils ne manquent pas, qui siègent en vase clos et ne dépassent guère en général le périphérique parisien – la mode est toujours de supprimer les petites communes, qui ne serviraient à rien, et les départements, qui seraient complètement dépassés ! Hélas pour ces grands ordonnateurs de la pensée unique, les communes et les départements ont résisté aux tentatives de suppression.
Quoi qu’il en soit, monsieur le ministre, comme tous vos prédécesseurs, vous nous avez rassurés sur ce sujet.
La longue progression des intercommunalités, confortée par la loi de 2010 – une loi que personne ne semble sérieusement remettre en cause sur ce point – conforte aussi les communes, en excluant l’élection des délégués communautaires à un suffrage universel direct spécifique. En effet, certains voulaient qu’on élise directement les conseillers communautaires, alors que leur élection se fait aujourd'hui au sein des conseils municipaux.
Qu’il me soit d’ailleurs permis de rappeler à mon excellent collègue Jean-Pierre Sueur que le suffrage universel est certes prévu depuis 1793, mais qu’aucun texte constitutionnel n’a jamais prévu qu’il soit direct ! Le suffrage indirect est aussi un suffrage universel, et le Sénat en offre l’exemple. À vous prendre au mot, monsieur le président de la commission des lois, nous ne serions pas aptes à voter le budget… Mais je ne vais pas donner une leçon de droit ce soir !
Si le projet de loi ne comportait que des dispositions permettant le « fléchage », je pense que la plupart d’entre nous pourraient se rallier à la position de la commission des lois, même s’il faut encore améliorer le dispositif.
L’idée est quand même de laisser un peu de souplesse, de manière à éviter que des gens qui auraient été élus ne siègent pas et qu’on soit obligé de changer constamment de délégués.
La stabilité devrait permettre de trouver une solution, à condition que le seuil retenu pour le scrutin de liste aux élections municipales soit réaliste. Beaucoup d’élus nous ont d’ailleurs fait part de préoccupations diverses sur ce sujet.
Notre collègue Philippe Adnot évoquait le seuil de 1 500 habitants. Nous pensons que le seuil de 2 000 habitants est pertinent ; il correspond d’ailleurs à la définition retenue par l’INSEE pour les communes rurales. D’autres considèrent qu’il faut fixer le seuil à 500. C’est ce que disait l’AMF il y a quelque temps, mais elle a évolué depuis.
Quand on se rappelle combien avait été critiquée la procédure des schémas de l’intercommunalité, on s’aperçoit que, globalement, plus personne ne remet en cause le travail réalisé à ce sujet.
La carte des intercommunalités est presque achevée et, malgré le changement de Gouvernement, les préfets ont confirmé les décisions qui avaient été prises antérieurement. Cela me permet de dire que les préfets sont au service de la République et qu’ils ont fait leur travail honnêtement.
Les quelques assouplissements bienvenus qui sont contenus dans la proposition d’Alain Richard que nous avons votée récemment devraient d’ailleurs faciliter la gestion des intercommunalités et éviter quelques crispations locales. Nous ne pouvons que nous satisfaire de voir nos choix confirmés sur ce sujet.
Pour en revenir au débat sur la région et le département, il faut convenir que, si tout a été tenté pour affaiblir les départements, ceux-ci ont résisté. Il reste qu’ils sont aujourd’hui en grand péril financier. Mes collègues développeront cet aspect inquiétant, sur lequel le Gouvernement, pour l’instant, n’avance aucune proposition, alors que, par exemple, l’effondrement du produit de la taxe sur les droits de mutation va encore aggraver la situation de la plupart des départements.
Ce n’est pas le cas de la Seine-et-Marne !
La Seine-et-Marne a bénéficié de 38 millions d'euros d’Eurodisney, je le reconnais, mais c’est une exception.
Et pourtant, à la gauche de notre assemblée, vous vous étiez montrés particulièrement prolixes dans le combat parlementaire que vous aviez mené à ce sujet ; je ne sais pas si nous arriverons à en faire autant ! Vous voulez supprimer le conseiller territorial. Soit. Mais celui-ci représentait une véritable réforme – pas une réformette –, que votre conservatisme ne pouvait accepter.
Protestations sur les travées du groupe socialiste. – Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.
Cette réforme visait à la fois à conforter le département et à clarifier et faciliter les relations entre les deux collectivités, maintenant le lien entre l’électeur et l’élu – ce que vous souhaitez faire pour les conseillers généraux – et assurant une juste représentation des territoires.
Au moment où l’on nous répète que les collectivités locales doivent prendre leur part dans la maîtrise des dépenses publiques, quelles économies auraient pu être réalisées, non pas sur les indemnités des élus, mais en évitant les doublons, …
Il est intéressant que vous fassiez cette remarque. On s’en resservira !
… vous ne touchez pas au scrutin régional, mais vous profitez de l’occasion pour bouleverser fondamentalement le scrutin départemental.
Je rappelle d’ailleurs, monsieur le président Sueur, et nous le dirons à nouveau en défendant notre exception d’irrecevabilité, qu’aucun motif d’intérêt général ne justifie le report à 2015 des élections régionales
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.
Peu importe ! Tout le monde vote en même temps, que je sache. Lorsqu’on élisait à la fois les conseils généraux et les conseils municipaux, les circonscriptions n’étaient pas les mêmes. Donc, cet argument ne tient pas.
inconnu, à une exception près – je ne sais si elle est islandaise ou écossaise, mais elle est exotique –, de la totalité des systèmes électoraux du monde occidental, …
… et qui, couplé à un redécoupage de ces nouvelles circonscriptions, les cantons bénéficiant désormais d’une représentation « binomiale », …
… va supprimer en fait la représentation des territoires, notamment ruraux, qui a toujours fait la spécificité des assemblées départementales.
De surcroît, sous l’apparente transparence des conditions mises à ce découpage…
… – écart de plus ou moins 20 %, continuité du territoire, interdiction de scinder une commune de moins de 3 500 habitants –, les nouvelles circonscriptions, selon l’intérêt de ceux qui tiendront les ciseaux, …
… n’auront à tenir compte ni des limites administratives ou législatives, ni des intercommunalités, ni des limites actuelles des cantons, alors que, à l’inverse – vous nous l’avez assez répété en 2010 ! –, les circonscriptions législatives doivent être composées de cantons entiers, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Il y a là une belle contradiction !
C’est assez dire que l’objectif non avoué de cette réforme, si l’on y ajoute le retour au seuil de 10 % pour être présent au second tour, pour favoriser les triangulaires…
… – on connaît cela depuis très longtemps, depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981–, correspond à ce que vous pensez être l’intérêt purement électoral de la majorité actuelle.
Le moins que l’on puisse faire serait de confier l’examen du projet de découpage à une commission indépendante
Exclamations ironiques sur diverses travées.
…et de relever le seuil de plus ou moins 20 %, dont la justification, quoi qu’on en dise, n’est pas totalement avérée.
Je rappelle d’ailleurs que, jusqu’à présent, selon la jurisprudence du Conseil d’État, il convient de procéder à un redécoupage cantonal si un canton dépasse le double de la moyenne départementale.
Pourquoi ne pourrait-on pas s’inspirer de la jurisprudence du Conseil d’État pour remonter le seuil ?
Pour tout dire, le seuil de plus ou moins 20 % ne me paraît pas choquant.
J’observe toutefois que, dans certains départements où seront regroupés huit ou dix cantons, le découpage cantonal n’aura plus de sens.
J’ajoute enfin que, si la Constitution nous oblige à favoriser la parité en matière d’élection, nous avons, lors du débat sur la loi de 2010, fait d’autres propositions pour y parvenir, et si ce scrutin « binominal » est si merveilleux, pourquoi ne pas l’appliquer demain aux députés ? §
Nous montrerons, au cours de l’examen des articles, toutes les impasses et même les risques d’inconstitutionnalité que ce scrutin risque d’entraîner.
Monsieur le ministre, votre approche était sympathique, puisque, selon vous, tout va bien et qu’on devrait s’entendre et s’embrasser – « Embrassons-nous, Folleville ! » –, mais ce n’est quand même pas tout à fait cela… Vous savez très bien que, au lieu de conforter la démocratie locale, votre projet, dont on a bien compris l’objectif, risque, en l’état, de décourager un peu plus nos concitoyens de se rendre aux urnes lors des élections locales, sans clarifier aucunement les responsabilités et les enjeux, ce qu’exigeraient une vraie simplification des structures locales et une réelle avancée en matière de démocratie locale.
Je l’ai toujours dit, je suis pour une opposition constructive, mais ferme sur certains points : d’accord pour tout ce qui concerne l’intercommunalité – d'ailleurs, pourquoi serions-nous contre alors que nous avions nous-mêmes fait des propositions à cet égard ? –, mais pour ce qui est du système que vous préconisez pour « aménager », comme vous dites, l’élection des conseils généraux, je suis définitivement contre. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous occupe a été examiné en conseil des ministres le 28 novembre dernier et le rapport en commission, particulièrement dense – nous en félicitons d’ailleurs son auteur, notre collègue Michel Delebarre – fut présenté devant notre commission des lois dès le 19 décembre sans que le ministre ait été entendu pour présenter son projet et sans aucune audition préalable devant notre commission, ce qui n’est pas une manière habituelle de travailler au Sénat.
De plus, alors que nous entamons la discussion de ce texte en séance publique, notre commission n’a pas encore examiné les amendements dits extérieurs déposés sur ce projet.
Cette précipitation ne nous a donc pas laissé le temps d’organiser une véritable concertation…
Vous direz ce que vous avez envie de dire et, moi, je dis ce que j’ai envie de dire. Je n’ai surtout pas besoin de votre soutien ou de vos remarques !
Cette précipitation ne nous a pas permis d’organiser une véritable concertation pour parvenir au rapprochement des positions des uns et des autres, en particulier au sein de la majorité de gauche de notre Haute Assemblée.
Ce débat doit pourtant avoir lieu et nous espérons qu’il se déroulera durant les séances que nous allons consacrer à ce texte.
Nous osons espérer, en particulier, que le positionnement gouvernemental sur les principales mesures contenues dans ce projet de loi s’assouplira au cours de nos échanges et permettra à notre majorité de se rassembler sur un texte réorganisant les modes de scrutin départementaux et communaux, comme nous avions su nous rassembler – vous l’avez dit, monsieur le ministre – pour abolir le conseiller territorial.
L’annulation de ce conseiller territorial ayant été faite, y compris à l’Assemblée nationale, il suffisait, nous semble-t-il, d’un texte pouvant être adopté rapidement, tendant à reporter les élections départementales et régionales en 2015 et à instituer le fléchage. Nous aurions eu alors plusieurs mois devant nous pour mettre en place le mode de scrutin des nouveaux conseillers départementaux, donc le temps nécessaire à une réflexion commune approfondie, pour déterminer celui qui correspondrait le mieux à la prise en compte des principes auxquels chacun d’entre nous est attaché.
Dans ces conditions, un accord pouvait être recherché, à condition, bien sûr, que vous en ayez la volonté, monsieur le ministre.
Malheureusement, les conditions de présentation et d’examen du texte que vous avez décidé de nous soumettre ne permettront pas, nous le craignons, de parvenir à cet accord.
Nous le regrettons, mais nous espérons encore y parvenir au cours de nos débats. Tel est notre état d’esprit à l’ouverture de nos travaux sur votre projet de loi.
Je commencerai par ce qui nous rassemble sur ce texte.
Comme je l’ai déjà laissé entendre, nous sommes favorables au report des élections départementales et régionales à 2015. En effet, outre que l’organisation de trois scrutins le même jour soulèverait des difficultés techniques insurmontables dans bon nombre de communes, rallonger d’un an le mandat des élus départementaux et régionaux – ce mandat, je le rappelle, avait été raccourci par l’ancienne majorité –…
… ne nous pose aucun problème, et nous sommes satisfaits que le scrutin municipal soit organisé de façon autonome, tant nous tenons à sa spécificité.
Dans cette perspective, il s’agit même d’une avancée puisque, en de nombreux endroits, un scrutin cantonal était auparavant organisé simultanément.
Donc, sur ce chapitre, le Gouvernement a notre soutien, tout comme s’agissant de sa proposition de renouvellement complet des conseils départementaux tous les six ans, ainsi que sur le changement de nom des conseils et conseillers généraux.
Nous soutenons aussi votre démarche permettant d’élargir le scrutin de liste à la proportionnelle à un grand nombre de communes, en abaissant le seuil aujourd'hui fixé à 3 500 habitants.
Vous le savez, nous sommes de ceux qui souhaiteraient la généralisation de ce mode de scrutin à toutes les communes de France. Aussi, nous saluons le progrès que représente à cet égard votre proposition. Alors que ce type de scrutin ne touche actuellement qu’environ 10 % de nos communes, plus de 30 % d’entre elles seraient concernées par votre mesure.
Toutefois, et ne voyez pas là une simple volonté de surenchère, nous proposerons d’élargir encore le champ de la réforme pour permettre aux citoyens de 7 000 communes supplémentaires de profiter de cette avancée démocratique. Cela serait possible en abaissant le seuil non pas à 1 000 habitants, comme vous l’avez prévu, mais à 500 habitants.
Outre qu’il permet un meilleur respect du pluralisme, ce qui est essentiel à nos yeux, le scrutin de liste à la proportionnelle constitue également une avancée du point de vue de la parité, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Dans l’ensemble de ces communes, il y aura ainsi dorénavant quasiment autant d’élus des deux sexes. C’est une raison de plus de renforcer ce dispositif.
C’est d’ailleurs le respect de ce principe de parité, auquel nous sommes fortement attachés, qui semble être à l’origine de votre proposition de scrutin binominal pour l’élection des conseillers départementaux.
Si nous comprenons et partageons votre souci d’élargir la représentation paritaire dans les assemblées départementales, dont le taux de féminisation atteint à peine 13 %, nous ne pouvons pour autant accepter que cette mesure se traduise par un recul en termes de pluralisme.
Le fait d’élire en même temps deux candidats sur un même canton entraînera de façon quasi automatique un renforcement du bipartisme au détriment de la représentation de la diversité des idées.
Là où deux élus de sensibilités différentes pouvaient être élus, il y aura dorénavant, à coup sûr, deux élus du même courant politique. Nous ne saurions accepter un tel recul démocratique.
À nos yeux, le binôme républicain, c’est à la fois la parité et le pluralisme. Or, pour atteindre ces deux objectifs constitutionnels, il n’y a qu’un mode de scrutin possible : l’élection à la proportionnelle sur une liste composée alternativement d’un candidat de chaque sexe.
Nous avons vu les effets positifs d’un tel scrutin aux élections municipales et régionales. Personne ne le remet en cause aujourd’hui, si ce n’est pour contester l’importance de la prime majoritaire attribuée à la liste arrivant en tête, qui aboutit à réduire trop fortement la place de l’opposition.
Si votre proposition était retenue, le scrutin départemental serait la seule élection locale sans aucune représentation proportionnelle. Ce choix n’est ni compréhensible ni acceptable.
L’élection départementale deviendrait un anachronisme démocratique d’autant plus remarquable que, à la suite du rapport Jospin, il semblerait, monsieur le ministre, que votre gouvernement envisage d’introduire une part de proportionnelle dans les élections législatives.
Aussi, avec un amendement de principe et un amendement de repli que nous présenterons au cours du débat, nous vous demanderons de répondre aux attentes démocratiques visant à créer les conditions d’une représentation plus juste du pluralisme républicain, auquel nous sommes tous – j’en suis certaine – très attachés. Vous devriez nous rassurer quant à votre volonté de sauvegarder réellement le pluralisme !
Du reste, nous soutiendrons par nos votes toute nouvelle avancée vers une meilleure représentation de la diversité des idées.
Pour parvenir à une meilleure et plus juste représentation des idées, il n’est pas interdit de faire œuvre de réflexion et d’intelligence – nous n’en manquons pas ! – afin d’inventer un mode de scrutin qui satisfasse les différentes exigences de pluralisme, de parité et d’ancrage dans les territoires, si ce sont bien là les objectifs que vous entendez viser.
Nos interrogations, nos inquiétudes et nos désaccords concernent également le mode d’élection des délégués communautaires.
Je souhaiterais d’abord relever le changement sémantique : les délégués des conseils municipaux au sein des assemblées communautaires deviennent des conseillers. Ils ne seront plus des représentants des conseils municipaux, mais des élus au suffrage universel, représentant leur commune, et donc leurs électeurs au sein des intercommunalités. Ils changent par conséquent de statut.
Alors que les intercommunalités tirent leurs prérogatives du transfert de compétences des communes, qui en restent responsables de par la loi, nous entendons dorénavant parler de « bloc communal », ce qui met sur un pied d’égalité les communes et les intercommunalités, comme si ces dernières étaient devenues des collectivités territoriales de plein exercice. On parle même de « compétences partagées », une notion qui renforce toujours davantage la place des intercommunalités au détriment des communes.
Je le rappelle, nous avions combattu la réforme sarkozyste de 2010, qui réduisait la libre administration des communes et renforçait leur intégration au sein d’intercommunalités dotées de périmètres élargis. Nous n’avons pas changé d’avis.
Aussi sommes-nous actuellement doublement inquiets.
D’une part, nous constatons que cette réforme continue de s’appliquer. Je pense en particulier aux pouvoirs actuellement dévolus aux préfets pour mettre en place, de façon autoritaire, pendant six mois, des intercommunalités, sans même tenir compte des avis des commissions départementales, et pour forcer au regroupement les communes récalcitrantes.
L’actualité est là pour le rappeler, les contentieux se multiplient, comme dans le département de la Loire, par exemple. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je réitère la demande adressée par notre groupe au Gouvernement de mettre à la disposition du Sénat un état précis de la rationalisation de la carte intercommunale dans les départements.
D’autre part, notre inquiétude est renforcée par l’avant-projet relatif à une nouvelle étape de décentralisation, qui accroît encore les compétences obligatoirement transférables des communes aux intercommunalités, organisant ainsi une véritable « évaporation » de nos communes.
Dans ce contexte, la transformation du mode de désignation des conseillers communautaires, qui seraient dorénavant élus au suffrage universel direct par fléchage, apparaît comme la première étape d’une disparition programmée des communes. Nous ne saurions accepter une telle évolution.
Nous verrons bien lorsque nous en débattrons !
Comme la majorité des 20 000 élus locaux qui se sont exprimés durant les états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat, nous demandons que les conseillers communautaires redeviennent des délégués élus par les conseils municipaux, auxquels ils doivent rendre compte.
Il ne s’agit pas là d’une volonté de statu quo puisque nous proposons de réintroduire ce mode de désignation tout en assurant, cette fois, la promotion du pluralisme et de la parité : l’élection des délégués communautaires se ferait au scrutin proportionnel sur une liste comportant autant de noms qu’il y a de sièges à pourvoir et composée alternativement d’un candidat de chaque sexe.
Chacun l’aura compris, malgré les nombreuses mesures qui recevront notre accord et les objectifs du Gouvernement que nous partageons, notamment en termes de parité, les points de désaccord que je viens d’exposer ne nous permettront pas de soutenir ce projet de loi, sauf à ce que les propositions que nous formulerons dans nos amendements soient reprises par notre Haute Assemblée.
Pour terminer sur une note positive et, me semble-t-il, porteuse d’avenir, j’aimerais relever un point du texte de la commission auquel nous sommes tout à fait favorables : le remplacement de la primauté du droit d’aînesse en cas d’égalité des voix au profit des plus jeunes.
Nous soutenons cette marque de confiance à l’égard de la jeunesse et nous vous proposerons, par des amendements, d’étendre cette solution à divers scrutins.
Monsieur le ministre, nous sommes prêts à faire bouger les lignes, à porter le changement pour qu’il ouvre la porte au progrès social et démocratique. Dans cette perspective, quoi que vous en pensiez, vous pourrez toujours compter sur le soutien de notre groupe. Malheureusement, comme je l’ai précédemment indiqué – cela ne surprendra donc personne ! –, votre projet ne traduit pas notre volonté de changement. Nous le regrettons vivement ! §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il m’est difficile de commencer mon propos sans évoquer les conditions d’examen de ces textes par notre assemblée, que Mmes Troendle et Assassi ont déjà, à raison, dénoncées.
J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet lors de la conférence des présidents. J’ai cru comprendre que les remarques que j’avais faites avaient recueilli un certain assentiment : comment le Sénat peut-il examiner dans un laps de temps aussi réduit un texte aussi important et lourd de conséquences non seulement pour les élus départementaux ou municipaux que nous sommes, mais également pour tous nos concitoyens ?
Je me bornerai à rappeler qu’aucun membre du Gouvernement n’a pu être auditionné préalablement à notre séance de ce soir. Je vous le dis franchement, monsieur le ministre de l’intérieur, il est absolument anormal que la commission des lois n’ait pu vous entendre.
Il a fallu toute l’expérience et toute la dextérité de notre rapporteur pour pallier l’insuffisance d’informations. §Je tenais à le dire, car une telle situation n’est pas normale. Une nouvelle fois, nous constatons un fonctionnement totalement défectueux dans les relations entre le Gouvernement et le Parlement. Nous avions cru que cet état de fait tenait à une phase de rodage, limitée à l’année 2012. Hélas, nous avons l’impression qu’il nous faudrait nous y habituer – mais nous nous y refusons – puisque la situation reste la même en 2013, même avec vous, monsieur le ministre de l’intérieur.
Je vous ai reçu, monsieur Zocchetto, et vous n’aviez pas le même ton !
Définir un mode de scrutin est un acte éminemment politique.
Notre mode de scrutin départemental n’est pas sans failles : la faible présence des femmes parmi les conseillers généraux, les grands déséquilibres démographiques et la difficulté à faire émerger des politiques départementales sont autant de raisons légitimes de le modifier. Encore faut-il le faire dans un esprit de concorde, de lisibilité et de sincérité vis-à-vis de nos territoires et de leurs populations.
En tout cas, personne dans cet hémicycle ne pourra dénier à votre texte sa qualité principale : la créativité ! §
La solution proposée, celle du scrutin binominal, est pour le moins pittoresque – on pourrait utiliser bien d’autres qualificatifs ! – et constituera sans aucun doute une première mondiale.
On a eu le conseiller territorial, il fallait bien qu’on fasse quelque chose !
Aussi, au moment où nous entamons ce débat, je tiens à affirmer de manière claire que les membres du groupe UDI-UC sont unanimement et fermement opposés au mode de scrutin que vous nous proposez pour les élections départementales. §
Permettez-moi de vous le dire, il est tout simplement absurde de ne prévoir qu’une solidarité de droit entre deux candidats, laquelle s’évanouirait une fois ceux-ci élus. Comment se sentir solidaire des moindres dépenses de campagne de son « ticket électoral » ou de son colistier s’il n’y a aucune autre forme de solidarité durant le mandat qu’une entente politique ?
Je vous donne rendez-vous dans quelques mois ou quelques années : l’avenir risque de nous réserver bien des surprises, car nous n’avons certainement pas imaginé tous les cas de figure qui vont se présenter ! §
Au-delà des conjectures que l’on peut d’ores et déjà faire sur ce nouveau mode de scrutin, force nous est de sonner l’alarme : conjuguée avec le redécoupage des cantons, cette innovation que constitue le scrutin binominal conduira à « écraser » la représentation des territoires ruraux…
… au seul bénéfice de l’urbain, et encore n’en suis-je pas certain !
En divisant par deux le nombre de cantons dans les départements, sur des bases démographiques, le Gouvernement donne une prime sans précédent à la représentation des agglomérations au détriment des campagnes, de la ruralité, de la diversité et de la richesse de nos territoires. §
Vous aurez du mal à aboutir à une représentation politique cohérente et opérationnelle des départements dès lors que, en instaurant l’élection de deux représentants par canton, vous vous apprêtez à introduire la zizanie sur l’ensemble du territoire. Je le dis franchement, plutôt que d’empêcher les départements de fonctionner, car c’est bien ce qui va se passer, autant annoncer dès à présent leur suppression !
MM. Daniel Dubois, Jackie Pierre et Ronan Dantec applaudissent.
Vous avez fait le choix de ne pas augmenter le nombre de conseillers généraux.
Soit ! C’est raisonnable. Mais vous auriez probablement dû mieux répartir le nombre de conseillers existants.
Dans le Rhône, par exemple, chacun des conseillers départementaux représenterait 80 000 habitants au minimum. Par comparaison, une commune de 80 000 habitants est aujourd'hui administrée par 53 conseillers municipaux. Un territoire aussi important ne disposerait donc que d’un seul représentant !
Autant supprimer d’un trait la représentation politique de la ruralité et le faire en toute franchise, en toute transparence ! Cela aurait le mérite de la clarté !
Monsieur le ministre, ne serait-ce que pour cette raison, nous sommes décidés à combattre cette réforme, qui remet fondamentalement en cause la politique d’aménagement et de solidarité territoriale menée dans les départements français.
Il est vrai que, d’après l’étude d’impact du projet de loi, les disparités démographiques entre les cantons d’un même département sont importantes puisque le rapport peut aller de 1 à 47. Nous convenons donc – comme tout un chacun, me semble-t-il – qu’un remodelage de la carte cantonale est indispensable.
Toutefois, le projet de loi prévoit que toute modification des délimitations territoriales des cantons devra respecter un certain nombre de critères, et notamment la fameuse règle des plus ou moins 20 %. Il prévoit également de diviser par deux le nombre de cantons, en raison de votre ingénieux mode de scrutin…
Au vu de ces éléments, il n’est pas très compliqué de déduire que le pourcentage de 20 % est très nettement insuffisant, non seulement pour les zones de montagne, mais aussi pour toutes les zones à faible densité de population, pour lesquelles le respect de ce seuil conduira à la constitution de cantons gigantesques, sans aucune cohérence géographique ou historique, obéissant à la seule exigence arithmétique de la loi.
Aussi proposerons-nous la suppression de ce seuil de plus ou moins 20 %, …
… pour laisser plus de souplesse au redécoupage à venir. En effet, jusqu’à présent, la jurisprudence du Conseil d’État a été parfaitement compréhensible. Pour notre part, puisque vous souhaitez fixer des seuils dans la loi, nous proposerons au Sénat que la population d’un canton soit comprise entre plus et moins 50 % de la population moyenne cantonale du département, …
En la matière, la souplesse est la seule option possible.
Venons-en maintenant au calendrier électoral. §
La concomitance des élections régionales et départementales est une disposition à laquelle nous pourrions, a priori, faire bon accueil.
Le Gouvernement motive l’article 21 du projet de loi par l’analyse des résultats de participation obtenus depuis vingt-cinq ans au second tour des élections cantonales. Si l’on y intégrait les élections partielles, les chiffres seraient, je le crains, assez affligeants.
En revanche, monsieur le ministre, vous soulignez que, en 1992, l’organisation, le même jour, des élections régionales et cantonales a conduit à une chute significative du taux d’abstention et que, a contrario, en 2004, la participation s’est élevée à 66, 5 % au second tour. La convocation du corps électoral pour deux scrutins simultanés est donc sans doute de nature à stimuler l’électeur et à donner davantage de contenu à sa démarche de citoyen.
Toute initiative dans le sens de la lutte contre l’abstentionnisme aux élections locales doit être appuyée et accompagnée.
Monsieur le ministre, en cela, nous vous soutenons.
Pour autant, permettez-moi de formuler une interrogation majeure : en quoi l’institution de la concomitance des élections départementales et régionales impliquait-elle de modifier le calendrier électoral ?
Cette modification n’était absolument pas nécessaire ! La raison en est simple : cette concomitance des deux élections a déjà été organisée par la précédente majorité, à travers la loi du 16 février 2010.
Vous me répondrez que vous supprimez le conseiller territorial, qui, avant même d’exister, a d’ailleurs rejoint le cimetière de l’histoire des institutions…
Cela étant, sauf erreur de ma part, la loi du 16 février 2010 me semble juridiquement autonome de la création du conseiller territorial.
Et nous ne comprenons pas – ou, plus exactement, nous craignons de trop bien comprendre –…
Premièrement, les élections intermédiaires ont toujours été compliquées pour un mouvement politique qui détient les rênes des responsabilités nationales. C’est d’autant plus vrai que vous êtes également à la tête d’une majorité de conseils généraux.
C’est pourquoi, dès l’examen du projet de loi en commission, les membres du groupe UDI-UC ont déposé des amendements visant à supprimer le report des élections locales en 2015. Nous défendrons ces mêmes amendements en séance.
Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.
Deuxièmement, pour modifier le calendrier électoral, il faut des motifs valables !
Or quels sont ceux qui justifient le report des élections régionales ?
L’argument selon lequel personne ne se déplacerait pour les seules élections départementales est un peu mince…
Permettez-moi d’évoquer ce sujet, que personne n’a encore abordé jusqu’à présent.
Pour nous, le fait que des élections sénatoriales aient lieu en septembre 2014 constitue une raison supplémentaire d’être fermement opposés à la modification du calendrier. En effet, on voit très bien comment, par une succession de textes dans les semaines ou les mois à venir, vous pourriez modifier la composition du corps électoral pour les élections sénatoriales ! §
Ces textes, vous avez le droit de les proposer. Pour notre part – surtout en notre qualité de sénateurs –, nous avons le droit de nous y opposer !
Pour terminer sur cette question du calendrier, je dirai que le Conseil constitutionnel ne manquera pas de nous donner sa vision des choses, et je crains, monsieur le ministre, que ce ne soit pas celle que vous avez retenue…
Nous verrons ! C’est ce que vous aviez pronostiqué à propos du 19 mars, et vous l’avez eu « dans le baba » !
Concernant le fléchage, nous partageons votre souci d’apporter plus de flexibilité au système existant.
Monsieur le président de la commission des lois, je regrette quand même la complexité déconcertante du mécanisme issu des travaux de cette commission, à laquelle j’appartiens. Cela étant, je sais que l’on peut compter sur la science des sénateurs pour améliorer ce dispositif.
J’en viens au mode de scrutin pour les élections municipales. Je ne serai pas très long.
Vous avez souhaité fixer à 1 000 habitants le seuil de population au-delà duquel les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste.
C’est un vieux débat ; nous en avons parlé souvent. Pour notre part, nous proposerons – à la grande majorité des membres de notre groupe – de fixer ce seuil à 1 500 habitants.
Vous l’aviez établi à 500 pour le conseiller territorial ! C’est incroyable !
M. François Zocchetto. J’évoquerai maintenant la question du seuil pour se présenter au second tour de l’élection départementale.
Ah ! sur les travées de l’UMP.
Sur ce sujet, permettez-nous de faire preuve de perspicacité et de nous demander quelle a pu être la motivation d’un tel abaissement. C’est un peu comme lorsqu’on se demande quel est l’objet d’un délit, même si je n’ose employer ce terme en l’occurrence : il s’agit d’un simple raisonnement par analogie.
MM. François Rebsamen et Alain Néri protestent.
Appliqué aux résultats des dernières élections cantonales, cet abaissement à 10 % du seuil aurait tout simplement provoqué plus de 200 triangulaires
M. Bruno Sido s’exclame.
Vous savez très bien qui sont les tiers qui interviennent au deuxième tour de l’élection !
Si vous ne l’avez pas compris, je vous le dis sans détour : ce sont les candidats du Front national !
Les membres de l’UDI-UC ne souhaitent pas la survenue de telles triangulaires. Par conséquent, ils s’opposeront à l’abaissement du seuil à 10 % ! §
En fin de compte, l’erreur que vous avez commise – du reste, vous n’êtes pas les premiers à la commettre – est d’avoir voulu réformer le mode d’élection des élus sans avoir décidé au préalable comment allaient évoluer les missions des collectivités – en l’occurrence, des départements.
Pour m’exprimer de manière triviale, je dirai que, comme d’habitude, vous avez mis la charrue avant les bœufs !
En effet, si l’on n’en connaît pas encore les détails, on nous a quand même bel et bien annoncé l’acte III de la décentralisation ! Dès lors, pourquoi ne pas avoir redéfini les missions de chaque niveau de collectivité avant de bouleverser en profondeur la désignation des élus des départements…
… et, dans une moindre mesure, des élus intercommunaux ?
Vous l’avez compris, le groupe UDI-UC est fermement opposé à ce texte. Non qu’il ne souhaite pas débattre des questions relatives à l’évolution des collectivités territoriales ! Nous avions certes critiqué les travers du conseiller territorial, mais reconnaissons que celui-ci participait d’une vision renouvelée et ambitieuse de nos collectivités.
MM. Roland Courteau et François Rebsamen s’exclament.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, faut-il s’écrier : « Le conseiller général est mort, vive le conseiller départemental » ?
Tel est l’objet du présent débat, conséquence directe de la création, puis du décès du trop fameux conseiller territorial.
Nous passons de l’être électoral hybride au couple électoral strictement hétérosexuel
Exclamations amusées.
Ainsi, la parité devient la norme, sauf dans la sphère privée.
D’ailleurs, que se passera-t-il quand le couple ne sera plus d’accord ? Vous n’avez rien prévu pour une telle situation !
Mes chers collègues, permettez-nous de relever que, au sein des deux partis dominants, il existe des esprits suffisamment tortueux pour inventer, d’un côté, le conseiller territorial et, de l’autre, le scrutin binominal.
C’est dire notre manque d’enthousiasme ! En effet, si nous avons compris la volonté du Gouvernement, le seul choix que vous concevez doit s’effectuer entre un scrutin départemental proportionnel et ce scrutin binominal. Pour des élus qui, comme nous, sont essentiellement issus d’un contrat personnel de confiance avec les électeurs de nos territoires, cela revient quand même, en grande partie, à faire un choix entre la guillotine et la corde…
Rires.
Cela étant dit, partons de ce qui est une réalité : la représentation cantonale actuelle est le plus souvent totalement déséquilibrée en espace et en ratio de population, avec des écarts considérables et inacceptables, nous le reconnaissons bien volontiers.
Dans ces conditions, il y a urgence à rétablir les équilibres démographiques, conformément aux indications du Conseil d’État et aux règles constitutionnelles ; monsieur le ministre, nous sommes totalement d’accord sur ce point.
Néanmoins, dans la perspective d’un vote de ce texte, il serait opportun que vous puissiez dès à présent répondre à plusieurs interrogations, qui sont d’abord d’ordre constitutionnel.
En premier lieu, quid de la constitutionnalité d’un scrutin binominal ? Est-il possible de considérer que la notion de représentativité puisse être partagée de manière binominale pour exercer des fonctions par essence confondues ? Est-il possible de se soustraire au principe de l’individualisation de l’égalité de représentation liant, selon les principes de notre droit constitutionnel, l’électeur à son représentant ? Peut-on concevoir une individualisation binominale ?
Monsieur le ministre, je compte sur vous pour répondre à ces interrogations !
En second lieu, le système que vous envisagez entraîne, dans tous les départements, un changement total des circonscriptions électorales. Or l'article 34 de la Constitution précise notamment que la loi fixe les règles concernant « le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales […] ainsi que les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ».
Le canton est la circonscription électorale des conseils généraux, aujourd'hui, des conseils départementaux, demain. Si l'ordonnance du 2 novembre 1945 donne les orientations à suivre dans la procédure relative aux modifications des limites territoriales des cantons, ces modifications sont opérées sur la base de décrets en Conseil d'État, après consultation des conseils généraux. Cela étant, en l'occurrence, il s’agit d'une modification générale de circonscriptions électorales, pour laquelle la procédure législative paraîtrait plus appropriée.
La question est d’ailleurs soulevée dans le rapport, fût-ce de manière brève.
Quelle est, monsieur le ministre, votre position sur ce point ?
Au-delà de ces questions relevant du domaine constitutionnel, le présent projet de loi présente, selon nous, des aspects positifs et des aspects négatifs.
Parlons tout d'abord de la forme : on ne peut pas dire que ce texte soit le résultat d'une véritable concertation, même si je reconnais bien volontiers, monsieur le ministre, que vous nous avez entendus directement. Dont acte !
Il n'est pas issu de l'excellent travail de la mission Belot et du rapport cosigné par nos collègues Jacqueline Gourault et M. Yves Krattinger, et qui avait pour titre l'Intelligence territoriale.
À ma connaissance, aucune association d'élus ne revendique la paternité du binôme. D’ailleurs, le silence du président de l'Association des départements de France est parfaitement perceptible.
Et soutenir que ce projet serait la résultante des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat relèverait d’un raccourci provocateur.
Ce projet présente incontestablement deux grands avantages : il permet la mise en place d'une parité totale et, en rejetant la proportionnelle départementale, il évite les excès et les déséquilibres découlant de l'entrée de sensibilités extrémistes, et il fait en sorte que le choix des futurs conseillers départementaux ne soit pas laissé aux apparatchiks professionnels de la politique des partis dominants.
Ne nous cachons pas derrière des paravents : ce à quoi votre gouvernement se refuse, tout comme le gouvernement Fillon avant lui, c'est à dire clairement quel avenir – au moins à moyen terme – il entend réserver aux départements. §
S'agit-il de les effacer progressivement ? Allez-vous les diluer en douceur ? Il faudra bien qu’un jour les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, disent clairement quel est, à cet égard, leur objectif.
J’ajoute que ce débat est aujourd'hui peu connu de nos concitoyens. Une infime minorité d'entre eux est aujourd'hui consciente qu'un canton sur deux va disparaître. Du reste, nombre de conseillers généraux n'ont pas encore compris que vous avez décidé de les faire profiter d'une retraite anticipée. (Rires.)
Monsieur le ministre, il eût été bon que le Gouvernement définisse, s’agissant de tout ce qui concerne les collectivités territoriales, une vision stratégique nette, incluant une clarification des compétences et des différentes strates, appréhendant la question de leur financement, particulièrement au regard de la péréquation horizontale et verticale.
Nous allons voir arriver des textes successifs dont la cohérence n’est pas assurée.
Pour en revenir au texte même du projet de loi, il est évident que la diminution drastique et arbitraire du nombre des cantons peut avoir des conséquences néfastes dans les territoires ruraux.
Oui, il fallait, il faut un rééquilibrage entre territoires urbains sans représentation suffisante et zones rurales, mais le carcan des plus ou moins 20 % étant maintenu pour le découpage des nouveaux cantons, vous risquez de créer un déséquilibre en sens inverse.
Le Sénat est, vous le savez, en application de l'article 24 de la Constitution, le représentant des collectivités locales de la République. Notre rôle constitutionnel est donc de vous rappeler que le découpage du canton doit se faire de manière équilibrée, en tenant compte de la démographie, mais aussi des territoires.
À ce propos, il est tout à fait regrettable que l'article 40 ait été utilisé pour empêcher la discussion au Sénat de nombre d'amendements de plusieurs groupes, qui visaient notamment le problème de la déstructuration des cantons.
J’estime que c’est une dérive qui contrevient au débat démocratique. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
L'argument financier sur le coût que représente le nombre d'élus, lequel ne joue d’ailleurs qu’à la marge, pouvait être facilement écarté par de nouvelles dispositions sur les indemnités.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi va devenir, dans nos départements, un projectile à retardement, dont les effets seront plus importants que vous ne le pensez. Je crois qu’il serait bon d’accepter un peu de concertation – il n’y en a pas eu suffisamment –, de tenir compte d’un certain nombre d’observations, émanant d’ailleurs de tous les bancs, et du rôle particulier du Sénat sur la question des collectivités territoriales.
Certains textes annoncés pour les mois qui viennent, qu’ils concernent, par exemple, le Haut conseil des territoires ou le non-cumul des mandats, pourraient nous faire craindre, monsieur le ministre, que la volonté du Gouvernement ne soit d'affaiblir le Sénat et le bicamérisme.
Du reste, le récent débat sur la péréquation départementale a rendu palpable un certain mépris pour notre institution… Le Gouvernement a mis en place un ministre en charge de l'égalité territoriale. La résolution du RDSE sur l'égalité territoriale a été votée le 13 décembre 2012 à l'unanimité par le Sénat. Or, dès le lendemain, à l'Assemblée nationale, un amendement du Gouvernement aggravait la situation des départements ruraux au regard de la péréquation !
Applaudissements sur les mêmes travées.
Le texte sur l'élection des conseillers départementaux ne doit pas aggraver la fracture territoriale, qui continue à se creuser. Notre groupe, monsieur le ministre, qui a très majoritairement soutenu tous les textes de l’actuel gouvernement depuis que celui-ci est en place, est à l'écoute des réponses que vous voudrez bien lui apporter sur les questions nous venons de vous poser. Le vote de notre groupe tiendra compte de ces réponses.
Applaudissements les travées du RDSE et de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis un an, notre hémicycle attendait la grande loi sur la décentralisation, avec l’espoir d'une réorganisation territoriale de la France qui soit à la hauteur des enjeux sociétaux et économiques.
Comment, face à la mondialisation, à la prégnance de plus en plus grande de l'Europe, faire en sorte que la France soit encore et toujours un modèle d'organisation démocratique ?
Comment, face au désenchantement de nos concitoyens et de nos concitoyennes lors des élections, qui sont au cœur même de la démocratie, qui sont ontologiquement la démocratie, leur redonner l'envie d'aller voter et, surtout, d’être eux-mêmes acteurs de la vie sociale ?
Voter, ce n'est pas se soumettre, c'est prendre part, c'est croire encore et toujours qu'un autre monde est possible, parce que chaque voix, chaque bulletin compte, parce qu'il n'y a pas de bulletins de riches et de bulletins de pauvres, de bulletins de chômeurs et de bulletins d'exilés fiscaux… Voter, c'est croire que, dans l'alchimie de l'urne, la volonté du peuple se fait entendre et c'est savoir qu'elle sera entendue.
Ainsi, nous abordons enfin la réforme promise par l'élection de François Hollande avec l'appui des écologistes.
Nous commençons par le mode d'élection : ce choix peut se discuter. Gageons que le texte était peut-être plus simple à rédiger, même si le sujet des modes de scrutin est toujours particulièrement sensible, car tous les partis ont bien entendu l'espoir de voir augmenter le nombre de leurs élus.
Nos concitoyens le savent et nous soupçonnent souvent de « magouiller », de « trafiquer » : lorsque nous votons les lois électorales, ne sommes-nous pas, en effet, à la fois juges et parties ?
Il faut compter, en outre, avec la démagogie ambiante et sa ritournelle lassante : les élus sont « coupés de la réalité », ils sont « tous pourris », ils « s'en mettent pleins les poches », ils coûtent cher, ils s'accrochent à leurs privilèges… Cette fascisation rampante des esprits rend difficile l'explication et la justification de l'exercice.
Il faut faire œuvre de pédagogie, et non de démagogie, en montrant la nécessité d'adapter les modes de scrutin à l'évolution de la démographie française. Mais il faut aussi permettre à de nouveaux citoyens, et surtout à de nouvelles citoyennes, d'être élus, afin que la démocratie ne soit pas le monopole de certains.
Mais comment être pédagogique quand on multiplie les modes de scrutin ? Alors qu’ils sont déjà au nombre de six, on veut en créer un septième, avec le binominal. Comment être pédagogique quand à chaque échelon de la démocratie correspond un mode de scrutin différent ?
Il nous faut donc faire preuve de pragmatisme et d’honnêteté.
Le pragmatisme consiste à regarder attentivement les différents échelons de nos structures politiques et à observer où et pourquoi cela fonctionne bien ou mal.
L’honnêteté, nous devons d’abord l’exiger de nous-mêmes, en ne cédant pas à la tentation de favoriser notre camp. Mais nous la devons aussi à l’ensemble de nos concitoyens et concitoyennes, en leur donnant une représentation politique qui soit à leur image.
Au fond, ce projet est taillé au cordeau afin de permettre la parité, et seulement la parité. Or, si la parité est un des moyens d'assurer la représentation de la société, elle n’en est pas un but.
Ce projet préserve donc le scrutin catholique, dans notre État laïc, qu'est le scrutin majoritaire à deux tours, écrasant les voix minoritaires…
Parce que c’est ainsi qu’étaient élus les abbés et abbesses !
Il préserve ainsi un clivage simple entre conservateurs et progressistes, quels que soient les sigles portés par les uns et les autres.
Pourtant, la parité et la pluralité sont possibles, comme le prouve la série d'amendements que nous avons déposés.
Nous vous proposons d'unifier les modes de scrutin en instaurant le même scrutin proportionnel, avec une prime majoritaire de 25 % pour les élections départementales, sur le modèle des élections régionales.
Ce mode d'élection fonctionne tant pour la parité que pour la représentativité ; on en a la preuve dans les régions et même dans les grosses communes.
Grâce à la prime majoritaire, il n'y a pas à redouter qu'un tel mode d'élection n’empêche la formation d’une majorité.
Quant à la peur de l'extrême droite et du Front national, puisqu'il faut le nommer, elle ne doit pas nous empêcher de proposer ce qu'il y a de mieux pour la démocratie. La démocratie et les élections sont un risque, mais un risque magnifique, que nous devons assumer.
Parce que ces idées extrêmes représentent un Français sur cinq, nous ne pourrons les priver éternellement d'une représentation dans nos assemblées.
Ce sont nos idées, c'est notre travail d’élus, au Parlement comme sur le terrain, qui feront reculer la démagogie et les ennemis de la démocratie. Ce n'est pas en privant de représentation un Français sur cinq, en précipitant ainsi certaines de nos concitoyennes et certains de nos concitoyens soit dans l'abstention, soit dans un extrémisme de plus en plus dur, que nous y arriverons.
Au contraire, c'est au contact de nos institutions que l'extrême droite et ses élus feront la preuve de l'ineptie et de l'irréalisme de leurs propositions, comme nous l'avons vu à chaque fois que des extrémistes ont réussi à conquérir une mairie : ils se décrédibilisent rapidement, et finissent parfois devant la justice.
Si le Front national vous inquiète tant, il faut lui permettre d’être représenté.
C’est d’autant plus vrai que la « frayeur du Front » a pour effet de faire disparaître les partis minoritaires des assemblées locales, ce qui limite le choix des citoyennes et des citoyens lors des élections, et de renforcer le clivage entre la droite et la gauche, alors que la synthèse et les compromis nécessaires à une large majorité sont plus faciles à réaliser lorsque toutes les sensibilités sont représentées et qu’elles doivent s’entendre pour faire avancer le territoire.
Si le Sénat maintient le projet de loi dans son état actuel, nous risquons d’avoir de belles surprises lors du prochain renouvellement des conseils départementaux ! II est probable que certains d’entre eux deviendront ingouvernables, faute d’une majorité assurée de droite ou de gauche. En outre, le redécoupage ne permettra pas de contenir une entrée puissante de l’extrême droite dans ces conseils ; certains départements pourraient s’en trouver déstabilisés, notamment dans le sud : je pense au Vaucluse et au Gard, mais il y en a sans doute d’autres, hélas !
De surcroît, comme tous les orateurs l’ont souligné, la nécessité de rééquilibrer le poids démographique de chaque conseiller départemental conduira à créer des cantons immenses dans les territoires ruraux et des cantons minuscules en milieu urbain.
Il serait pourtant possible d’opter pour la représentation proportionnelle. Indépendamment du fait qu’on est l’élu d’une assemblée et non celui d’un territoire, la proportionnelle n’empêche nullement la représentation des territoires, dans la mesure où il suffit que nous, les hommes et les femmes politiques, élaborions les listes en tenant compte des territoires, notamment des moyens de transport en leur sein, ce qui ne sera pas le cas avec les méga-cantons que le binominalisme va conduire à constituer.
En gage de leur bonne volonté, les sénateurs du groupe écologiste ont préparé trois amendements alternatifs portant sur le scrutin proportionnel.
Le premier prévoit l’instauration d’une proportionnelle totale sur l’ensemble du département.
Le deuxième vise à préserver une forme équilibrée d’ancrage local afin de répondre aux exigences du rapport de M. Delebarre : il prévoit d’aménager, dans chaque département, quatre secteurs ayant chacun leur propre liste, un peu à l’image du système en vigueur pour les élections régionales.
Le troisième de nos amendements anticipe quelque peu la forme que pourrait prendre l’élection législative, dont le Président de la République lui-même a annoncé la réforme, en introduisant une dose de proportionnelle en complément du scrutin binominal majoritaire. Car, si le scrutin binominal majoritaire a tant d’avantages, pourquoi ne pas l’instaurer aussi pour les élections législatives ? §
S’agissant de l’élection des délégués communautaires, je laisserai à mon collègue Ronan Dantec, qui interviendra dans la suite du débat, le soin de vous présenter la position du groupe écologiste.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi et le projet de loi organique qui sont soumis à l’examen de la Haute Assemblée ont pour unique objectif la modernisation de notre démocratie territoriale.
Ils s’inscrivent dans le cadre d’une réflexion d’ensemble conduite par le Gouvernement et par sa majorité parlementaire pour rapprocher encore davantage la décision du citoyen. Si nous commençons par réformer les modes de scrutin, les débats se poursuivront prochainement autour de l’acte III de la décentralisation que présentera Mme Lebranchu.
Pour accompagner cette nouvelle étape de la décentralisation, il fallait renforcer la cohérence et l’efficience des échelons territoriaux. C’est l’objet du projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral.
Outre la réforme des modes de scrutin pour la commune, l’intercommunalité et le département, ce projet de loi prévoit un réaménagement du calendrier électoral afin de favoriser la participation de nos concitoyens à la désignation de leurs représentants.
Surtout, il permet d’abroger les dispositions qui ont institué le conseiller territorial.
Mes chers collègues, rappelez-vous ce qu’était cet élu d’un nouveau genre, créé par la loi du 16 décembre 2010 : un élu hybride, ayant vocation à siéger dans deux assemblées distinctes, au niveau départemental et au niveau régional.
M. Philippe Kaltenbach. J’ai entendu l’opposition qualifier le scrutin binominal de système pittoresque, ou baroque… Que dire, alors, du conseiller territorial !
M. Roland Courteau acquiesce.
Avec le conseiller territorial, la question posée n’était pas celle du mode de scrutin !
Un élu siégeant dans deux assemblées différentes, cela n’existe nulle part dans le monde !
Ce statut bien curieux n’avait, à la vérité, qu’un objectif politicien : permettre à l’UMP, qui était à l’époque majoritaire, de gagner des sièges !
Après avoir combattu ce système, nous sommes aujourd’hui très heureux de pouvoir l’enterrer définitivement et le remplacer par un nouveau mode de scrutin.
Le système du conseiller territorial était d’autant plus discutable que sa création était justifiée par des raisons financières : les élus coûtaient trop cher ! Stigmatiser ainsi les élus locaux était vraiment de la dernière habileté !
Alors que le conseiller territorial ne répondait à aucune attente de nos concitoyens, la création du conseiller départemental va permettre la parité, la proximité et l’égalité devant le suffrage.
Le Gouvernement a cherché à concilier ces trois objectifs ; la tâche était d’autant moins aisée qu’ils peuvent être contradictoires.
De fait, il a fallu beaucoup d’ingéniosité pour concevoir le nouveau mode de scrutin, de type binominal. Je crois que nous pouvons féliciter celles et ceux dont la réflexion a conduit à cette innovation. (En effet, je répète qu’il permet de concilier les trois objectifs auxquels le groupe socialiste est attaché : la parité, la proximité et l’égalité devant le suffrage.
Avant de revenir sur ces trois objectifs, je souligne que les conseils départementaux seront désormais renouvelés intégralement tous les six ans. Je crois que nous pouvons tous tomber d’accord sur cette réforme, qui améliorera la lisibilité du système pour l’électeur et permettra de renforcer la place et le rôle du département dans l’organisation territoriale de notre pays.
Monsieur Sido, c’est une question que vous aurez l’occasion de poser prochainement puisque le mode de scrutin pour les élections sénatoriales sera peut-être revu.
Le premier intérêt du mode de scrutin binominal majoritaire est de favoriser la parité.
Comme certains orateurs l’ont souligné, la parité dans les assemblées départementales sera une véritable révolution puisque, malheureusement, il n’y a aujourd’hui que 13 % de femmes dans les conseils généraux. Cette situation est bien sûr inacceptable. Qui peut admettre, quand l’objectif de parité est inscrit dans la Constitution, qu’il y ait seulement 13 % de femmes élues dans les assemblées départementales ?
J’ajoute que, dans trois assemblées départementales, il n’y a même aucune femme ! Je les mentionne pour que cela figure au Journal officiel : la Haute-Corse, le Tarn-et-Garonne et les Deux-Sèvres. De telles situations sont-elles acceptables dans la France de 2013 ?
Trois départements détenus par la gauche !
Chers collègues de l’opposition, je vous rassure : il y a aussi des élus de droite qui siègent dans ces départements !
Du reste, s’agissant de la parité dans les conseils généraux, je pense que la gauche et la droite sont également responsables de la situation actuelle. Ce n’est pas une question politique, mais une question de mode de scrutin.
Le mode de scrutin binominal majoritaire nous assure de parvenir à la parité. Je crois que c’est une exigence forte, qui pourrait être partagée sur l’ensemble des travées de notre assemblée.
Si le scrutin binominal majoritaire a été privilégié, c’est aussi parce qu’il permet la proximité.
Ce fait est contesté. Pourtant, on conçoit que, la parité devant être assurée, il n’y avait de choix qu’entre le scrutin binominal majoritaire et le scrutin proportionnel. Or, si ce dernier comporte de nombreux avantages, il éloigne tout de même l’élu de son territoire. L’avantage, pour un représentant, d’être élu dans une circonscription, c’est qu’il est complètement identifié à son territoire.
Certes, les nouveaux cantons seront plus vastes ; mais ce seront quand même des territoires. Je considère pour ma part que de grands cantons valent mieux qu’un scrutin proportionnel départemental, dans lequel l’élu ne serait ancré sur aucun territoire. Le scrutin binominal majoritaire permettra le maintien d’un lien fort entre l’élu départemental et son territoire.
S’agissant, enfin, de l’égalité devant le suffrage, nos désaccords avec l’opposition sont nettement marqués.
L’égalité devant le suffrage est un principe garanti par la Constitution : la voix de chaque électeur doit avoir le même poids, qu’il vote à la campagne ou en ville, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel. §Dans un même département, des voix ne peuvent pas peser quarante-sept fois moins que d’autres ! Un tel déséquilibre est inacceptable. C’est pourtant la situation qui prévaut aujourd’hui puisque, comme le rappelle l’étude d’impact du projet de loi, les différences sont considérables, au sein d’un même département, entre les tailles des différents cantons. C’est ainsi que, dans pratiquement tous les départements, il y a un rapport de 1 à 5 entre le canton le moins peuplé et le canton le plus peuplé ; parfois, ce rapport est de 1 à 10, voire de 1 à 20. Mes chers collègues, songez que, dans l’Hérault, il est même de 1 à 47 !
Mes chers collègues, de tels déséquilibres sont-ils acceptables ? Ils me rappellent le système anglais des rotten boroughs, les bourgs pourris, qui était en vigueur dans l’Angleterre du XIXe siècle : de petites circonscriptions avec peu d’électeurs envoyaient à la Chambre des communes des représentants conservateurs, tandis que de grands territoires avec de nombreux électeurs y envoyaient des élus d’opposition.
Mes chers collègues, nous voyons bien que ces déséquilibres font peser des risques inacceptables d’inégalité devant le suffrage.
À cet égard, le Gouvernement a suivi les recommandations du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État. Si nous en tenons compte, c’est parce que nous sommes attachés à la République et à sa devise : dans « Liberté, Égalité, Fraternité », il y a l’égalité, qui exclut l’inégalité devant le suffrage !
Quant à la marge de plus ou moins 20 %, elle résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Elle aurait pu être fixée à 25 % ou à 15 %. Il se trouve qu’elle l’a été à 20 % ; nous devons nous en accommoder.
Mes chers collègues, nous aurions dû, dans tous les cas, redécouper les cantons. §Dans ce redécoupage, nous aurions dû appliquer cette règle du plus ou moins 20 %. Le groupe socialiste s’est longtemps demandé s’il pouvait être possible d’y déroger, mais les arguments de nos éminents juristes nous ont convaincus qu’en nous en affranchissant nous prendrions le risque de voir le projet de loi censuré par le Conseil constitutionnel. Je suis certain que l’opposition ne le souhaite pas davantage que les socialistes !
Reste qu’il fallait tenir compte des zones rurales. C’est pourquoi l’alinéa 11 de l’article 23 du projet de loi autorise, à titre exceptionnel, des exceptions à la règle des 20 %, « justifiées par des considérations géographiques ou par d’autres impératifs d’intérêt général ». Le groupe socialiste a déposé un amendement visant à préciser la notion de « considérations géographiques », en mentionnant l’insularité, l’enclavement, le relief et la superficie du territoire. Toujours est-il que les exceptions ne pourront exister qu’à la marge, la règle devant être l’égalité des citoyens devant le suffrage.
À propos du scrutin binominal majoritaire, j’ai entendu les qualificatifs de « pittoresque », de « baroque » et même d’« exotique »… Pour ma part, je trouve qu’il est ingénieux parce qu’il permet d’atteindre simultanément les trois objectifs que j’ai mentionnés. Son instauration, qui est sans doute la dimension la plus révolutionnaire du projet de loi, nous permettra de faire évoluer nos départements et de les moderniser durablement.
Le projet de loi apporte aussi des améliorations au scrutin municipal en abaissant à 1 000 habitants le seuil d’application de la proportionnelle. Faudrait-il préférer 1 500, 2 000 ou 500 habitants ? Il y a un débat. Il me semble que le seuil de 1 000 habitants constitue un point d’équilibre.
L’extension de la proportionnelle aura des effets considérables dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants, dont les conseils municipaux deviendront paritaires. Décidément, les femmes ont beaucoup à gagner à l’adoption de ce projet de loi !
Avec la proportionnelle, l’opposition sera également mieux représentée dans ces conseils, ce qui marquera un progrès démocratique.
Enfin, dans les plus petites communes, le panachage donnera plus de souplesse. Les sénateurs du groupe socialiste ont néanmoins déposé un amendement tendant à prévoir l’obligation de déposer sa candidature, afin de mettre un terme au système actuel dans lequel des personnes non-candidates peuvent être élues, ce qui n’est pas conforme à un bon fonctionnement démocratique.
J’en viens au fléchage pour l’élection des conseillers communautaires, qui constitue aussi un progrès démocratique, comme cela a largement été expliqué.
De plus, pour que les élus municipaux délégués au conseil communautaire ne soient pas forcément en début de liste, Alain Richard a trouvé un système particulièrement ingénieux. Sans doute est-il complexe, mais il évite que les élus appelés à siéger au conseil communautaire soient nécessairement ceux qui figurent au début de la liste.
Les modifications apportées au calendrier électoral semblent déchaîner les foudres de l’opposition, mais il faut être raisonnable : comment peut-on organiser cinq élections la même année ? Techniquement, ce serait possible, car les élus et les employés municipaux sont capables d’organiser cinq scrutins. Mais quelle serait la lisibilité pour les électeurs ? Les campagnes électorales s’entrecroiseraient ; cela complexifierait tous les débats. Au final, le risque serait bien de voir les électeurs ne voter que lors du premier scrutin et s’abstenir ensuite !
Pour assurer à la fois des campagnes électorales suivies par les électeurs et une participation forte, il semblait donc indispensable de décaler une partie des élections.
S’agissant des élections départementales, c’est indispensable, en raison du temps que va prendre le redécoupage. Comme les mandats régionaux avaient une durée limitée à quatre ans, justement pour permettre d’élire en même temps le conseiller territorial qui devait aussi siéger à l’assemblée départementale, il n’était pas incongru de faire en sorte que les deux scrutins se déroulent en 2015. Ainsi nos concitoyens auront-ils la possibilité de s’exprimer en même temps pour les régionales et les départementales.
Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.
Par conséquent, ce texte apporte des réponses claires à la fois sur les modes de scrutin et sur le calendrier électoral.
Pour sa part, le groupe socialiste a auditionné les représentants des principales associations d’élus. Si, bien sûr, des remarques ont été formulées ici ou là pour améliorer l’architecture générale du texte, il semble malgré tout que tous les points qui ont été évoqués font l’objet d’un consensus.
Pour conclure, je souhaite remercier le ministre de son écoute. Il a, je crois, montré qu’il était capable de faire évoluer le texte pour valoriser ce projet qui, j’en suis certain, constituera une avancée importante pour notre démocratie territoriale. Une nouvelle fois, le Sénat a su mettre son expertise au service des collectivités territoriales. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rendez-vous d’aujourd’hui est important : il n’a échappé à personne que les deux projets que nous étudions préfigurent l’acte III de la décentralisation.
Nous prenons acte du fait que, pour son application dans la France hexagonale, ce projet de loi est marqué par une double volonté du Gouvernement : d’une part, ne pas toucher à l’architecture actuelle de l’organisation administrative en maintenant le conseil régional et le conseil général et, d’autre part, réaménager les compétences qui leur sont actuellement dévolues.
Le Gouvernement a donc décidé de maintenir un conseil général par département et un conseil régional regroupant plusieurs départements. Pour la France, il s’agit d’une adaptation à une nouvelle situation économique et sociale, mais aussi de son intégration à l’Europe.
Concernant la Réunion, la situation est tout à fait différente. Le problème fondamental tient à ce qu’elle est située à 10 000 kilomètres de la France et de l’Union européenne. Nous nous acheminons vers une rupture économique et historique de l’outre-mer !
Les quatre départements d’outre-mer issus de la loi du 19 mars 1946 sont également régis par la loi intégrant les régions d’outre-mer, elles-mêmes devenues régions ultrapériphériques de l’Union européenne. Or, parmi ces régions, la Martinique et la Guyane sont désormais en dehors du projet actuel, tandis que la Guadeloupe et la Réunion sont concernées.
Ainsi, s’agissant des départements d’outre-mer, la situation actuelle se traduit par une division entre, d’une part, ceux qui comme la Martinique et la Guyane ont opté pour une collectivité unique et, d’autre part, la Guadeloupe et la Réunion, qui garderaient, sur le même territoire, un conseil général et un conseil régional.
Cette réforme va donc diviser institutionnellement le bloc des quatre « vieilles colonies » devenues départements et régions d’outre-mer.
Comment réformer ces collectivités territoriales issues de l’intégration actuelle dans la République française et comment les placer dans une perspective de cohérence plus large et d’avenir ?
L’essence même de la réforme nous pose un problème : logiquement, les régions françaises regroupent plusieurs départements. Mais les quatre régions d’outre-mer sont monodépartementales. Comment donc répondre à la philosophie de la réforme qui vise à regrouper plusieurs départements, alors que nous-mêmes n’en avons qu’un seul ?
Outre-mer, c’est la double représentation institutionnelle du département et de la région sur un même territoire qui est en cause. La Martinique et la Guyane en ont tiré les conséquences.
Par ailleurs, les régions de la France continentale s’intègrent dans une unité géographique, elle-même intégrée à l’Europe.
Comment, à la Réunion, à 10 000 kilomètres de la France et de l’Europe, pouvons-nous nous intégrer dans une telle réforme et nous intégrer à l’Europe ?
En revanche, l’intégration de différents pays de l’Afrique orientale est en marche : les îles de l’océan Indien – Maurice, Madagascar, les Seychelles et les Comores –, toutes voisines de la Réunion, participent à un regroupement qui comptera plusieurs centaines de millions habitants dans quelques décennies. Ce regroupement sera lié à l’Union européenne, donc à la France, par des accords de partenariat économique, ou APE, qui seront tout prochainement signés.
C’est donc un grand défi qui se trouve devant nous : comment, à 10 000 kilomètres, concilier les siècles d’intégration de la Réunion dans la France et les décennies d’intégration dans l’Union européenne, d’une part, et notre intégration dans notre environnement géographique, d’autre part ? Voilà le problème qui nous est posé et il ne peut être résolu par une loi électorale élaborée pour un contexte très différent du nôtre.
La Guadeloupe et la Réunion sont toutes deux confrontées à l’application de cette loi, mais elles le sont d’une façon différente. En effet, contrairement à la Guadeloupe, qui dispose d’un congrès, la Réunion, par une disposition spécifique et particulière, se trouve interdite du droit de faire connaître son opinion.
Il faudrait parvenir à une réforme institutionnelle dont le Gouvernement prendrait l’initiative.
La Réunion était une colonie. Compte tenu de la modestie de son territoire et de l’importance de sa population, il y a eu une assemblée unique ; ce fut l’assemblée législative sous le régime colonial, puis le conseil général.
Dans la période de l’intégration départementale et de l’avènement de la décentralisation, sur l’initiative du président François Mitterrand, une loi a été votée en 1981 instituant une assemblée unique dans les quatre départements d’outre-mer, comme en Martinique et en Guyane aujourd’hui. Seule une erreur de référence sur un article constitutionnel a fait annuler la loi votée.
Depuis, la situation géoéconomique et institutionnelle de ces départements d’outre-mer a évolué par rapport à l’Europe, avec la création des régions ultrapériphériques, ou RUP, et du fait de l’intégration économique des pays de l’Afrique de l’Est et des îles de l’océan Indien.
Le simple principe de précaution exige que ce problème soit discuté par les intéressés eux-mêmes, comme en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe.
C’est pourquoi, en l’absence à la Réunion de dispositif organisant, par un congrès, l’expression des conseillers généraux et régionaux, il appartient au Gouvernement de prendre une initiative aboutissant à la consultation de la population sur les modalités et les objectifs de la réforme.
En un mot, faut-il privilégier la vision d’avenir de la Martinique et de la Guyane, à savoir maintenir la citoyenneté française de leurs habitants tout en adaptant leurs politiques et leurs institutions à leur développement et à leur environnement géoéconomique, ou, au contraire, se maintenir dans une région monodépartementale au sein de laquelle coexistent une région et un département sur un petit territoire ?
Il ne faut entretenir aucune confusion sur l’objet de cette réforme outre-mer. Qui peut oser dire qu’il est plus Français qu’un Martiniquais ou qu’un Guyanais à la suite de cette réforme, qui est respectueuse de la Constitution et qui les concerne ?
Il s’agit donc d’un appel au Gouvernement et à la population, pour examiner une situation concrète, concilier le passé historique et l’avenir, réfléchir sur la réforme instaurée en Guyane et en Martinique.
Tout cela explique pourquoi, sur ce projet de loi, à notre grand regret, nous ne pourrons participer au vote. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà trente ans, la France a rompu avec sa tradition centralisatrice pour engager une mutation profonde de son mode d’organisation institutionnelle et administrative.
La nécessité d’entreprendre la décentralisation est établie par le général de Gaulle dès les années soixante.
Le passage de cette France étatique à la France des territoires, nous le devons aux lois Defferre. Ces dernières marquent l’émancipation des collectivités territoriales de la tutelle préfectorale, reconnaissent pleinement le principe constitutionnel de libre administration et donnent ainsi un sens et un véritable enjeu aux élections cantonales, puisque nos concitoyens choisissent des élus de proximité pour changer la vie quotidienne et pour moderniser le territoire.
Trente ans après, ces deux projets de loi que vous présentez au Sénat, monsieur le ministre, comportent des dispositions qui fragilisent l’édifice bâti par nos deux familles politiques et contredisent même l’exposé des motifs qui les introduit, c’est-à-dire l’esprit même des textes que vous souhaitez pourtant voir adoptés.
Parce que l’opposition doit être constructive pour exister, au-delà des petites phrases, parce que la crédibilité de la parole publique suppose de dépasser les effets de manche, je vais tout simplement utiliser le temps de parole dont je dispose non seulement pour souligner les limites et les dangers concrets de ces textes pour la vitalité de la démocratie locale, mais aussi pour proposer des pistes de progrès.
Localement, en tant que président de conseil général, et ici, à Paris, comme membre du Parlement et président du groupe des départements de la droite, du centre et des indépendants à l’Assemblée des départements de France, je mesure au quotidien l’impact du mode de scrutin, c’est-à-dire de la manière de choisir les responsables politiques, sur le fonctionnement de la démocratie locale, dans les conseils généraux en particulier.
C’est donc, mes chers collègues, une question de la plus haute importance qui nous est soumise au travers de ces deux projets de loi. Je limiterai volontairement mon propos au titre Ier, dédié au futur conseil départemental.
À en croire l’exposé des motifs, « le projet de texte vise à prendre en compte les évolutions qu’ont enregistrées les territoires en adaptant les modalités d’élection ». Une telle adaptation doit « conserver […] le lien étroit entre l’élu et son territoire » et « ne procéder qu’aux aménagements strictement nécessaires ».
L’esprit du texte consisterait donc simplement à moderniser un bon mode de scrutin, en l’occurrence uninominal majoritaire à deux tours, dont la « remarquable stabilité », depuis la loi du 10 août 1871, est d’ailleurs saluée. Il ne s’agirait pas de remettre en cause ce qui fonctionne bien, mais de l’adapter aux temps présents.
Telle n’est malheureusement pas la réalité de ce texte, qui remet au contraire totalement en cause les avantages du mode de scrutin majoritaire.
D’abord, d’un seul candidat, nous passons à deux et, d’uninominale, l’élection devient binominale pour – et c’est là tout le problème – un seul et même territoire.
Une offre de candidatures individuelles pour que les électeurs choisissent un élu pour un territoire, c’était sans doute trop évident, trop facile et trop peu subtil pour ce gouvernement. Alors, on nous propose deux points de vue, deux analyses, deux approches, pour informer les mêmes habitants d’un même territoire au nom d’une seule et même collectivité !
Que se passera-t-il si ces deux voix cessent de parler à l’unisson ? Quelle crédibilité aura le conseil général – pardon, le conseil départemental – si la loi est votée ?
J’ai passé l’âge de la candeur et, à l’inverse de Candide, au risque de vous décevoir, je ne crois plus depuis longtemps que tout, dans la vie politique, soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.
J’ai précisément dit que je n’étais pas Candide, monsieur Sueur !
Rien ne garantit que l’entente entre la femme et l’homme qui composeront ce binôme durera dans le temps, une fois passé le bonheur partagé de la victoire électorale, d’autant que la solidarité juridique cessera entre eux une fois l’élection acquise, puisque chacun votera bien comme il ou elle le souhaitera au sein de l’assemblée départementale.
La dimension binominale – deux élus pour un canton – et la dimension binomiale – l’élection de l’un entraîne obligatoirement celle de l’autre – font de cette « innovation politique », comme on peut le lire dans le projet de loi, une expérimentation hasardeuse pour la vie politique locale, source de confusion sur le terrain comme dans les assemblées.
L’abaissement du seuil requis pour accéder au second tour constituera également une source de confusion : on passe de 12, 5 % des inscrits à 10 % seulement, ce qui ne manquera pas d’entraîner des triangulaires et de brouiller la lisibilité du scrutin. D’ailleurs, ne vous y trompez pas, mes chers collègues, la droite et le centre n’en seront pas les seules victimes : le Front de gauche, vos amis écologistes ou encore vos fidèles soutiens communistes pourraient créer d’autant plus facilement la surprise que la popularité du Gouvernement risque de se réduire comme peau de chagrin d’ici à 2015.
La dimension paritaire de ce binôme ne me pose en elle-même aucune difficulté, bien au contraire. Le chiffre de 13, 5 % de femmes élues dans les conseils généraux est très insatisfaisant au regard de l’objectif de représentativité du corps électoral. Je pense que c’est un constat que nous partageons tous.
Depuis la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, l’article 1er de la Constitution fixe un objectif d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Il s’agit d’un objectif, c’est-à-dire d’un but à atteindre, et non pas d’une obligation constitutionnelle à mettre en œuvre séance tenante et coûte que coûte. Autrement dit, le législateur reste libre des modalités d’application pour tendre vers cet objectif, vers cet idéal dirais-je même, comme il reste seul compétent sur la question du calendrier.
Comme trop souvent dans notre pays, un excès est corrigé non par une mesure équilibrée mais par un excès en sens inverse. Faut-il passer, dès 2015, c’est-à-dire dès demain, de 13, 5 % à 50 % de femmes conseillères départementales, soit une multiplication par quatre de leur nombre ?
Avant d’être un homme ou une femme, nous sommes simplement des personnes qu’il convient de respecter. Disons-le clairement, les conseillers généraux actuels qui resteront sur le bord du chemin lors des élections de 2015 ne sont pas moins méritants ni moins talentueux que les femmes conseillères départementales qui seront élues à leur place.
Prend-on conscience de l’ampleur de la recomposition des assemblées départementales qui va découler de cette disposition ? Ces sujets sont moins simples qu’il n’y paraît lorsque l’on quitte les grands principes pour la réalité humaine.
Encore une fois, je soutiens l’objectif de composition paritaire des futurs conseils départementaux, mais je regrette la méthode du Gouvernement, qui confond vitesse et précipitation.
Au sein des conseils départementaux, les exécutifs devront aussi être composés de manière strictement paritaire. À ce jour, chaque vice-président peut être élu séparément du reste des membres du bureau, de telle sorte que son élection constitue une véritable élection interne, ne résultant ni du bon plaisir du président ni d’une simple formalité.
Je considère qu’abandonner la possibilité de se faire élire vice-président sur son nom et ses qualités pour figurer – je dis bien « figurer » – sur une liste que le chef de l’exécutif déposera et qu’évidemment la majorité ratifiera, sans panachage ni vote préférentiel possible, affaiblit la démocratie locale.
Avant d’être homme ou femme, les élus sont des citoyens à qui le corps électoral a témoigné sa confiance pour leurs capacités personnelles présumées ou reconnues. Le principal bénéficiaire de ce mode de scrutin peu lisible sera sans doute, malheureusement, l’abstention.
Le lien entre l’élu et le territoire, qui continuera d’ailleurs de s’appeler « canton », est, comme le reconnaît le Gouvernement, l’un des avantages principaux du mode de scrutin majoritaire. Renforcer ce lien, du moins le préserver, fait partie des objectifs affichés dans le projet de loi. C’est tout le contraire qui va se produire dans les nouveaux cantons ruraux en raison des modalités du remodelage électoral.
Qu’est-ce qu’un conseiller général aujourd’hui dans le monde rural ? C’est l’élu de proximité par excellence, celui ou celle que tous les habitants des communes du canton connaissent et identifient comme un « relais » de confiance pour toutes les questions qui concernent la collectivité départementale, bien sûr, mais aussi comme un relais vers les sous-préfectures et la préfecture, voire vers la région, tant les élus régionaux restent, à quelques exceptions près, peu connus de nos concitoyens.
Loin d’être les élus du seul conseil général, dont le rôle se limiterait à la mise en œuvre des politiques publiques menées par leur collectivité, les conseillers généraux sont en prise directe avec tous les sujets de la vie quotidienne de nos concitoyens.
Ce nouveau mode de scrutin va laminer la représentation des cantons ruraux et éloigner les élus des électeurs. Après avoir vu disparaître la gendarmerie, La Poste, la trésorerie et l’école, va-t-on voir partir demain le conseiller général de proximité au profit d’un conseiller départemental qui ressemblera davantage à un député en miniature ?
Le Gouvernement prévoit de remodeler, pour ne pas dire redécouper, la carte cantonale, afin de réduire les écarts de représentation entre les cantons au nom du respect du principe d’égalité des suffrages.
L’intention est louable ; le constat, partagé : les trois cinquièmes des cantons de France n’ont pas connu de modification de leurs limites administratives depuis 1801, alors que, depuis deux siècles, les évolutions démographiques internes aux départements sont évidemment considérables.
Le gouvernement de François Fillon avait non seulement dressé ce constat, mais surtout apporté une réponse appropriée avec la création du fameux conseiller territorial. Celui-ci était lui aussi l’élu d’un territoire remodelé pour limiter les écarts de représentation. Oui, il est anormal que, dans l’Hérault, l’écart de population d’un canton à l’autre puisse varier de 1 à 47, comme il est injuste que, en Haute-Marne, le canton de Chaumont-Sud et ses presque 18 000 habitants aient autant de poids dans l’assemblée que le certes très charmant canton d’Auberive et ses 1 500 habitants.
Encore une fois, nous sommes d’accord sur le constat, mais en aucune façon sur la solution proposée.
Le Gouvernement autorise une variation de plus ou moins 20 % autour de la moyenne, un tunnel en quelque sorte, dans lequel doivent absolument s’inscrire tous les remodelages à venir.
Ainsi, le plus petit canton de mon département comptera demain 9 202 habitants au minimum contre 1 440 aujourd’hui. La densité de population au kilomètre carré atteint à peine cinq habitants dans ce secteur, si bien que, pour atteindre 9 202 habitants, la nouvelle circonscription s’étendra sur 1 840 kilomètres carrés, monsieur Mézard ! C’est tout simplement immense !
Mes chers collègues, avec une circonscription aussi vaste, il ne sera plus possible de parler sérieusement d’élus de proximité, même si, effectivement, il y aura deux conseillers.
Tournons-nous un instant vers un département d’Île-de-France, la Seine-et-Marne. D’après le projet de loi, le canton moyen compterait 60 221 habitants et le plus petit 48 177. Comment les zones les plus rurales de ce département seront-elles représentées ? Je pense au canton de Lizy-sur-Ourcq et à ses 17 000 habitants ou encore à celui du Châtelet-en-Brie et à ses 15 000 habitants.
Plus au sud, dans les Alpes-Maritimes, le canton le moins peuplé devrait totaliser 57 532 habitants. Je pense avec inquiétude, comme vous, monsieur Mézard, à la représentation dont vont disposer demain nos concitoyens de l’actuel canton de Coursegoules, qui sont 2 282 !
Dites-leur, monsieur le ministre, que leur canton, demain, devra compter vingt-cinq fois plus d’habitants, et bon courage à vous pour leur expliquer, sans rire, que votre projet de loi maintient la proximité existante entre l’élu et la population !
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Et je ne vous parle pas de Cucugnan ! §
Vous me direz peut-être que le texte prévoit ces situations, par référence à l’article 23, lequel dispose que « seules les exceptions de portée limitée spécialement justifiées par des considérations géographiques ou par d’autres impératifs d’intérêt général peuvent être apportées aux dispositions du III ».
Les zones de montagne et les territoires ruraux à faible densité d’habitants seront-ils concernés ? Nous n’en savons rien.
Cet article 23, dont la rédaction est très floue, sera bien évidemment précisé par un décret, mais décret que, par définition, nous ne verrons même pas passer et dont nous ne connaîtrons rien, mes chers collègues.
Pour l’heure, les seuls critères qui encadrent la révision de la carte cantonale sont les suivants : la continuité du territoire de chaque canton, l’intégration dans un seul canton de toute commune dont la population est inférieure à 3 500 habitants, le respect du tunnel des 20 %. C’est tout !
En outre, le Gouvernement entend procéder à cette opération par voie réglementaire au lieu d’emprunter la voie législative.
Sur ce point, je suis d’accord avec Jacques Mézard.
Certes, j’ai lu avec soin le rapport de la commission, qui conclut à la validité juridique des deux approches. Celui-ci nous indique que le tunnel des 20 % est conforme à la jurisprudence du Conseil d’État, mais rien ne permet de penser qu’un taux différent permettant plus de souplesse tout en réduisant considérablement les écarts de représentation serait inconstitutionnel. Adaptons enfin notre principe d’égalité des suffrages et notre objectif de réduction des écarts de représentation aux situations de terrain !
Je fais une proposition pour un texte plus équilibré : envisageons que la population par nouveau canton puisse varier de 40 % à 50 %, à la hausse comme à la baisse, autour de la moyenne départementale. Prenons le temps d’examiner sérieusement cette possibilité, et chacun constatera qu’elle n’a rien d’excessif et qu’elle permet déjà de mettre fin à la plupart des déséquilibres significatifs de représentation, sans créer des cantons d’une superficie démesurée.
Je me souviens que c’était au nom de la défense des départements et du lien de proximité entre l’élu et son territoire d’élection que nos collègues de gauche avaient dénoncé, lors de l’examen de la loi de réforme des collectivités territoriales, la création du conseiller territorial. Et avec quelle énergie ! Avec quelle fougue ! Avec quel talent !
Chers collègues de la majorité, je suis très surpris de constater que vous soutenez aujourd'hui un projet de loi qui cause non seulement aux départements mais aussi plus largement à la ruralité un dommage considérable, puisqu’il va laminer la représentation des cantons ruraux et menacer les équilibres fragiles entre le monde urbain et le monde rural.
Je demande, dans un souci de transparence et de respect de nos assemblées, que la voie législative soit choisie pour examiner un projet de loi qui aurait pour objet de proposer au Parlement une modification du périmètre des circonscriptions d’élection que seront demain les nouveaux cantons. L’article 34 de la Constitution le permet. Dans cette hypothèse, la saisine pour avis des conseils départementaux permettrait utilement d’éclairer la discussion parlementaire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces deux textes soumis à notre examen ne correspondent pas, dans leurs principales dispositions, aux intérêts des territoires. Le lien de proximité avec nos concitoyens, principal intérêt du scrutin majoritaire, ne serait plus qu’un souvenir.
C’est le sens même du mandat de conseiller général qui changerait, alors que tous, Gouvernement compris, nous affirmons notre attachement au maintien de la spécificité de ce mandat.
Pour ces raisons de fond, et malgré quelques points positifs, comme le changement d’appellation – et encore… – de nos collectivités ou le passage d’un renouvellement par moitié tous les trois ans à un renouvellement unique tous les six ans – à quand un tel changement pour le Sénat ? –, les présidents de conseil général des groupes de la droite, du centre et des indépendants ne soutiennent pas ce projet de loi.
Sauf à imaginer de significatives évolutions au cours des débats parlementaires, il me semble très difficile, pour ne pas dire impossible, de voter ces dispositions.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 16 janvier 2013 à quinze heures et le soir :
- Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’engagement des forces armées en réponse à la demande d’intervention militaire formulée par le Président du Mali, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution.
- Suite du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (n° 166 rectifié, 2012–2013) et du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (n° 165 rectifié, 2012–2013) ;
Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission des lois (n° 250, 2012–2013) ;
Textes de la commission (nos 252, 2012–2013 et 251, 2012–2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 16 janvier 2013, à zéro heure quarante-cinq.